Plaignant
La Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FéCHIMM) et M. Pierre-Alain Cotnoir, secrétaire
Mis en cause
Mme Catherine Cano, rédactrice en chef, M. Guy Filion, adjoint au directeur général des programmes Information-Télévision française et l’émission «La part des choses» et le Réseau de l’Information – RDI-SRC
Résumé de la plainte
La FéCHIMM reproche à RDI d’avoir exclu M. Richard Bergeron, candidat à la mairie de Montréal et chef du parti Projet Montréal, du face-à-face qu’elle a organisé sur ses ondes le 27 octobre 2005 dans le cadre de l’émission « La part des choses » et qui opposait MM. Pierre Bourque et Gérald Tremblay.
Griefs du plaignant
M. Pierre-Alain Cotnoir décrit en premier lieu ce qu’est la FéCHIMM, Fédération dont il est le représentant, et en quoi consistent ses interventions. Il précise que le 24 octobre 2005, le conseil d’administration de la Fédération a adopté une résolution proposant le dépôt d’une plainte auprès du Conseil de presse visant le Réseau de l’information de Radio-Canada ( RDI) et concernant l’émission « La part des choses » qui serait diffusée le 27 octobre 2005. Celle-ci consistait en un débat, en français, entre deux candidats à la mairie de Montréal que sont M. Pierre Bourque et M.Gérald Tremblay.
Le représentant de la FéCHIMM expose ensuite succinctement les motifs de sa plainte. Il explique que RDI, alors qu’elle avait publiquement annoncé organiser le seul débat télévisé des chefs en français au cours de la campagne électorale municipale, a décidé d’en exclure M.Richard Bergeron, chef du parti Projet Montréal. Il précise que la publicité annonçant cette émission présentait ce débat comme une émission spéciale permettant aux chefs des partis municipaux de débattre et de faire connaître leur programme politique et ce, durant deux heures. Le plaignant explique que Mme Catherine Cano, rédactrice en chef, lui a exposé les conditions auxquelles n’avaient pas répondu le candidat Richard Bergeron et qui justifiaient son exclusion : Le chef du parti devait avoir une représentation significative à l’hôtel de ville et avoir des chances de maintenir celle-ci.
De l’avis des experts ou des sondages, le chef du parti devait avoir des chances réelles d’être élu maire. Le premier critère énoncé ne s’appliquait pas dans le cas de Projet Montréal et ce serait donc sur la base du second que RDI se serait appuyé pour ne pas inviter M. Bergeron à prendre part au débat. Malgré les demandes de la Fédération aux fins d’obtenir les avis des experts ou les résultats des sondages sur lesquels l’exclusion était fondée, aucun document n’a été transmis au plaignant. De son avis, il faudrait donc s’interroger sur la pertinence du critère choisi par RDI. Il précise que si le même raisonnement avait été appliqué pour les élections fédérales, M. Gilles Duceppe aurait dû être exclu des débats puisqu’il n’avait aucune chance de devenir premier ministre du Canada.
Le représentant de la Fédération explique que RDI a reçu de nombreuses plaintes de citoyens et d’organisations relativement à l’exclusion de M. Bergeron du débat. Selon M. Pierre-Alain Cotnoir, ce sont ces plaintes qui auraient finalement conduit RDI à octroyer quatre minutes de réplique à M. Richard Bergeron à la fin du débat. Outre le fait que l’animateur n’ait considéré le programme de cette formation politique que sur le plan du transport, le plaignant estime toutefois que cette concession de dernière minute, qui n’a pas été rediffusée lors des deux reprises, ne faisait que confirmer la volonté de marginalisation de cette formation politique par la Société Radio-Canada (SRC). Le représentant de la FéCHIMM précise qu’il souhaite s’assurer par la présente que la population montréalaise a pu bénéficier d’une information complète sur les partis en présence durant la campagne municipale. Il ajoute que, de son avis, une telle exclusion contrevenait au devoir d’équité auquel s’est engagé la SRC dans ses Normes et pratiques journalistiques et conclut qu’il n’appartient pas à celle-ci de décider qui doit être entendu ou non par le public dans un pareil débat. Ainsi, cette décision arbitraire constituerait, selon lui, une entorse majeure à toute tentative de couverture équitable de la campagne électorale municipale à Montréal et ce, d’autant plus qu’elle concernait le seul débat des chefs ayant lieu en français. De l’avis du plaignant, l’exclusion de M. Richard Bergeron aurait donc eu pour conséquence de marginaliser la présence de Projet Montréal dans le débat démocratique en ne donnant pas une chance équivalente à ce parti de se faire entendre.
