Plaignant
Conseil de l’industrie forestière du Québec et M. Guy Chevrette, président-directeur général
Mis en cause
M. Dany Doucet, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. Guy Chevrette porte plainte, en son nom et au nom du Conseil de l’industrie forestière du Québec, suivant la parution d’une série de six textes publiés sous la signature de M. Richard Desjardins, dans la section «Opinions» du Journal de Montréal et du Journal de Québec, entre le 30 janvier et le 4 février 2006. Selon le plaignant, les mis-en-cause auraient manqué à l’éthique journalistique en refusant de publier sa réplique et en présentant une information déséquilibrée et inexacte.
Griefs du plaignant
La plainte de M. Chevrette et du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) concerne une série de six lettres d’opinions rédigées par M. Richard Desjardins et publiées dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec, entre le 30 janvier et le 4 février 2006. De l’avis du plaignant, ces articles se sont avérés être une «véritable opération de démolition pour le secteur forestier, visant autant des institutions, des entreprises que des personnes». Le texte du jeudi 2 février 2006, paru sous le titre «Chevrette Pontiac», contiendrait notamment plusieurs «accusations injustifiées et des affirmations irresponsables dirigées contre l’industrie forestière et contre certaines personnes oeuvrant dans le secteur forestier», dont le plaignant. Bien qu’il convienne que M. Desjardins «a droit à ses opinions», M. Chevrette juge inadmissible que «le Journal de Montréal n’ait pas donné, à l’instar du Journal de Québec, un droit de réplique à ceux visés par les commentaires virulents de M. Desjardins». Il précise que, puisque les textes d’opinions de M. Desjardins ne constituaient «pas une position éditoriale du Journal de Montréal», il était d’autant plus capital, «en terme d’éthique journalistique», que le point de vue des parties visées par ces propos puisse être exposé aux lecteurs. Le plaignant déplore que «sous prétexte qu’il était trop long», le texte soumis par le CIFQ, en réplique aux propos tenus par M. Desjardins, n’ait pu être publié dans le Journal de Montréal. M. Chevrette souligne qu’un «texte plus court a donc été fourni très rapidement», mais que rien n’est tout de même paru dans le quotidien, pour permettre aux plaignants de répliquer aux propos réprouvés. à ce sujet, le dernier appel d’un représentant du Journal aurait eut lieu après 18 heures, une fois les bureaux du CIFQ fermés. En regard de l’argument, selon lequel la réplique n’avait pas été publiée parce qu’elle était trop longue, le plaignant regrette que la lettre raccourcie n’ait «pas n’ont plus été publiée dans les jours qui ont suivi». M. Chevrette conclut que, par les agissements qui lui sont reprochés, le Journal de Montréal a «manifesté un biais en faveur des opinions» de M. Desjardins et a privé «ses lecteurs du point de vue de ceux que l’individu en question attaquait violemment». Le Journal n’a toujours pas publié la réplique du plaignant. Celle-ci fut toutefois publiée par le second quotidien ayant diffusé les lettres de M. Desjardins. Par la suite, de l’avis de M. Chevrette, le parti pris du média serait apparu d’une façon encore plus flagrante lors de la «publication dans [l]e Journal d’une lettre d’opinion d’un lecteur réagissant négativement aux propos» de cette réplique, alors que le Journal de Montréal a refusé de la publier dans ses pages et que le lecteur a donc pris connaissance de ces propos à la lecture du second quotidien. Enfin, M. Chevrette précise que le texte qu’il a transmis au Journal de Montréal en réaction à cette seconde lettre d’opinion d’un lecteur «n’a toujours pas été publié».
Commentaires du mis en cause
M. Dany Doucet rappelle en premier lieu que les six textes de M. Richard Desjardins, publiés entre le 30 janvier et le 4 février 2006, étaient des textes d’opinions qui furent diffusés dans la section du Journal prévue à cette fin et furent clairement présentés comme tels. Le mis-en-cause précise qu’en réaction à cette série de textes, le CIFQ est entré en contact avec les représentants du Journal de Montréal, le 2 février 2006, afin de faire publier un premier texte de réplique qui fut refusé par le Journal. Deux motifs ont motivé ce refus, soit «une longueur excessive» pour le format du Journal et «un contenu inacceptable». M. Doucet ajoute que l’organisme, via son représentant, a tenté de «fournir d’autres versions plus courtes» des lettres de réplique. Toutefois, de l’avis du rédacteur en chef, elles «étaient tout[es] aussi inacceptables au plan du contenu» que le premier envoi, car «au lieu de s’attaquer au fond des problèmes soulevés par la série de commentaires de M. Richard Desjardins, la lettre du Conseil de l’industrie forestière s’attaquait personnellement à l’auteur des commentaires, [M.] Richard Desjardins». M. Doucet soutient que cette procédure était inacceptable aux yeux du média. Il indique également que les trois paragraphes suivant le sous-titre «Pas de leçon à donner à personne» sont erronés. D’après ce dernier motif et le ton général des lettres de réplique présentées par les plaignants, le mis-en-cause affirme que «le Journal de Montréal aurait pu être l’objet de poursuites en diffamation s’il avait accepté de publier cette lettre». En terminant, M. Doucet souligne qu’une suite de 56 textes ont été publiés dans les sections d’information du quotidien, au cours des 12 mois précédents les textes mis en cause, afin de démontrer que le Journal a rapporté une grande variété d’informations au sujet de l’industrie forestière.
