Plaignant
M. Denis Savoie
Mis en cause
M. Gérard Martin et Mme Patricia Sauzède-Bilodeau, journalistes; M. Jean-Claude Bonneau, directeur de l’information; Mme Johanne Marceau, directrice-éditrice et l’hebdomadaire L’Express de Drummondville
Résumé de la plainte
La plainte de M. Denis Savoie fait suite aux élections municipales de Drummondville du 6novembre 2005, alors qu’il se présentait comme candidat au poste de conseiller municipal. La couverture journalistique de ces élections, par l’hebdomadaire L’Express de Drummondville, aurait été réalisée de façon subjective, ce qui aurait influencé le résultat du vote. L’édition du 6 novembre 2005 de ce journal aurait présenté une couverture déséquilibrée et n’aurait pas offert un droit de réplique adéquat au plaignant.
Griefs du plaignant
La plainte de M. Denis Savoie fait suite aux élections municipales du 6 novembre 2005, alors qu’il était candidat et conseiller sortant du district numéro 3 de la ville de Drummondville. M. Savoie précise qu’il assumait les fonctions de conseiller municipal depuis 1991, alors que le 6 novembre 2005 il a perdu par 77 voix, défaite qu’il attribue en grande partie à la couverture journalistique des journaux appartenant au groupe Transcontinental, soit les hebdomadaires La Parole et L’Express de Drummondville. Le plaignant soutient que «sous des allures d’objectivité, la direction de l’information de LaParole et de L’Express ont (sic) malicieusement pris part à une vaste opération de manipulation de l’information en devenant complice[s] de [s]es opposants». De l’avis de M.Savoie, cette opération de manipulation a atteint son point culminant le jour du scrutin, avec l’édition du journal L’Express qui présentait quatre articles défavorables à la candidature du plaignant, sur un total de 14 pages consacrées à la couverture de la campagne électorale. Selon ce dernier, ces articles donnaient la parole à ses opposants, sans que la direction de l’information ne lui ait offert la possibilité de faire valoir son droit de réplique et ce, malgré qu’il s’agissait de la dernière édition avant le scrutin. M. Savoie dénonce premièrement l’article du journaliste, M. Gérard Martin, présenté en première page de la section consacrée aux élections municipales, sous le titre «Gagné estime que les faits reprochés à Savoie ne sont pas le fruit d’une imagination diabolique». Il reproche au journaliste de ne pas avoir tenté de communiquer avec lui, afin d’obtenir ses commentaires. En regard de cet article, il regrette aussi que la direction de l’information ait «pour sa part décidé de donner la « une » des élections à [s]on adversaire sans aucun droit de réplique». Quant à l’article «Francine Ruest Jutras s’offre une sortie publique », rédigé également par le journaliste Gérard Martin, en page 13 de L’ Express, il rapportait sans contre-vérification les propos tenus par la mairesse de Drummondville lors d’une entrevue. Le plaignant désapprouve la publication de ces propos, le jour même des élections, qui ont été diffusés «une fois de plus sans qu’un droit de réplique ne [lui] soit accordé». M. Savoie soutient de plus que la veille des élections, soit le 5 novembre, Mme Ruest Jutras, aurait eu en sa possession le journal du 6 novembre. Pour ce qui est du troisième article, paru en page 19 de cette même édition de L’Express, sous le titre «Denis Savoie n’a pas changé – Pour son ex-adversaire François Grisé», il donne la parole à M. Grisé, qui avait été défait par M. Savoie aux élections de 1995. Le plaignant désapprouve que l’article ne soit pas signé et que la direction de l’information ait publié un communiqué de presse sans autre traitement. M. Savoie se questionne aussi sur l’intérêt public de donner la parole à cet ancien candidat. Il ajoute que ce communiqué avait été publié dans un quotidien régional quelques semaines auparavant, ce qui signifierait que «[l]a direction de l’information des journaux Transcontinental a donc retenu intentionnellement ce texte jusqu’à la dernière parution avant les élections». Le plaignant indique également qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter