Plaignant
M. Normand Lester
Mis en cause
M. André Pratte, éditorialiste; Mme Lysiane Gagnon, chroniqueuse; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Le plaignant reproche à M. André Pratte d’avoir refusé de publier sa réplique à un éditorial et à une chronique de Mme Lysiane Gagnon, parus respectivement les 11 et 12 janvier 2006. Il reproche également à Mme Gagnon d’avoir utilisé à son endroit des qualificatifs injustifiés dans ses déclarations publiques, dans ses prises de positions ou dans ses engagements.
Griefs du plaignant
M. Normand Lester reproche à M. André Pratte d’avoir refusé de publier sa réplique à un éditorial et à une chronique de Mme Lysiane Gagnon, qui le mettaient en cause en marge de la publication du livre « Les secrets d’Option Canada ». L’éditorial, sous la signature d’André Pratte, a été publié le 11 janvier 2006 et la chronique de Mme Gagnon, le lendemain. Le plaignant reproche, en outre, à Mme Lysiane Gagnon d’avoir utilisé à son endroit les qualificatifs d’«indépendantiste militant de la tendance nationaleuse », alors que rien dans ses déclarations publiques, dans ses prises de positions ou dans ses engagements, ne justifiait de tels propos. Cette expression méprisante de la chroniqueuse vise manifestement, selon lui, à le dénigrer en lui attribuant des attitudes politiques qui ne sont pas les siennes. Le plaignant donne transcription de sa réplique proposée au journal. Il explique que M. Pratte en a refusé la publication à moins qu’il n’enlève un passage faisant référence à l’accession éventuelle de MmeGagnon au Sénat. Le plaignant demande en quoi le fait de souhaiter qu’une chroniqueuse de La Presse suive la voie d’une éditorialiste émérite du journal, Mme Renaude Lapointe, met en cause la réputation ou l’intégrité de Mme Gagnon. Selon M. Lester, il avait parfaitement le droit d’évoquer l’accession éventuelle de Mme Gagnon au Sénat. Pour lui, cela ne peut constituer un outrage ou une injure à sa réputation, et le refus de M. Pratte était donc injustifié. Par conséquent, le plaignant demande au Conseil de recommander au journal La Presse de publier sa rectification aux propos d’André Pratte et de Lysiane Gagnon et de condamner les propos sans fondement de cette dernière à son endroit.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Philippe-Denis Richard, vice-président, affaires juridiques Gesca : En premier lieu, Me Richard situe M. Pratte dans ses fonctions de directeur du service éditorial et de gestionnaire des « Pages Forum » de La Presse. Il indique que « lorsque des articles, des chroniques ou des éditoriaux concernent des individus ou des entreprises, la direction de l’éditorial de La Presse s’ouvr e à une réplique de ces individus ou de ces entreprises dans les Pages Forum »; et que des normes régissent la publication de tout texte dans ces pages, y compris les répliques. Me Richard expose ensuite les quatre normes suivies par son quotidien, dont trois sont extraites du guide «Droits et responsabilités de la presse » du Conseil de presse du Québec. Ces normes ont trait à l’accès du public et à la qualité des propos tenus lors de ces répliques. La quatrième norme indique que « dans la mesure où une personne s’est sentie attaquée par un texte ou un éditorial publié par La Presse, cette personne peut y répondre. Elle doit s’en tenir au fait : l’objet de sa réplique ne doit pas consister à soulever un nouveau ou un autre débat ». Sur la base de ces quatre normes, le représentant des mis-en-cause soumet que la plainte ne doit pas être retenue contre M. Pratte et le quotidien. Il les reprend une à une pour démontrer son point de vue. Me Richard affirme que, conformément à la première norme, les mis-en-cause ont favorisé un droit de réplique raisonnable à M. Lester. Ils n’auraient pas refusé de publier sa réplique, mais auraient simplement assorti celle-ci à la norme voulant que « les lettres des lecteurs ne véhiculent pas des propos outranciers, insultants ou discriminatoires pouvant être préjudiciables à des personnes ou à des groupes ». à l’appui de ses explications, Me Richard annexe copie de l’échange de courriels entre M. Pratte et M. Lester à ce sujet. Il explique que M. Pratte