Plaignant
M. David Lefrançois
Mis en cause
M. Patrick Campeau, chroniqueur; M. Richard Monfette, rédacteur en chef et le magazine Sentier Chasse-Pêche
Résumé de la plainte
M. David Lefrançois, porte plainte contre le magazine Sentier Chasse-Pêche, son rédacteur en chef, M. Richard Monfette, et le chroniqueur M. Patrick Campeau, concernant principalement le manque d’indépendance entre l’information et la publicité, les conflits d’intérêts et la non-identification de publireportages. La plainte vise particulièrement deux articles rédigés et illustrés par M. Campeau, soit « Deux techniques productives », paru dans le numéro de mars 2006, et « Sélection de leurres… pour moins de 100 $ », publié dans l’édition d’avril 2006.
Griefs du plaignant
M. David Lefrançois dépose une plainte contre M. Patrick Campeau, journaliste, M. Richard Monfette, rédacteur en chef, et le magazine Sentier Chasse-Pêche, pour le manque d’indépendance entre le secteur de l’information et de la publicité et l’apparence de conflit d’intérêts.
Le plaignant allègue que les exemples illustrant ces manquements éthiques sont nombreux, mais il concentre sa plainte sur deux articles spécifiques signés et illustrés par M. Patrick Campeau. Le premier, intitulé « Deux techniques productives », fut publié dans l’édition de mars 2006 de Sentier Chasse-Pêche et le second « Sélection de leurres… pour moins de 100 $ » fut publié en avril 2006.
M. Lefrançois reproche aux responsables du magazine d’avoir publié ces articles, sans les identifier comme publireportages. De plus, le journaliste se serait placé en conflit d’intérêts en signant ces articles. Le plaignant déplore également que M. Monfette autorise certains de ses collaborateurs à signer des articles et à faire de la publicité pour des intérêts privés à l’intérieur de son magazine.
M. Lefrançois cible d’abord l’article « Deux techniques productives » qui constitue, selon lui, un publireportage. M. Campeau y présente de nouvelles techniques de pêche à la truite mouchetée et une série d’équipements et de leurres. Le plaignant dénonce que la majorité des produits qui y sont présentés soient fabriqués par des compagnies qui commanditent le journaliste. La majorité des produits mentionnés dans l’article seraient distribués par Berkley, une des compagnies qui commandite M. Campeau, à titre de pêcheur professionnel. Cette compagnie figurerait également parmi les commanditaires de M. Claude Roy, qui lui aurait fait découvrir les deux techniques de pêche expliquées dans l’article. Le plaignant précise que les produits des compagnies présentées dans l’article et qui commanditent le chroniqueur, soit Berkley, Pure Fishing et Williams, ne sont assurément pas les seuls qui puissent servir pour la pratique des deux techniques expliquées et qu’il s’agissait d’un choix des mis-en-cause de ne présenter que les produits de ces trois compagnies.
De plus, cet article ne serait pas le seul à constituer un publireportage non identifié et à placer le chroniqueur en conflit d’intérêts. M. Lefrançois cible à cet effet une série de textes parus entre avril et juillet 2006, sous le titre « Sélection de leurres… pour moins de 100 $ », dans lesquels l’auteur recommandait l’achat de plusieurs leurres fabriqués par les compagnies qui le commanditent.
La plaignant invoque ensuite un extrait du code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) qui stipule que « les journalistes doivent s’abstenir d’effectuer, en dehors du journalisme, des tâches reliées aux communications : relations publiques, publicité, promotion, (…) », ce à quoi contreviendrait en plusieurs points les chroniqueurs du magazine Sentier Chasse-Pêche. Ainsi, aux moins deux des collaborateurs du périodique, MM. Campeau et Larose, représenteraient différents fabricants qui offrent des produits pour la pêche, dans des publicités publiées dans les pages de Sentier Chasse-Pêche. Dans la seule édition de mars 2006, M. Campeau apparaîtrait notamment avec une casquette de la compagnie Williams en couverture du magazine puis, en page cinq, il ferait la promotion de la compagnie Rapala, en page neuf il apparaîtrait dans les publicités de la compagnie Shimano, en page 27, il figurerait comme l’un des intervenants principaux d’un salon de chasse et pêche et en page 110, il paraîtrait dans une publicité pour son propre site Internet où est répertoriée sa douzaine de commanditaires. Cette situation serait la même dans les autres éditions de Sentier Chasse-Pêche, notamment celle d’avril 2006.