une réplique à cet article. Enfin, en page 23 de L’ Express du 6 novembre 2005, M. Normand Jutras, député de Drummond, exprime son opposition à la candidature de M. Savoie, dans un texte paru sous le titre «Normand Jutras appuie Jocelyn Gagné avec conviction ». M. Savoie indique que ce texte de la journaliste Mme Patricia Sauzède-Bilodeau cherche à dénigrer son travail et à nuire à sa réputation. Il ajoute trouver «surprenant qu’un ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique prenne position dans un quartier bien précis lors d’une élection municipale» et rappelle qu’une fois encore il n’a eu «aucun droit de réplique». Il ajoute qu’au cours de la même campagne électorale, M. Ovélus Demers, un ancien conseiller municipal à la ville de Drummondville, a voulu l’appuyer publiquement en expédiant une lettre ouverte au journal La Parole. M. Bonneau, le directeur de l’information du journal, «l’a alors référé au secteur de la publicité» et il a «dû payer 314.02 $ pour publier sa lettre». Procédure dénoncée par M. Savoie qui trouve ce traitement injuste. Le plaignant dénonce enfin le manque d’équité, d’équilibre et de justice, dans l’information livrée par le journal, ajoutant que les mis-en-cause ont été orientés par des tiers qui cherchaient à imposer leurs idées et qu’ils n’ont pas respecté leur devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable. Quant aux motifs expliquant cette couverture journalistique partisane, M. Savoie signale que Mme Johanne Marceau, la directrice générale des journaux La Parole et L’ Express, a été nommée présidente de la Chambre de commerce et d’industrie de Drummond et que conséquemment, «elle siège au conseil d’administration du Commissariat au commerce», organisme dont il conteste le financement municipal qu’il trouve exagéré. M. Savoie ajoute que Mme Marceau se trouve dans une position particulière, qui « ne favorise pas nécessairement la diffusion d’information honnête» et qu’en s’impliquant dans ces organismes elle pratique une certaine forme de politique.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Johanne Marceau, directrice-éditrice:
Mme Marceau amorce ses commentaires en indiquant qu’elle Œuvre dans le domaine médiatique depuis 20 ans et que c’est la première fois qu’une personne met en doute son intégrité et son professionnalisme. Au reproche de M. Savoie, selon lequel son implication la placerait en situation de conflit d’intérêts, la mise-en-cause fait observer que, depuis 1992, elle ne cesse de s’engager dans diverses organisations bénévoles. Mme Marceau estime que son implication comme membre d’un conseil d’administration de nombreux organismes communautaires ou publics n’a pas de conséquence sur l’information publiée dans L’Express. Elle soutient également que, depuis ses débuts dans les médias et depuis son arrivée à Drummondville, elle n’a jamais fait de politique. La directrice-éditrice avance qu’il y a plus d’un an que certains compétiteurs des journaux du groupe Transcontinental de Drummondville ont amorcé et alimentent toujours une campagne négative à son endroit et à l’endroit des membres de ces journaux et allègue que la présente plainte en fait partie. Mme Marceau rappelle enfin qu’elle n’a jamais regretté ses engagements communautaires et qu’elle a l’intention de continuer à s’engager auprès de la collectivité. Commentaires de M. Jean-Claude Bonneau, directeur de l’information: M. Bonneau réfute tous les griefs présentés par M. Savoie et indique que ce dernier «semble vouloir faire porter le chapeau de sa défaite aux membres du personnel de L’Express et [de] La Parole de Drummondville, journaux membres du groupe Transcontinental». Regrettant les propos du plaignant qui laissent supposer que les journaux ont conspiré contre lui en publiant certains textes au cours de la même fin de semaine, M. Bonneau définit ensuite le contexte entourant la rédaction de ces articles. Le premier texte publié lors de l’édition du 6 novembre 2005 présentait l’opinion de l’opposant de M. Savoie, M.Jocelyn Gagné. L’information de cet article fut recueillie lors d’une