Réplique du plaignant
En lien avec les commentaires de M. Doucet, M. Chevrette souligne que ni lui, ni Mme Manon Gagnon, qui a également tenu des échanges avec le représentant du Journal de Montréal, n’ont été avisés «que le contenu du texte était considéré comme inacceptable». Concernant la longueur du texte, que le Journal jugeait excessive, le plaignant rappelle qu’à la demande du quotidien uneversion abrégée de cette réplique fut envoyée. Il ajoute que la seconde réponse négative du quotidien ne lui est parvenue que vers 18 h 20, après la fermeture des bureaux et «près de trois heures» suivant l’envoi de cette nouvelle version. M. Chevrette signale également que le texte de M. Richard Desjardins, auquel il souhaitait réagir, occupait «une page complète du Journal» et «contient 976 mots, sans compter l’espace important occupé par sa photo et par une photo de forêt», alors que la version abrégée du texte du CIFQ comptait 928mots. M. Chevrette s’interroge sur le commentaire de M. Doucet, selon lequel le texte soumis par le CIFQs’attaquait personnellement à M. Desjardins et non au «fond des problèmes soulevés par la série d’articles». Il poursuit en soulignant que le Journal de Montréal a permis à M. Desjardins de s’en prendre directement au président-directeur général du Conseil de l’industrie forestière «par des propos qui n’avaient rien à voir avec du contenu». Le plaignant déplore le «traitement journalistique biaisé» qui conduirait le mis-en-cause à chercher «tous les prétextes possibles» pour se justifier. Le plaignant s’étonne de l’erreur évoquée par les mis-en-cause, en regard au texte qu’il a soumis, et du fait que cette erreur et le ton général de la lettre auraient pu «être l’objet de poursuites en diffamation» aux dires de M. Doucet, puisqu’au moment où le Journal refusait de publier le texte, M. Desjardins n’en avait pas encore démenti le contenu et qu’il était alors impossible d’évoquer la présumée erreur. Quant au ton utilisé dans sa réplique, M. Chevrette indique que le ton utilisé par M. Desjardins, dans le texte initial auquel il a réagit, contient des expressions encore plus désobligeantes, telles que: «Non, mais qu’est-ce qu’elles s’en crissent du chômage les compagnies!» et «Qu’elles crèvent ces compagnies qui nous siphonnent et nos territoires et notre économie!». Le président-directeur général conteste la possibilité de poursuites auxquelles le mis-en-cause soutient que la publication du texte les exposait. Il signale que c’est le CIFQ ou lui-même personnellement qui auraient pu poursuivre le Journal de Montréal pour les propos tenus dans les textes de M. Desjardins et la non publication de la réplique. Il rappelle également que le Journal de Québec a, pour sa part, accepté de publier le texte soumis par les plaignants et que M. Richard Desjardins n’a non seulement pas intenté de poursuites, mais y a réagit «de façon laconique». Le rédacteur en chef mentionne, dans ses commentaires, que «n’importe quel média qui se respecte» n’aurait pas publié le texte présenté par les plaignants. M. Chevrette indique cependant, qu’en affirmant ceci, il porte un jugement «à l’égard du Journal de Québec, possédé par le même propriétaire que son propre journal» et qui a fait paraître la lettre. Le plaignant évoque enfin, comme preuve «de la mauvaise foi du Journal de Montréal dans cette affaire», le fait qu’il a «publié une réplique» au texte soumis par le CIFQ, alors que ce dernier «pourtant n’avait jamais paru dans ses pages». M. Chevrette dénonce le geste du Journal, qui a refusé la réplique du Conseil de l’industrie forestière du Québec, mais qui «publie une réplique à cette réplique non publiée». M. Chevrette conclu que le traitement journalistique, dans la présente affaire, fut «inapproprié, biaisé et inacceptable» et demande au Conseil de presse de le reconnaître comme tel.