Le plaignant explique que les entorses déontologiques qu’il dénonce ne sont pas simplement accidentelles et isolées, mais représentent plutôt les politiques de la direction du magazine qui favoriserait la promotion aux dépens du droit du public à l’information.
M. Lefrançois signale également qu’il a tenté de communiquer avec M. Monfette, en décembre 2005, « pour connaître les règles d’éthiques journalistiques appliquées au magazine », mais qu’il n’a obtenu aucune réponse de sa part. Il ajoute avoir également envoyé une lettre ouverte à M. Monfette par courriel, le 27 février 2006, et à M. Campeau dans les jours suivants, via son propre site Internet, au sujet de l’article « Deux techniques productives ». M. Lefrançois déplore n’avoir jamais reçu d’accusé de réception de leur part.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Louis-François Asselin, représentant les intérêts de M. Patrick Campeau, journaliste :
Me Asselin indique d’abord que son client fut surpris et touché par les allégations avancées dans la plainte de M. Lefrançois, qui connaît bien le domaine de la pêche sportive au Québec et gère à cet effet un blogue sur le site www.peche-reportage.com. M. Campeau Œuvre depuis plus de quinze ans dans le domaine de la pêche au Québec et, selon son représentant, il a su se démarquer par ses valeurs, dont l’honnêteté et la transparence.
Le représentant du mis-en-cause assure d’abord que ce dernier s’est mis à l’abri de tout conflit d’intérêts « en affichant une transparence totale de ses activités commerciales et de son travail de pêcheur professionnel », activités qui l’ont ensuite emmené à devenir un chroniqueur spécialisé reconnu. Me Asselin assure que le journaliste a toujours agi avec « le souci que le public ou le lecteur raisonnable soit clairement informé de ses engagements et de ses contrats personnels ».
Rappelant le parcours professionnel de M. Campeau et les nombreux prix qu’il s’est mérité pour ses talents de pêcheur, Me Asselin explique que ces titres ont attiré l’attention de plusieurs commanditaires. Ainsi, depuis plus de vingt ans, M. Campeau « apparaît sur des centaines de publicités de différents commanditaires dans le domaine de la pêche récréative et sportive au Québec, et ce dans plus d’une dizaine de publications spécialisées ». De plus, en avril 2002, le magazine Outdoor Canada a nommé M. Campeau l’une des trente personnalités ayant le plus grand impact sur la chasse, la pêche et la conservation au Canada, depuis 1972. Me Asselin souligne que, depuis plus de quinze ans, on retrouve des centaines de textes et de chroniques dans ces revues spécialisées, signées par M. Campeau. Il ajoute que ces textes portent autant sur des produits vendus par des corporations liées contractuellement avec lui que sur tout autre produit provenant d’autres entreprises.
Selon l’avocat, M. Campeau n’a jamais manqué de transparence dans ses activités et ses associations à différents publicitaires ont toujours été clairement identifiées dans chacune des publications auxquelles il a pris part. Il ajoute que, depuis 1992, le chroniqueur publie un encadré publicitaire spécifique, regroupant l’ensemble de ses commanditaires. Pour la seule année de 2005, il indique que cet encadré publicitaire spécifique fut publié plus de 75 fois dans des publications spécialisées. Me Asselin retrace aussi l’ensemble des activités du professionnel de la pêche pour l’année 2005, qui a agit en de nombreuses occasions dans divers médias et pour différentes fonctions. Il ajoute que le parcours de son client pour l’année 2006 est semblable à celui de 2005. Le représentant du mis-en-cause reconnaît qu’il : « apparaît donc clairement que depuis plusieurs années, monsieur Patrick Campeau possède des contrats publicitaires au sens de l’article 5D du Guide de Déontologie et agi (sic) comme relationniste et promoteur au sens de l’article 9 du Guide de Déontologie ». Cependant, Me Asselin allègue que ce contexte n’empêche nullement M. Campeau d’agir comme journaliste.
