Plaignant
M. Jean Lapierre
Mis en cause
M. Patrick Lagacé, journaliste; M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. Jean Lapierre porte plainte contre Le Journal de Montréal et le journaliste Patrick Lagacé qui, au cours de reportages à son sujet et au sujet du Syndicat regroupé des cols bleus, aurait commis plusieurs fautes à l’éthique journalistique, plus particulièrement dans ses articles des 23et 24 février 2006, des 12 et 26 avril 2006 ainsi que celui du 8 mai 2006.
Griefs du plaignant
M. Jean Lapierre dépose une plainte contre le journaliste Patrick Lagacé et son employeur, LeJournal de Montréal, parce qu’au cours de reportages à son sujet et au sujet du Syndicat regroupé des cols bleus, le journaliste aurait commis plusieurs manquements à l’éthique journalistique, notamment dans ses articles des 23et 25 février 2006, « un espion chez les cols bleus », des 12 et 26 avril 2006 « les grandes épouses » et « la grande purge des bleus » ainsi que dans l’article du 8 mai 2006 intitulé « Liberté 104 000 ».
Selon M. Lapierre, le journaliste aurait exercé son rôle de façon biaisée en présentant de l’information erronée, démontrant ainsi un manque de rigueur, privant les sujets de ces reportages de leur droit de réponse et en s’attaquant à la réputation de son épouse ainsi qu’à celle de MmeDiane Gagnon.
M. Lapierre indique qu’à la suite du premier reportage, le 23 février 2006, il a parlé à M. Lagacé la journée même, pendant une dizaine de minutes, pour contester son article « un espion chez les cols bleus » qui était rempli de propos inexacts et mensongers. Lors de cette conversation, il aurait clairement expliqué au journaliste les faits erronés de son article. Le plaignant détaille alors les éléments qu’il estime inexacts et tout ce qu’il a clarifié au sujet des micros, des caméras et autres dispositifs d’écoute électronique installés dans les locaux du syndicat. Il donne des explications sur les raisons de la présence de certains équipements de même que sur la facture d’environ 4000$, sur la firme d’investigation qui aurait supposément installé le système et sur la configuration des lieux. Les motivations électorales des sympathisants de l’équipe Lapointe, l’équipe qui opposée à celle des amis de M. Lapierre, ont également été abordées lors de la conversation.
Le plaignant ajoute que sans indiquer qu’il était en train de préparer un suivi à son article sur l’espionnage, et plutôt que de corriger ses prétentions de la veille, M. Lagacé a écrit un autre article sur le même sujet le 24 février 2006, la veille de l’assemblée générale électorale du syndicat. Il aurait alors modifié sa version de la veille, sans explication, annonçant que trois directeurs étaient sous écoute. M. Lapierre explique que ces informations sont fausses puisque ces trois directeurs, en 1989, n’avaient pas de bureaux dans ces locaux. Ainsi, le journaliste n’aurait accepté de ne reprendre que les informations concernant les motivations électorales de l’équipe Lapointe et n’aurait pas mentionné les corrections des faits qui avaient été portées à son attention, contraignant ainsi le plaignant à accorder plusieurs entrevues à d’autres médias « pour tenter de réduire l’impact pervers qui s’en est suivi ».
M. Lapierre raconte ensuite que ces deux articles ont eu comme répercussion qu’une partie des médias québécois ont repris l’histoire dans leurs bulletins de nouvelles. Mais que lorsque des preuves ont été exigées de M. Lagacé, celui-ci se serait réfugié derrière des sources anonymes. Le plaignant rappelle alors que selon le guide des principes du Conseil de presse, l’utilisation de sources anonymes doit être justifiée et demeurer exceptionnelle; et que l’anonymat requis par des sources ne doit pas constituer pas un subterfuge pour manipuler l’opinion publique. Pour M.Lapierre, le journaliste « a omis cette étape cruciale». De plus, M. Lagacé aurait reconnu dans les médias ne pas avoir de preuves directes et ne pas connaître le nom de la compagnie qui a installé le supposé système d’écoute électronique.
