Plaignant
M. Nicolas Chikhani
Mis en cause
M. Pierre Foglia, journaliste; M. Éric
Trottier, directeur de l’information et le quotidien
La Presse
Résumé de la plainte
M. Nicolas Chikhani reproche au
journaliste, M. Pierre Foglia, d’avoir tenu des propos discriminatoires envers
les immigrants dans sa chronique parue le 4 juin 2005 sous le titre
«Remplacer le droit par l’hygiène».
Griefs du plaignant
M. Nicolas Chikhani reproche au journaliste
d’avoir insulté ouvertement et gratuitement l’ensemble des immigrants du Canada
et plus particulièrement ceux du Québec. Selon lui, le chroniqueur et son
journal sont bien connus du public québécois et ne doivent donc, sous aucun
prétexte, sous-estimer la portée de leur propos.
Dans son argumentaire, le plaignant tient à
démontrer que le journaliste aurait failli à ses responsabilités de
journaliste. La chronique a été écrite dans le cadre de la libération de Karla
Homolka où M. Foglia s’insurgeait contre l’État de droit, dans lequel vit le
Québec. Ce faisant, le journaliste aurait manqué de respect envers les
immigrants et violé son code d’éthique.
Le plaignant reconnaît que le rôle de
chroniqueur permet une latitude dans la façon dont ce dernier peut aborder
l’actualité et poser ses réflexions personnelles. Cependant, il considère que
le journaliste a transgressé la latitude permise.
M. Chikhani maintient que les extraits
suivants illustrent la justification de sa plainte.
«Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, on est un
pays d’immigration, faut faire avec. Y en a des très bien et y en a des
tueurs en série. Tu peux jamais savoir avec l’immigration: c’est une
loterie.»
«Le plus maudit, c’est que des fois le premier arrivant
(immigrant) sic lui-même est correct, ou trop occupé à s’installer dans
son nouveau pays pour faire des mauvais coups. Mais c’est ses enfants. Ou
ses petits-enfants. L’a-ta-vis-me. Atavisme, ça veut dire:
« dans le sang ». Ils ont ça dans le sang.»
«Commençons donc par tenir un registre des immigrants et
de leurs descendants, un peu sur le même modèle que le registre des
prédateurs sexuels.»
«On le sait, pourtant. Juste à leur nom avec des
« k » et des « z » dedans. Juste l’accent. Le regard. Mais
la loi les protège sous prétexte qu’ils n’ont rien fait. Y ont rien fait
pour l’instant.»
«Et de toute façon, saviez-vous que seulement 0,5 % de
tous les crimes commis le sont par des récidivistes? Cela veut dire que
99,5% des crimes sont commis par de nouveaux criminels.»
De cette dernière affirmation, le plaignant
en conclut qu’il faut comprendre que dans le 99,5 % figure un bon nombre
d’immigrants.
Selon M. Chikhani, le journaliste porte
gravement atteinte, par les extraits ci-haut mentionnés, à la réputation des
immigrants ainsi qu’à leur famille et leurs proches, «en les accusant,
les ridiculisant et en les réduisant à un fatalisme criminel». Il ajoute
que ce genre de propos est calomnieux et seraient passibles de poursuite
judiciaire. Sans en arriver jusque-là, fait-il remarquer, il apprécierait que
M. Foglia se rétracte, s’excuse ou s’explique.
Le plaignant remet en question la
responsabilité du média d’avoir permis la publication de cette chronique. Selon
lui, il n’y avait aucune nécessité à cibler si férocement les immigrants et de
généraliser la situation de façon si attentatoire. Il ajoute qu’il n’y a aucun
lien causal entre la libération de Karla Homolka et l’intégrité des immigrants
québécois. Faire ce lien et publier un article qui le clame est une décision
rédactionnelle et un choix de contenu inapproprié. Selon M. Chikhani, le but de
cette chronique était la provocation et
le sensationnalisme et cela va même jusqu’à l’incitation au racisme, car les
propos du chroniqueur ne sont ni satiriques, ni drôles, ni légers. De plus,
ajoute-t-il, le fait que M. Foglia soit de descendance italienne ne lui permet
pas de manquer de respect envers d’autres immigrants.
Le plaignant considère que les propos du
chroniqueur peuvent être considérés comme de la propagande haineuse. Ce qui n’a
aucune raison d’être dans une société démocratique, souligne-t-il.