y invitait tout simplement M. Lester à modifier, à biffer ou à réécrire deux passages de sa réplique qu’il estimait injurieux, sur la base des normes mentionnées : le premier passage accusait M. Pratte et Mme Gagnon de mentir en qualifiant M. Lester d’«indépendantiste militant de la tendance nationaleuse »; et le second annonçait que MmeGagnon serait un jour bien récompensée de ses bons services pour la cause fédéraliste. Les deux passages ne représentaient, selon Me Richard, que 25 mots sur les 612 de la réplique. En réponse, M. Lester aurait accepté d’enlever un des passages, celui où il accusait Mme Gagnon et M. Pratte de « mentir carrément » et de le remplacer par « Ces affirmations sont contraires à la vérité ». Ce serait la seule modification qu’il se disait disposé à apporter à sa réplique. En regard de la seconde norme voulant « que les lettres (répliques) des lecteurs ne véhiculent pas des propos outranciers, insultants ou discriminatoires pouvant être préjudiciables à des personnes ou à des groupes, » Me Richard n’y voit, non plus, aucune entorse de la part de La Presse et de ses employés. Pour lui, « d’accuser un éditorialiste et un chroniqueur de mentir carrément est lourd de conséquence : leur intégrité et leur éthique professionnelle sont attaquées injustement alors que leur rôle est d’exprimer des opinions. Ces propos blessent leur dignité et leur honneur ». D’ailleurs, selon lui, « le simple fait que M. Lester ait accepté de retirer le passage où il accusait Mme Gagnon et M. Pratte de mentir carrément peut raisonnablement être interprété comme une reconnaissance que ce passage comportait des propos insultants […] ». Ainsi, Me Richard estime que M. Pratte était justifié de refuser la publication de la réplique de M.Lester. Et c’est la même raison qui s’applique au passage qui associe Mme Gagnon à un siège au Sénat, comme récompense, pour avoir servi la cause fédéraliste. En effet, selon Me Richard, «ces propos par simple allusion, insinuation ou ironie, portent durement atteinte à son intégrité professionnelle, voire remettent en cause son éthique professionnelle et son impartialité ». Le représentant des mis-en-cause invoque ensuite la troisième norme, celle permettant aux journaux de refuser de publier certaines lettres, à condition que leur refus ne soit pas motivé par un parti pris, une inimitié ou encore par le désir de taire une information d’intérêt public qui serait contraire au point de vue éditorial ou nuirait à certains intérêts particuliers. Me Richard explique que les mis-en-cause auraient accepté de publier la réplique de M. Lester « dans la mesure où certaines conditions qui n’étaient pas de nature à modifier matériellement l’esprit et la lettre de la réplique étaient remplies ». Ces conditions étaient « objectives, raisonnables, justifiées et sans parti pris ou inimitié», assure-t-il. Me Richard ajoute que, dans les jours qui ont suivi la parution de la chronique et de l’éditorial visés par la plainte, La Presse a publié en bonne place dans ses pages «Forum» deux répliques allant dans le même sens que celle de M. Lester, l’une signée par le coauteur du livre sur Option Canada, M. Robin Philipot, et l’autre signée par le député M. Luc Thériault du Parti québécois. Les deux répliques présentaient, selon Me Richard, des propos bien arrêtés qui, sans être outranciers ou insultants, allaient à l’encontre de ceux de M. Pratte dans son éditorial. Enfin, en ce qui a trait à la quatrième norme, Me Richard estime qu’elle est également respectée. Selon lui, M. Pratte s’est dit prêt à publier la réplique de M. Lester dans la mesure où les autres règles étaient respectées. Le représentant des mis-en-cause aborde ensuite la partie de la plainte visant Mme Lysiane Gagnon. Il évoque d’abord les états de service de la chroniqueuse et les nombreux prix de journalisme qu’elle a remportés. Me Richard rappelle ensuite les principes déontologiques relatifs à la latitude reconnue aux chroniqueurs. Il aborde alors les qualificatifs dont se plaint M. Lester : « indépendantiste militant de la tendance nationaleuse ». Il explique que pour Mme Gagnon, cette expression ne signifie pas que M. Lester milite au sein d’un