Plaignant
Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU), M. Jean-Pierre Duplantie, directeur général et M.Jean-Marc Potvin, directeur de la protection de la jeunesse
Mis en cause
M. Alain Gravel, animateur; Mme Sylvie Fournier, journaliste; M. Pier Gagné, réalisateur; M. Sylvain Schreiber, réalisateur-coordinateur; M. Jean Pelletier, premier directeur, contenu affaires publiques, reportages et documentaires; l’émission «Enjeux» et la Société Radio-Canada (SRC)
Résumé de la plainte
MM. Jean-Pierre Duplantie et Jean-Marc Potvin reprochent à l’équipe de l’émission « Enjeux » diffusée le 16 novembre 2004 sur la télévision de Radio-Canada et intitulée « La bataille des grands-parents contre la DPJ » d’avoir présenté un reportage dont la forme, le montage, le choix et le traitement des informations ont été agencés dans le but de soutenir la thèse de l’erreur et de l’acharnement de la DPJ envers des grands-parents.
Griefs du plaignant
MM. Jean-Pierre Duplantie et Jean-Marc Potvin portent plainte contre l’émission « Enjeux » diffusée le 16 novembre 2004 sur les ondes de Radio-Canada et intitulée « La bataille des grands-parents contre la DPJ ».
De leur avis, et d’une façon générale, « la forme du reportage, son montage, le choix ainsi que le traitement des informations transmises étaient essentiellement agencés dans le but de soutenir une thèse, une vision des choses et cela au détriment d’un positionnement journalistique neutre et objectif qui permet au public de faire la part des choses ».
La thèse, celle de l’erreur et de l’acharnement de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) présentée au travers du prisme du réquisitoire des grands-parents contre celle-ci, se transformerait en une critique d’ensemble du système de protection où, à travers les témoignages des grands-parents et de leurs proches, dont certains sont aussi présentés comme experts, se profilerait une image d’un système omnipotent, abusif et à la limite de la malveillance. Lors de l’émission subséquente d’« Enjeux » diffusée le 30 novembre 2004, les plaignants précisent qu’il aurait été question d’échec du système de protection et de questionnement sur les compétences des intervenants et avocats de la DPJ. On aurait alors entendu que « les choses bougent concernant la protection de la jeunesse », ce qui laisserait croire à un lien entre la démarche de la révision de la Loi sur la protection de la jeunesse et la trame soutenue précédemment par l’émission.
Selon les plaignants, le reportage ne reflèterait pas l’ensemble de la situation abordée, de même qu’il ne respecterait pas les exigences journalistiques d’exactitude, en omettant de prendre en compte des faits importants relatifs à l’enfant concernée, de citer des passages importants des jugements évoqués et en privilégiant la mise en scène au détriment de la description de la réalité.
Ils ajoutent que l’émission ne respecterait pas non plus les exigences en terme de rigueur et d’intégrité puisque le reportage amènerait le téléspectateur à endosser le point de vue des grands-parents et à tirer une conclusion spécifique à savoir que la DPJ serait dans l’erreur.
Ils estiment également que le reportage ne respecterait pas l’exigence d’impartialité et= d’équité puisque les points de vue de l’enfant, de sa famille d’accueil et de son père n’ont pas été pris en compte, de même que le rôle des tribunaux et des avocats. Les plaignants déplorent également que l’équipe n’ait pas interrogé d’analyste neutre afin d’objectiver la situation dont il était question.
MM. Jean-Pierre Duplantie et Jean-marc Potvin soulignent que le reportage aurait causé un tort important à la crédibilité du système de protection de la jeunesse et en aurait induit une perception négative dans la population, particulièrement chez les grands-parents.
Ils terminent en précisant qu’ils joignent à leur plainte la décision rendue par l’ombudsman de Radio-Canada à l’égard du reportage mis en cause et précisent que celui-ci avait alors accueilli favorablement leur plainte.
Commentaires du mis en cause
M. Jean Pelletier précise qu’il a la responsabilité, de répondre à la plainte déposée par le Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU) mais que la réponse a été préparée en collaboration avec l’équipe d’«Enjeux» impliquée dans la préparation du reportage à l’origine de la plainte. Il précise qu’ils ont considéré que la plainte s’adressait uniquement au reportage diffusé le 16 novembre 2004. Il ne commente donc pas les références faites au second reportage dans la plainte.