Commentaires du mis en cause
M. Éric Trottier considère que pour ceux
qui lisent les chroniques de M. Foglia, publiées depuis plus de 30 ans, il
apparaît évident qu’il n’est pas raciste. Au contraire, il est, selon le mis-en-cause,
l’un des journalistes qui a ouvert le Québec au monde. Il ajoute que M. Foglia
parcourre la planète pour écrire des reportages souvent émouvants qui ont
toujours le même but: nous faire découvrir de nouvelles cultures.
Il souligne que M. Foglia est un immigrant
ayant vécu d’abord en Italie, avant de s’installer en France, puis au Canada.
Selon le mis-en-cause, la chronique était
un texte ironique et devait se lire au deuxième degré. Par ces phrases crues,
M. Foglia voulait déranger et faire réfléchir les Québécois qui, parfois ou
souvent, croient que les immigrants amènent la criminalité dans notre pays.
M. Trottier termine en mentionnant qu’il
s’étonne que le Conseil de presse accepte de traiter ce genre de plainte basée
sur l’évidente mauvaise compréhension du lecteur. Il lui semble que dans les
cas de plaintes, qu’il juge frivoles, le Conseil devrait jouer un rôle
pédagogique auprès des plaignants. Autrement, conclut-il, «les directions
de l’information passeront l’essentiel de leur temps à répondre aux plaintes…
plutôt qu’à veiller à la qualité de l’information».
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a soumis aucune réplique.
Analyse
La fonction de chroniqueur accorde une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Il permet aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Toutefois, le chroniqueur doit éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’il emploie, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes.
Au premier grief dénoncé par le plaignant, ce dernier reprochait au journaliste d’attaquer la réputation des immigrants ainsi que celle de leurs familles en alléguant que la criminalité est un atavisme chez ces derniers. Le mis-en-cause soutient que la chronique devait être lu au deuxième degré et que le journaliste voulait plutôt faire réfléchir les Québécois sur leur propre perception des immigrants.
Selon le Conseil, bien que certains passages de la chronique aient pu choquer le plaignant, celle-ci ne contrevenait pas pour autant à la déontologie.
Au deuxième grief, le plaignant reprochait au journaliste et à la direction de La Presse le choix du contenu de la chronique qu’il juge irresponsable et inapproprié.
La déontologie du Conseil mentionne que l’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel.
La chronique relatait un événement d’intérêt public, soit la libération de Karla Homolka. Le Conseil rappelle que la chronique accorde en général une grande place à la personnalité de son auteur. De surcroît, rien ne permet au Conseil, de conclure à une intention malveillante, de la part du journaliste, envers les immigrants. En conséquence, ce grief n’est pas retenu.
Au dernier grief, le plaignant reprochait au journaliste de véhiculer des faussetés, ayant pour but la provocation et le sensationnalisme.
Dans sa chronique le journaliste raconte que les Québécois jugent la peine infligée par les tribunaux à Karla Homolka insuffisante. Afin de démontrer le respect dû à l’État de droit, le journaliste propose, par opposition, le «droit par l’hygiène». La chronique est écrite sur un ton satirique démontrant que de se faire justice ne pourrait être préférable au système actuel.
Compte tenu de la liberté reconnue à ce genre journalistique, le Conseil n’y a pas perçu de manquement à la rigueur journalistique. Le journaliste ne s’acharne pas sur un groupe d’immigrants ou sur le plaignant. De plus, le plaignant n’a démontré aucune inexactitude dans le texte de la chronique. Pour ces raisons, le grief ne peut être retenu.
Considérant les éléments ci-haut mentionnés, le Conseil rejette donc la plainte de M. Nicolas Chikhani à l’encontre du journaliste, M. Pierre Foglia et du quotidien La Presse.
Dans ses commentaires, M. Éric Trottier, directeur de l’information de La Presse, s’étonne que le Conseil de presse accepte de traiter ce genre de plainte qui, dit-il, est basé sur la mauvaise compréhension du lecteur.
À ce sujet, le rôle du Conseil de presse est de recevoir toutes les plaintes concernant de présumés manquements à l’éthique journalistique tels qu’exposés dans son guide, Droits et responsabilités de la presse, quand le média en cause n’a su assurer, lui-même, une réponse adéquate à la partie plaignante.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C03A Angle de traitement
- C11B Information inexacte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination