Plaignant
Mme Carole-Marie Allard
Mis en cause
M. Stéphane St-Amour, journaliste et rédacteur en chef, M. Claude Labelle, éditeur, M. Eric Cliche, directeur de l’information et le journal régional Courrier Laval
Résumé de la plainte
Mme Carole-Marie Allard porte plainte contre le journal régional Courrier Laval et le journaliste Stéphane St-Amour à la suite du traitement journalistique dont elle a été l’objet dans l’édition du 5 juin 2005. La plaignante qualifie le comportement du Courrier Laval et de son journaliste de « jaunisme » et dit souhaiter que l’on respecte sa vie privée.
Griefs du plaignant
Mme Carole-Marie Allard porte plainte contre le journaliste Stéphane St-Amour et le journal Courrier Laval pour un traitement sensationnaliste dont elle aurait été l’objet dans l’édition du dimanche 5 juin 2005 de l’hebdomadaire.
La plainte de Mme Allard vise les photos et titres utilisés, le traitement de l’information, inapproprié selon elle, et l’atteinte à sa vie privée.
Pour Mme Allard, « avoir sa photographie publiée sur la première page d’un journal qui bénéficie d’un tirage aussi étendu, a des conséquences qui peuvent se révéler dramatique pour une réputation ». Ainsi, la plaignante reproche aux mis-en-cause la publication de sa photographie à la une de l’hebdomadaire avec le titre : « Allard encore dans la controverse ». Elle déplore aussi qu’en plus de la première page, le journal ait consacré trois autres pages à son sujet, illustrées de trois photographies.
Mme Allard détaille alors l’explication de sa plainte. Elle relève d’abord que dans l’article de la page A3, il n’est jamais fait mention du mot « controverse ». Mais, le journal a jugé important, selon elle, de rapporter un témoignage devant la commission Gomery au sujet d’une entente interne du parti Libéral concernant un remboursement de dépenses, qui a été présenté aux lecteurs comme «un cadeau du Parti Libéral à Carole-Marie Allard ». Elle attribue cette mention au fait qu’elle est la compagne de M. Clément Joly, homme d’affaires bien connu à Laval et membre du Parti Libéral du Canada (PLC).
La plaignante indique cependant que bien qu’elle soit en désaccord avec le traitement de certaines parties de l’article de la page A3, ce n’est pas l’objet de la présente plainte. Répondant toujours à l’article, Mme Allard explique que les personnes qui la connaissent savent qu’elle ne connaissait pas M. Joly au moment où elle est entrée en politique. Et au sujet de « l’entente » dont il est question dans l’article, ce serait l’Association libérale de sa circonscription qui a en a profité et non pas elle personnellement. Elle ajoute que cette histoire n’impliquait aucun fonds publics, qu’elle n’était pas reliée au mandat de la commission Gomery et que le cas de Laval-Est n’était pas unique.
En ce qui a trait à la page A5, même si l’article ne correspond pas aux faits et à la discussion tenue avec le journaliste, elle ne remet pas le contenu en question. Elle fait seulement remarquer que le mot « controverse » n’apparaît pas non plus sur cette page.
La plaignante souhaite attirer l’attention du Conseil sur la page A4 où, pour la deuxième fois après la page couverture, il est question de controverse. On peut y lire: « Carole-Marie Allard n’en est pas à sa première controverse ». Et, en sous-titre: « Ce cas de traitement de faveur impliquant l’ex-députée libérale Carole-Marie Allard n’est pas sans rappeler certaines irrégularités qui ont ponctué son parcours en politique. » Commentant ces « irrégularités », la plaignante explique qu’elle a fait antérieurement l’objet d’une dénonciation en règle dans l’hebdomadaire par une ex-candidate, Mme Nathalie Paradis. Selon la plaignante, «celle-ci déplorait par ses allégations de pistonnage que Mme Allard avait été parachutée dans le comté au détriment d’une militante du milieu » lorsqu’elle s’est présentée dans la circonscription de Laval-Est à l’automne 2000. La plaignante demande en quoi le fait de se présenter aux élections peut constituer une irrégularité.
Mme Allard ajoute que le deuxième paragraphe de l’article indique : « Puis, lors de la dernière campagne du printemps 2004, elle s’est à nouveau retrouvée au cœur d’une controverse. » Le journaliste expliquerait alors que la controverse était, en fait, une plainte déposée contre Mme Allard auprès du directeur d’Élections Canada. La plaignante répond qu’en juillet 2005, elle a reçu une lettre d’Élections Canada précisant que cette plainte n’avait pas été retenue.
La plaignante affirme qu’au cours de son parcours politique, elle n’a pas souvenir d’avoir défrayé les manchettes dans le Courrier Laval de façon négative. Ce qui la surprend, c’est qu’un journal aussi important revienne sur cette histoire sans en avoir vérifié l’issue. Il s’agissait, en fait, d’une plainte déposée par le Bloc Québécois auprès d’Élections Canada concernant le vote par bulletin spécial avant le jour du scrutin. Après avoir examiné le processus, le commissaire responsable à Élections Canada avait conclu que l’information disponible ne lui donnait aucun motif raisonnable pour intenter une poursuite contre la plaignante en vertu de la Loi électorale du Canada.
La plaignante indique que ce qui la touche, c’est qu’un an plus tard, cette information non vérifiée serve de prétexte à inscrire en première page du journal: « Allard encore dans une controverse ». Comme elle a quitté la politique, elle souhaiterait qu’on respecte son droit à la vie privée.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du journaliste et rédacteur en chef, Stéphane St-Amour :
Le journaliste et rédacteur en chef relève que la plaignante demande que l’on respecte son droit à la vie privée, puisqu’elle s’est retirée de la vie politique. Il répond qu’il le veut bien mais qu’au printemps 2005, « l’actualité s’est chargé de la mettre sur la sellette » lors des audiences de la commission Gomery. Pour le journaliste, pour bien comprendre le contexte, il est important de prendre connaissance des trois articles auxquels fait référence MmeAllard dans sa requête, dont le texte principal, publié en page 3, et qui justifiait les deux autres. Il fait d’ailleurs observer que la plaignante n’a pas jugé bon de commenter ce texte.
M. St-Amour dit vouloir répondre en détail aux propos de la plaignante parce que « ses allégations sont insidieuses, laissant croire que j’avais moi-même personnellement sauté à ces conclusions » :
– En fait, le témoin devant la commission Gomery auquel fait référence MmeAllard est MmeFrançoise Patry, ex-présidente du PLC-Québec, qui commentait une avantageuse entente financière datée du 11 mai 2001 et signée par le directeur général du PLC-Q Benoît Corbeil à l’endroit de Mme Allard. Ayant obtenu copie de l’entente en question, le journal l’a publiée en page 3 de son édition du 5 juin 2005. Le journaliste fait remarquer que c’est le commissaire Gomery qui suggère à Mme Patry qu’il s’agissait « d’un cadeau de départ pour le député (sic) et d’une très, très grosse dépense pour le parti », ce qu’a corroboré Mme Patry. Un peu plus loin, le juge Gomery a demandé à Mme Patry si elle peut expliquer le geste que M. Corbeil a posé au nom du parti. Au fil des échanges, Mme Patry a répondu que le conjoint de MmeAllard était M.Clément Joly, le président de la commission des finances du PLC-Q et qu’à sa connaissance, ce geste exceptionnel n’a pas été fait pour d’autres candidats ou candidates.
– Le journaliste ne conteste pas le fait que Mme Allard ne connaissait pas M. Clément Joly avant son entrée en politique mais souligne qu’il n’a jamais prétendu le contraire. Il réagit également aux commentaires de la plaignante sur la véracité du texte qu’il signe en page5 et qui ne correspondrait pas « aux faits et à la discussion tenue avec M. St-Amour… » Pour lui, il s’agit d’insinuations gratuites.
-Abordant ensuite le reproche de la plaignante d’avoir écrit qu’elle n’en était pas à sa première controverse, il commence par rappeler une définition du dictionnaire, pour expliquer ensuite le contexte où ce mot a été utilisé. Il cite également des documents à l’appui de ses explications :
-Au sujet du texte publié en page 4, le journaliste rappelle « certaines irrégularités qui ont ponctué son parcours en politique » et d’abord les circonstances de la nomination de la plaignante comme candidate de Laval-Est en vue des élections de novembre 2000. Sa nomination n’avait pas fait l’unanimité et avait été dénoncée par l’ex-candidate libérale Nathalie Paradis et ses supporteurs, parce que Mme Allard n’était pas une militante du milieu. C’est cette suite d’événements qu’il a considéré comme « première controverse».