1. La genèse du reportage
Le mis-en-cause explique qu’aucun des membres de l’équipe d’«Enjeux» ne connaissait les grands-parents avant que ceux-ci ne les contactent. Durant cette même période, l’équipe aurait reçu plusieurs lettres et appels de citoyens au sujet de difficultés rencontrées dans des cas de protection de la jeunesse. Ainsi et à la suite du premier contact avec les grands-parents, ainsi qu’en regard de l’intérêt public des questions qu’ils auraient soulevées, le réalisateur-coordinateur, M. Sylvain Schreiber, aurait mandaté des membres de l’équipe afin que le cas des grands-parents soit analysé.
Au départ, l’histoire des grands-parents aurait inspiré beaucoup de scepticisme à l’équipe puisque celle-ci aurait tenu pour acquis que le CJM faisait en général un bon travail. Parallèlement au travail de vérification et d’analyse des informations reçues, l’équipe a donc commencé son enquête par des recherches d’ordre théorique sur la protection de la jeunesse.
M. Pelletier explique qu’une démarche s’étendant sur plusieurs mois de rencontres avec différentes personnes aurait été entreprise afin de mettre en contexte la version avancée par les grands-parents. Ces démarches auraient permis à l’équipe d’établir qu’il existait des éléments, à l’égard de la culture, des approches ainsi que des pratiques en matière de protection de la jeunesse qui pouvaient expliquer que la fillette n’ait pas été placée chez ses
grands-parents mais plutôt dans une famille d’accueil.
Le mis-en-cause précise que l’équipe aurait ensuite effectué des démarches afin de mieux comprendre l’histoire de l’enfant. Sa mère ainsi que ses grands-parents auraient tour à tour été rencontrés. Par la suite, l’équipe se serait rendue chez les grands-parents et aurait interrogé des membres de leur famille et des proches, tel que M. Bernard Favreau. Il ajoute que l’équipe a également rencontré la psychologue Mme Lucia Fernandez de Sierra, ainsi qu’un policier, qui n’avait pas de lien avec les grands-parents, mais qui connaissait le père de l’enfant.
Il mentionne que plusieurs éléments découverts durant l’enquête semblaient corroborer la
perception négative de la DPJ vis-à-vis des grands-parents, celle-ci serait par ailleurs présente dans le jugement du juge Michel Déziel de la Cour supérieure. Le mis-en-cause ajoute que la DPJ aurait toujours soutenu le père de l’enfant malgré son mode de vie qu’il qualifie de « controversé ».
M. Jean Pelletier réfute la version des plaignants selon laquelle l’enfant s’intégrait bien dans son milieu d’accueil: plusieurs rapports internes feraient état de graves difficultés d’adaptation et de retard scolaire.
Concernant les rapports de l’équipe avec la DPJ, le mis-en-cause précise que celle-ci aurait insisté pour que le cas de l’enfant ne soit pas diffusé en prétextant qu’il était complexe. De plus, et bien qu’il ait examiné la possibilité de réaliser une entrevue pour le reportage, le directeur de la protection de la jeunesse aurait finalement décidé de ne pas l’accorder, ce qui signifierait, selon le mis-en-cause, que cette entrevue était possible bien qu’elle n’ait pas eu lieu.
2. Les reproches faits au reportage
D’une façon générale, les plaignants reprochaient que « la forme du reportage, son montage, le choix ainsi que le traitement des informations transmises [soient] essentiellement agencés dans le but de soutenir une thèse, une vision des choses et cela au détriment d’un positionnement journalistique neutre et objectif qui [aurait] perm[is] au public de faire la part des choses ».
2.1. Manquements en regard de l’exactitude
Concernant le reproche invoquant que le reportage n’aurait pas pris en compte des faits
importants relatifs à l’enfant ou aurait omis de citer des passages importants de jugements, le mis-en-cause explique que les reproches des plaignants lui apparaissent trop imprécis pour pouvoir y répondre distinctement.
Les plaignants reprochent à l’équipe d’« Enjeux » d’avoir fait le choix éditorial de privilégier la mise en scène au détriment de la description de la réalité. À cet égard, le mis-en-cause précise que l’illustration du reportage représentait un défi, compte tenu du fait que la loi obligeait à respecter l’anonymat de l’enfant. Il mentionne que, pour éviter toute
équivoque, la mention «reconstitution» aurait été utilisée pour distinguer la fiction de la réalité. Il ajoute que le reportage a été préparé dans le but de respecter l’intégrité et l’authenticité de l’information qui y était contenue.
