Plaignant
L’Association des enseignantes et enseignants de Montréal
Mme Ruth Rosenfield, présidente
Mis en cause
Mme Allison Hanes, journaliste
M. Raymond Brassard, directeur de la rédaction
Le quotidien The Gazette
Résumé de la plainte
Madame Ruth Rosenfield, présidente de l’Association des enseignantes et enseignants de Montréal (AEM), porte plainte au nom de son organisme. La plainte vise un article rédigé par la journaliste Allison Hanes, publié le 24 octobre 2005 dans le quotidien The Gazette. La plaignante dénonce un manque de rigueur dans le traitement des informations publiées.
Griefs du plaignant
Mme Ruth Rosenfield, présidente de l’Association des enseignantes et enseignants de Montréal (AEM), porte plainte contre l’article de la journaliste Allison Hanes, paru le 24 octobre 2005 dans le journal The Gazette intitulé « Teacher bullied our son, parents say in lawsuit » (Des parents affirment, dans une poursuite, qu’une institutrice a intimidé leur fils). La plaignante allègue que plusieurs des informations rapportées dans l’article dénotent un manque de rigueur, qui fait également douter l’AEM de l’impartialité de la journaliste. De plus, les renseignements énoncés dans le texte ne correspondraient généralement pas à la véritable réputation de l’enseignante.
L’article contesté rapporte les accusations déposées par deux plaignants, dans le cadre d’une poursuite civile contre Mme Kanavaros, qui est membre de l’AEM et institutrice à l’école Roslyn de Westmount. La journaliste y mentionne qu’une demi-douzaine de parents d’étudiants de l’école Roslyn, qui ont été contactés par The Gazette, supportent certaines des accusations avancées par la poursuite. Elle cite également une mère, dont le nom est mentionné dans l’article, qui était disposée à partager son expérience et qui qualifie Mme Kanavaros de « brute » (bully).
Selon Mme Rosenfield et l’AEM, cette représentation des faits est biaisée. La plaignante se demande si la journaliste a fait quelque effort pour trouver des parents qui pourraient avoir une opinion positive de Mme Kanavaros. Elle s’interroge également sur la façon dont les noms de la demi-douzaine de parents contactés par le quotidien ont été sélectionnés.
L’article mis en cause se conclut par trois paragraphes faisant allusion au site Internet http://www.RateMyTeacher.ca. Comme le rapporte l’article, ce site Internet permet aux étudiants et aux parents d’évaluer les enseignants, avec des visages joyeux ou tristes, des notes et des commentaires. La journaliste rapporte que Mme Kanavaros fait partie de cinq enseignants, sur les trente-cinq professeurs de l’école Roslyn, à être évalués par un visage bleu et triste.
En regard de l’utilisation de ces informations, la plaignante soutient que la fiabilité des statistiques provenant de ce genre de site Internet ne peut être garantie. Elle ajoute qu’aucune information n’est fournie au sujet de la taille ou de la qualité de l’échantillon des données présenté sur le site Internet. Néanmoins, ces avis sont cités sans réserves, en tant qu’élément important d’un article qui parait en première page d’un journal sérieux et reconnu.
Réplique du plaignant
Mme Rosenfield note premièrement que la journaliste déclare avoir été contacté par un parent, qui n’était pas un des demandeurs dans la poursuite légale, mais qui avait des récriminations semblables à ceux-ci. Ainsi, ce n’est pas la journaliste qui a initié les contacts, c’est ce parent qui l’a mise en relation avec d’autres parents qui auraient vécu des histoires semblables avec l’enseignante. à la lumière de ces faits, la plaignante conclut que l’opinion de Mme Hanes était susceptible d’avoir été biaisée, puisqu’elle n’avait lu et entendu qu’un seul point de vue.
La plaignante remarque également que les demandeurs de la poursuite civile n’ont émis aucun commentaire, vraisemblablement parce qu’ils attendaient d’avoir pris connaissance des explications des personnes mises en accusation dans le dossier et qu’ils ne souhaitaient pas voir ces renseignements publiés à ce moment dans The Gazette.
La présidente de l’AEM note que Mme Hanes a essayé d’obtenir les commentaires de Mme Kanavaros, de son avocat, du directeur de l’école Roslyn et d’un représentant de la commission scolaire. Le fait que ces derniers aient refusé de lui répondre substantiellement représente le noeud du problème selon Mme Rosenfield. Comme les informations demandées par la journaliste au sujet de Mme Kanavaros concernaient une démarche juridique, en contactant uniquement des personnes directement impliquées dans l’affaire et qui ne pouvaient pas commenter, il n’était pas possible d’être équitable et impartial. Puisque cette situation impliquait une école accueillant des enfants en bas âge, la plaignante croit que la prudence entourant cette affaire était réclamée par toutes les parties et que, si The Gazette sentait la nécessité de citer des personnes externes à la cause, elle aurait dû réaliser une recherche plus proportionnée, lui permettant de repérer des parents qui supportaient l’institutrice et qui auraient pu commenter l’affaire de ce point de vue.
