Plaignant
L’Association québécoise des personnes de petite taille et M. Jocelyn Bertrand, président
Mis en cause
Mme Louise Cousineau, journaliste; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Jocelyn Bertrand, président de l’Association québécoise des personnes de petite taille, porte plainte contre Mme Louise Cousineau, concernant sa critique, de l’émission télévisée « François en série », parue le 10 janvier 2006 dans le quotidien La Presse, pour avoir insisté sur la condition physique de l’acteur Paul Cagelet, qui souffre de nanisme, et avoir ainsi visé toutes les personnes de petite taille.
Griefs du plaignant
Le plaignant, M. Jocelyn Bertrand, président de l’Association québécoise des personnes de petites taille (AQPPT), porte plainte contre Mme Louise Cousineau, pour avoir insisté, dans la critique d’une émission télévisée, parue le 10 janvier 2006 dans le quotidien La Presse, sur le fait qu’un des acteurs était une personne de petite taille, en utilisant trois fois le mot « nain » en l’espace de trois phrases.
Alors qu’elle décrivait et commentait un épisode de l’émission télévisée intitulée « François en série », Mme Cousineau écrivait, dans sa chronique « Arts et culture » : « Mais le fait de tomber amoureux déclenche chez François un étrange phénomène lié à sa profession : il se met à se poser des questions sur lui-même. […] Apparaissent alors dans son appartement différentes facettes de sa personnalité. Une bonne demi-douzaine. […] Personnifié par Paul Cagelet. »Un nain! » crie François frappé d’horreur de voir son coté homme si petit. Soit dit en passant, M. Cagelet n’aime pas être traité de nain et me l’a signifié impérativement. Mais dans ce texte, il est traité de nain. »
Selon le plaignant, elle aurait répété ces propos au 98.5 FM, lors de l’émission de M. Paul Arcand où elle présente régulièrement une chronique.
M. Bertrand ne se plaint pas de la réaction du personnage principal, François, qui s’exclamait « Un nain! », mais de l’insistance répétée de Mme Cousineau à identifier M. Cagelet à sa condition. Selon lui, ce n’est pas la première fois que Mme Cousineau réfère à la condition de M. Cagelet dans la presse écrite. M. Bertrand explique cela par une possible situation de conflit entre la journaliste et M. Cagelet. Toutefois, il saisit mal que Mme Cousineau s’acharne à identifier une personne pas sa condition de nain. Il demande si elle se permettrait de parler d’un autre artiste en disant « le noir » ou « la grosse ».
Le plaignant précise que les administrateurs de l’AQPPT partagent l’impression d’un règlement de compte entre la journaliste et M. Cagelet, mais ils considèrent que lorsque Mme Cousineau insiste pour identifier une personne par sa déficience physique, elle interpelle toutes les personnes ayant cette déficience.
M. Bertrand ajoute quelques précisions concernant le nanisme. Il explique les difficultés de vivre avec le nanisme, pour des raisons autant pratiques que médicales et psychologiques. Il précise que le terme de nain est péjoratif notamment à cause des références auxquelles il renvoie : le cirque, les contes féeriques… etc. Ainsi, lorsque dans les médias, quiconque utilise le terme « nain », il ne s’agit plus pour les personnes de petite taille d’être l’objet de l’humour durant quelques minutes, car, à la suite de l’utilisation de ce terme, celui-ci les suivra et partout il y aura quelqu’un pour reprendre la blague diffusée par ces médias. L’AQPPT estime que le simple emploi du mot « nain » peut donc avoir des répercussions tangibles sur un enfant ou un adolescent de petite taille et augmenter la difficulté de vivre des personnes de petite taille en général.
Enfin, pour le plaignant, Mme Cousineau a une responsabilité envers la population et il lui semble qu’il est injuste, voire discriminatoire, de qualifier une personne par sa condition physique, qui plus est, à répétition et sur la place publique.
Commentaires du mis en cause
M. Éric Trottier estime que dans sa chronique, Mme Cousineau a cité le texte d’une émission de télévision et a précisé à ses lecteurs que M. Cagelet n’aimait pas être traité de nain, sans plus insister.
à partir de cette citation, et du fait qu’elle aurait répété ces propos dans l’émission de M. Paul Arcand le même jour, l’AQPPT en vient à la conclusion qu’il s’agit d’un règlement de compte entre la journaliste et M. Cagelet. Or, selon M. Trottier, Mme Cousineau reprend tous les jours les grandes lignes de sa chronique à l’émission de M. Paul Arcand. De plus, Mme Cousineau n’aurait cité le nom de M. Cagelet que deux fois en cinq ans, chaque fois pour noter sa participation à une émission.
