Plaignant
Association raëlienne des minorités sexuelles – ARAMIS et M. Damien Francoeur, représentant
Mis en cause
M. Roger-Luc Chayer, rédacteur en chef; M. François-Robert Lemire, éditeur et la revue mensuelle Le Point
Résumé de la plainte
M. Damien Francoeur porte plainte contre la revue mensuelle Le Point, au nom de l’Association raëlienne des minorités sexuelles (ARAMIS), concernant un article intitulé « Exécutions d’adolescents homosexuels en Iran – Processus d’une enquête raëlienne bâclée », paru en septembre 2005 aux motifs principaux de diffusion d’informations inexactes, de discrimination et de refus d’un droit de réponse.
Griefs du plaignant
M. Damien Francoeur, représentant l’Association raëlienne des minorités sexuelles (ARAMIS), porte plainte à l’endroit de la revue Le Point concernant un article intitulé « Exécutions d’adolescents homosexuels en Iran – Processus d’une enquête raëlienne bâclée », paru en septembre 2005. L’article était signé Le Point.
Cet article revenait sur un communiqué de presse que Le Point attribuait aux raëliens. Ce communiqué, diffusé le 1er août 2005 selon le magazine, concernait l’exécution de deux adolescents homosexuels en Iran et appelait le public à participer à une manifestation devant l’ambassade d’Iran. L’article du Point dénonçait le fait que les raëliens se servaient de cette exécution pour attirer l’attention sur leur groupe. C’est pourquoi il prétendait rétablir la véracité des faits concernant les motifs de l’exécution de ces adolescents. En effet, selon le communiqué de presse, ils auraient été exécutés en raison de leur homosexualité, mais, selon Le Point, ils l’ont été pour avoir violé un autre adolescent.
Le plaignant considère d’abord que Le Point a manqué d’impartialité et a discrédité l’information parue dans le communiqué de l’ARAMIS. Le Point aurait ainsi utilisé des expressions qui indiqueraient son préjugé à l’égard de cette association, telle que « comme la source est d’ordre sectaire religieuse [sic] ».
M. Francoeur estime que Le Point aurait aussi porté des accusations non fondées envers le groupe l’ARAMIS et que l’article raconterait des faussetés. Il allègue que l’article ne préciserait pas que l’action dont parle le communiqué de presse a été organisée par l’ARAMIS Canada et non par le mouvement raëlien. Par ailleurs, le plaignant met en cause la véracité des informations contenues dans l’article du Point, concernant les motifs de la condamnation des adolescents. Il s’interroge aussi sur la validité des sources de cette information que Le Point présente comme étant « la plupart des fils de presse » et des « sources plus sûres comme CNN et certaines agences de presse européennes ». Il ajoute que l’information donnée par le journal est incomplète. En effet, le magazine écrit que « l’exécution […] portait non pas sur l’homosexualité des deux jeunes sur la photo mais bien sur un acte criminel se méritant la peine de mort en Iran ». Or, le plaignant précise que l’homosexualité est passible de la peine capitale en Iran.
Le plaignant reproche aussi au magazine de ne pas avoir vérifié ses informations dans la mesure où Le Point accuserait l’ARAMIS de ne pas être crédible, alors que celle-ci aurait des membres sur place qui auraient vérifié l’information.
En outre, M. Francoeur précise que Le Point n’a pas cherché à contacter l’ARAMIS, alors que Le Point affirme dans son article qu’« au moment de confronter la porte parole des raëliens sur cette information quelque peu tordue et manipulée, cette dernière ne pouvait expliquer une telle méprise tout en se refusant de la corriger ».
