Plaignant
M. Yves Pageau
Mis en cause
M. Mario Girard, journaliste; M. Éric Trottier, directeur de
l’information et le quotidien La Presse.
Résumé de la plainte
M. Yves Pageau reproche au journaliste Mario Girard,
dans son article du
7 décembre 2005, d’avoir publié une statistique inexacte sur la violence envers
les femmes, sans en avoir vérifié l’authenticité en la validant auprès d’une
autre source. Il souhaiterait, de plus, que les journalistes corrigent la
perception négative, véhiculée dans les médias, de tout ce qui est masculin.
Griefs du plaignant
M. Yves Pageau reproche au
journaliste Mario Girard, dans son article du 7 décembre 2005 intitulé
«Le drame de Polytechnique commémoré dans la sobriété» d’avoir
présenté une statistique erronée dans la phrase suivante «615 femmes ont
été tuées par leur conjoint, un client, un souteneur, un violeur, leur fils,
des cambrioleurs ou un antiféministe armé». Selon le plaignant, cette
statistique est tirée du site Internet, le Collectif masculin contre le sexisme
(CMCS) qui publie chaque année des «statistiques douteuses» dans le
but de renforcer la notion selon laquelle les femmes sont des victimes et les
hommes, des agresseurs.
Selon M. Pageau, chaque année à
pareille date, les journalistes brandissent la propagande montée par M.
Dufresne et la présente comme s’il s’agissait d’une information avérée. Il
ajoute que cette statistique ne devrait pas être présentée comme s’il
s’agissait d’une information vérifiée. Il explique que tant qu’on ne définira
pas à quoi correspond un homme, qu’on tiendra compte des crimes commis par des
femmes et lorsque l’on cessera de mélanger les crimes commis par des hommes et
ceux commis par des inconnus, ces statistiques ne seront pas représentatives.
M. Pageau souligne que
l’information colligée sur le site provient, au moins en partie, de la
collaboration des lecteurs de la page. Selon lui, le résultat est désastreux
car on y retrouve pêle-mêle différents drames.
Le plaignant souhaite que sa plainte serve à informer les
journalistes que la propagande misandre à laquelle les gens se sont habitués et
qu’ils ne semblent plus remettre en question, a des conséquences déplorables.
De plus, il espère qu’avec la collaboration des médias, il soit possible de
corriger la perception négative de tout ce qui est masculin et que «la
conjugalité redevienne une valeur méliorative».
Commentaires du mis en cause
En premier lieu, M. Trottier se dit solidaire des
explications fournies par M. Mario Girard, un journaliste consciencieux qui a
fait un travail de recherche et d’analyse approfondi, dans les règles de l’art
journalistique.
M. Girard précise que son article soulignait le 16e
anniversaire des événements de la Polytechnique. Le plaignant lui reprocherait
son manque de rigueur et remettrait en question le sérieux d’un chiffre
véhiculé par d’autres médias dont la Presse
Canadienne. Le journaliste souligne que ce chiffre (615) fait état du
nombre de meurtres commis sur des femmes au Québec depuis 1989.
Le mis-en-cause indique que cette donnée émane d’une liste
compilée par le CMCS et s’appuie sur des statistiques réelles. Ces informations
sont, selon le journaliste, recueillies régulièrement auprès des grands organes
de presse du Québec. M. Girard dit avoir comparé certains renseignements
contenus dans cette liste à ceux publiés dans les grands quotidiens du Québec
pour se rendre compte que les renseignements rapportés sont exacts.
Le journaliste fait remarquer que ces données ont été
reprises par plusieurs associations reconnues, dont l’AFEAS (Association
féminine d’éducation et d’action sociale) et par Mme Jocelyne Caron, députée à
l’Assemblée nationale.
En conclusion, M. Girard s’explique mal la motivation qui
pousse M. Pageau à contredire ces tristes statistiques qui sont malheureusement
réelles et découlent, quoique le plaignant puisse en penser, de gestes violents
provenant d’hommes.
