Plaignant
M. Stéphane Roch
Mis en cause
M. Louis Gagné, journaliste, M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Dans son édition du 20 février 2005, le Journal de Montréal publiait un article intitulé «Un bambin survit à la manœuvre désespérée de sa mère, route 117». De l’avis du plaignant, le journaliste a tiré des conclusions trop rapides en affirmant que l’accident auquel a succombé sa conjointe était un suicide.
Griefs du plaignant
Me Richard Marsolais représente les intérêts du plaignant. Il précise que la plainte porte sur un article paru le 20 février 2005 dans le Journal de Montréal, sous le titre «Un bambin survit à la manœuvre désespérée de sa mère, route 117».
L’avocat de M. Stéphane Roch explique que Mme Rozon-Maisonneuve, accompagnée de son fils au moment du drame, a été victime d’un accident de la route et ce, bien que le journaliste ait écrit que cette dernière avait eu pour dessein de causer ledit accident pour se suicider et causer la mort de son enfant.
Il précise avoir de plus contacté les intervenants qui s’étaient déplacés le soir du drame. Il appert qu’il s’agissait bien d’un accident aux conséquences malheureuses. Par conséquent, le plaignant dit être victime de la portée préjudiciable d’un article mensonger, diffamatoire et sensationnaliste.
Me Richard Marsolais mentionne qu’en plus de porter le deuil de Mme Rozon-Maisonneuve, M.Stéphane Roch et son fils doivent supporter la honte quotidienne suscitée par l’article. En effet, ceux-ci sont victimes de commentaires et de rumeurs qui n’auraient pas lieu d’être.
Il conclut qu’il souhaite obtenir du Conseil une opinion sur les règles déontologiques applicables à la confection de cet article et qui aurait pour bénéfice de replacer les faits dans leur vrai contexte et d’atténuer l’impact du deuil du plaignant et de son fils tout en levant le voile quant aux véritables intentons de Mme Rozon-Maisonneuve.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Bernard Pageau, avocat du Journal de Montréal:
Me Bernard Pageau commence par préciser que l’article du 20 février 2005 contenait certaines informations provenant des forces policières et des pompiers.
Il explique que les représentants de la Sûreté du Québec ont fait référence à un suicide concernant la perte de contrôle du véhicule mais ont refusé de donner d’autres détails. Il mentionne que l’article contenait d’ailleurs la référence à «Suicide-Action» telle que recommandée.
Me Bernard Pageau précise qu’une autre communication entre le Journal de Montréal et les forces policières ont informé le Journal que toutes les hypothèses, dont celle du suicide étaient considérées quant à la cause de la perte de contrôle, ce qui a été communiqué à l’avocat du plaignant.
Il mentionne que la publication de toute nouvelle information provenant des forces policières a de plus été offerte à M. Stéphane Roch afin de corriger l’information communiquée par le journaliste.
Plus récemment, le journaliste aurait contacté le coroner en charge de l’enquête qui l’aurait informé que l’hypothèse du suicide comme cause de la perte de contrôle du véhicule a été continuellement évoquée depuis le début de l’enquête et qu’elle constituerait une hypothèse valable. Toutefois, le rapport du coroner n’a pas encore été rendu public.
Il conclut que pour ces motifs, le journaliste ainsi que le Journal de Montréal contestent la prétention du plaignant à l’effet qu’ils n’auraient pas agi correctement. Ils auraient en effet publié en toute bonne foi les informations disponibles sur l’accident et ce, telles que rapportées par la sécurité publique. Il termine en précisant qu’il va de soi que toute nouvelle information provenant des autorités publiques à l’effet que le suicide ne serait pas à l’origine de cette perte de contrôle sera publiée.
Réplique du plaignant
Me Richard Marsolais explique qu’il a interrogé les intervenants venus constater les faits qui ont coûté la vie à Mme Rozon-Maisonneuve. Selon lui, les policiers et les membres des services d’incendie concernés ne lui ont à aucun moment mentionné qu’une tentative d’homicide ou un suicide pouvait expliquer le drame.