Le représentant du mis-en-cause déclare que le public est ainsi confronté annuellement à plus d’un millier de situations diverses où il peut associer M. Campeau à ses contrats personnels. Pour Me Asselin, la probabilité que le public, le lecteur, ou l’amateur chevronné soit induit en erreur est nulle. Il croit que cette situation est celle que devrait attendre le Conseil de presse d’un professionnel d’un secteur sportif spécifique qui agit comme chroniqueur dans une revue spécialisée.
Quant aux articles cités dans la plainte, Me Asselin souligne que près de la moitié des produits qui y sont mentionnés ne sont aucunement reliés à des commanditaires de M. Campeau. En regard de l’affirmation de M. Lefrançois à l’effet que les produits de Berkley, Pure Fishing et Williams ne sont assurément pas les seuls que l’on puisse utiliser pour pratiquer les techniques présentées dans l’article, le représentant du chroniqueur répond qu’il est clair, à la lecture de l’article, que d’autres produits ou même d’autres techniques peuvent être utilisés.
Selon Me Asselin, le véritable questionnement en regard de ces articles consiste à savoir si l’auteur a le droit de signer une chronique sur la gamme de produits de son choix. à cet effet, Me Asselin rappelle le principe de liberté de presse et de liberté d’expression et signale qu’à cet effet les restrictions imposées aux journalistes doivent être le plus limitées possible. Selon lui, la déontologie n’empêche pas un auteur d’écrire sur le sujet de son choix, même sur un sujet se rapportant à certains de ses engagements personnels, à condition que les liens de l’auteur avec les contrats ou le commanditaire en question apparaissent clairement et en toute transparence, afin que le public ou le lecteur raisonnable soient en mesure d’apprécier adéquatement le texte et le contexte entourant sa rédaction.
En regard du grief évoqué par le plaignant à l’effet que le chroniqueur effectuerait des fonctions incompatibles en étant à la fois journaliste, photographe, responsable des communications et de relations publiques, Me Asselin répond que même si le code de déontologie stipule que les journalistes doivent s’abstenir d’effectuer, en dehors du journalisme, des tâches reliées aux communications, rien n’empêche un individu qui gagne sa vie à titre de promoteur et comme porte-parole de divers événements et compagnies, d’écrire certains textes dans un magazine spécialisé.
En terminant, Me Asselin indique que plusieurs autres professionnels de pêche ont un profil de travail semblable à M. Campeau et qu’être au sommet de son sport ne devrait pas empêcher un professionnel de signer une rubrique parlant de différents produits incluant ceux des compagnies qu’il représente. Il rappelle le caractère singulier de la situation de M. Campeau et le souci particulier de ce dernier à rester transparent, étant le seul au Québec à publier systématiquement des encadrés le reliant à ses commanditaires et ce, dans toutes les publications où il signe un texte. Me Asselin ajoute que jamais, en près de vingt ans, le chroniqueur n’a été rémunéré par un commanditaire pour procéder à l’écriture d’un texte ou d’une chronique. Il affirme que les seuls revenus que M. Campeau tire de ces textes sont ceux provenant du magazine.
Commentaires de M. Richard Monfette, rédacteur en chef :
M. Richard Monfette explique d’abord que s’il n’a jamais donné suite, par le passé, aux commentaires de M. Lefrançois, c’est parce que celui-ci désirait susciter un débat sur son blogue, grâce aux réponses des mis-en-cause, et ainsi donner de l’importance à son site Internet. à cet effet, il ajoute que la politique du magazine est claire et qu’il n’a pas l’intention de participer à tout forum, blogue ou site du genre.
Le rédacteur en chef signale ensuite que c’est la première fois, en plus de 35 ans, que le magazine Sentier Chasse-Pêche doit faire face à une telle plainte, qui n’est pas fondée selon lui.
Le mis-en-cause répond d’abord aux récriminations exprimées par le plaignant en regard de l’article « Deux techniques productives » publié en mars 2006. Il réfute premièrement les allégations du plaignant à l’effet que cet article constituerait un publireportage. Le mis-en-cause étaye cette affirmation en expliquant que, par définition, un publireportage présente « un texte payé par son annonceur ». Dans un tel cas, il précise que le magazine se fait un devoir d’en informer les lecteurs. Toutefois, M. Monfette soutient que, dans le cas de l’article mis en cause, il s’agissait simplement d’un texte choisi par l’équipe de rédaction pour son intérêt. Il ajoute que la mention de produits de pêche spécifiques provenant de certaines compagnies ne constitue pas de la désinformation, mais qu’au contraire les lecteurs désirent ces mentions précises qui les guident dans le choix de certains leurres, en regard de techniques particulières.