conférence de presse tenue le mercredi 2 novembre 2005. Quant au texte à propos de la mairesse de Drummondville, MmeFrancine Ruest Jutras, il rapporte une sortie publique de cette dernière, qui fut également relatée sur les ondes des radios locales. Pour ce qui est du texte de M. François Grisé, il présente la position d’un ancien adversaire de M. Savoie qui avait perdu contre lui, aux élection municipales de 1995, par 53 votes et qui avait, par la suite, gagné un procès en diffamation contre M. Savoie. à cet effet, le directeur de l’information affirme que «les journaux et les journalistes n’ont pas le plein contrôle des personnalités publiques qui désirent se prononcer sur tel ou tel sujet, particulièrement dans le cadre d’élections» et que les médias ne peuvent contrôler l’agenda de ces personnalités publiques. Il en conclut donc que: «Si ces personnalités ont décidé, d’un commun accord et de façon individuelle, de faire des sorties publiques la même semaine, les journaux L’Express et La Parole et les journalistes n’y peuvent rien et n’y sont pour rien.» En regard du grief concernant le droit de réplique, M. Bonneau allègue que M. Savoie «ment effrontément» en affirmant que le journaliste Gérard Martin n’a jamais tenté de communiquer avec lui pour obtenir ses commentaires. M. Bonneau souligne que le plaignant a présenté quatre articles le défavorisant pour illustrer sa plainte, mais qu’il a omis d’inclure les articles le favorisant qui ont été publiés lors de la campagne, articles que le mis-en-cause annexe à son commentaire. Il ajoute que «les journaux L’Express et La Parole ont toujours offert une couverture médiatique juste et équitable à tous» et, qu’à l’instar du comportement de leurs journalistes, ils sont et resteront apolitiques. D’après M. Bonneau, c’était le propre choix de M. Savoie que de «mettre de côté la presse locale, à un certain moment», lors de la dernière campagne électorale. Le directeur de l’information termine sur ces deux griefs en indiquant qu’il croit «beaucoup plus que M. Savoie a été victime, aux élections de novembre 2006 (sic), de son comportement comme conseiller municipal, comportement qui était jugé par bon nombre de citoyens comme inacceptable, et non pas d’une couverture médiatique qu’il a lui-même qualifiée d’injuste». Quant aux propos qu’aurait tenus la mairesse, le samedi 5 novembre lors du Gala des affaires de la Chambre de commerce de Drummond, au sujet de l’édition de L’Express du dimanche 6novembre, M. Bonneau indique que, même s’il est daté du dimanche, le journal est distribué «à plus de 70 %» sur tout le territoire tôt le samedi et que, de ce fait, le plaignant «était lui-même en mesure de connaître la couverture» dès la veille. Au reproche entourant la diffusion du communiqué de presse émis par M. François Grisé, le mis-en-cause indique qu’il a été publié par un quotidien régional, précédemment à sa parution dans le journal L’Express et que, de ce fait, M. Savoie «aurait facilement pu répliquer, que ce soit par le biais d’un communiqué ou d’une conférence de presse, bien avant l’heure de tombée de L’Express du 6 novembre». M. Bonneau ajoute que ce communiqué fut publié dans l’édition du 6 novembre 2005, «uniquement par manque d’espace au préalable» dans le journal. Concernant les récriminations du plaignant au sujet de l’article de la journaliste Patricia Sauzède-Bilodeau, rapportant les propos du député M. Jutras, le directeur de l’information explique que la journaliste a simplement couvert un point de presse fait par M.Jutras, le lundi 31 octobre. Il ajoute que, les propos du député ayant été diffusés par des stations radiophoniques et par divers médias écrits, le jour même ou dans les jours qui ont suivis, le plaignant disposait de tout le temps nécessaire pour y répliquer. En réponse au reproche de ne pas avoir tenté d’obtenir le point de vue du plaignant, M. Bonneau soutient, au contraire, avoir «personnellement incité Gérard Martin à contacter M. Savoie afin d’obtenir sa version des faits, à la suite des allégations que ses adversaires portaient à son endroit». Selon M. Bonneau, le