2.2. Manquement en regard de la rigueur et de l’intégrité
Contrairement à l’affirmation des plaignants, il ne pense pas que le reportage permettait de soutenir une thèse en particulier bien qu’il reconnaisse que la chronologie des faits exposés dans le reportage ait pu amener les téléspectateurs à se questionner sur l’à-propos des interventions de la DPJ ce qui était, il le précise, le but du reportage.
2.3. Manquements en regard de l’impartialité et de l’équité
Concernant le reproche selon lequel le point de vue de l’enfant et de sa famille d’accueil seraient absents du reportage, le mis-en-cause explique que la DPJ aurait formellement demandé à l’équipe de ne pas approcher l’enfant et sa famille d’accueil. Le père n’aurait quant à lui pas pu être interrogé puisqu’il était introuvable au moment de l’enquête.
Selon le mis-en-cause, le rôle des tribunaux et des avocats serait présenté clairement dans le reportage puisque quatre passages de décisions des tribunaux y sont cités. Il précise que les avocats n’ont pas été interrogés en vertu du principe d’impartialité et d’intégrité.
Concernant les experts choisis, M. Pelletier réitère que les personnes interrogées, bien qu’elles avaient des liens avec les grands-parents, avaient de vastes expériences dans le domaine de la protection de la jeunesse. De plus, leur relation avec les grands-parents aurait été indiquée à plusieurs reprises dans le reportage. Il conclut que l’on ne peut présumer de l’absence d’objectivité de ces témoins en raison de leur connaissance professionnelle du milieu. Le mis-en-cause ajoute qu’il aurait été difficile qu’un expert neutre puisse émettre une opinion dans le présent cas puisqu’il n’aurait pas eu la pleine connaissance du dossier et précise toutefois que plusieurs avis d’experts, cités dans les différents jugements, auraient été reproduits à l’écran.
M. Jean Pelletier conclut que les questions soulevées par le reportage étaient légitimes et que le traitement de celles-ci respecterait les principes d’exactitude, de rigueur, d’impartialité et d’équité.
Réplique du plaignant
1. Manquements en regard de l’exactitude
– M. Jean-Pierre Duplantie et Jean-Marc Potvin précisent que certains faits présentés dans le reportage seraient erronés. Selon eux l’assertion selon laquelle, au lendemain du jugement du juge Déziel, les visites de l’enfant à ses grands-parents ont été suspendus, serait inexacte. Or, le reportage laisserait penser que la DPJ, contrariée par la décision rendue par la Cour supérieure, aurait décidé d’aller à l’encontre de celle-ci en suspendant les contacts entre l’enfant et ses grands-parents. De plus, l’affirmation faite dans la bande-annonce à l’effet que ce serait la DPJ qui aurait choisi de placer l’enfant en famille d’accueil serait inexacte puisque la décision aurait été prise par un juge.
– En ce qui a trait à la sélection des faits, les plaignants expliquent que les témoignages présentés dans le reportage soutiendraient uniquement la version des grands-parents maternels. Selon eux, une crédibilité importante aurait été accordée à M.Bernard Favreau et à Mme deSierra, dont la mauvaise connaissance de l’enfant n’aurait pas dû leur permettre de tenir les propos diffusés.
– Selon les plaignants, les jugements sont présentés dans le reportage de façon parcellaire et déséquilibrée, ce qui aurait pour but de donner un éclairage favorable à la position défendue par les grands-parents. De plus, le jugement de la Cour d’appel, qui serait déterminant dans le dossier, ne bénéficierait que d’un traitement secondaire. De l’avis des plaignants, un traitement objectif et complet de tous les jugements aurait permis aux téléspectateurs de constater que ce sont les tribunaux qui ont pris les décisions importantes concernant la garde de la fillette et non la DPJ.
– Ils expliquent que la mise en scène utilisée dans le reportage ajouterait au caractère spectaculaire et émotif du reportage. Selon eux, le traitement réservé à la fable de Trotte-Menu tiendrait pour acquis que la fillette ne serait pas bien dans sa famille d’accueil. Le reportage resterait muet sur le fait que la fillette est heureuse dans son milieu de vie et entretiendrait le doute sur la qualité de celui-ci. Aucune précision ne serait faite pour rassurer les téléspectateurs quant à l’évolution de l’enfant dans sa famille.
– L’impact des allusions aux problèmes vécus par la fillette serait d’autant plus fort qu’à la fin du reportage, M.Favreau affirme qu’à ses 18 ans, elle serait « dompée » à la rue, affirmation qui est laissée sans réplique.