Concernant la première technique évoquée dans cet article de mars 2006, M. Monfette soutient que les Power Trout Worm de Berkley sont les seuls leurres qui possèdent toutes les qualités nécessaires à la pratique de la méthode présentée par l’auteur, en plus d’être les plus répandus sur le marché. Le rédacteur en chef ajoute que M. Campeau suggère également différents types de bas de lignes et mentionne qu’une « multitude de cuillères fonctionnent bien avec ces leurres de plastique souple » et peuvent compléter le montage servant à pratiquer cette technique, tout en évoquant deux modèles en particulier.
Pour ce qui est de la deuxième technique enseignée dans le reportage, M. Monfette allègue qu’à sa connaissance aucun autre fabriquant ne produit commercialement un leurre comme le hybride Blade Dancer, qui fait office à la fois de cuillère et de poisson-nageur. Le rédacteur en chef affirme que les explications de M. Campeau sur les méthodes d’utilisation de ce leurre, qu’il a expérimentées et avec lesquelles il a connu du succès, étaient pertinentes à décrire, comme ce leurre est relativement nouveau et méconnu. Ceci ne constituait pas pour autant une publicité déguisée.
Quant aux leurres mentionnés dans cet article, le mis-en-cause reconnaît que ce sont principalement des produits de la compagnie Berkley. Toutefois, il explique cette situation par le fait que Berkley soit l’un des plus importants fabricants de leurres de plastique souple offrant ses produits sur le marché québécois. De plus, pour les deux techniques mentionnées, Berkley est une des seules compagnies à produire les minis leurres dont il est question. M. Monfette soutient qu’en empêchant M. Campeau de parler de ses commanditaires, dont Berkley, le magazine n’aurait pu présenter ces deux techniques de pêche, ce qui était hors de question vu leur intérêt et leur utilité pour les lecteurs. Il indique aussi qu’un auteur doit avoir expérimenté les leurres ou les accessoires pour en parler.
M. Monfette ajoute qu’à chaque numéro, Sentier Chasse-Pêche présente le point de vue et les choix de différents auteurs sur les leurres de pêche et que, dans le numéro de mars 2006, en plus des deux techniques de pêche suggérées par M. Campeau, on trouve également un article sur les devons et un texte sur les poissons-nageurs, qui présentent divers produits avec des explications sur leur utilité et les meilleures façons de les employer. Dans un autre article de cette même édition, un collaborateur fait part de ses préférences de couleurs pour les cuillères ondulantes destinées à la pêche au touladi. Il y présente aussi certains produits particuliers, dans le but d’informer le lecteur. Le rédacteur en chef croit que la diversité des sujets couverts dans chaque numéro, dont celui de mars 2006, et la variété des textes permettent aux lecteurs d’avoir une vision globale des différents produits et techniques, de les comparer et d’adopter ceux qui leur conviennent.
Le mis-en-cause précise que les articles sont choisis pour leur pertinence en rapport à l’ensemble du magazine. Il signale également que la majorité des auteurs qui produisent des textes pour Sentier Chasse-Pêche sont des pigistes et non des journalistes attitrés et que, de ce fait, la direction du magazine n’a « pas de contrôle sur leurs occupations principales ou secondaires ». Le magazine compte à son emploi uniquement trois journalistes à temps complet. Le mis-en-cause soutient qu’aucun d’entre eux n’est lié de quelque façon que ce soit à une autre compagnie.
Comme le domaine de la chasse et de la pêche est très spécialisé évoluant dans un marché publicitaire restreint, le rédacteur en chef soutient qu’on ne doit pas se surprendre que certains des collaborateurs du magazine soient commandités par différentes compagnies annonçant dans les pages du mensuel.