plaignant a refusé lui-même d’utiliser son droit de réplique. Concernant la lettre ouverte de l’ancien conseiller municipal, M. Ovélus Demers, le mis-en-cause déclare qu’elle fut envoyée avant même le déclenchement de la campagne municipale et qu’il avait été décidé par les responsables de la tribune des lecteurs «que les journaux ne publiaient aucune lettre partisane». M. Bonneau explique que c’est ce motif qui a emmené les mis-en-cause à diriger M. Demers vers le Service des ventes du journal. Il se questionne toutefois sur la facturation suivant la publication de cette lettre, qui ne fut pas payée par M. Demers lui-même, mais par le «clan Savoie». Il conclut sur cet aspect de la plainte, en indiquant que, selon lui, «la décision du journal était tout à fait légitime de refuser cette lettre puisqu’elle était très très partisane». Le plaignant reprochait aussi à Mme Johanne Marceau de se placer en situation de conflit d’intérêts. Pour M. Bonneau, dans une municipalité de la taille de Drummondville, bon nombre de gens d’affaires doivent s’impliquer au sein d’organismes publics, ce que fait Mme Marceau en tant que «présidente de la Chambre de commerce, comme membre du conseil d’administration du Commissariat au commerce, comme présidente du Centre d’action bénévole de Drummond ou comme membre de quelques autres conseils d’administration». Il ajoute que Mme Marceau est une personne capable de faire la différence entre ses activités personnelles et ses activités professionnelles et qu’elle ne fait aucune ingérence dans la salle de rédaction,quant à la couverture médiatique. Commentaires de M. Gérard Martin, journaliste: M. Martin amorce en indiquant qu’en 33 ans de métier, il fait face pour la première fois à une plainte devant le Conseil de presse. Le journaliste déplore cette situation, puisqu’il soutient que, lors des dernières élections, les journaux du groupe Transcontinental ont donné à M. Savoie les mêmes possibilités de se faire entendre que les autres candidats et probablement davantage, en raison de la charge à son endroit. Selon le journaliste, M. Savoie aurait lui-même fait le choix de ne pas répondre à ses détracteurs. Il se serait ensuite ravisé et aurait «accepté de répondre, mais de façon partielle», par voie de communiqué, aux attaques formulées à son endroit par un groupe d’opposants. Suivant cette dénonciation, M. Savoie aurait «sciemment choisi de cesser de rencontrer les représentants des médias, comme il avait pourtant entrepris de le faire en début de campagne». M. Martin ajoute que la majorité des candidats ont fait appel aux services des médias, lors de conférences de presse ou d’entrevues. Si M. Savoie était en droit de choisir de se consacrer davantage au porte-à-porte et à diverses rencontres avec les citoyens, il ne comprend pas les motifs qui le poussent aujourd’hui à se plaindre de ne pas avoir reçu le même traitement journalistique que ceux qui ont fait appel régulièrement aux médias. M. Martin relate ensuite les faits entourant la rédaction des articles contestés par le plaignant. Il explique avoir été assigné, le lundi 21 octobre 2005, pour couvrir une conférence de presse au cours de laquelle six personnes ont dénoncé conjointement les agissements de M.Savoie en tant que conseiller du district numéro 3 et illustré leurs doléances par de nombreux exemples. Le fait saillant de cette conférence était la dénonciation de l’intervention de M. Savoie auprès de l’avocate de la ville et du juge municipal dans le but de régler une affaire de contraventions. Le journaliste indique que ces récriminations ont généré un article publié dans le journal La Parole du mercredi 26 octobre 2005. Il soutient avoir fait preuve, lors de la rédaction de ce texte, de retenue et d’une grande prudence dans le traitement de la nouvelle, «en évitant de donner préséance à cette dernière histoire dans le titre et l’entrée en matière». à la suite d’une discussion avec le directeur de l’information, au lendemain de cette conférence de presse, il atteste avoir communiqué avec M. Savoie «pour lui faire part de l’essentiel des "accusations" formulées