Mme Rosenfield réitère finalement que la consultation du site Internet RateMyTeachers.ca, comme outil d’investigation, était douteuse pour les raisons indiquées dans la plainte et que la citation d’un commentaire émis sur ce site ne suffisait pas à assurer l’équilibre de l’information.
Analyse
L’administration de la justice est publique et il importe qu’elle soit rendue comme telle, malgré le caractère privé et souvent très délicat de certains dossiers.
Mme Ruth Rosenfield, présidente de l’Association des enseignantes et enseignants de Montréal (AEM) exprimait plusieurs doléances en regard de l’article de la journaliste Allison Hanes, paru le lundi 24 octobre 2005 dans le quotidien The Gazette, sous le titre « Teacher bullied our son, parents say in lawsuit » (Des parents affirment, dans une poursuite, qu’une institutrice a intimidé leur fils).
La plaignante contestait premièrement l’angle de traitement et les sources d’information de la journaliste, pointant particulièrement le fait qu’un parent l’ait contacté pour formuler des critiques à l’endroit de l’institutrice et que ce soit lui qui ait mis la journaliste en contact avec les autres parents insatisfaits. Mme Rosenfield soutient que la journaliste aurait dû chercher elle-même à rejoindre des parents d’élèves, dont des parents satisfaits du travail de l’institutrice, pour présenter un point de vue plus objectif.
Le Conseil estime que les parents d’enfants dans la classe de Mme Kanavaros étaient des sources d’information fiables. La journaliste était donc justifiée de faire mention de leur opinion. De plus, elle a bien identifié la mère citée dans l’article. Le Conseil rappelle également que les journalistes et les médias sont libres de choisir l’angle de traitement qu’ils désirent apporter à une nouvelle. Ainsi, la journaliste était libre de se pencher sur la présence d’autres parents insatisfaits dans la mesure où le traitement général de l’article était équitable. Ce premier grief est donc rejeté.
En ce qui a trait à l’équilibre, à l’exhaustivité et à l’impartialité de l’information, la déontologie du Conseil de presse indique que, quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition.
Après examen, il appert au Conseil que la journaliste a cherché par divers moyens à compléter l’information contenue dans le dossier de la Cour et à présenter les points de vues des deux parties. Ainsi, la journaliste rapporte certains propos de l’avocat de la poursuite, de même que de l’avocate de Mme Kanavaros. Elle a également tenté de joindre le directeur de l’école Roslyn, un représentant de la commission scolaire et les parents ayant entamé la poursuite, ce qu’elle indique dans l’article. Aux yeux du Conseil, si les personnes accusées ou liées à l’accusée dans l’affaire ne souhaitaient pas commenter, cela n’empêchait pas la journaliste de rapporter les faits.
Le Conseil note également que, conformément à la déontologie journalistique en matière d’information judiciaire, le directeur de la rédaction de The Gazette s’est engagé formellement à assurer un suivi rigoureux de l’affaire et à rapporter son dénouement, quelle qu’en soit l’issue. Enfin, le texte contesté respecte le genre journalistique de la nouvelle, le ton est neutre et la journaliste n’y exprime pas son opinion. L’article contesté semble donc dresser un portrait objectif de la situation observée par la journaliste et le Conseil ne décèle pas d’entorse déontologique en regard de l’impartialité et de l’équilibre de l’information.
La dernière récrimination exprimée par Mme Rosenfield concernait l’utilisation du site Internet RateMyTeachers.ca comme source d’information.
Les informations principales de l’article reposent sur les documents officiels de la Cour, que plusieurs sources viennent compléter. Ainsi, le site Internet n’est qu’une de ces références qui viennent compléter la nouvelle. Bien que ce genre de site n’ait pas de valeur scientifique, y faire référence ne contrevient pas à l’éthique journalistique et permet, dans ce cas-ci, de présenter une appréciation positive et une autre négative du travail de l’institutrice. Ce dernier grief est rejeté.
Décision
Pour ces motifs, la plainte de l’Association des enseignantes et enseignants de Montréal contre Mme Allison Hanes et le quotidien The Gazette est rejetée.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03B Sources d’information
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C13A Partialité
- C13C Manque de distance critique
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier