Plaignant
M. Clément Fortin
Mis en cause
Mme Caroline Auger, journaliste; M. Louis
Lavoie, directeur de l’information et l’hebdomadaire L’Écho Abitibien
Résumé de la plainte
M. Clément Fortin porte plainte suivant la couverture
journalistique réalisée par la journaliste Mme Caroline Auger et l’hebdomadaire
L’Écho Abitibien, du processus judiciaire entourant les accusations de
leurre informatique et d’agression sexuelle sur un mineur, qui pesaient contre
lui. Il soutient que la mise-en-cause aurait manqué à l’éthique journalistique
par certaines inexactitudes et en tentant d’orienter l’information, ce qui
aurait nui à sa réputation et au respect de sa vie privée.
Griefs du plaignant
La plainte de M. Fortin concerne l’ensemble
de la couverture effectuée par l’hebdomadaire L’Écho Abitibien,
relativement à des accusations de leurre informatique et d’agression sexuelle
qui pesaient contre lui. Le plaignant évoque particulièrement deux articles
parus le 8 février 2006 et le 31 mai 2006, de même qu’un erratum publié le 14
juin 2006.
En regard de l’article du 31 mai, il
reproche à la journaliste d’avoir manqué à l’exactitude de l’information en
affirmant qu’il était toujours en prison, alors que ce n’était pas le cas, et
en écrivant qu’il travaillait au CLSC depuis environ une vingtaine d’années,
alors qu’il y travaillait depuis 25 ans. M. Fortin regrette aussi que la
journaliste ait prédit qu’il aurait un procès pour les leurres informatiques,
alors qu’il «y a eu un avis de non publication par [s]on avocat en
congé». Il déplore également que Mme Auger l’ait accusé sans connaître
les faits et qu’elle précise que les délits se seraient passés sur le lieu de
travail du plaignant. M. Fortin ajoute que l’article induit les lecteurs en
erreur, en laissant supposer qu’il pourrait avoir des plaintes de ses clientes
au travail. Il précise qu’il intervient auprès des jeunes et de leurs familles
depuis 25 ans et qu’il n’a jamais eu de plainte formulée contre lui.
Le plaignant explique qu’à la suite de la
publication des articles, sa famille a subi des pressions. Il ajoute que ces
textes l’ont affecté personnellement. En effet, il indique qu’il est très connu
dans sa communauté et que sa conjointe exerce un métier qui la place en contact
avec le public.
Pour conclure, le plaignant allègue que les
mis-en-cause ont manqué à la présomption d’innocence et soutient que cette
situation le fait craindre pour sa santé physique et celle de ses enfants. Il
ajoute enfin que ces articles ont eu des répercussions négatives sur son
travail.
Commentaires du mis en cause
Dans son commentaire, M. Louis Lavoie
reconnaît premièrement que le journal a faussement écrit, dans l’article du 31
mai 2006, que M.Fortin demeurait en prison en attendant son procès. Il
explique que cette méprise est due au fait que la journaliste Mme Auger
«a été induite en erreur par le bureau du greffe d’Amos» et
quel’employée en question a
reconnu son erreur. Il indique toutefois que le journal apublié un
erratum deux semaines suivant cette bévue, soit dans l’édition du 14 juin 2006,
dans laquelle il reconnaît la faute et rétabli les faits.
Toujours en rapport à l’article du 31 mai
2006, le mis-en-cause explique qu’il traitait du procès pour agression sexuelle
qu’allait subir M. Fortin et que l’hebdomadaire a fait un suivi de cette
affaire dans l’édition du 21 juin 2006, en publiant un article sous le titre
«Clément Fortin acquitté». Il souligne que ce second texte était
situé en haut de la page 4 et que son titre était bien en vue. Il considère que
le journal a «consenti un espace équitableau texte
précédentet une bonne visibilité au sujet».
En regard des accusations de leurre
informatique, évoquées dans l’article du 8 février 2006, M.Lavoie précise
que la date du procès sera connue le 26 août 2006 et que L’Écho Abitibien
fera un suivi de cette affaire. Il affirme que si le plaignant est acquitté, le
journal publiera l’information.
Le directeur de l’information de L’Écho
Abitibien rappelle ensuite l’affirmation de M. Fortin, qui soutient dans sa
plainte que: «Les faits reprochés se seraient passés à mon lieu de
travail, donc respect de ma vie privée, ma réputation». M. Lavoie indique
cependant que l’article du 31 mai 2006 précise que le plaignant «était à l’emploi
depuis près d’une vingtaine d’années du CLSC les Eskers de l’Abitibi au moment
où il aurait commis ces actes», ce qui est très différent de l’allégation
de M. Fortin.
Dans sa plainte, le plaignant mentionne que
Mme Auger «induit les lecteurs(trices) dans l’erreur en supposant que je
pourrais avoir des plaintes auprès de mes clientes». Le représentant des
mis-en-cause réplique que l’article n’insinue pas ce que prétend le plaignant.
Il souligne que l’article spécifie que «comme travailleur social, il était
souvent appelé à travailler auprès de la jeunesse», une information jugée
importante par les mis-en-cause, en raison de la nature des accusations qui
pesaient contre M. Fortin, soit d’avoir communiqué à l’aide de son ordinateur,
avec une mineure, en vue de l’inciter à avoir des contacts sexuels directs ou
indirects.
Réplique du plaignant
Le plaignant rappelle d’abord que les faits
qui lui sont reprochés sont d’ordre personnel et non liés à son travail. Il
maintient que le journal L’Écho Abitibien les traitent fallacieusement,
en orientant l’information et en laissant supposer qu’il est coupable, avant
d’avoir été jugé.
