Plaignant
MM. FrédÉric Arpin, Vincent Benedetti, David Brière, Christophe Conn-Favillier, Luc Desjardins et Michel Dufour
Mis en cause
M. Normand Lester, journaliste; M. Jaque Rochon, directeur de l’information; l’émission «Le Grand Journal» et le réseau de télévision TQS
Résumé de la plainte
Les plaignants reprochent au journaliste Normand Lester, dans un reportage diffusé le 5 décembre 2005 lors de l’émission «Le Grand Journal» de 16 h 30 et de 22 h 00 sur les ondes de TQS, d’avoir véhiculé des informations inexactes et sensationnalistes concernant
la facilité avec laquelle on pourrait se procurer des «armes de guerre» au Canada.
Griefs du plaignant
MM. FrédÉric Arpin, Vincent Benedetti, David Brière, Christophe Conn-Favillier,Luc Desjardins et Michel Dufour portent plainte contre le reportage de M. Normand Lester diffusé sur le réseau de télévision TQS, le 5 décembre 2005, lors des émissions «Le Grand Journal» de16h30 et de 22 h 00. Ce reportage portait sur la facilité avec laquelle on pourrait se procurer des «armes de guerre» au Canada.
Les plaignants précisent que le reportage portait le titre «Mitrailleuses par la poste». Or, l’arme dont il est question ne serait pas réellement une mitrailleuse et M. Lester aurait, selon eux, induit le public en erreur en utilisant ce terme afin de donner plus d’impact à son reportage.
Ils expliquent que le journaliste aurait également reproché à un armurier de lui avoir vendu, sans vérification, les «ceintures de balles» auxquelles il fait référence dans son reportage. Or, les plaignants rétorquent qu’il s’agit plus précisément de bandes de munitions qui sont vendues sans leurs munitions, ce qui expliquerait pourquoi l’armurerie n’a pas fait de vérification en procédant à cette vente. Selon eux, il s’agirait donc d’une démarche sensationnaliste de la part de M. Lester.
Le journaliste aurait affirmé que la loi restreint la vente des bandes de munitions à celles fabriquées avant 1945, il insinuerait ainsi que l’armurerie a posé un geste illégal en lui vendant des bandes fabriquées après cette date. Toutefois, les plaignants affirment que la vente de bandes de munitions modernes est parfaitement légale et que les propos tenus par M. Lester visaient à salir la réputation de l’armurier.
Les plaignants ajoutent que M. Lester a fait feu à plus de cinq reprises, dans son reportage, avec une arme munie d’un chargeur excédant la capacité légale. Cette façon de faire serait irresponsable et constituerait, selon les plaignants, un mauvais exemple pour le public.
De plus, les plaignants attestent que le reportage a été associé aux évènements survenus à l’École Polytechnique de Montréal en 1989 et ce, dans un but purement sensationnaliste.
Ils mentionnent également le fait que le journaliste aurait manqué d’objectivité en passant sous silence certaines informations telles que le poids de l’arme qu’il manie ou le fait qu’il ait tiré des balles chargées à blanc. Il aurait par ailleurs omis de mentionner le nombre de crimes commis au Canada par l’arme dont il est question dans son reportage ainsi que le prix de celle-ci.
M. Lester aurait affirmé, à plusieurs reprises, qu’il est possible de se procurer facilement certaines armes de guerre ainsi que leurs munitions avec un «simple permis de chasse aux canards». Or, les plaignants objectent qu’il n’existe pas de permis de chasse aux canards au Québec et précisent que pour se procurer des armes ainsi que des munitions, il faut un permis de possession/acquisition d’armes à feu émis par le Centre canadien des armes à feu, celui-ci n’étant délivré qu’après que le requérant ait suivi un cours de sécurité. De plus, les armuriers sont tenus de vérifier que l’acheteur détient bien ce permis avant de réaliser une vente d’arme ou de munitions, ce que M. Lester n’aurait pas précisé.
De l’avis des plaignants, le journaliste insinuerait également qu’il est simple d’obtenir des munitions militaires et ce, afin d’ajouter au sensationnalisme du reportage et d’induire un sentiment de peur et d’indignation chez les auditeurs.
Il aurait par ailleurs affirmé qu’un adolescent de 14 ans pouvait se procurer une arme de guerre avec ses munitions, ce que les plaignants réfutent en expliquant que l’âge minimum
requis est de 18 ans. Selon eux, de telles affirmations mineraient les efforts des groupes soutenant les efforts du contrôle des armes au Canada, ainsi que la crédibilité des lois adoptées par les législatures fédérales et provinciales.