Par ailleurs, M. Trottier estime qu’il ne faut pas cesser de parler des personnes de petite taille, tout comme il a fallu parler ouvertement des homosexuels dans les médias pour que la société canadienne s’ouvre à l’homosexualité. Selon lui, la démarche de l’AQPPT relève de la political correctness, démarche à laquelle il s’oppose. Il ne considère pas que l’on puisse faire avancer la cause des nains en empêchant les journalistes d’écrire le mot « nain ». Au contraire, pour lui, cacher ce mot et obliger les journalistes à employer un euphémisme ne ferait qu’isoler davantage les personnes naines.
Réplique du plaignant
Les administrateurs de l’AQPPT jugent que la réponse de M. Trottier est empreinte de légèreté et d’arrogance. Ils auraient cru qu’il répondrait sur la base des règles d’éthique journalistique.
Aussi, M. Bertrand a relevé quelques passages du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, concernant notamment les valeurs fondamentales du journalisme (l’équité, le respect du public, l’honnêteté, l’ouverture d’esprit), mais aussi la vérité et la rigueur ainsi que les droits de la personne, dans le traitement de l’information.
M. Bertrand ajoute que la rectitude politique que M. Trottier semble mépriser a pourtant largement contribué à l’évolution des mentalités et au respect de groupes minoritaires. Ainsi, on parle des gais ou des homosexuels, mais on n’emploie pas le mot « tapette ». Aussi, si l’AQPPT se donne la peine d’informer les médias sur les conséquences de l’emploi du terme « nain », c’est que les personnes de petite taille aspirent au respect, notamment de la part des médias qui ont une large influence sur les mentalités.
Ainsi, l’AQPPT espère que La Presse informera ses journalistes de leur demande, c’est-à-dire de ne plus employer le mot « nain » en parlant des personnes de petite taille.
Analyse
M. Jocelyn Bertrand, président de l’Association québécoise des personnes de petite taille, portait plainte contre Mme Louise Cousineau, pour avoir insisté sur la condition physique de l’acteur Paul Cagelet, atteint de nanisme, dans une de ses chroniques, parue dans le journal La Presse le 10 janvier 2006, puis répétée à l’émission radiodiffusée de M. Paul Arcand quelques jours plus tard. Il considère qu’elle aurait ainsi manqué de respect à l’ensemble des personnes de petite taille.
Le Conseil ne se prononcera dans la présente décision qu’au sujet de l’article de Mme Cousineau paru dans La Presse.
Le plaignant reprochait d’abord à Mme Cousineau d’avoir indûment insisté sur le fait que M. Cagelet était une personne de petite taille en utilisant le terme « nain » plusieurs fois. Or, si la journaliste utilisait trois fois ce terme, c’était pour citer le texte et commenter l’utilisation de ce mot dans ce texte, dans la mesure de sa liberté rédactionnelle. En outre, comme l’émission faisant l’objet de la critique de Mme Cousineau se servait explicitement du fait que M. Cagelet est une personne de petite taille, et comme M. Cagelet a lui-même accepté de jouer ce rôle, il était légitime, pour la journaliste, de s’exprimer sur le sujet. Les griefs d’insistance indue et de mention de l’appartenance sont donc rejetés.
Le plaignant reprochait ensuite à la journaliste de discriminer les personnes de petite taille en utilisant et en répétant le terme « nain ». Pour lui, cela ne fait qu’accroître leur difficulté à vivre comme tout un chacun, sans avoir à subir les répercussions de l’usage de ce terme dans les médias. Or, Mme Cousineau n’a fait que préciser que, dans la vie quotidienne, M. Cagelet n’aime pas être traité de « nain », mais que c’était de cette manière qu’il était traité dans l’émission. Le Conseil estime que ce commentaire n’est irrespectueux ni envers M. Cagelet, ni envers toutes les personnes de petite taille. Ainsi, les griefs pour discrimination et propos irresponsables sont rejetés.
Décision
Pour l’ensemble des motifs exposés, le Conseil rejette la plainte de M. Jocelyn Bertrand contre la journaliste Louise Cousineau et le quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C15I Propos irresponsable
- C18A Mention de l’appartenance
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18D Discrimination