Le grief suivant concerne l’utilisation péjorative du terme « sectaire » pour appuyer la discrimination et les fausses accusations. Le plaignant considère qu’en traitant l’ARAMIS de groupe sectaire, Le Point attaque sa crédibilité et la discrédite. Il prend comme référence une décision du Conseil dans laquelle il est indiqué que « l’acceptation du mot « secte » glisse progressivement vers un sens de plus en plus péjoratif » et où le Conseil « invite les journalistes et les médias à la prudence dans l’utilisation de ce terme pour ne pas donner à leurs propos un sens qu’ils n’ont pas ». Il ajoute que l’ARAMIS n’est pas un groupe religieux, même si la majorité de ses membres sont raëliens.
Le plaignant estime ensuite que Le Point aurait voulu discriminer et discréditer l’ARAMIS et ses membres qui combattent toute forme de discrimination. Il considère que le journaliste laisse parler ses préjugés, sous le couvert de journalisme d’enquête, et qu’il discrédite l’ARAMIS parce que ses membres sont associés au mouvement raëlien. Il dénonce d’ailleurs le fait que le journaliste associe le mouvement raëlien et l’ARAMIS. Selon le plaignant, l’article est insultant et doublement discriminatoire à l’endroit de l’ARAMIS puisqu’il prend la forme d’une incitation à la haine contre un groupe minoritaire dont les membres adhèrent à une philosophie religieuse minoritaire.
Enfin, selon le plaignant, Le Point aurait manqué au droit de réponse du public. Le plaignant allègue que, malgré les effets nocifs envers la réputation de l’ARAMIS et le fait que cet article laisse planer un doute sur les accusations de manipulation, Le Point aurait refusé de publier la réponse de l’organisme à cet article.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Roger-Luc Chayer, rédacteur en chef et François-Robert Lemire, éditeur :
Le mis-en-cause soulève le fait que la plainte soit arrivée au Conseil le 5 septembre 2006 et que l’édition du magazine en cause, soit le numéro 35, a été publié le 1er septembre en version papier. Il se demande donc si la plainte est recevable, puisque l’article 3.6 du règlement sur le traitement des plaintes prescrit le dépôt de toute plainte à un an après la publication de l’article. Il précise que si l’article est signé Le Point, c’est pour raison de pratique interne.
Concernant le grief du plaignant selon lequel l’article associerait l’ARAMIS et le mouvement raëlien, le mis-en-cause répond que le plaignant représente un groupe qui n’était pas l’objet de l’article, qui n’a pas été cité dans l’article et dont il ne connaissait même pas l’existence avant la plainte. Aussi, le communiqué cité ne venait pas de l’ARAMIS mais du site www.raeliangay.org. Ainsi, le mis-en-cause considère que l’accusation du plaignant selon laquelle Le Point aurait des préjugés envers l’ARAMIS n’est pas fondée. Le mis-en-cause ajoute qu’il n’a pas reçu de plainte venant des raëliens, mais qu’il a reçu des commentaires de la part d’un raëlien, qui parlait en son nom propre.
Concernant le grief pour information inexacte, quant aux motifs de la condamnation des adolescents, le mis-en-cause répond que l’article ne concernait pas cette exécution mais la récupération qu’en a fait le mouvement raëlien. Il précise que Le Point n’a pas donné d’opinion sur les motifs menant à l’exécution des adolescents ni sur leur homosexualité. Aussi, l’objectif de l’article était de mettre en évidence qu’un groupe sectaire s’était servi d’une nouvelle non confirmée et biaisée pour se donner de la crédibilité auprès d’une communauté à laquelle s’adresse la revue Le Point. Il ajoute que l’ambiguïté de la nouvelle concernant l’exécution des adolescents en Iran a fait l’objet de plusieurs reportages dans les médias internationaux et donne l’exemple d’un reportage de la BBC sur le sujet.
Quant au grief du plaignant selon lequel Le Point aurait de mauvaises intentions envers l’ARAMIS ou les raëliens, le mis-en-cause répond que ce n’est pas le cas, le magazine ayant déjà publié des textes positifs sur les raëliens.