Quant au grief concernant le nombre de pages de publicité sur lesquelles apparaissent deux des collaborateurs du magazine, dans l’édition de mars 2006, M. Monfette affirme que le plaignant a choisi le numéro, dans toute l’histoire de Sentier Chasse-Pêche, qui se prête le mieux à ses prétentions. Le mis-en-cause regrette la situation dénoncée par le plaignant et reconnaît que, par un concours de circonstances qui a échappé à l’équipe de rédaction, M. Campeau est apparu dans cinq publicités, en plus de photos dans le sommaire, dans un article et à la une, sans que l’équipe de production ne puisse intervenir. M. Monfette explique cette situation, par le fait que le chroniqueur est le porte-parole de plus d’une quinzaine de compagnies dans le domaine de la chasse et de la pêche au Québec, dont plusieurs annoncent dans le magazine. Le rédacteur en chef assure que s’il avait pris conscience avant de cette situation, le portrait de M. Campeau n’aurait pas fait partie du contenu rédactionnel de cette édition. Il assure enfin, que les responsables du magazine feront tout leur possible pour que cette situation ne se reproduise plus.
M. Monfette croit enfin que, pour répondre aux exigences du plaignant en regard de la publicité, le magazine devrait soit ne jamais mentionner de compagnies dans ses articles, soit nommer toutes les compagnies offrant chacun des produits en question ou ne mentionner aucun produit ou compagnie représenté par un de ses annonceurs, ce qui est, dans tous les cas, impossible et priverait les lecteurs d’informations essentielles.
Réplique du plaignant
M. David Lefrançois répond premièrement aux commentaires de Me Asselin. Le plaignant indique qu’il ne met pas en doute les qualités et la renommée de M. Campeau en tant que pêcheur professionnel, mais qu’il maintient toutefois qu’à titre de chroniqueur spécialisé, il se retrouve régulièrement en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts. Il signale que le domaine de la pêche sportive n’a rien de particulier en regard de la déontologie journalistique et que les journalistes issus de tous les secteurs d’activités doivent se soumettrent aux mêmes règles d’éthique professionnelle.
M. Lefrançois estime que bien que le public puisse être en mesure de reconnaître les commanditaires de M. Campeau, « cela ne change rien au fait qu’il soit en conflit d’intérêts lorsqu’il signe un article ».
Le plaignant rappelle que, outre le conflit ou l’apparence de conflit d’intérêts, le mis-en-cause a manqué à plusieurs des principes déontologiques lors de la rédaction de ses articles, ce qui a conduit au manque d’indépendance entre l’information et la publicité dans le magazine. M. Lefrançois se questionne à savoir comment ne pas présumer que M. Campeau fait de la publicité pour ses commanditaires en échange d’un contrat ou d’avantages qui lui seraient destinés ou destinés à l’entreprise de presse qui l’emploie. Le plaignant ajoute que même si, comme il le prétend, le chroniqueur n’a jamais touché d’argent directement de ses commanditaires pour mentionner leurs produits dans ses articles, cela ne change rien au fait qu’il se trouve encore une fois en apparence de conflit d’intérêts, ce que reconnaîtrait Me Asselin dans ses commentaires. M. Lefrançois ajoute que la mise en page de l’article de mars 2006 ne permettait pas au lecteur de distinguer le genre publicitaire de celui de l’information.
M. Lefrançois réitère également ses doléances à l’effet que M. Campeau occupe des fonctions incompatibles, particulièrement en regard des relations publiques et du journalisme. à ce propos, le plaignant rappelle les commentaires de Me Asselin, à savoir que M. Campeau apparaît annuellement à plus d’un millier d’occasions avec ses commanditaires dans diverses publications, ce qui susciterait la confusion chez le public entre les informations partisanes et impartiales et sur la crédibilité et l’intégrité du journaliste. Le plaignant ajoute que plusieurs des textes fournit en annexe aux commentaires comportent, encore une fois, les même éléments reprochables que ceux présentés dans la plainte. Ce serait le cas du texte « Technique subtile pour poissons difficiles », fourni en annexe 9 et paru en février 2001 dans l’ancien hebdomadaire Info Plein-Air, qui serait également un publireportage déguisé en chronique. M. Lefrançois ajoute que, dans ce dernier article, tous les produits mentionnés sont offerts par Berkley ou Shimano, deux compagnies qui commanditent M. Campeau.
Le plaignant maintient que, contrairement à ce que prétend Me Asselin, l’article « Deux techniques productives », qui est l’objet de la présente plainte, suggère presque exclusivement des produits fabriqués par des commanditaires de M. Campeau, à l’exception des hameçons Octopus qui sont fabriqués par plusieurs compagnies. Le plaignant précise également que l’exemple relié à la série d’articles « Sélection de leurres… pour moins de 100 $ » cherche à démontrer que le chroniqueur se trouve régulièrement en situation d’apparence de conflit d’intérêts et qu’il est pratique courante de mentionner de nombreux produits vendus par ses commanditaires dans ses articles.