parti politique, mais milite pour une cause, la cause indépendantiste. Me Richard fonde son opinion sur le fait que le journaliste a publié, en trois tomes, l’ouvrage intitulé «Le Livre noir du Canada anglais ». Il complète par un commentaire de l’hebdomadaire Voir indiquant notamment que « Le style est le même : militant et sans compromis ». Il ajoute à sa preuve trois autres éléments : l’organisme francophone « Vox Latina » a remis à M.Lester un prix pour son « engagement militant »; l’ancien ombudsman de la Société Radio-Canada, M. Mario Cardinal, affirmait notamment, au sujet du premier « Livre noir » de M.Lester, qu’il s’agissait de « journalisme engagé, sinon de propagande »; et un extrait de l’hebdomadaire Voir indique que M. Lester dit ne pas avoir milité dans aucun parti mais appuyer ceux qui favorisent l’affirmation nationale du Québec. Pour ces raisons, Me Richard affirme que la chronique de Mme Gagnon rencontrait sur ce point les exigences de rigueur. Il ajoute : « Quant au qualificatif qui associe M. Lester à la tendance nationaleuse, Mme Gagnon estime raisonnablement que l’approche de M. Lester est toutefois distincte de celle des indépendantistes qui regardent vers l’avenir plutôt que vers le passé, une opinion raisonnable. » Mme Gagnon donne d’ailleurs un exemple dans sa chronique d’une sortie qu’aurait faite M. Lester contre une infirmière du Jewish General Hospital qui refusait de lui répondre en français. Me Richard termine en indiquant que Mme Gagnon présente dans sa chronique une vision personnalisée du sujet qu’elle choisit de traiter, qu’elle s’exprime dans un style qui lui est propre avec des propos qui peuvent paraître incisifs, mais sans contrevenir à l’éthique journalistique, ni abuser de sa latitude. Le représentant des mis-en-cause joint à ses commentaires copie de l’éditorial de M. Pratte intitulé «Réécrire l’histoire ? » ainsi que copie de la réplique du plaignant intitulée « Réplique de Normand Lester » et copie de la chronique de Mme Gagnon intitulée « Anecdotes électorales ».
Réplique du plaignant
Le plaignant indique avoir pris connaissance de la réponse de Me Philippe-Denis Richard et répond par trois observations : 1. Malgré ce qui est avancé par Me Richard, M. Lester estime que rien dans le texte modifié qu’il a soumis à La Presse ne justifie le refus d’André Pratte de le publier. « à moins, bien sûr, indique-t-il, qu’il considère que je fais injure à Lysiane Gagnon en lui souhaitant de prendre le siège de Renaude Lapointe au Sénat canadien. » Le plaignant ajoute qu’il avait enlevé de son texte les propos que M. Pratte jugeait inacceptables. 2. Toujours selon M. Lester : « Ni l’avocat de La Presse, ni Lysiane Gagnon n’ont pu citer un seul de mes textes qui justifierait le qualificatif de « militant » et de « nationaleux » pour la bonne raison qu’il n’y en a pas. On cite des textes de tierces personnes à mon sujet pour soutenir les propos de Mme Gagnon. » Le plaignant fait observer, en outre, que personne d’autre que Mme Gagnon n’a employé le terme « nationaleux » pour le qualifier. Et même si, avec M. Pratte et Mme Gagnon, d’autres journalistes engagés du côté du fédéralisme le qualifie de militant, cela n’infère aucunement que cela soit vrai. Il ajoute que si M. Pratte et Mme Gagnon ont pris parti en faveur du fédéralisme à maintes reprises durant leur carrière, jamais il n’a lui-même pris position et encore moins milité, depuis qu’il est journaliste, en faveur d’une position constitutionnelle quelconque. D’ailleurs, La Presse n’a pu lui attribuer de citations qui corroboreraient son accusation de « militant nationaleux ». Les « Livres noirs du Canada anglais » du plaignant sont, selon lui, un bilan des injustices qui ont été commises au Canada contre tous ceux qui n’avaient pas le bonheur d’être blancs anglo-saxons et protestants. « Non seulement contre les francophones, ajoute-t-il, mais contre les Japonais, les juifs, les noirs, les Chinois, etc. ». Personne n’a jamais mis en cause les faits historiques rapportés dans ses livres. Il ne voit pas pourquoi exposer les exactions commises contre toutes les minorités canadiennes lui vaut le qualificatif de « militant nationaleux» québécois.