Le plaignant rapporte ensuite que M. Lagacé a écrit sur son blogue plusieurs propos diffamatoires à son sujet, le traitant « entre autres de menteur, de brute et d’avoir l’air fou pour l’avoir confronté et être frustré qu’il écrive des faussetés qui font le tour du Québec dans ses articles ». Le journaliste aurait poussé la provocation en apparaissant dans l’émission «Les Francs-Tireurs» dans un sketch reprenant sa série d’articles. Le plaignant en déduit que M. Lagacé est « loin de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements et n’est pas livrée dans un esprit d’équité et de justice ».
M. Lapierre dénonce ensuite l’article du 12 avril 2006, dans lequel le journaliste s’attaquerait à la réputation de son épouse ainsi qu’à celle de MmeDiane Gagnon. Ses reproches concernent la prise de position du chroniqueur sur une résolution de l’assemblée générale du syndicat visant à rendre hommage à des épouses de membres très impliqués dans le syndicat. Le journaliste aurait attribué erronément à l’exécutif la résolution et n’aurait jamais contacté Mme Savignac à ce sujet pour obtenir sa version des faits. Le journaliste se serait également attaqué à la réputation des deux dames en question et aurait publié des informations inexactes à leur sujet.
En ce qui a trait à l’article du 26 avril 2006 publié le matin même d’une journée d’assemblée générale du syndicat, M. Lapierre déplore que le journaliste n’ait présenté qu’une seule version des faits. Il aurait aussi repris « ses propos inexacts sur l’espionnage, fait encore des références à peine voilées sur Manon Savignac et rajouté des allégations sensationnalistes comparant le syndicat au parti communiste de l’époque de Staline. » Il aurait « encore une fois, dans le cadre de cet article, présenté l’information sans clarifier la version des faits du syndicat », n’accordant pas un temps raisonnable au porte-parole syndical pour le rappeler. Le plaignant considère que les propos du journaliste dans cet article mettent en doute l’intégrité de certaines personnes s’impliquant sur un comité du syndicat.
Pour ce qui est de l’article intitulé « Liberté 104 000 », M. Lapierre explique ensuite que le journaliste «continue sa campagne contre Michel Parent, contre le « 301 » et moi-même en reprenant ses articles précédents ainsi que les erreurs de précision de son collègue André Beauvais, que ce dernier a corrigé en partie deux jours plus tard […] ». Si certaines corrections ont été publiées par le journaliste André Beauvais, jamais les informations de M. Lagacé n’ont été rectifiées et jamais Le Journal de Montréal n’a publié les lettres des deux cols bleus qui critiquaient M.Lagacé.
M. Lapierre annexe à sa plainte 97 pages d’annexes pour appuyer ses affirmations et copie d’enregistrements vidéo d’émissions auxquelles participait le journaliste mis en cause.
Commentaires du mis en cause
Avant de répondre en détail aux reproches de M. Lapierre, M. Patrick Lagacé commence par expliquer pourquoi il a écrit depuis quelques mois sur le leadership syndical des cols bleus de la Ville de Montréal et particulièrement sur les agissements de M. Jean Lapierre, son ex-président, toujours actif auprès de la section « 301 » du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).
Le journaliste expose d’abord l’influence du syndicat sur la vie municipale et indique qu’à titre de « city columnist » au Journal de Montréal, il a commencé à s’intéresser au fonctionnement interne de ce syndicat. Il a débuté par deux articles sur l’installation de micros dans le local du syndicat, en 1989, installation qui aurait été « faite à la demande de M. Lapierre et de son bras droit de l’époque, Denis Maynard ».
Le journaliste ajoute que depuis la publication de ces articles, plusieurs personnes de l’entourage du leader syndical, incluant (mais pas uniquement) des membres de l’équipe politique s’opposant à l’équipe fondée par Jean Lapierre, lui ont régulièrement transmis des informations sur les agissements du leader syndical des cols bleus, sur des choses qui se trament en coulisses, des choses que ledit leadership préférerait « voir rester dans l’ombre ». Quand ces informations sont vérifiables, explique-t-il, elles débouchent parfois sur une chronique, sinon, elles restent lettre morte.