Le plaignant raconte enfin qu’il a écrit un article sur l’éthique des chroniqueurs de chasse et de pêche au Québec sur le site www.peche-reportage.com et qu’il y a mentionné les conflits d’intérêts dans lesquels se trouvait M. Campeau en signant l’article « Deux techniques productives », ce qu’il avait déjà fait en février 2006 sur son blogue. Il explique avoir été sommé par Me Asselin, le 27 septembre 2006, à l’intérieur d’une mise en demeure, de retirer sans délai, sur le blogue et le site Internet, toute allusion à M. Campeau, sous peine de poursuites. M. Lefrançois considère que cette mise en demeure cherchait à lui faire peur et à l’intimider, pour l’emmener à retirer sa plainte devant le Conseil de presse. Le plaignant affirme que sa démarche ne constitue nullement une attaque personnelle envers M. Campeau.
Dans un second temps, le plaignant répond aux commentaires de M. Richard Monfette, rédacteur en chef du magazine Sentier Chasse-Pêche. M. Lefrançois conteste la définition d’un publireportage de M. Monfette et indique que le Grand dictionnaire terminologique de la langue française définit un publireportage comme une « Information publicitaire qui s’apparente par la forme et le style à l’éditorial d’un journal » et que la définition du dictionnaire du logiciel Antidote de Druide informatique qui qualifie le publireportage comme un « Message publicitaire qui prend la forme d’un reportage » et un message publicitaire comme un « Ensemble d’informations destiné à faire connaître un produit ou un service pour en augmenter la vente », diffère elle aussi de celle du mis-en-cause. Le plaignant souligne qu’aucune de ces définitions ne mentionne qu’un échange monétaire est nécessaire pour définir un publireportage.
Le plaignant soutient que le texte intitulé « Deux techniques productives » est conforme à ces définitions du publireportage et que si les produits mentionnés dans cet article sont tous des marques de commerce fabriquées par Berkley, Williams ou leur compagnie mère, il ne s’agit pas du fruit du hasard, mais plutôt d’une intention ferme du chroniqueur de faire augmenter les ventes de produits distribués par ses commanditaires et que cette situation fut approuvée par son rédacteur en chef.
M. Lefrançois remarque également que les mises en contexte du magazine ne présentent jamais le mode d’opération des journalistes. Il donne l’exemple de l’article « Kenauk : Le secret le mieux gardé », publié en mars 2006 à la suite de l’article « Deux techniques productives » et dont les textes et les photos sont produits par M. Monfette. Selon le plaignant, ce texte adoptant un ton très positif constituerait encore une fois un publireportage pour la Pourvoirie Kenauk. Il remarque principalement qu’aucune mention n’y figure pour indiquer que l’auteur fut invité à cette pourvoirie ou que celle-ci a contribué en partie aux frais nécessaires à la réalisation du reportage.
Quant à l’affirmation de M. Monfette à l’effet que l’article « Deux techniques productives » fut choisi par l’équipe de rédaction vu son intérêt pour le lecteur, M. Lefrançois répond que le droit du public à un information juste et impartiale aurait été mieux servi si la rédaction avait affecté un collaborateur n’ayant aucun lien commercial avec des fabricants de matériel de pêche pour la rédaction de ce texte.
Le plaignant critique également les prétentions du rédacteur en chef à l’effet que la majorité des auteurs qui écrivent dans Sentier Chasse-Pêche sont des pigistes et non des journalistes attitrés, ce qui empêcherait les responsables du magazine d’avoir un contrôle sur leurs occupations extérieures. Le plaignant rappelle que, selon la déontologie journalistique, les médias sont responsables de tout ce qu’ils publient ou diffusent. Il soutient aussi que le fait que M. Campeau ne soit pas journaliste à temps plein ne diminue en rien les responsabilités éthiques des mis-en-cause.