Analyse
M. Normand Lester reprochait à la direction du journal LaPresse d’avoir refusé de publier sa réplique à un éditorial de M. André Pratte et à une chronique de Mme Lysiane Gagnon, qui le mettaient en cause à la suite de la publication du livre « Les secrets d’Option Canada ». M. Lester reprochait d’abord à Mme Lysiane Gagnon de lui avoir manqué de respect lors de sa chronique à la suite de la publication du livre « Les secrets d’Option Canada ». Or, un principe reconnu dans le monde des médias depuis plusieurs décennies et que confirme le guide de principes déontologiques du Conseil, veut que le genre journalistique auquel appartiennent l’éditorial et la chronique accorde à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Il permet notamment aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. Dans ce contexte, les propos utilisés par la chroniqueuse Lysiane Gagnon, bien que choquants aux yeux du plaignant, ne sont pas apparus outrepasser les limites autorisées par le genre journalistique du journalisme d’opinion. Par conséquent, le Conseil n’a pas retenu ce grief voulant que, dans sa chronique, la journaliste ait utilisé une expression méprisante visant à dénigrer le plaignant, en lui attribuant des attitudes politiques qui n’étaient pas les siennes. Quant au grief de M. Lester concernant la non-publication de sa réplique, après examen des arguments des parties, le Conseil constate que le quotidien a d’abord souscrit à une première règle déontologique en regard du courrier des lecteurs, soit de se donner des règles pour encadrer ce service. Celles-ci sont d’ailleurs majoritairement fondées sur les principes mêmes que recommande le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil. Le guide déontologique Droits et responsabilités de la presse prévoit aussi que les médias «doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause». Le Conseil constate qu’en appliquant ses normes régissant le courrier des lecteurs, la direction du quotidien a laissé l’impression qu’elle permettait à Mme Gagnon une liberté d’expression plus large dans sa chronique que celle permise à M. Lester dans sa réplique. En ce sens, afin d’assurer un maintien de l’équité dans tout traitement médiatique, le Conseil invite la direction du quotidien La Presse à revoir sa gestion des normes encadrant le courrier des lecteurs, particulièrement quand il s’agit de réponses à des charges adressées directement contre des personnes, afin de permettre à celles-ci une latitude équivalente dans leur réplique. Pour ces motifs, le Conseil de presse retient partiellement la plainte de M.Normand Lester contre le quotidien La Presse, son éditorialiste M.André Pratte, et sa chroniqueuse Mme Lysiane Gagnon pour le motif de non-publication d’une réplique.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C17C Injure
Date de l’appel
15 May 2007
Appelant
Me Philippe-Denis Richard et le quotidien La Presse
Décision en appel
La commission d’appel du Conseil de presse du Québec a étudié l’appel que vous avez interjeté relativement à la décision rendue par le comité des plaintes et de l’éthique de l’information dans le dossier cité en titre.
Après examen, les membres de la commission accueillent l’appel au motif du respect de la liberté rédactionnelle des médias quant à la publication de lettres ouvertes. Ce droit s’étendant même à l’édition de ces contributions du public, sans dénaturer le sens de leur propos.
La commission tient toutefois à préciser qu’elle estime, contrairement à l’avis de l’appelant, que le comité des plaintes et de l’éthique de l’information n’a pas erré « en mettant sur le même pied d’égalité, dans l’évaluation des droits, une opinion raisonnablement soutenable et un droit de réplique attaquant l’honneur et la dignité de l’auteur de cette opinion ».
La commission rappelle aussi aux mis-en-cause l’esprit de l’article 2.2.1 du guide Droits et responsabilités de la presse qui prévoit :
« […] Il est également de leur (les médias) responsabilité d’être courtois et ouverts envers leurs lecteurs, leurs auditeurs ou leurs téléspectateurs, et de leur éviter les tracasseries qui pourraient les empêcher de faire valoir leurs remarques, critiques ou récriminations légitimes. »
Dans cette perspective, la commission recommande à La Presse, de réviser l’application de ses normes internes afin de permettre au lecteur une riposte équivalente, en termes de niveau de langage, à celle permise aux journalistes d’opinion.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, nous accueillons votre appel et fermons le dossier cité en titre.