par ce groupe contre lui». Le plaignant aurait alors indiqué «qu’il préférait ne pas réagir, pour le moment du moins, et ce, tout en donnant certaines raisons dont, […] des déclarations qui lui ont coûté cher lors d’une précédente campagne électorale». Le journaliste ajoute que cette conversation, visant à obtenir la version des faits de M. Savoie, a tout de même donné lieu à un article publié le 30 octobre 2005 dans L’ Express, sous le titre «Le conseiller Savoie demeure froid face à la pluie d’insinuations à son égard ». Le journaliste ajoute que, lors de cet entretien, il a répété à maintes reprises au plaignant qu’en tout temps, les pages du journal «lui étaient acquises pour répliquer à ces propos et aux autres qui pouvaient venir de ses adversaires». M. Martin ajoute que, quelques jours suivant ces événements, soit le 31 octobre 2005, M. Savoie «a finalement accepté de répondre à ses détracteurs par la voie d’un communiqué de presse». Le mis-en-cause fut responsable du traitement de ce communiqué, ce qui a engendré une seconde conversation téléphonique entre lui et le plaignant, lors de laquelle M. Martin assure avoir expliqué à M. Savoie que sa réplique ne répondait pas à tous les aspects de la dénonciation. Ce dernier aurait répondu qu’il souhaitait s’en tenir au contenu de son communiqué de presse. Ces faits ont conduit à la rédaction du texte «Denis Savoie n’a pu résister à la tentation de répondre», paru le 2 novembre 2005, dans La Parole de Drummondville. Le journaliste affirme également que, lors de cette seconde conversation, M. Savoie lui a «fait part de son souhait de faire publier une "lettre ouverte" d’un ex-conseiller municipal, [M.] Ovélus Demers, désirant lui signifier son appui». Le journaliste lui aurait alors rappelé la politique rédactionnelle du journal, qui était «d’éviter la publication de lettre partisane dans cette rubrique». Il l’aurait toutefois invité à en vérifier la recevabilité auprès du directeur de l’information du journal. Se rendant à l’hôtel de ville de Drummondville, le mardi 1er novembre, afin de réaliser une entrevue, publiée le 6 novembre 2005 dans L’Express, avec Mme Thérèse Cajolet, présidente des élections, M. Martin dit avoir croisé la secrétaire de la mairesse de Drummondville qui lui aurait indiqué que Mme Ruest Jutras souhaitait répliquer aux propos de M. Savoie. Elle aurait remis un communiqué de presse, présenté en annexe. Cette charge de Mme Ruest Jutras contre certaines insinuations émises par M. Savoie aurait donné lieu au texte publié dans L’Express le 6novembre 2005, sous le titre «Francine Ruest Jutras s’offre une sortie publique – Et c’est Denis Savoie qui en prend pour son rhume». L’article n’avait pu paraître précédemment puisque, selon M. Martin, «il était impossible d’en disposer dans La Parole du 2 novembre, en raison des heures de tombée». M. Martin rapporte ensuite les événements du 2 novembre 2005, où le quotidien La Tribune de Drummondville a publié un article rapportant la sortie du député, M. Normand Jutras, à l’endroit de M. Savoie. Le journaliste y fait également état de la conversation qu’il a eue avec le juge municipal de Drummondville, M. Michel Houle, qui a confirmé l’appel de M. Savoie à la suite de ses deux contraventions et qui a dû dénoncer cette intervention. Ce même jour, l’adversaire de M. Savoie, M. Jocelyn Gagné, rencontrait les représentants des médias en conférence de presse, dénonçant les gestes de M. Savoie, rendus publics par la coalition. Le journaliste explique que, par cette intervention, M. Gagné a fourni une réponse très claire et très ferme à M. Savoie qui l’a mis publiquement au défi, par voie de communiqué de presse, de dire s’il se rangeait ou non derrière les attaques de la coalition. Selon le journaliste, entre la sortie publique de la coalition et celle de M. Gagné, le plaignant avait toutes les chances possibles de nier les faits reprochés ou même de les atténuer dans l’opinion publique, notamment par l’intermédiaire des journaux du groupe Transcontinental à Drummondville, mais que c’est le plaignant qui a choisi d’agir autrement.