M. Lefrançois regrette que la situation qu’il dénonce se poursuive dans le magazine, il invoque à cet effet un article publié en octobre 2006 dans Sentier Chasse-Pêche, sous le titre « Gadgets et accessoires indispensables », dont les textes et les photos sont de M. Campeau. Cet article illustrerait de nouveau une panoplie d’objets fabriqués par les commanditaires du chroniqueur ou de leur compagnies mères.
Pour conclure, M. Lefrançois démontre la part de marché importante que représente la chasse et la pêche au Canada et l’influence du magazine Sentier Chasse-Pêche dans ce secteur, ce qui augmenterait les conséquences des manquements reprochés au magazine, en regard de la confusion entre l’information et la publicité et des conflits d’intérêts.
Analyse
Dans sa plainte, visant particulièrement deux articles rédigés et illustrés par le chroniqueur, M. Patrick Campeau, et publiés dans le magazine Sentier Chasse-Pêche, M. David Lefrançois formulait plusieurs reproches au chapitre de l’indépendance entre les secteurs de l’information et de la publicité ainsi que de l’apparence de conflit d’intérêts. Pour fins d’analyse, ils ont été regroupés en trois principaux griefs.
Le plaignant soutient premièrement que M. Campeau se place en situation de conflit d’intérêts, lorsqu’il signe des articles d’information dans lesquels il conseille certains produits spécifiques pour la pêche, vendus par ses commanditaires. Il lui reproche également d’occuper plusieurs fonctions incompatibles avec son rôle de chroniqueur.
Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter les conflits d’intérêts. Ils doivent, au surplus, éviter toute situation qui risque de les faire paraître en conflit d’intérêts, ou donner l’impression qu’ils ont partie liée avec des intérêts particuliers. Il en va de la confiance du public quant à l’indépendance et à l’intégrité de l’information. Afin de préserver leur crédibilité professionnelle, les journalistes sont aussi tenus à un devoir de réserve quant à leur implication personnelle dans diverses sphères d’activités sociales, politiques ou autres qui pourrait interférer avec leurs obligations de neutralité et d’indépendance.
M. Campeau occupe à la fois un rôle de pêcheur professionnel, pour lequel il est commandité par de nombreuses compagnies, et un rôle de porte-parole pour ces compagnies, en paraissant régulièrement dans diverses publicités, notamment diffusées dans les pages du magazine pour lequel il est chroniqueur. Bien que le Conseil note l’effort visible de M. Campeau pour informer le public de ses diverses fonctions et sa bonne foi, cette situation risque de le placer en apparence de conflit d’intérêts. Aussi, les exigences de neutralité et le devoir de réserve liés à la position journalistique des chroniqueurs devraient obliger le mis-en-cause à faire un choix entre la fonction promotionnelle et la fonction journalistique.
Bien que conscient du secteur restreint et spécialisé dans lequel évolue le magazine Sentier Chasse-Pêche, le Conseil tient à rappeler que cette publication demeure soumise aux mêmes règles de rigueur que toute autre publication journalistique. De plus, les collaborateurs extérieurs du magazine sont soumis au même devoir de réserve et d’indépendance que l’équipe permanente. La politique du magazine devrait être claire en ce sens. Cette politique éditoriale devrait notamment prévoir d’informer le public, lorsque l’information sur un produit est liée à un voyage gratuit ou à certains privilèges accordés aux journalistes pour en faire l’essai. Cette mesure est d’autant plus importante puisque le Conseil a relevé que les collaborateurs signent, pour une même édition, nombre de textes journalistiques et de publicités.
Le second grief exprimé par M. Lefrançois concerne la publicité déguisée en information et la non-identification d’un publireportage.
La déontologie du Conseil de presse stipule que les médias doivent s’écarter de toute pratique qui pourrait inciter les lecteurs à confondre publicité et information. Cette distinction entre l’information et la publicité doit s’établir clairement et sur tous les plans : contenu, présentation, illustration.
Comme le désaccord entre le plaignant et les mis-en-cause se situe premièrement au niveau de la définition d’un publireportage, le Conseil tient d’abord à rappeler qu’un publireportage est un message publicitaire, empruntant la forme d’un reportage régulier, inséré dans un magazine à des fins publicitaires. Par définition, il n’est pas nécessaire d’être directement rémunéré par un annonceur pour produire un publireportage. à cet effet, le communiqué « Publireportage : Le Conseil de presse sonne l’alarme », émis en 1990, précise également « que le message publicitaire a pour but de vendre ou de promouvoir un bien ou un service; et que l’article d’un journal, de son côté, a pour but d’informer la population sur des questions d’intérêt public ».