M. Lagacé estime que la demi-douzaine de chroniques écrites sur le fonctionnement interne du syndicat depuis la série portant sur l’installation des micros au local des cols bleus est d’intérêt public. Elles apportent, selon lui, un éclairage inédit sur un des centres de pouvoir les plus importants de la vie municipale et dont les rouages sont jalousement cachés au public.
Il ajoute que la raison pour laquelle elles ont porté notamment sur M. Jean Lapierre est que celui-ci « est encore très actif, très influent au sein du « 301 », et cette influence dépasse le cadre de son mandat de conseiller spécial du président Michel Parent. M. Lapierre est un homme public, dont les pensées, agissements et paroles ont un impact direct et considérable sur la sphère publique : c’est pour cette raison, et uniquement pour cette raison, qu’il a fait l’objet de chroniques de ma part ».
M. Lagacé répond ensuite en détail aux allégations du plaignant.
– Le journaliste commence par la communication téléphonique d’une dizaine de minutes tenue à la suite de son premier article. Il rapporte avoir un souvenir radicalement différent de celui de M. Lapierre, alors que ce dernier jouait le rôle d’intervieweur, tentant de connaître ses sources, ce qui aurait occupé la plus grande partie de leur conversation. L’autre partie aurait servi à nier l’information et à lui dire à quel point il était manipulé par «l’équipe Démocratie ». Il ajoute que c’est de cette entrevue qu’il a tiré les informations pour son texte du lendemain, le 24 février; et entre autres « sa déclaration selon laquelle il n’aurait pas lui-même enregistré un camarade col bleu, enregistré à son insu début 2006 (bande audio que M. Lapierre a diffusé devant une centaine de camarades)». M. Lapierre n’aurait pas mentionné non plus, lors de cet échange, les détails qu’il décrit dans sa plainte.
– En ce qui a trait au nom de la firme d’investigation privée qui a installé le système, le journaliste affirme qu’il en connaît le nom, ou plutôt les noms, puisque la raison sociale a changé au cours des années. Il ajoute que lorsque M. Lapierre lui a posé la question lors d’une émission télévisée à TQS, il ignorait sous laquelle des raisons sociales elle opérait en 1989.
– En réponse au reproche de M. Lapierre de soulever le contexte électoral en cours, au sein du syndicat des cols bleus « plutôt que de corriger ses prétentions de la veille… », le journaliste répond qu’il a cité le 24 février les certitudes de M. Lapierre à l’effet que cette histoire d’espionnage émanait de ses opposants politiques au sein du syndicat. Mais il lui aurait répondu et même écrit dans le Journal que les sources principales dans l’histoire du système d’espionnage électronique installé en 1989 ne sont pas d’origine syndicale. Le journaliste précise qu’il avait d’ailleurs déjà commencé à « fouiller » cette histoire en 2000, à la suggestion d’un journaliste pigiste de sa connaissance. Ses sources dans l’affaire des micros ne seraient donc pas des adversaires politiques de M. Lapierre.
– En ce qui a trait à l’accusation du plaignant, d’avoir modifié sa version de la veille dans son article du 24 février, M. Lagacé répond : « Cela est faux. Je n’ai rien modifié. J’ai simplement précisé, en suivi, l’occupation des gens que M. Lapierre voulait espionner, quand il a fait installer le système. Le journaliste aurait également soulevé le cas récent d’un officier du syndicat, enregistré à son insu en 2005, dont les propos ont été publiquement diffusés dans le contexte d’une assemblée syndicale; et son article relatait les propos de M. Lapierre, rapportés par Me Daniel Pelletier, l’avocat de l’homme enregistré, lorsque M. Lapierre a diffusé ces propos devant des camarades cols bleus. »
– En réponse à M. Lapierre qui déplore avoir eu à accorder « plusieurs entrevues à d’autres médias» pour rétablir les faits, le journaliste répond qu’il ne peut contester que M. Lapierre a fait une tournée médiatique importante. Mais, l’ennui, selon lui, c’est qu’il a choisi de donner ses explications partout sauf au Journal de Montréal. Le journaliste affirme que les 21 et 22 février, il a fait savoir au syndicat des cols bleus qu’il désirait lui parler au sujet de l’affaire d’espionnage et que la demande a été transmise à M. André Lepage, officier du syndicat, mais que M. Lapierre ne l’a rappelé qu’en soirée le 23 février.