Au début du reportage, le journaliste affirmerait à tort que l’arme dont il est question provient de Yougoslavie. Or, les plaignants précisent que celle-ci ne peut provenir que des États-Unis.
De plus, M. Lester aurait tenu des propos diffamatoires envers une armurerie en soulevant, sans explication claire, que celle-ci aurait été enquêtée par la Gendarmerie Royale du Canada pour être ensuite acquittée et ce, sur un ton accusateur et incitant au sous-entendu. Le lecteur de nouvelles de TQS, M. Martin Robert, aurait ensuite suggéré que cette armurerie avait de «bonnes connexions» pour, après coup, tenter de réduire l’impact de ses paroles que les plaignants qualifient de «maladroites».
De leur avis, les conclusions du reportage se baseraient sur des éléments inventés, assortis d’une mauvaise compréhension des armes à feu et de leurs utilisateurs. Selon eux, le reportage comprenait de nombreuses erreurs ainsi que des sous-entendus et fausserait la bonne compréhension du public. Il n’aurait pour but que de causer un faux sentiment de panique chez l’auditeur en minant la crédibilité des marchands d’arme à feu et celle de leurs utilisateurs. Ils ajoutent que son effet durable serait de compromettre la compréhension des lois canadiennes et d’inciter certaines personnes à commettre des actes criminels de manière involontaire.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Normand Lester, journaliste:
Concernant l’affirmation selon laquelle il aurait induit le public en erreur en décrivant l’arme dont il est question dans le reportage comme une mitrailleuse, le mis-en-cause explique que celle-ci est présentée comme une «semi-automatic machine gun» par l’armurier qui la détaille et que c’est donc bien une mitrailleuse.
Il précise que le fait qu’elle ait été modifiée pour tirer en mode semi-automatique a toujours été spécifié dans ses interventions, de même que le fait qu’elle ne conserve pas la capacité de tirer en rafale ce qui, selon lui, ne lui enlève pas son statut d’«arme de guerre».
Il explique que le but de son reportage était de démontrer que, malgré la loi fédérale sur les armes à feu qui limite la capacité des chargeurs pour les armes longues semi-automatiques, on peut se procurer des armes modifiées et ce, avec un simple permis d’acquisition d’arme longue.
En ce qui à trait à l’affirmation concernant la légalité des bandes de munitions, le mis-en-cause précise que le Centre des armes à feu du Canada lui a confirmé que les «chargeurs à bande» sont légaux au Canada, peu importe leur capacité et ce, s’ils sont d’origine, c’est-à-dire s’ils datent de la même époque que les armes auxquelles ils sont destinés.
M. Lester précise que lors de la démonstration de tir présentée dans le reportage, il se trouvait chez un armurier professionnel légalement autorisé à posséder les armes et les chargeurs avec lesquels il a réalisé sa démonstration.
De l’avis du plaignant, cette démonstration aurait permis de démontrer que les armes avec lesquelles il a tiré pouvaient facilement être manipulées en position debout, par un homme de constitution moyenne. Il explique qu’il aurait aussi bien pu effectuer le tir avec des balles réelles et que, contrairement à ce qu’affirme les plaignants, la différence par rapport à des balles chargées est insignifiante.
Le journaliste affirme qu’il voulait «faire image» lorsqu’il a dit dans une conversation avec l’animateur que l’arme dont il est question dans le reportage était disponible avec un «simple permis de chasse aux canards». Il ajoute qu’il est de pratique courante, dans le milieu journalistique, d’utiliser des formules qu’il qualifie de «lapidaires» et «imagées» pour résumer un reportage.
Réplique du plaignant
MM. David Brière et Michel Dufour affirment qu’il est erroné de prétendre que des armes de guerre modifiées peuvent être vendues par des armuriers, comme l’aurait laissé entendre M. Lester dans son reportage, puisque ces armes sont prohibées par la Loi. Ils ajoutent qu’une enquête aurait permis au journaliste de constater que ces armes ne venaient pas de Yougoslavie, mais d’un manufacturier amÉricain fabriquant des armes qui n’ont que l’apparence des armes militaires d’antan. Selon eux, ces armes sont vendues légalement aux titulaires de permis de possession/acquisition d’armes à feu.
De l’avis des plaignants, le mis-en-cause aurait dû chercher à connaître l’usage auquel sont destinées ces répliques «d’arme de guerre» afin d’en informer les auditeurs.