Le Conseil a étudié attentivement le contenu de chacun des textes en cause ainsi que les annexes jointes à la plainte et a observé que parmi les articles de pêche suggérés par M. Campeau, la majorité des produits présentés étaient distribués par ses commanditaires. De plus, le Conseil a pu établir que, pour la majorité du matériel de pêche en question, plusieurs compagnies offraient des produits destinés aux mêmes fins. Compte tenu du nombre de produits mentionnés dans les articles en cause, provenant majoritairement des commanditaires directs de M. Campeau, qui annoncent également dans le magazine Sentier Chasse-Pêche, il est possible de conclure à une information à caractère promotionnel. Le Conseil considère aussi que le ton positif de chacun des textes vient appuyer cette impression de publireportages non identifiés. Enfin, le Conseil a relevé que dans la majorité des illustrations des articles en cause, les logos de certains des commanditaires du journaliste étaient mis en évidence, ce qui créait également une confusion entre l’information et la publicité au niveau de l’illustration. Conséquemment, le Conseil retient le second grief.
Le dernier reproche formulé par le plaignant concerne le manque d’indépendance entre les secteurs de l’information et de la publicité, ainsi que la subordination de l’information à des intérêts commerciaux.
Le Conseil rappelle que les médias doivent se doter d’une politique claire en matière de publicité et s’assurer que celle-ci soit clairement exposée, pour éviter d’entretenir la confusion chez le public. Dans les articles et publicités en cause, le Conseil a pu observer que, pour la seule édition de mars 2006, le chroniqueur M. Campeau apparaissait dans cinq publicités, en plus des photos dans le sommaire, dans un article et en page couverture. Il y signait ensuite un article et les illustrations de ce dernier.
Pour l’édition d’avril 2006, M. Campeau figurait dans une publicité de Berkley et signait ensuite un reportage de quatre pages, incluant les illustrations. Dans cette même édition, en page 15, le chroniqueur M. Larose figurait dans une publicité de la compagnie Shimano. Enfin, dans l’édition d’octobre 2006, M. Campeau signait deux articles et figurait dans un encart présentant ses commanditaires.
La déontologie journalistique précise que les journalistes doivent éviter de se faire les promoteurs de quelque cause, produit ou événement que ce soit, sous peine d’entretenir une confusion chez le public entre les secteurs de l’information et de la publicité, de même qu’un doute quant à l’objectivité de l’information qui est rapportée. Le Conseil ne peut que constater qu’il y a confusion entre ces deux secteurs dans le magazine Sentier Chasse-Pêche, qui permet fréquemment à ses journalistes de figurer dans diverses publicités, en plus de les autoriser à mentionner des produits offerts par leurs commanditaires à l’intérieur de leurs reportages. Pour toutes ces raisons, le troisième grief est retenu.
Le Conseil estime qu’en ce moment, le travail de M. Campeau est assimilé à du journalisme et est ainsi soumis aux règles d’éthique journalistique, telles que définies par le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil de presse. S’il souhaite rédiger des chroniques à titre de pêcheur professionnel, M. Campeau doit le spécifier clairement et préciser dans ses chroniques qu’il n’agit pas à titre de journaliste, mais plutôt à titre d’expert dans le domaine de la pêche professionnelle. Le Conseil déplore cette situation de conflit d’intérêts et de publireportage déguisé, mais constate qu’elle pourrait être corrigée.
Décision
En raison de ce qui précède, le Conseil retient la plainte de M. David Lefrançois à l’encontre du journaliste M. Patrick Campeau, du rédacteur en chef M. Richard Monfette et du magazine Sentier Chasse-Pêche, pour manquements en regard de l’indépendance de l’information et de la publicité, de l’indépendance des journalistes et du conflit d’intérêts. Le Conseil recommande en conséquence au magazine de se doter d’une politique claire en regard de l’information et de la publicité.
Analyse de la décision
- C06H Affectation des journalistes
- C21A Publicité déguisée en information
- C21C Traitement à caractère promotionnel
- C21E Subordonner l’information à des intérêts commerciaux
- C21G Indépendance des services d’information et de publicité
- C22C Intérêts financiers
- C22G Appartenance du journaliste