– Au sujet des sources anonymes derrière lesquelles il est accusé de se « réfugier », le journaliste répond que le recours à des sources anonymes est une pratique reconnue partout où il existe une presse libre, pourvu que cela se fasse dans le cadre de balises bien définies. Il dit avoir convaincu ses sources de parler et qu’il ne s’agit ni d’un appui à des protagonistes désirant nuire à MM.Lapierre et Maynard, ni d’une tentative de manipulation de l’opinion publique. En recourant à des sources anonymes, M.Lagacé estime avoir respecté en tout point l’esprit et la lettre du guide de déontologie de la FPJQ sur les sources anonymes et respecté les trois exigences décrites à l’article 6a) de ce guide. Il ajoute avoir expliqué aux lecteurs que ses sources ont été interrogées séparément; qu’elles possédaient une connaissance intime du dossier; qu’elles n’appartenaient pas à l’équipe électorale opposée à celle appuyée par M. Lapierre; et que sa première tentative d’exposer le sujet remontait à 2000, mais que le Journal n’avait alors rien publié.
– En ce qui concerne l’aveu qu’il aurait fait de « ne pas avoir de preuves directes » de sa demande d’installer des micros pour espionner les gens fréquentant son local syndical, le journaliste indique que ce qu’il a expliqué, c’est qu’il ne possédait « pas de « smoking gun », de bandes vidéo montrant M. Lapierre installant/faisant installer des micros »; mais qu’il a ensuite expliqué la façon dont les journalistes utilisent des sources anonymes et que les versions recueillies auprès de ses sources concordaient.
– En regard de l’accusation d’avoir diffamé M. Lapierre et de l’avoir traité de « brute » et de «menteur», le journaliste fait observer que cette accusation vise un blogue. Or, pour lui, « ce moyen de communication récent n’a pas la même fonction et le même objectif que les médias traditionnels, tels que les journaux. Des propos sont exprimés de façon personnelle par le blogueur et les intervenants de façon interactive et dans un style et une forme éclatée favorisant l’échange et la libre expression des commentaires et d’opinions ». Donc, pour M.Lagacé, « Il est loin d’être acquis que le Conseil de presse du Québec soit le forum approprié pour traiter de plaintes visant des communications diffusées sur un blogue ». Le journaliste continue en indiquant qu’il a décidé de répondre aux allégations de M.Lapierre. Il détaille alors les raisons pour lesquelles le plaignant a été qualifié de « brute ». Ses explications reposent sur des exemples de la conduite du leader syndical en différentes occasions et se concluent par : « On peut avancer qu’une personne raisonnable, à la lumière des faits énoncés ci‑haut, en viendrait à la conclusion que M. Lapierre est une brute ». Il continue ensuite en niant avoir promis de ne jamais révéler l’identité du militant Daniel Andrews que M. Lapierre aurait fait enregistrer à son insu. Et il reproche, à son tour, au plaignant ses propos mensongers.
– Au sujet de l’accusation du plaignant « d’être incapable de tout reportage objectif » à son égard, M. Lagacé répond qu’il exerce la partie recherche et vérification des faits de son travail avec objectivité et rigueur et que le cas de M. Lapierre n’a pas fait exception. Il reconnaît que comme chroniqueur, la rédaction de ses articles « est livrée avec une subjectivité, une couleur et un ton qui dépassent le simple texte de nouvelle». Il ajoute que cette prérogative du chroniqueur a maintes fois été reconnue et avalisée par le Conseil de presse du Québec.