-La « seconde controverse » fait référence à un épisode survenu lors de la campagne
électorale du printemps 2004. Le directeur des élections de la circonscription d’Alfred Pellan avait reçu des plaintes au sujet de méthodes utilisées par Mme Allard pour faire inscrire des personnes âgées au programme de vote postal d’Élections Canada. Le journaliste annexe des documents pour confirmer l’incident qui avait été rapporté notamment dans le quotidien La Presse. Selon lui, en demandant « Où est le problème?», Mme Allard confirme, lettre à l’appui que son geste « avait fait l’objet d’une plainte déposée auprès du directeur d’Élections Canada ».
Ainsi, pour M. St-Amour, quoi qu’en dise la plaignante, il y a bien eu « matière à controverse dans le cas de l’entente financière soulevée durant la commission Gomery, et dans le cas de sa nomination comme candidate libérale aux élections de 2000 et dans le cas de la tactique électorale à laquelle elle a eu recours en 2004… ».
Commentaires du directeur de l’information, M. Eric Cliche :
Le directeur de l’information tient à réagir lui aussi et à remettre les choses en perspective. Comme Mme Allard affirme dans sa plainte qu’elle ne conteste pas le contenu des articles publiés en page 3 et 5 du Courrier Laval du 5 juin 2005, le directeur de l’information concentre sa réaction sur l’article publié en page 4 de l’édition du même jour.
M. Cliche raconte les événements ayant entouré l’incident autour de l’inscription de personnes âgées au programme de vote postal d’Élections Canada et qui s’est terminé par une plainte déposée auprès du directeur d’Élections Canada.
Il rappelle également une définition du mot controverse : « discussion sur une question, motivée par des opinions ou des interprétations différentes; polémique ». Selon M. cliche, s’il n’y avait pas eu d’opinions et d’interprétations différentes de l’article 240 de la Loi électorale, le directeur d’Élections Canada n’aurait pas été obligé de trancher.
M. Cliche termine en disant qu’il ose croire qu’il est approprié de parler de controverse lorsque le financement de la campagne électorale d’une députée se retrouve devant la commission Gomery et que le commissaire cherche à savoir pourquoi la députée en question a pu bénéficier de faveurs particulières.
Réplique du plaignant
Mme Allard répond en demandant au Conseil de considérer le dossier comme complet.
Analyse
La plainte de Mme Carole-Marie Allard vise les photos et titres utilisés, le traitement de l’information, inapproprié selon elle, et l’atteinte à sa vie privée. La plaignante reproche d’abord aux mis-en-cause l’utilisation du mot «controverse » associé à son nom et à sa photographie publiée à la une de l’édition du Courrier Laval le 5juin 2005.
À ce sujet, le Conseil rappelle que le choix des titres, des manchettes et des bas de vignettes accompagnant photos et illustrations relève de la responsabilité de l’éditeur. C’est sa prérogative d’établir la politique du média dans ce domaine. En ayant recours aux moyens les plus efficaces dont ils disposent pour rendre l’information qu’ils diffusent vivante, dynamique et susceptible de retenir l’attention du public, les médias doivent faire preuve d’une grande rigueur intellectuelle et se montrer soucieux d’exposer fidèlement la réalité.
Après examen des explications des parties, le Conseil a considéré que l’utilisation du mot « controverse » n’était pas exagéré dans les circonstances puisque les mis-en-cause ont démontré à quels événements antérieurs ils faisaient référence lorsqu’ils ont utilisé le titre « Allard encore dans la controverse ».
La plaignante reprochait également aux mis-en-cause leur manque de vérification des informations entourant une plainte formulée auprès du directeur d’Élections Canada durant la campagne électorale de 2004. Le Conseil n’a pas retenu le grief sur le sujet, estimant qu’en vertu de la liberté journalistique qui leur est reconnue, les mis-en-cause pouvaient choisir les informations qu’ils jugeaient préférables de communiquer, même si aux yeux du Conseil une mention du rejet de cette plainte aurait certainement été tout à fait à propos, dans les circonstances.
Enfin, en ce qui concerne le respect de la vie privée de la plaignante, le Conseil a estimé que le traitement journalistique n’avait pas été exagéré et que les mis-en-cause n’avaient pas commis de manquement à cet égard. Même si après un séjour en politique la plaignante est retournée à la vie privée, l’évocation de liens et d’événements reliés à cette période publique de sa vie a été faite dans le respect des règles déontologiques.
Décision
Ainsi, au-delà de l’observation sur le suivi de l’information mentionnée plus haut, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Carole-Marie Allard contre le journaliste et rédacteur en chef Stéphane St-Amour et le journal régional Courrier Laval.
Analyse de la décision
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15D Manque de vérification
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16E Mention non pertinente