Réplique du plaignant
Le plaignant amorce sa réplique en faisant remarquer que l’argumentation présentée par la direction des journaux La Parole et L’Express de Drummondville ne tient pas compte de l’élément essentiel de la plainte, soit l’édition du 6 novembre 2005, jour du scrutin des élections municipales à Drummondville, alors qu’une série de quatre articles, présentant des faits et opinions qui lui étaient des plus défavorables, fut publiée, sans qu’un droit de réplique ne lui soit accordé. M. Savoie réitère que, malgré la portée de ces derniers articles, aucun journaliste de L’ Express n’a cru bon de le rejoindre pour lui offrir la possibilité de répliquer sachant pertinemment qu’il s’agissait de la dernière édition avant le scrutin. Le plaignant réplique, en premier lieu, aux commentaires du directeur de l’information, M. Jean-Claude Bonneau. Il déplore certaines des affirmations présentées par M. Bonneau, notamment lorsque ce dernier affirme que«les journaux et les journalistes n’ont pas le plein contrôle des personnes publiques qui désirent se prononcer sur tel ou tel sujet, particulièrement dans le cadre d’élections» et que «les journaux ne peuvent contrôler l’agenda d’un candidat, d’une mairesse, d’un député ou d’un homme d’affaires qui sont des personnalités publiques». En regard de cette affirmation du directeur de l’information, M. Savoie rappelle la déontologie du Conseil de presse, qui indique que « [l]es médias sont responsables de tout ce qu’ils publient ou diffusent et ne doivent en aucun temps se soustraire aux standards professionnels de l’activité journalistique sous prétexte de difficultés administratives, de contraintes de temps ou d’autres raisons d’ordre similaire». Rappelant le devoir des médias de présenter une information complète et équilibrée, M. Savoie répond que, même si les journaux n’ont pas le contrôle de l’agenda des politiciens, ils sont responsables de ce qu’ils publient. Quant au commentaire de M. Bonneau, à savoir qu’il mentait en affirmant que le journaliste Gérard Martin n’avait jamais tenté de communiquer avec lui pour obtenir ses commentaires, M. Savoie répond que ce dernier n’a pas compris le sujet principal de la plainte, soit l’édition du 6 novembre 2005, le jour du scrutin. Il explique que M. Bonneau fait référence à un article paru le 26 octobre 2005, à la suite de la conférence de presse d’une coalition, menée par M. André Komlosy, le gendre de la mairesse de Drummondville, mais que ce droit de réplique ne concerne aucunement l’édition du 6 novembre 2005. Quant à cet article du 26 octobre 2005, paru sous le titre «Denis Savoie accusé de tous les péchés de la terre par une coalition », le plaignant remarque que le journaliste, Gérard Martin, n’a jamais identifié André Komlosy comme étant le gendre de la mairesse de Drummondville, MmeFrancine Ruest Jutras, ce qu’il considère comme un élément important de la nouvelle. Le plaignant soutient que sa démarche vise à instaurer une distance entre le pouvoir politique en place et la presse locale. M. Savoie rappelle également que, dans son commentaire, M. Bonneau confirme que l’éditrice de L’Express et de La Parole assume les fonctions de présidente de la Chambre de commerce et d’industrie. Pour M. Savoie, cette situation présente une apparence de conflit d’intérêts. à son avis, «[l]’éditrice d’un journal n’a pas à défendre les intérêts des commerçants et des industriels d’une communauté au détriment du droit à l’information de la population». Lorsque MmeJohanne Marceau se vante, dans son commentaire, de siéger sur plusieurs conseils d’administration, elle va, selon M. Savoie, à l’encontre du code de déontologie du Conseil de presse du Québec et de celui de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui stipulent notamment que: «Les journalistes doivent éviter les situations de conflits d’intérêts et d’apparence de conflits d’intérêts, que ceux-ci soient de type monétaire ou non.» M. Savoie se demande de qu’elle façonune salle de rédaction peut demeurer neutre lorsque son éditrice siège à de très nombreux conseils d’administration, dont ceux de la Chambre de commerce et du Commissariat au commerce de la Ville? M. Savoie signale que, bien qu’il soit vrai que MmeMarceau ait à son actif plus de 20 ans d’expérience dans le domaine des médias,tout comme M. Jean-Claude Bonneau, elle n’a à son crédit aucune formation dans le secteur du journalisme. Il ajoute qu’elle assumait précédemment des fonctions de directrice de la publicité. Concernant la lettre ouverte envoyée par M. Ovélus Demers au journal et qui fut rejetée par la direction de l’information, M. Savoie met en doute l’impartialité et les propos des mis-en-cause, selon lesquels cette décision découlait d’une politique de l’information. Il déplore que cette lettre ait dû être payée pour être publiée, alors que le texte de M. François Grisé, un de ses anciens adversaires,a été publié gratuitement sous forme de communiqué de presse, le jour même du scrutin, sans qu’aucun droit de réplique ne lui ait été accordé. M. Savoie conclut sa réplique en rappelant que sa plainte porte principalement sur l’édition de L’Express du 6 novembre 2005 et, qu’à son avis, la situation qu’il dénonce a été confirmée par les dirigeants des médias concernés, de par les arguments présentés dans leurs commentaires. M.Savoie regrette que cette opposition systématique du journal à sa candidature n’ait pas été présentée, comme il se doit, dans un éditorial, alors que «sous des allures d’objectivité, la direction de l’information de La Parole et de L’ Express a malicieusement pris part à une vaste opération de manipulation de l’information», devenant complice des opposants à sa candidature.