– En réponse à M. Lapierre qui affirme qu’il est « commun à plusieurs organismes » de nommer des gens membres honorifiques, le journaliste reconnaît qu’il est vrai que plusieurs organismes reconnaissent l’engagement, le travail de certains membres ou employés. Mais il estime que « reconnaître les épouses de ces membres est un geste exceptionnel et rarissime ». Le journaliste affirme avoir contacté le « 301 » en expliquant qu’il allait écrire à ce sujet, mais qu’il n’a jamais eu de réponse et qu’il a dû déduire que cet honneur était exceptionnel en parlant avec des sources non officielles, militants actuels et passés du « 301 ».
– Le journaliste répond ensuite à l’accusation de ne pas avoir tenté de rejoindre son épouse, Mme Manon Savignac, pour la chronique « Les grandes épouses », et de s’être attaqué à sa réputation. M. Lagacé expose ses démarches, lorsqu’il écrit sur les cols bleus, pour démontrer que le plaignant et ses collègues ont amplement la chance de commenter et d’apporter leur version des faits. Il ajoute que la stratégie de communication médiatique de ce syndicat est souvent nébuleuse et indique avoir joint en annexe nombre d’articles trouvés dans LaPresse et Le Devoir « où il est écrit en toutes lettres que le syndicat des cols bleus ne retourne pas les appels des journalistes, même dans les dossiers importants ». Il explique que la veille de la publication de la chronique en question, il a contacté deux fois le « 301 » et que si M.Lapierre l’avait rappelé, il aurait pu le mettre en contact avec son épouse ou leur accorder un délai pour faire des recherches ou organiser sa réponse. Enfin, en ce qui concerne les comportements de Mme Savignac, il affirme avoir écrit noir sur blanc qu’elle n’avait pas droit de parole en assemblée syndicale, mais que cela ne l’avait pas empêchée « d’apostropher des cols bleus dans la salle de l’assemblée pour leur dire sa façon de penser ». Ces échanges ont d’ailleurs eu lieu en public, devant plusieurs témoins.
– Le mis-en-cause répond ensuite au reproche de ne pas avoir rectifié les faits contenus dans sa chronique «Liberté 104 000 » et de ne pas publier les lettres des cols bleus le critiquant. Il explique que Le Journal de Montréal a publié les commentaires de M. Lapierre à l’effet que le contrat qui lui avait été consenti pour conseiller M. Parent était de 98000 $ par année et non pas de 104 000 $. Le journaliste ajoute que cet écart de 6000 $ aurait pu être évité si M.Lapierre avait retourné ses appels et ceux du journaliste André Beauvais la veille de la publication des articles et non le jour même; et que la correction de cet écart couvrait tant les papiers d’André Beauvais que les siens. Quant aux lettres des cols bleus, il répond qu’un quotidien reçoit des dizaines de lettres par jour et qu’elles ne peuvent pas toutes être publiées. Il ajoute que M. Lapierre est lui-même venu le critiquer sur son blogue où non seulement ses propos n’ont pas été censurés ou amendés, mais où il leur a donné un écho important.
– À l’accusation d’avoir laissé entendre que Mme Gagnon, ex-épouse de M. Denis Maynard, s’est fait donner un emploi par le syndicat, le journaliste répond qu’il n’a jamais mis en doute les compétences de Mme Gagnon. Ce qu’il aurait soulevé, c’est le fait que Mme Gagnon soit une proche de Denis Maynard. Plusieurs militants syndicaux croient que le fait que MmeGagnon soit l’ex-épouse de M. Maynard, grand ami de Jean Lapierre, n’est pas tout à fait étranger à son embauche, toute compétente soit-elle.
Réplique du plaignant
M. Lapierre reproche au journaliste de n’avoir jamais tenté de connaître les détails du mandat qui lui a été confié à la suite de son départ de la présidence du syndicat.