Le mis-en-cause commente ensuite le grief ayant trait à la demande de réplique des plaignants. Il admet avoir reçu un courriel de M. Francoeur titré « Droit de réponse », mais il répond qu’un tel droit de réplique n’existe pas. Par ailleurs, il ajoute que, avant de publier une telle réplique, il aurait fallu s’assurer de l’identité de M. Francoeur, du statut de l’ARAMIS et de celui de M. Francoeur au sein de cette association. Cela n’aurait pas été possible, puisque M. Francoeur n’aurait pas répondu aux demandes de renseignements du Point. Aussi, sans ces renseignements, pourtant exigés dans le cadre de la procédure à suivre pour répliquer ou contribuer à un texte dans Le Point, et qui est publiée sur Internet, la démarche de M. Francoeur n’a pu aboutir. Le mis-en-cause ajoute que, dans la mesure où le plaignant n’était ni mentionné, ni concerné pas l’article, exiger un tel droit de réplique était inopportun.
Concernant l’utilisation du mot « sectaire », le mis-en cause répond qu’il est de notoriété publique que le mouvement raëlien n’est pas une religion et qu’il n’a pas de statut d’organisme religieux. Il ajoute que le mot « sectaire » est utilisé par les médias du monde entier pour qualifier le mouvement raëlien et que Le Point n’a rien inventé. Il affirme par ailleurs que Le Point a utilisé l’expression « d’ordre sectaire religieuse [sic] » pour qualifier les raëliens, ce qui atténuerait l’impact du mot « sectaire ». Aussi, il considère que les reproches du plaignant concernant l’utilisation de ce mot ne relève pas du Point mais de l’usage.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a pas présenté de réplique dans le présent dossier.
Analyse
Le présent dossier oppose M. Damien Francoeur, le plaignant représentant l’Association raëlienne des minorités sexuelles (l’ARAMIS), à la revue Le Point. Cette dernière, la mis-en-cause, soulevait avant tout la question de la recevabilité de la plainte, celle-ci ayant été soumise au Conseil le 5 septembre 2006 alors qu’elle concernait un article paru dans l’édition du Point publiée le 1er septembre 2005. Le Conseil estime que cette plainte a été déposée conformément au règlement en vigueur au moment où elle a été reçue et qu’elle est recevable.
La plainte concernait un article intitulé « Exécutions d’adolescents homosexuels en Iran – Processus d’une enquête raëlienne bâclée » qui, à partir du contenu d’un communiqué de presse qu’il attribuait aux raëliens, faisait état d’une enquête effectuée par Le Point quant à la valeur de l’information que diffusait ce communiqué. L’enquête du Point concluait à la manipulation d’information par les raëliens.
Les principaux griefs soulevés par le plaignant avaient trait au manque de vérification, à l’utilisation de sources d’informations douteuses, à la diffusion d’informations inexactes et au refus d’un droit de réponse. Le plaignant reprochait aussi au mis-en-cause d’avoir fait preuve de partialité et de discrimination, et d’avoir discrédité l’ARAMIS.
D’abord, ayant observé que l’article mis en cause est à la limite entre l’information et l’opinion, le Conseil invite Le Point à être plus explicite quant à l’identification des genres journalistiques de ses articles.
En premier lieu, le plaignant considérait que l’article du Point comportait des inexactitudes ayant trait à l’origine du communiqué de presse c’est-à-dire que Le Point aurait associé l’ARAMIS et le mouvement raëlien. Le mis-en-cause soutenait qu’il ignorait l’existence de l’ARAMIS avant d’avoir reçu la plainte et que le communiqué ne venait pas de l’ARAMIS mais du site www.raeliangay.org. Or, il appert que ce site Internet est celui de l’ARAMIS international. Ainsi, bien que liées, l’ARAMIS et le mouvement raëlien sont deux entités différentes. Le Conseil considère toutefois que cette inexactitude est mineure dans le contexte global de l’article. Le grief est rejeté.