Commentaires du mis en cause
M. Guy Filion précise que lors du dernier scrutin municipal, les leaders des principaux partis politiques en présence ont participé à de nombreux débats dans plusieurs médias. Il explique que durant l’été 2005, une nouvelle formation politique nommée Projet Montréal a été créée et que son président, M. Richard Bergeron, a été invité le 9 août 2005 dans les studios de Radio-Canada afin de livrer son point de vue à l’émission «simondurivage.com». Il mentionne que M. Bergeron a bien été identifié en tant que chef du parti Projet Montréal lors de cette émission. Il ajoute que la semaine qui a suivi le lancement officiel du parti Projet Montréal le 17 août, un reportage a été diffusé à l’émission « Le Téléjournal/Montréal » et conclut que cette formation politique n’a donc pas été boycottée par la SRC. En septembre, la SRC aurait appris que l’équipe du maire sortant, M. Gérald Tremblay, avait refusé de participer à un débat public organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, débat que RDI devait diffuser en exclusivité, comme cela s’est fait au cours des dernières campagnes électorales municipales.
Souhaitant réagir à ce refus et désireux de participer activement à la campagne électorale montréalaise, le rédacteur en chef de l’émission «La part des choses» a proposé aux organisations Bourque et Tremblay le face-à-face du 27 octobre 2005 sur RDI, qu’elles ont toutes deux accepté. M. Guy Filion précise que les autres chefs des partis politiques en lice, soit MM. Richard Bergeron, chef du parti Projet Montréal, et Michel Bédard, chef du Parti éléphant Blanc, n’ont pas été invités pour les raisons qui ont été invoquées dans la lettre Mme Catherine Cano, directrice de RDI et qui ont été transmises aux téléspectateurs ayant manifesté leur désaccord. M. Guy Filion précise que l’ombudsman de Radio-Canada a rendu une décision confirmant ce point, le 26 octobre 2005. Il ajoute que la décision de ne pas inviter le représentant du parti Projet Montréal au débat du 27 octobre 2005 ne signifie pas que la SRC ait ignoré la campagne électorale de celui-ci. En effet, l’étude de la couverture de ce parti par la SRC démontre que M. Bergeron a été reçu en entrevue quelques minutes après le débat du 27 octobre 2005, ainsi qu’en direct, le lendemain, à l’émission «Matin Express». De plus, le 24 octobre 2005, la direction de l’information télévisée a rencontré une délégation pro-Projet Montréal au sujet du face-à-face prévu pour le 27 octobre 2005. La rencontre a eu lieu en présence du directeur général des programmes Information-Télévision, M.Louis Lalande, et de différentes personnalités soutenant le parti Projet Montréal et déçues de la non-participation de M. Richard Bergeron. Ces derniers auraient toutefois reconnu que RDI avait bien couvert la campagne du parti Projet Montréal, en comparaison à d’autres médias.
Le mis-en-cause rappelle que l’émission «La part des choses» a l’habitude de tenir des débats en direct puisque deux personnes nourrissant des avis opposés sont souvent invitées à débattre d’un sujet d’actualité. Selon lui, le débat entre MM. Bourque et Tremblay s’inscrivait dans cette dynamique. M. Guy Filion reconnaît que RDI doit accepter une certaine responsabilité devant le fait que les candidats du parti Projet Montréal et éléphant Blanc n’ont pas débattu publiquement et en direct avec les deux autres candidats même si d’autres médias ou organisations auraient pu prendre cette initiative. Il se demande si la SRC est blâmable pour avoir organisé un débat qui ne répondait pas aux attentes de tous les partisans.
De l’avis du mis-en-cause, ce n’est pourtant pas le rôle de la SRC qui serait alors amenée à la diffusion de «gigantesques réunions regroupant de multiples personnes qui prônent des intérêts divergents». Il mentionne que les Montréalais se sont prononcés, le 6 novembre 2005 et que les chiffres qu’il fournit prouvent bien que les partis Projet Montréal et éléphant Blanc sont arrivés derrière ceux de MM. Pierre Bourque et Gérald Tremblay. à la lecture de ces résultats, M. Guy Filion conclut que les décisions de RDI étaient justifiées et valables, au vu de la situation de 2005, qui, précise-t-il, sera réexaminée lors du prochain scrutin de 2009.
Le mis-en-cause termine en indiquant que RDI a reçu deux cents plaintes en ce qui concerne le dossier en cours et qu’elle a répondu à chacune d’entre elles.
Réplique du plaignant
M. Pierre-Alain Cotnoir explique que RDI aurait fait la promotion du débat des chefs sur ses ondes comme étant l’évènement médiatique par excellence devant permettre aux téléspectateurs de se forger une opinion sur les enjeux politiques montréalais et en aurait fait le point d’orgue de sa couverture de l’élection municipale. L’importance de cet évènement a d’ailleurs justifié, précise-t-il, une diffusion pancanadienne. De plus, M. Filion défendrait l’exclusion de M. Bergeron du débat des chefs en prétextant qu’aux bulletins de nouvelles ou aux autres émissions d’information, quelques minutes auraient été accordées, soit aux idées émises par M. Bergeron, soit à la naissance de sa formation politique, en précisant que ce temps d’antenne contrebalançait bien son exclusion. Or, le plaignant précise que le débat était uniquement de savoir s’il était justifié d’exclure le chef d’un parti politique municipal lors d’un évènement médiatique reconnu comme majeur par RDI.