M. Fortin regrette que l’erratum qui fut
publié le 14 juin 2006, en regard de l’article du 31 mai 2006, ne rectifiait
pas adéquatement l’erreur commise par le journal, puisqu’il était trop petit et
que son nom apparaissait dans le même caractère d’imprimerie que le reste du
contenu.
Pour ce qui est de l’article du 21 juin
2006, dans lequel la journaliste rapporte l’acquittement du plaignant, ce
dernier déplore les propos et la forme du quatrième paragraphe de l’article,
qui laisseraient planer le doute sur son innocence.
M. Fortin affirme qu’il est jugé sur la
place publique par les journalistes avant la fin de son procès et le prononcé
du verdict. Il ajoute qu’un autre article paru à la suite de son procès pour
leurre informatique, affiche sa photo en première page du journal, et titre
«Le juge le croira-t-il?».
Le plaignant rappelle également les
conséquences des articles mis en cause sur sa vie personnelle et celle de sa
famille. Il déclare avoir été congédié par son employeur, l’Agence de santé et
de services sociaux de L’Esker de l’Abitibi, en rapport à la couverture
médiatique réalisée par L’Écho Abitibien.
Exprimant enfin sa crainte que d’autres
journaux se réapproprient les nouvelles véhiculées par le journal et les
publient sans autre vérification, le plaignant rappelle que les articles de L’Écho
Abitibien relatent, selon lui, les faits de façon biaisée et subjective.
Analyse
Dans sa couverture des affaires judiciaires, la presse, tout en assurant le droit à l’information sur les aspects d’intérêt public que peut présenter l’actualité en ces matières, doit éviter d’entraver le cours de la justice et de préjuger de l’issue d’une cause. La couverture médiatique des affaires judiciaires ne doit pas résulter de quelque manière en un «procès par les médias».
Le plaignant, M. Clément Fortin, affirme que la couverture effectuée par la journaliste Caroline Auger et l’hebdomadaire L’Écho Abitibien, suivant des accusations de leurre informatique et d’agression sexuelle sur un mineur pesant contre lui, contrevient en plusieurs points à l’éthique journalistique.
M. Fortin dénonce premièrement certaines erreurs et informations inexactes apparaissant dans les articles mis en cause.
Le Conseil a examiné avec attention le contenu de chacune des affirmations contestées par le plaignant. Bien que la déclaration de l’article du 31 mai 2006, à l’effet que le plaignant demeurait en prison en attendant son procès, soit inexacte, le Conseil a pris en compte le fait que les mis-en-cause ont reconnu leur faute et ont publié un erratum. La publication de ce rectificatif constitue, aux yeux du Conseil, une mesure de réparation acceptable, face à cette inexactitude. En effet, l’erratum publié le 14 juin 2006 expose clairement l’erreur qui a été commise par le journal. La rectification s’avère proportionnelle au tort qui pouvait être causé par cette méprise. Le Conseil a également considéré que la position de l’erratum, en page 3 de L’Écho Abitibien, lui assurait une bonne visibilité, alors que l’article comportant l’erreur était paru en page 5.
Quant à l’autre inexactitude soulevée par le plaignant, en regard du nombre d’années de travail rapportées dans le texte, le Conseil considère qu’elle est mineure et n’interfère pas dans la compréhension du lecteur des informations principales de l’article.
Quant aux récriminations du plaignant à l’effet que la journaliste ait tenté d’orienter l’information et exprimé un parti pris, le Conseil rappelle que les médias et les professionnels de l’information doivent éviter toute atteinte à la présomption d’innocence. La presse doit également assurer un suivi rigoureux et diligent de l’information et accorder autant d’importance à l’acquittement d’un prévenu qu’à son inculpation ou à sa mise en accusation.
Or, en regard de l’article du 31 mai 2006, le Conseil considère qu’il était d’intérêt public de parler de l’emploi du plaignant, compte tenu de la nature des accusations portées contre lui. De plus, comme l’article stipule qu’aucune plainte n’a été logée contre M. Fortin, dans le cadre de ses fonctions, cette information est plutôt à son avantage. L’article «Clément Fortin acquitté» rapporte, pour sa part, l’acquittement de ce dernier en regard des accusations d’agression sexuelle. Après examen, le Conseil estime qu’il rapporte les faits de façon complète. Le Conseil prend également en compte l’utilisation appropriée du mode conditionnel à l’intérieur de chacun des articles. Enfin, comme le veut l’éthique journalistique en matière de couverture de l’information judiciaire, un suivi rigoureux a été porté à l’ensemble du processus judiciaire. Ce troisième grief a aussi été rejeté.
Le plaignant soutient enfin que la journaliste l’a accusé sans connaître les faits. Il ajoute que ces propos ont atteint à sa vie privée, à sa réputation et à celle de sa famille, ce qui lui aurait occasionné des problèmes d’ordre personnel et aurait conduit à son congédiement.
Comme le précise la jurisprudence, le rôle du Conseil n’est pas de déterminer le degré d’atteinte à la réputation d’un plaignant, cela relève des tribunaux. Le Conseil a étudié ce dossier sous l’angle de l’éthique professionnelle.
Concernant ce dernier bloc de griefs, puisque cette atteinte découlerait du fait de fautes professionnelles de la part des mis-en-cause, et puisque aucun des griefs précédents n’a été retenu, le Conseil rejette ce dernier reproche.
Au terme de ce qui précède, le Conseil rejette la plainte de M.Clément Fortin à l’encontre de la journaliste Mme Caroline Auger et de l’hebdomadaire L’Écho Abitibien.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16D Publication d’informations privées
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C17G Atteinte à l’image
- C17H Procès par les médias
- C19B Rectification insatisfaisante
- C23A Violation d’un embargo