Selon lui, le fait que le suicide ait pu être mentionné parmi une foule d’hypothèses expliquant la cause de l’accident n’autorisait en rien le Journal de Montréal et le signataire de l’article à s’adresser aux lecteurs comme ils l’ont fait, c’est-à-dire en tirant une conclusion définitive en ce sens et en rapportant la nouvelle dans les mêmes termes.
De plus, Me Richard Marsolais estime que parfaire une enquête journalistique d’abord bâclée ne change rien au caractère mensonger, calomnieux et vexatoire à l’origine de la plainte. De son avis, l’enquête devait se faire a priori. L’article qui lui a fait suite se devait de rapporter fidèlement la réalité qui est à l’effet qu’au moment de la publication, l’accident n’était pas expliqué. Il précise que si le journaliste tenait à présenter sa thèse, il aurait dû prendre le temps d’indiquer qu’il s’agissait d’une hypothèse et non d’un fait documenté et avéré.
De plus, le plaignant nie avoir reçu l’offre de publication de «toute nouvelle information provenant des forces policières et corrigeant l’information communiquée au moment de l’accident».
Me Richard Marsolais maintient que le journaliste n’a pas agi correctement lorsque, faisant fi des règles élémentaires qui encadrent le travail journalistique, il a colporté sa thèse sensationnaliste du suicide et de la tentative d’homicide en présentant la nouvelle à son lecteur comme un fait avéré.
Or, selon lui, il est clairement établi que plusieurs explications sont encore possibles. Le fait que le coroner n’écarte pas celle du suicide ne changerait rien au caractère sensationnaliste et préjudiciable du texte publié par le Journal de Montréal. Cela ne modifierait en rien le fait que la conclusion du journaliste a été imposée au lecteur en l’absence de tout élément d’information probant.
Analyse
La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. Si elle ne signifie aucunement sévérité, austérité, restriction, censure, conformisme ou absence d’imagination, elle est plutôt synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des évènements. À cet égard, le guide des Droits et responsabilités de la presse recommande que, lors de drames humains, les médias et les journalistes fassent preuve d’une grande prudence, de discernement et de circonspection dans la manière dont ils rapportent les faits.
Le plaignant reprochait au Journal de Montréal d’avoir conclu que sa conjointe s’était suicidée au volant de son véhicule, tentant d’emporter avec elle son enfant, alors qu’elle aurait été victime d’un accident de la route. Le mis-en-cause explique que, lorsqu’ils ont été interrogés par le journaliste, les intervenants sur le lieu du drame ont fait référence au suicide. Or, après analyse, le Conseil constate qu’au moment de la rédaction de l’article, l’enquête du coroner n’était pas terminée, ce qui ne permettait en rien au Journal de Montréal d’affirmer que la conjointe du plaignant s’était suicidée.
Compte tenu des principes exposés précédemment, le Conseil de presse estime que le Journal de Montréal aurait ainsi dû présenter l’affirmation contenue dans le titre et l’amorce au moyen du conditionnel, comme il l’a fait dans le reste de l’article. Le grief est donc retenu.
Dans le traitement des évènements impliquant des drames humains, les médias et les journalismes doivent de plus éviter tout sensationnalisme et prendre garde de ne pas accorder aux évènements un caractère démesuré, sinon amplifié, par rapport à leur degré d’intérêt public.
Après analyse, le Conseil constate que le titre et l’amorce de l’article sont sensationnalistes puisqu’ils induisent le public en erreur en lui laissant croire que le suicide est la cause de l’accident, et non une hypothèse expliquant le décès de la conjointe du plaignant.
En ce qui a trait au grief pour diffamation, le Conseil rappelle qu’il ne se prononce pas sur cette matière qui relève exclusivement des tribunaux.
Décision
En conséquence, le Conseil de presse retient la plainte de M.Stéphane Roch et blâme le Journal de Montréal ainsi que son journaliste M.Louis Gagné sur la base des griefs concernant l’information inexacte et le sensationnalisme.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15C Information non établie
- C17A Diffamation
- C17D Discréditer/ridiculiser