Selon lui, l’exclusion de Projet Montréal ne pouvait contribuer qu’à la marginalisation de cette formation. En effet, personne n’aura pu entendre M. Bergeron donner un autre point de vue sur l’aménagement urbain, les transports ou l’habitation. à la vue du deuxième critère fourni par RDI pour justifier l’exclusion de M. Bergeron, le plaignant dénonce la «curieuse notion de démocratie où […] toute forme d’opposition est balayée du revers de la main au simple profit de l’exercice du pouvoir». M. Cotnoir explique que l’absence de réponse de RDI à la requête de la FéCHIMM, demandant de lui fournir les avis d’experts justifiant l’exclusion de M. Bergeron, prouverait avec évidence qu’aucun expert n’a réellement été contacté sur ce point.
Selon le plaignant, il apparaît clairement que ceux-ci n’auraient pu que recommander de permettre à ce courant de se faire entendre lors du débat des chefs. Le plaignant insiste ensuite sur les manifestations de désaccord des auditeurs et en cite quelques-unes. Le fait que RDI ait reçu près de 200 plaintes en quelques jours permet de conclure, selon le représentant de la FéCHIMM, qu’une partie importante de l’auditoire a manifesté son désaccord avec une décision qu’il jugeait injustifiée. Selon lui, ses plaintes ont amené RDI à accorder quelques minutes à M. Bergeron, après le débat. Il s’interroge sur cette concession de dernière minute de la part de la chaîne et se demande si elle ne représente pas un aveu. M. Cotnoir rappelle à M. Filion qu’il ne s’agissait pas de répondre à ses attentes en invitant M. Bergeron mais d’offrir une visibilité démocratique aux candidats en période de campagne. Il précise que la FéCHIMM n’a d’ailleurs pas pris position, lors de celle-ci, pour un parti en particulier. Sa demande ne peut donc être qualifiée de partisane. Il s’agit uniquement, selon lui, de faire respecter le principe du droit du public à une information équilibrée.
Analyse
La Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FéCHIMM) porte plainte contre le Réseau de l’information de Radio-Canada (RDI) pour avoir omis de convier M. Richard Bergeron, chef du parti Projet Montréal, au face-à-face qu’il a diffusé sur ses ondes le 17 octobre 2005 à l’émission « La part des choses ».
De son avis, les critères présentés par RDI pour justifier cette exclusion sont en contradiction avec l’importance qui a été accordée au débat, qui a de plus bénéficié d’une diffusion pancanadienne. À cet égard, la jurisprudence du Conseil rappelle que les médias organisateurs de débats sont en droit de ne pas placer tous les candidats sur un pied d’égalité et ce, d’autant plus qu’une formation politique peut être jugée comme marginale par rapport aux autres. Toutefois, elle rappelle également que les médias ont le devoir de veiller à ce que le principe d’équilibre soit respecté dans la couverture des candidats à une élection et ce, afin de ne pas fausser le processus démocratique. En outre, le Conseil considère que les médias, dans leur couverture des campagnes électorales de tous les ordres de gouvernement, doivent s’ajuster au contexte précis au moment de chaque période électorale pour déterminer leur couverture et la participation des chefs de partis aux débats qu’ils organisent.
Ainsi, le Conseil ne peut blâmer RDI pour ne pas avoir convié M.Richard Bergeron au face-à-face diffusé le 27 octobre 2005, puisque que MM. Bourque et Tremblay représentaient bien les deux principaux candidats de la campagne municipale montréalaise. Cependant, le Conseil juge qu’il aurait été pertinent que la SRC veille à ce que les critères qui ont amené à la sélection des seuls candidats Bourque et Tremblay soient révélés au public et ce, antérieurement au débat afin que les téléspectateurs ne croient pas à une décision arbitraire de la part du Réseau de l’information. De plus, le Conseil constate que, conscient de la pression populaire consécutive à l’annonce de son choix de ne convier que deux des quatre candidats à la mairie de Montréal, l’émission « La part des choses » a tout de même accordé une entrevue au chef du parti Projet Montréal, à la suite du débat. Ainsi et pour cette raison, le Conseil ne peut blâmer RDI sur cet aspect. Par ailleurs, l’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou de temps d’antenne.
Le Conseil constate que la campagne du parti Projet Montréal fut couverte par RDI, même si ce fût dans des proportions moindres de celle des autres partis. Vu les principes exposés précédemment, cette couverture et les choix effectués par RDI sont conformes aux règles éthiques du Conseil.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de la FéCHIMM à l’encontre du Réseau de l’information de Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C12B Information incomplète
- C17D Discréditer/ridiculiser