Analyse
Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. Le plaignant, M. Guy Chevrette, déplore le refus du Journal de Montréal de publier la réplique du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) à la série de six textes d’opinions rédigés par M. Richard Desjardins pour le quotidien, alors que ceux-ci touchaient directement l’industrie et visaient nommément le plaignant. Le texte de M. Desjardins, auquel les plaignants souhaitaient répondre, concernait directement le secteur manufacturier qu’ils représentent et impliquait directement M. Guy Chevrette. Aux yeux du Conseil, il était de la responsabilité du média de permettre aux intimés de répliquer aux textes qui les ont directement mis en cause. Le Conseil considère également que l’argument selon lequel la réplique du CIFQ ne pouvait être publiée en regard de sa longueur n’est pas fondé, puisque la lettre de M. Desjardins contenait plus de mots que la seconde version de la lettre de réplique. Quant à la possible diffamation invoquée par le Journal, en regard de la lettre de réplique, le Conseil rappelle que les responsables d’un média ont le droit d’effectuer certaines coupures dans les lettres d’opinions, lorsque cela est à propos et qu’ils sont en mesure d’en indiquer les motifs. à cet effet, la déontologie du Conseil de presse précise que «[l]es journaux peuvent apporter des modifications aux lettres qu’ils publient (titres, rédaction, corrections) pourvu qu’ils n’en changent pas le sens et qu’ils ne trahissent pas la pensée des auteurs.» DERP, p.38. Une telle coupure aurait donc permis de rectifier au moins une erreur factuelle et d’assurer la diffusion d’une pluralité de points de vues. Le Conseil constate également l’erreur soulevée par M. Chevrette dans la lettre d’opinion de M. Alain Richard, diffusée par le Journal de Montréal en réaction à la réplique des plaignants, publiée dans le Journal de Québec. L’information principale de cette lettre, selon laquelle M. Chevrette, alors qu’il était ministre des affaires autochtones, avait signé un accord devant des caméras avec des mohawks masqués, est inexacte et les autres propos de la lettre de M. Richard, qui s’articulent autour de cette information, sont donc inappropriés. Le Conseil note enfin que les mis-en-cause auraient pu, une fois encore, compenser ce manquement en accordant un droit de réplique adéquat aux plaignants, ce qu’ils n’ont pas fait. Au second grief, les plaignants dénoncent le choix des contributions du public exercé par le Journal de Montréal. Ce choix exprimerait un biais du Journal en faveur du point de vue de M. Desjardins. à cet effet, il réprouve également le choix du quotidien de publier le texte d’opinion de M. Alain Richard, alors qu’il se voulait en réaction à sa propre lettre de réplique qui ne fut pas publiée. L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. Le Conseil souligne qu’il a pris connaissance de l’ensemble des articles soumis par le Journal de Montréal, en lien avec la couverture de l’industrie forestière au cours de l’année précédant la plainte, et constate l’importance et la diversité de traitement de ces articles. Toutefois, en regard d’une série de six textes d’opinion ayant joui d’une couverture et d’une publicité importantes, il était de la responsabilité du Journal de favoriser la diffusion d’un second point de vue. à cet effet, le Conseil fait remarquer que, le texte d’opinion ne reflétant pas une position éditoriale ou celle d’un chroniqueur, il est d’autant plus important que des points de vues balancés et équilibrés en émergent. Les médias et les professionnels de l’information doivent encourager la libre circulation des idées et l’expression du plus grand nombre de points de vue. En ne diffusant pas la réplique des plaignants et en publiant, de surcroît, une lettre réagissant à celle-ci, le Journal a manqué à son devoir de livrer des opinions pluralistes et complètes. Au terme de ce qui précède, le Conseil retient la plainte de M. Guy Chevrette et du Conseil de l’industrie forestière du Québec et blâme Le Journal de Montréal sur la base des griefs concernant le droit de réponse du public, le choix et le traitement des contributions du public ainsi que l’équilibre et l’exhaustivité de l’information.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C08H Lettres diffamatoires
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11B Information inexacte
- C12C Absence d’une version des faits
Date de l’appel
15 May 2007
Appelant
Me Bernard Pageau et le quotidien Le Journal de Montréal
Décision en appel
La commission d’appel du Conseil de presse du Québec a étudié l’appel que vous avez interjeté relativement à la décision rendue par le comité des plaintes et de l’éthique de l’information dans le dossier cité en titre.
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, nous rejetons votre appel et fermons le dossier cité en titre.