2. Manquements en regard de la rigueur et de l’intégrité
– MM. Duplantie et Potvin précisent que, sur le site Internet de la SRC, le reportage est présenté sous le titre « La bataille des grands-parents contre la DPJ ».
– Selon les plaignants, la présentation du reportage, en début d’émission induirait, dès les premières minutes, que la DPJ aurait trop de pouvoir en utilisant un court témoignage, teinté d’émotion, de la grand-mère.
– À partir du cas de la fillette, le reportage donnerait lieu à une extrapolation portant sur l’ensemble du système de protection de la jeunesse. Les témoignages de Mme Lucia Fernandez et de M. Favreau constitueraient une critique sévère du système de protection de la jeunesse. Les plaignants estiment que la rédaction a fait preuve de complaisance en choisissant de les diffuser.
– Selon eux, il aurait été fait référence à deux psychologues ayant joué un rôle important dans la décision prise par les tribunaux de confier l’enfant à une famille d’accueil. Ils estiment qu’il aurait toutefois été nécessaire de faire connaître leur point de vue de manière plus approfondie.
– Le reportage n’aurait pas précisé qu’au départ, le but des interventions de la DPJ auprès de la fillette et de ses parents était de soutenir ces derniers dans l’exercice de leur rôle parental. Sur cet aspect également, le reportage n’aurait pas permis de prendre conscience de toute la complexité de la situation.
– Les plaignants déplorent que le reportage n’ait pas fait mention des pratiques en usage quant au recours à la famille élargie lors du placement d’un enfant. De plus, aucune mention n’aurait été faite sur la baisse significative, depuis quelques années, du taux de judiciarisation à l’évaluation-orientation du Centre jeunesse de Montréal. Selon eux, cela aurait permis de nuancer les statistiques présentées dans le reportage. Ils déplorent également que n’ait pas été rappelé le fait que la DPJ n’a qu’un pouvoir de recommandation sur les mesures ordonnées par le tribunal.
– Les motifs sérieux qui ont amené la DPJ à accélérer l’intégration de l’enfant en famille d’accueil auraient été tus et ce, bien que cette décision soit fondée sur l’entrave faite par les grands-parents au placement en famille d’accueil. De plus, seuls des commentaires de proches de la famille ont été recueillis sur cet aspect.
– Les commentaires faits par la journaliste et par la psychologue Mme de Sierra concernant la rencontre de conciliation entre les grands-parents et la DPJ donneraient une impression de manque de considération et de respect de la part du DPJ.
– La journaliste rapporte que les grands-parents ont encore une fois dû faire un long trajet en voiture pour cette rencontre alors que celle-ci aurait volontairement coïncidée avec une visite à leur petite-fille pour laquelle ils devaient, de toute façon, se déplacer.
3. Manquements en regard de l’impartialité et de l’équité
– Les plaignants déplorent que la fillette n’ait pas d’existence propre dans le reportage. Son intérêt ainsi que sa volonté se confondraient avec celle des grands-parents. Pourtant, les plaignants estiment que l’équipe du reportage aurait pu parler d’elle en interrogeant son procureur.
– Le choix de la DPJ de ne pas participer au reportage aurait été expliqué dans une lettre dont un extrait aurait été diffusé à la fin du reportage, ce qui la rendrait moins compréhensible aux yeux des téléspectateurs. MM. Duplantie et Potvin expliquent que si la DPJ a manifesté de la réticence à ce que le reportage porte sur la fillette ou à accorder une entrevue, c’est parce qu’elle aurait craint que la famille d’accueil renonce à son engagement auprès de celle-ci. Ils invoquent que l’attitude de la DPJ aurait eu pour unique but de protéger la fillette.
– Faisant suite au reportage du 16 novembre, les commentaires du 30 novembre 2004 confirmeraient que l’équipe d’« Enjeux » aurait fait une critique d’ensemble du système de protection de la jeunesse par le truchement d’un exemple unique.
COMMENTAIRES À LA RÉPLIQUE
1. Manquements en regard de l’exactitude
– De l’avis du mis-en-cause, le reportage rapporterait fidèlement qu’au lendemain du jugement du juge Déziel, une visite a été annulée et non que les visites ont été suspendues. De plus, l’enquête réalisée par l’équipe aurait permis de découvrir que 95 à 98% des recommandations faites par la DPJ seraient suivies par les tribunaux. À cet effet, l’affirmation faite dans la bande-annonce à l’effet que ce serait le DPJ qui aurait choisi de placer l’enfant en famille d’accueil ne serait donc pas erronée comme l’affirment les plaignants.