Analyse
Dans sa plainte, M. Denis Savoie exprimait plusieurs doléances sur quatre articles parus dans l’édition du 6 novembre 2005 du journal L’Express de Drummondville, et remettait en question l’impartialité, l’indépendance de l’information et de la publicité et dénonçait un conflit d’intérêts. Ces griefs ont été regroupés en six ensembles. Le plaignant accuse d’abord la direction de l’information de L’Express de Drummondville d’avoir manipulé l’information, en devenant complice de ses opposants à l’élection municipale de Drummondville. Cette situation serait flagrante dans l’édition du 6 novembre 2005, soit le jour du scrutin, alors que L’Express présentait quatre articles défavorables à son élection. De l’avis du plaignant, certains de ces articles ont été retenus jusqu’à la fin de l’élection, afin d’influencer l’opinion publique. à ce sujet, le guide déontologique du Conseil indique qu’il est de la responsabilité des entreprises de presse et des journalistes de se montrer prudents et attentifs aux tentatives de manipulation de l’information. Le Conseil s’est penché sur le contexte entourant la parution des articles défavorables à la candidature du plaignant, pour déterminer s’ils pouvaient relever d’une tentative de manipulation de l’information de la part du média. Après examen, le Conseil conclut que les articles sont d’intérêt public, qu’ils sont bien situés dans le contexte électoral municipal et dans leur rapport au plaignant, et qu’ils ont été publiés dans un délai raisonnable. De plus, le Conseil considère que la diffusion d’articles présentant une opinion défavorable à une candidature, lors d’une élection, ne signifie pas automatiquement que les responsables du journal endossent cette position et qu’ils auraient dû en faire un éditorial. à cet effet, la jurisprudence du Conseil de presse indique que : « le fait de publier une nouvelle à la une n’implique pas que la direction d’un journal en encourage ou en endosse automatiquement le contenu. On imagine sans peine que si c’était le cas, elle endosserait ainsi tous les crimes crapuleux qu’elle met en lumière. » (D2000-09-019) Il en va de même pour les articles d’information publiés en campagne électorale. Ce premier grief n’a donc pas été retenu. Les deuxième et troisième griefs présentés par M. Savoie sont à l’effet que la direction de l’information du journal ne lui a pas offert de droit de réplique aux articles publiés le 6 novembre 2005 et que ceux-ci s’en trouvaient ainsi déséquilibrés. Après avoir considéré les arguments des parties, le Conseil estime que, tout au long de la campagne électorale, les divers candidats ont eu l’occasion de s’exprimer dans les pages du journal et d’exposer leur point de vue. Ainsi, les articles du 6 novembre 2005 se voulaient majoritairement en réaction à celui du 2 novembre 2005 présentant principalement la position du plaignant. De plus, lors de la campagne électorale, les divers candidats étaient libres d’organiser le nombre de points de presse qu’ils jugeaient adéquats pour informer le public. Un principe reconnu par le guide Droits et responsabilités de la presse, veut que l’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix qui doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ainsi, ces choix ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition, pas plus qu’au nombre de lignes, mais sont évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. Dans cette perspective et compte tenu que les articles du 6 novembre 2005 présentent une réplique aux déclarations de M. Savoie lui-même, le Conseil ne retient pas ces deux griefs. Le quatrième reproche exprimé par le plaignant était à l’effet que le journal L’Express avait publié le 6 novembre 2005 le texte intitulé « Denis Savoie n’a pas changé », sans que cet article ne soit signé. La déontologie du Conseil indique que les journalistes sont libres de signer ou non les textes ou les reportages qu’ils produisent. La plainte n’a donc pas été retenue sur cet aspect. M. Savoie soutient, en cinquième grief, que la direction de