Le plaignant aborde ensuite les articles portant sur l’espionnage et les commentaires injurieux. Il reproche au journaliste de nier que lors de cette conversation il lui a donné les faits mentionnés dans cette plainte et qu’il semblait au courant de ces faits lors de l’entrevue avec M. Dutrizac quelques jours après. De plus, lors de la même entrevue, le journaliste ne connaissait pas le nom de la firme qui a supposément installé le système. Il aurait alors pris l’engagement de préciser cette information ultérieurement et répété cet engagement dans son blogue du 9 mai, mais ne l’aurait pas encore fait. Il reproche également à M. Lagacé de n’avoir jamais tenté, dans sa recherche, de rejoindre M. Denis Maynard.
En ce qui concerne l’anonymat des sources, le plaignant écrit que cet anonymat empêche de pouvoir confronter l’affirmation de M. Lagacé et de faire ressortir l’information véridique.
M. Lapierre reproche au journaliste de faire « un mystère concernant ses sources pseudo- indépendantes ». Il affirme alors que parmi celles-ci se retrouvent deux ex sous-traitants du Syndicat, qui avaient notamment promis de le salir publiquement s’il maintenait son appui au président. Il identifie également un avocat dont le contrat a pris fin en février 2005 et qui a été un des membres fondateurs de l’équipe adverse et un informaticien mis à pied et ami de l’avocat. Il ajoute à la liste une secrétaire ayant perdu son emploi et le leader de l’équipe de l’opposition, ainsi que certains membres de son équipe.
Le plaignant reproche aussi au journaliste de le faire passer pour un individu violent qui commanderait des représailles physiques contre ses sources, et pour justifier le qualificatif de brute, d’utiliser deux exemples d’événements du passé. M. Lapierre réplique qu’il est tout aussi facile de faire le portrait opposé et il donne des exemples de sa collaboration avec la police pour ramener une manifestation au calme ainsi que des exemples de son implication sociale. Il répond ensuite à la « manŒuvre d’intimidation juridique » dont parle le journaliste, expliquant qu’il avait lui-même reçu deux mises en demeure et des menaces de poursuite envoyées par un membre de l’équipe adverse et ex sous-traitant du Syndicat.
Le plaignant s’attaque ensuite à la déclaration du journaliste voulant qu’il ait fait enregistrer M.Daniel Andrews à son insu. Il reconnaît avoir fait jouer l’enregistrement, mais affirme que celui-ci a été fait par deux membres du comité de négociation de leur propre initiative, qui l’ont eux-mêmes reconnu. Au sujet de l’article sur Mmes Manon Savignac et Diane Gagnon, le plaignant dénonce le fait que le journaliste s’attendait à un retour d’appel dans les minutes suivantes alors que, comme retraité, il passe environ une fois par semaine au bureau; d’autant plus qu’il n’y avait aucune urgence à publier l’article et que M. Lagacé n’a fait aucun effort pour contacter ni Mme Savignac ni Mme Gagnon qui, elle, travaillait au bureau à tous les jours. Il conteste ensuite les faits concernant son intervention lors de l’assemblée du 25 février 2006, dont le journaliste était d’ailleurs absent.
Enfin, en ce qui a trait au blogue, le plaignant explique qu’il faut faire une différence entre un blogue purement personnel et un blogue supporté par le Journal de Montréal sur le site de Canoë et avec le logo du journal. Dans ce dernier cas, le journal possède un pouvoir de modération sur le forum, tel qu’expliqué aux règlements du blogue. Il reproche au journaliste de ne pas intervenir quand les blogueurs tiennent des propos injurieux à son égard. En outre, le journaliste ne tient aucunement compte des précisions qu’il a écrites sur le blogue concernant le paiement de son salaire.
Le plaignant réfute ensuite les arguments à l’effet que les cols bleus sont difficiles à rejoindre, évoquant notamment comme explication une période de négociations où les parties s’étaient entendues pour ne pas faire de commentaires publics. Il termine en dénonçant le manque d’objectivité du journaliste et son problème de « gestion sélective » de l’information.