– Le mis-en-cause estime que M. Favreau, en raison de son expérience professionnelle est une personne que l’on peut qualifier de «respectable». De la même manière, l’opinion de la psychologue Mme Sierra, se justifiait par le rôle important qu’elle a joué auprès des grands-parents. En opposition avec l’idée des plaignants selon laquelle les témoignages présentés dans le reportage soutenaient la version des grands-parents maternels, le mis-en-cause réplique que ce sont plutôt trois experts en psychologie qui auraient été entendus dans le reportage.
– Pour le mis-en-cause, il est inexact de prétendre que la lecture qui a été faite des jugements dans le reportage a été « parcellaire ». Il explique qu’étant donnée qu’il était impossible de rapporter ceux-ci dans leur intégralité, il était nécessaire de faire un choix éditorial. Il ajoute que le reportage réfère à six des huit jugements, citant parfois des extraits ou résumant des passages pertinents. Selon lui, prétendre que le rôle des avocats et des tribunaux est amoindri est donc inexact.
– Concernant la mise en scène utilisée dans le reportage, le mis-en-cause explique que
Trotte-Menu était bien l’histoire préférée de l’enfant et ajoute que l’interprétation que fait la DPJ selon laquelle le public comprendrait que l’enfant ne serait pas bien dans sa famille d’accueil est erronée. En outre, M. Pelletier explique que, contrairement aux affirmations
faites par les plaignants, le mis-en-cause explique que la mention d’abus sexuels n’a jamais été faite dans le reportage et qu’il est également précisé que la fillette avait déclaré avoir menti au sujet des abus physiques qui auraient eu lieu dans sa famille d’accueil. Aux plaignants qui déploraient que l’affirmation de M. Favreau selon laquelle la fillette serait « dompée » à la rue à ses 18 ans ait été laissée sans réplique, le mis-en-cause réitère que la DPJ a catégoriquement refusé de réaliser une entrevue pour le reportage.
2. Manquements en regard de la rigueur et de l’intégrité
– Le mis-en-cause commence par préciser que «l’erreur» concernant le titre de
l’émission présentée sur le site Internet aurait été depuis longtemps corrigée.
– M. Pelletier atteste que la présentation du reportage n’avait rien d’une manipulation. Elle n’aurait visé qu’à exposer au public la raison pour laquelle l’équipe a estimé qu’il était d’intérêt public de se pencher sur ce cas.
– Concernant la critique du système de protection de la jeunesse par le biais des témoignages de Mme de Sierra et M. Favreau, le mis-en-cause estime que ces derniers étaient en droit d’exprimer leurs critiques face au système de la protection de la jeunesse et qu’elles pouvaient être diffusées.
– De l’avis du mis-en-cause, le rôle des psychologues ayant joué un rôle majeur dans la décision prise par les tribunaux de confier l’enfant à une famille d’accueil a été expliqué dans le reportage. L’emphase aurait même été mise sur le rôle de l’une d’entre
elles.
– Le mis-en-cause ajoute que les extraits de documents officiels que les plaignants auraient souhaité voir présentés dans le reportage, soulignaient l’importance de recourir davantage à la famille élargie. M. Pelletier explique que ces données n’ont pas été mentionnées dans le reportage, précisément afin que la DPJ n’y voie pas un motif de reproche. En réponse au reproche des plaignants qui auraient souhaité voir présentées des données concernant la baisse du taux de judiciarisation à l’évaluation-orientation du Centre jeunesse de Montréal, le mis-en-cause réplique que d’autres données, jugées plus éclairantes pour les téléspectateurs, leur ont été préférées.
– Selon le mis-en-cause, l’intention de toutes les parties de préserver le bien-être de l’enfant dans l’accélération de son placement en famille d’accueil ne serait nullement remise en question dans le reportage. Pour lui, le témoignage de Mme de Sierra sur cet aspect doit être considéré comme celui d’une experte.
– Concernant la déclaration faite par Mme de Sierra à l’issue de la rencontre avec la DPJ et qui manquerait de respect, le mis-en-cause précise que la DPJ aurait reconnue que sa position avait pu être perçue comme une provocation. Cette attitude expliquerait dès lors la réaction des participants à l’issue de la rencontre. De plus, le fait que les grands-parents aient fait un long trajet en voiture pour s’y rendre, serait véridique, contrairement à ce qu’affirmeraient les plaignants.