Réplique du plaignant
M. Pageau réitère son doute envers le sérieux et la
crédibilité des statistiques tirées du site du Collectif masculin contre le
sexisme (CMCS), qui dit-il ne compte qu’un seul membre, soit M. Dufresne. Cet
organisme diffuse des «statistiques douteuses» dont l’objectif
consiste à livrer une campagne de dénigrement envers les hommes en rapportant
l’information selon laquelle une anomalie du cortex de ces derniers, les
inciteraient à assassiner des femmes.
Le plaignant dit avoir contacté le ministère de la Sécurité
publique (MSP) afin de vérifier si lesdites statistiques étaient fondées. On
lui aurait répondu qu’elles ne correspondaient en rien avec l’information dont
le ministère dispose et que les organismes d’information reprennent chaque
année des statistiques mensongères à l’occasion des célébrations entourant
l’anniversaire du drame de Polytechnique.
M. Pageau mentionne que dans un communiqué émis en 2004, le
CMCS affirmait qu’il y avait 767 femmes et enfants assassinés depuis le 6
décembre 1989. Cette année, il y en aurait que 615. La seule explication, selon
lui, serait que les statistiques ne sont pas valides.
Selon le plaignant, le fait que M. Girard avance l’argument
que les statistiques du CMCS sont endossées par Mme Jocelyne Caron et la
Presse Canadienne n’authentifie pas
cette information. Cet argument ne tiendrait pas la route, puisque
l’information ne provient que d’une seule source. M. Pageau estime qu’il aurait
fallu que l’information soit validée auprès d’une autre source comme le MSP,
ajoute-t-il.
Au questionnement du journaliste qui ne comprend pas la
remise en question de l’information erronée, M. Pageau considère que le rôle
des journalistes n’est pas d’appuyer un lieu commun généralement accepté mais
de vérifier l’authenticité de l’information qu’ils diffusent. De plus, il
estime que le préjugé avoué du journaliste envers l’authenticité de ces
statistiques, contrevient à sa mission et au droit du public à une information
vérifiée.
M. Pageau précise qu’il n’est pas dans son intention de
critiquer le «bien-fondé» du travail de M. Girard, mais de sonner
l’alarme au sujet du mensonge repris une fois l’an par les journalistes. Il
ajoute que même si les statistiques diffusées par
La Presse étaient authentiques et que les crimes commis par une
femme ou une inconnue étaient inexistants, il refuserait d’admettre la
conclusion qu’en tirent les défenseurs du «victimisme» féminin
selon laquelle il s’agirait d’une conspiration ou d’une anomalie du cortex des
hommes qui inciteraient les hommes à assassiner des femmes.
Analyse
L’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier, le choix de ce sujet et sa pertinence relèvent de leur jugement rédactionnel, tout en s’assurant de livrer au public une information complète et conforme aux faits et aux événements.
Le plaignant considère que l’information rapportée par le journaliste à l’effet que «615 femmes ont été tuées par leur conjoint, un client, un souteneur, un violeur, leur fils, des cambrioleurs ou un antiféministe armé» est erronée. Il reproche au journaliste d’avoir tirée cette statistique du site, le Collectif masculin contre le sexisme (CMCS) sans l’avoir validée auprès d’une source crédible.
De son côté, le journaliste confirme cette source en ajoutant que le CMCS s’appuie sur des statistiques réelles recueillies auprès des grands organes de presse du Québec.
Le ministère de la Sécurité publique du Québec a confirmé au Conseil que de 1990 à 2003 inclusivement, les homicides commis envers les femmes, dans un cadre familial, de relations d’affaires ou sociales, ceux perpétrés par des inconnus et les infractions d’homicide non résolues s’élevaient à 625. Sans doute aurait-il été préférable que le journaliste valide son information auprès d’une source plus officielle. Cependant, le Conseil constate que l’information transmise par le journaliste soit «615 femmes tuées » reflète la réalité consignée dans les études du MSP. Le grief est donc rejeté.
D’autre part, en réponse au souhait exprimé par le plaignant voulant que les médias équilibrent leur contenu en posant un regard critique sur le discours «victimiste» qu’ils véhiculent, le Conseil tient à préciser que nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information. Le contenu d’un journal relève strictement de la discrétion de l’éditeur.
Décision
Considérant les éléments ci-haut mentionnés, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du journaliste Mario Girard et du quotidien LaPresse .
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03C Sélection des faits rapportés
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15D Manque de vérification