Analyse
Les premiers griefs considérés concernaient les manquements à l’exactitude et à la rigueur de l’information. Sur la foi des déclarations du journaliste mis en cause et sur la base de documents fournis pour confirmer ses déclarations, le Conseil a rejeté les griefs d’inexactitude contre les articles des 23 et 24 février 2006, qui portaient notamment sur l’installation de micros clandestins.
En ce qui concerne l’article du 12 avril 2006, portant sur une résolution de l’assemblée générale du syndicat pour rendre hommage à des épouses de membres très impliqués dans le syndicat et que le journaliste aurait attribuée erronément à l’exécutif, le Conseil a observé que le journaliste n’a pas contredit cette accusation. Après examen, le Conseil a estimé que tout en étant réelle, cette inexactitude pouvait être considérée comme mineure à l’échelle du dossier.
Dans ce même article, le journaliste aurait aussi publié des informations inexactes au sujet de Mmes Savignac et Gagnon. En ce qui a trait à la première, le plaignant n’avait pas précisé les inexactitudes. En regard de Mme Gagnon, le journaliste aurait laissé entendre que cette dernière s’était fait donner un emploi par le Syndicat, ce que contredisait le plaignant. L’usage veut que devant des versions contradictoires, le Conseil refuse de prendre position, considérant que le grief n’est pas démontré. Toutefois, le Conseil rappelle le journaliste à la prudence parce que de telles affirmations non démontrées équivalent à des insinuations et peuvent avoir une incidence, d’un point de vue éthique, sur les personnes.
Le second groupe de griefs à être examiné concernait le manque d’équilibre, l’information incomplète et l’absence d’une version des faits. Le grief fait au journaliste de ne reprendre qu’une partie des informations, n’a pas été retenu sur la base du principe maintes fois rappelé par le Conseil voulant que le choix des faits et des événements rapportés de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relèvent de la discrétion des journalistes et des directions des salles de nouvelles des organes de presse.
Quant au grief voulant que le journaliste n’ait jamais contacté Mme Savignac pour obtenir sa version des faits, les versions contradictoires des parties ont conduit, ici encore, au rejet du grief. Il en va de même pour le reproche de ne pas avoir accordé à M. Michel Parent assez de temps pour réagir avant la parution de l’article du 26 avril.
Rien ne permet, en effet, d’affirmer que le journaliste n’a pas fait tous « les efforts raisonnables » dans les circonstances. En outre, le Conseil a observé que lorsqu’il a obtenu un retour d’appel et recueilli l’opinion de M. Lapierre, le journaliste l’a rapportée, même quand cette opinion représentait une prise de position contraire à la sienne. Le grief suivant visait le manque de rigueur et le sensationnalisme dont aurait fait preuve le journaliste dans son article du 26 avril en comparant le syndicat au parti communiste de l’époque de Staline.
Selon le guide de principes du Conseil de presse, la liberté rédactionnelle reconnue au genre journalistique de la chronique permet aux journalistes d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. Après examen, le Conseil a donc considéré que, toute satirique qu’elle soit, cette chronique ne dépassait pas les limites de l’acceptable. Ainsi, le grief n’a pas été retenu.
Venait ensuite la rubrique des manquements en regard du respect de la réputation et de la personne. Selon le plaignant, dans son article du 12 avril, le journaliste s’attaquait aux réputations de Mesdames Savignac et Gagnon en décrivant notamment un comportement grossier de son épouse. Après analyse des documents, le Conseil a conclu que l’inexactitude en regard des qualificatifs utilisés (ignoble vs traître) était mineure et que ceux-ci ont été prononcés en public par l’épouse du plaignant. Le grief a donc été rejeté.
Toujours en regard du respect des personnes, la chronique du 26 avril a été évaluée dans son contexte, soit celui du journalisme d’opinion. Le plaignant reprochait au journaliste de remettre en doute l’intégrité des personnes visées, mais n’a contredit aucun fait de l’article de M. Lagacé, comme par exemple la composition des comités ou son affiliation. C’est pourquoi ce grief n’a pas été retenu.