l’information du journal a publié, toujours le 6 novembre, un communiqué de presse sans traitement journalistique. à la lecture de l’article mis en cause, le Conseil constate qu’une mise en contexte a été faite au début de ce dernier et que le texte a subi un certain traitement. Le traitement de cet article répond donc aux normes de l’éthique journalistique. En sixième point, le plaignant reproche au journal un manquement en regard des distinctions entre l’information et la publicité, alors qu’un ancien conseiller municipal de la ville de Drummondville, M.Ovélus Demers, qui a cherché à l’appuyer publiquement par l’envoi d’une lettre ouverte au journal, a dû payer pour faire publier sa lettre. La déontologie du Conseil précise que les secteurs de l’information et de la publicité doivent être clairement départagés à l’intérieur du média et que leurs responsables doivent se montrer vigilants quant à leur politique de diffusion des lettres ouvertes. Le Conseil remarque que les mis-en-cause n’ont jamais fait part de leur politique concernant les lettres ouvertes en période électorale, ni indiqué l’avoir publiée dans les pages du journal. Il est pourtant de la responsabilité du média de faire en sorte que cette politique soit claire et accessible, particulièrement en période électorale. Aux yeux du Conseil, il est également contraire à l’éthique journalistique de faire payer un lecteur pour publier sa lettre d’opinion. Si certains propos de la lettre ouverte étaient jugés inadéquats ou incorrects, les responsables du média étaient libres de les modifier, à condition de ne pas changer le sens de la lettre. Pour ces motifs, le grief concernant la distinction entre les secteurs de l’information et de la publicité a été retenu. Le Conseil rappelle également que l’information ne peut en aucune manière être subordonnée à des impératifs commerciaux et invite, pour cette raison, L’Express de Drummondville à revoir sa politique de diffusion des lettres ouvertes, quant à la publication de lettres partisanes en période électorale. M. Savoie déplorait enfin l’apparence de conflit d’intérêts émanant des engagements sociaux de la directrice et éditrice du journal, Mme Johanne Marceau. Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter les conflits d’intérêts et toute situation qui risque de les faire paraître en conflit d’intérêts, ou donner l’impression qu’ils ont partie liée avec des intérêts particuliers. Dans le présent cas, le Conseil a pris en compte l’explication des mis-en-cause à l’effet que les fonctions de Mme Marceau, en tant que directrice-éditrice, ne l’emmènent pas à travailler directement dans la salle de rédaction, ni à exercer des fonctions similaires à celles du directeur de l’information. Comme il n’a pas été démontré que Mme Marceau s’est placée explicitement en situation de conflit d’intérêts, le Conseil n’a pas retenu le grief. Le Conseil tient toutefois à rappeler que, dans leurs fonctions, les représentants d’un journal ont avantage à garder une certaine distance avec les organismes répondant à des impératifs commerciaux et invite donc Mme Marceau, à la prudence dans le choix de ses implications sociales, afin de protéger l’image de neutralité et d’objectivité des journaux qu’elle représente. Pour l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse ne retient la plainte de M. Denis Savoie, contre le journal L’Express de Drummondville, son directeur de l’information, M. Claude Bonneau, et sa directrice-éditrice, Mme Johanne Marceau, que sur le seul grief concernant la distinction du secteur de l’information de celui de la publicité. Sous réserve des observations concernant l’apparence de conflit d’intérêts, le Conseil rejette les autres motifs de plainte contre le journal L’ Express de Drummondville .
Analyse de la décision
- C04A Article non signé
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C21D Information déguisée en publicité
- C21E Subordonner l’information à des intérêts commerciaux
- C22D Engagement social
- C23P Diffuser un communiqué sans traitement