3. Manquements en regard de l’impartialité et de l’équité
– Les plaignants déploraient que le reportage n’ait pas présenté l’enfant autrement qu’au travers de ses grands-parents. Ils estiment que son procureur aurait pu être rencontré pour obtenir de plus amples informations sur elle. À cet égard, le mis-en-cause rétorque que l’identité de l’enfant était protégée par la Loi sur la protection de la jeunesse et que l’équipe ne pouvait obtenir les autorisations légales afin de rencontrer le procureur puisque la mère de la fillette ne détenait pas l’autorité parentale et que le père était introuvable.
– De l’avis du mis-en-cause, le choix du directeur de la protection de la jeunesse de ne pas participer au reportage n’aurait été que la manifestation de son objection à la médiatisation du cas de la fillette.
Analyse
M. Jean-Pierre Duplantie, directeur général du Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire et M. Jean-Marc Potvin, directeur de la protection de la jeunesse portent plainte contre l’émission du magazine «Enjeux» diffusée le 16 novembre 2004 sur les ondes de Radio-Canada et intitulée «La bataille des grands-parents contre la DPJ». D’une façon générale, ils déplorent que la forme du reportage, le montage, le choix et le traitement des informations transmises au public aient été agencés dans le but de soutenir la vision des grands-parents et ce, au détriment d’un positionnement journalistique neutre et objectif.
Les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux évènements. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont ils doivent faire preuve représente la garantie d’une information de qualité. Elle est synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits ainsi que des évènements.
Plus spécifiquement, les plaignants reprochent à l’équipe d’«Enjeux» de ne pas avoir respecté les exigences journalistiques en matière d’exactitude, en véhiculant des informations erronées au préjudice de la Direction de la protection de le jeunesse (DPJ), en privilégiant les témoignages favorables au point de vue des grands-parents, en omettant de citer d’importants passages de jugements ainsi qu’en omettant de mentionner certaines données concernant la fillette, qui est pourtant l’enjeu du reportage, ce qui aurait mis en doute la capacité de la DPJ à protéger cette dernière.
Si l’analyse permet au Conseil de conclure que l’équipe du reportage n’a commis aucun manquement à la déontologie sur le plan de la véracité des informations transmises au public, elle permet toutefois de révéler que l’équipe n’a offert une visibilité qu’au point de vue des grands-parents et présenté uniquement des extraits de jugements favorables à leur position.
Après analyse, le Conseil conclut que le reportage a été suffisamment explicite sur le rôle joué par les psychologues dans la décision de placer la fillette en famille d’accueil, de même que concernant le rappel de la mission dévolue à la DPJ. Il estime également que les informations d’ordre statistique présentes dans le reportage étaient, bien qu’elles ne correspondaient pas à celles que les plaignants auraient souhaité voir, satisfaisantes.
Le Conseil considère toutefois que l’émission en question a procédé à une généralisation à partir d’un cas d’espèce. Il déplore que l’équipe rédactionnelle ait manqué à ses responsabilités en relayant, tout au long du reportage, les critiques de témoins, liés aux grands-parents, et mettant en doute la capacité de la DPJ à protéger les intérêts de la fillette. Bien que la DPJ ait refusé de participer au reportage, cela ne dispensait pas l’équipe rédactionnelle de présenter un avis neutre vis-à-vis de celle-ci. Le Conseil regrette que des analystes neutres n’aient pu apporter leur éclairage dans le reportage concernant les manières de faire en vigueur au Québec concernant la protection de la jeunesse.
En dernier lieu, les plaignants déplorent que l’équipe du magazine «Enjeux» ait choisi de publier la lettre de la DPJ, mentionnant son refus formel et dans l’intérêt de la fillette d’accorder une entrevue, trop tardivement dans le reportage, ce qui aurait nui à une bonne compréhension de ses intentions par les téléspectateurs. Le Conseil ne peut toutefois contester le choix de l’approche chronologique faite par l’équipe rédactionnelle et dans laquelle fut insérée la missive de la DPJ.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil retient la plainte de MM. Jean-Pierre Duplantie et Jean-Marc Potvin à l’encontre de la Société Radio-Canada et de l’équipe de l’émission « Enjeux » pour manque d’équilibre, le grief pour manque d’exactitude étant rejeté.
Analyse de la décision
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C02A Choix et importance de la couverture
- C03A Angle de traitement
- C03C Sélection des faits rapportés
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C13B Manipulation de l’information
- C13C Manque de distance critique
- C17D Discréditer/ridiculiser