Le Conseil a ensuite étudié le grief voulant que l’article intitulé « Liberté 104000» contienne des erreurs qui n’ont pas été rectifiées par le journaliste mis en cause; et que Le Journal de Montréal ait également omis de publier les lettres de deux cols bleus qui critiquaient M. Lagacé.
Comme l’examen des griefs aux motifs d’inexactitude n’a révélé qu’un élément considéré comme mineur, le Conseil a considéré que les précisions apportées par M. André Beauvais dans son article pouvaient être considérées comme satisfaisantes. Par ailleurs, comme il l’a été maintes fois mentionné dans la jurisprudence du Conseil, même s’il est recommandé de le faire dans la mesure du possible, le quotidien n’avait pas l’obligation de publier les lettres des deux lecteurs. Ce grief n’a pas non plus été retenu.
Le dernier bloc de griefs considéré visait le droit de réplique du journaliste et la délicate question de la liberté de l’information et du devoir de réserve, en raison des propos de M. Lagacé sur un blogue diffusé sur Canoe.com. L e plaignant reprochait notamment au journaliste de l’y avoir traité «de menteur, brute et d’avoir l’air fou ».
Après discussion, le comité des plaintes et de l’éthique de l’information a considéré que la véritable question est de savoir s’il est conforme à l’éthique qu’un journaliste puisse couvrir un événement, traiter le sujet en rapportant dans son journal les comportements d’une personne et, en même temps, interpeller cette personne sur une autre tribune publique – quelle que soit cette tribune – pour se moquer d’elle, la provoquer et la ridiculiser? Il n’existe aucun exemple probant dans la jurisprudence du Conseil ni de réponse directe à cette question dans le guide Droits et responsabilités de la presse.
Cependant, deux principes énoncés dans ce guide peuvent aider à clarifier la meilleure conduite à tenir dans des circonstances analogues. Le premier veut que pour préserver leur crédibilité professionnelle, les journalistes soient tenus à un devoir de réserve quant à leur implication personnelle dans diverses sphères d’activités sociales, politiques ou autres qui pourrait interférer avec leurs obligations de neutralité et d’indépendance et leur crédibilité. L’autre principe veut que le droit de réponse des journalistes aux commentaires des lecteurs, doit être exercé avec discernement et dans le plein respect des personnes. Les journalistes ne doivent pas se prévaloir de ce droit pour dénigrer, insulter ou discréditer les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs.
Pour ces raisons, le Conseil a retenu le grief sur cet aspect du devoir de réserve. Pour les motifs exposés sur les aspects spécifiés plus haut, le Conseil de presse ne retient donc la plainte de M. Jean Lapierre contre le journaliste Patrick Lagacé et Le Journal de Montréal que sur le seul motif du respect du devoir de réserve et rejette les autres griefs.
Au terme de cette analyse, le Conseil aimerait ajouter qu’au cours de l’examen du présent dossier il a observé chez les mis-en-cause une pratique qu’il a déjà proscrite antérieurement (D2005-06-100): celle qui consiste, pour un journaliste, à écrire des articles d’information et des articles d’opinion sur un même sujet. En effet, même si le journalisme d’opinion et le journalisme d’information sont deux formes de pratique professionnelle qui reviennent de droit au journaliste, ce dernier peut difficilement, selon le Conseil, passer librement d’un genre journalistique ou d’une tribune à l’autre sur un même sujet sans risquer de porter atteinte à sa crédibilité professionnelle et à la validité de son information. Par conséquent, le Conseil incite fortement les mis-en-cause à éviter à l’avenir de telles affectations journalistiques.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C05A Réplique abusive
- C07B Devoir de réserve
- C11B Information inexacte
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17C Injure
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17E Attaques personnelles
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image
- C19A Absence/refus de rectification
- C19B Rectification insatisfaisante