Concernant la simulation de tir chez un armurier, les plaignants indiquent que M. Lester aurait dû établir clairement en ondes qu’il se trouvait chez un armurier professionnel légalement autorisé à posséder certaines armes. Or, et selon les plaignants, le mis-en-cause a reconnu que cette démonstration avait pour but de démontrer que l’arme dont il s’est servi pouvait facilement être manipulée en position debout. La démonstration avait donc une importance réelle et le défaut de mise en scène l’aurait rendu sensationnaliste et trompeuse.
Selon les plaignants, le fait que le mis-en-cause parle d’une formule «lapidaire et imagée» en ce qui a trait au permis de chasse aux canards est un aveu de ses intentions sensationnalistes. Ils ajoutent que ce point erroné a été soulevé à plusieurs reprises dans le reportage et ce, sans jamais être corrigé.
Concernant l’âge légal de l’acquisition d’une arme, les plaignants affirment que les auditeurs ont également été induits en erreur puisqu’un permis de possession/acquisition d’armes à feu ne peut être demandé à la Sûreté du Québec qu’après avoir obtenu son certificat de chasseur ou de piégeur et d’avoir 18 ans et plus. M. Lester aurait donc injustement insinué qu’il était simple de se procurer armes et munitions.
En dernier lieu, les plaignants s’étonnent que, tout au long du reportage, M. Lester n’ait interrogé aucun expert pour venir nuancer ses propos, ce qui aurait nui à la pondération de l’information.
Analyse
MM. FrédÉric Arpin, Vincent Benedetti, David Brière, Christophe Conn-Favillier, Luc Desjardins et Michel Dufour portent plainte contre le journaliste Normand Lester pour avoir manqué de rigueur en publiant des informations non vérifiées et fausses dans son reportage diffusé sur les ondes du réseau de télévision TQS, le 5 décembre 2005, lors des émissions «Le Grand Journal» de 16 h 30 et de 22 h 00. De leur avis, le mis-en-cause aurait manipulé les faits à l’avantage de son reportage.
Selon les principes énoncés dans Droits et responsabilités de la presse, la rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. Elle doit être synonyme de rigueur, d’exactitude, de précision, de respect des personnes, des groupes, des faits et des événements. Par ailleurs, les journalistes doivent veiller à éviter les insinuations, surtout celles qui risquent de porter préjudice à une personne.
Or, sur la base de ces principes, l’analyse du reportage n’a permis de relever qu’une seule inexactitude qui portait sur la vente de bandes de munitions par un armurier et l’insinuation qui en a découlé, laissant entendre que cette vente était illégale. En effet, et contrairement à ce qu’affirmait le journaliste, les bandes de munitions, dès lors qu’elles ont été conçues pour alimenter des armes automatiques d’un type existant avant 1945 et qu’elles ne sont pas des reproductions, ne sont pas prohibées au Canada. Après l’examen du reportage, le Conseil constate qu’au-delà de l’inexactitude relevée, les nuances informatives ont toujours été apportées par M.Lester.
Toutefois, au terme de l’analyse systématique des nombreux griefs, le visionnement des quatre-vingt-dix secondes que dure le reportage laisse pourtant le téléspectateur sur une impression générale d’ambiguïté. Ainsi, le Conseil déplore que la technique de montage utilisée agisse de façon à laisser l’impression que des armes sont vendues illégalement.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la majorité des griefs contre le journaliste M. Normand Lester et le réseau de télévision TQS, mais retient la plainte uniquement sur la base d’une inexactitude et de l’insinuation qui en a découlé.
Enfin, le Conseil de presse déplore que le réseau de télévision TQS ne lui ait pas fourni l’enregistrement de l’échange entre l’animateur et le journaliste qui a précédé et suivi le reportage, et qu’ainsi certains griefs sur lesquels portait la plainte n’ont pu être traités. Or, et compte tenu du fait que la plainte fut transmise aux mis-en-cause dans un délai inférieur à celui exigé par le CRTC pour la conservation des archives, il aurait été de mise et conforme aux principes déontologiques que l’enregistrement intégral soit conservé afin de permettre une analyse globale du reportage. Le Conseil rappelle qu’il est du devoir des médias de fournir les enregistrements nécessaires pour l’étude des dossiers de plainte.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15H Insinuations
- C15I Propos irresponsable
- C17A Diffamation
- C17D Discréditer/ridiculiser