M. Francoeur estimait aussi que l’article du Point contenait d’autres informations inexactes cette fois concernant les motifs d’exécution des adolescents iraniens. Les deux parties au présent dossier soutenaient des thèses contradictoires issues de deux sources différentes. Pour appuyer son argumentation, Le Point donnait l’exemple d’un reportage de la BBC et prétendait s’appuyer sur ce type d’article. Or, le reportage de la BBC déposé au dossier spécifie que les motifs d’exécution ne sont pas clairs et fait ensuite état de la version des associations pour les droits des homosexuels et celle du gouvernement iranien.
Pour sa part, l’article du Point nie la première version et prend parti pour la seconde. Le grief pour inexactitude de l’information est donc retenu. Puisque l’article n’est pas identifié comme du journalisme d’opinion, Le Point aurait aussi dû rapporter les deux versions sans prendre parti.
Le plaignant considérait que les sources du Point étaient douteuses. Or, celui-ci, pour contre-vérifier l’information diffusée dans le communiqué de l’ARAMIS, dit avoir tiré ses propres informations de « CNN et [de] certaines agences de presse européennes », qui sont des sources d’information crédibles. Le plaignant reprochait aussi au Point de ne pas avoir contacté l’ARAMIS, ni le mouvement raëlien. Or, le communiqué de presse de l’ARAMIS, qui constitue son point de vue officiel, a été repris dans l’article. Ainsi, les griefs concernés sont rejetés.
Ensuite, le plaignant reprochait au mis-en-cause de lui avoir refusé un droit de réplique. Bien que le droit de réplique ne soit pas automatiquement accordé, le Conseil précise que les médias ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée et qu’ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes et aux groupes de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. à cet égard, le Conseil constate que Le Point s’est doté d’une politique concernant le droit de réplique mais considère que les motifs invoqués par le mis-en-cause ne justifient pas le fait de ne pas avoir donné ce droit de réplique à M. Francoeur. En effet, selon le site www.raeliangay.org, cité dans l’article et directement lié à l’ARAMIS, il est clair que M. Francoeur est le président de l’ARAMIS Canada et que cette association existe bel et bien. Le grief pour refus de droit de réponse est retenu.
M. Francoeur accusait Le Point d’avoir qualifié l’ARAMIS de « sectaire », alors qu’elle n’est pas une association religieuse. Or, ce n’est pas l’ARAMIS que Le Point a qualifié de source « d’ordre sectaire-religieuse [sic] » mais les raëliens. Or, dans la mesure où le mouvement raëlien est considéré comme sectaire dans de nombreux pays et que ce mot est largement répandu dans les médias pour le caractériser, l’utilisation du terme sectaire pour qualifier la source du communiqué était raisonnable, d’autant plus que l’ARAMIS est, comme son nom l’indique, une association raëlienne. Le grief pour terme impropre soulevé par le plaignant n’est donc pas retenu.
M. Francoeur considérait que Le Point avait fait preuve de partialité et avait discrédité l’ARAMIS, en alléguant que, parce que celle-ci était une source « d’ordre sectaire-religieuse [sic] et que les raëliens sont très impliqués dans leurs croyances, un peu de discernement ne pouvait faire de mal ». Il appert que Le Point a vérifié une information issue d’une source sectaire comme il aurait vérifiée n’importe quelle information issue d’un groupe qui défend ses propres intérêts. De plus, ce n’est pas l’ARAMIS que visait l’article mais les raëliens. Les griefs relatifs à la partialité, à la discrimination, aux préjugés et au manque de respect sont rejetés.
Enfin, le plaignant accusait Le Point de diffamation et d’avoir nuit à sa réputation. Or, le rôle du Conseil n’est pas de déterminer s’il y a eu diffamation ou d’évaluer le degré d’atteinte à la réputation des plaignants, cela relevant des tribunaux.
Décision
Pour l’ensemble de ces considérations, le Conseil retient partiellement la plainte de M. Damien Francoeur contre MM. Roger-Luc Chayer et François-Robert Lemire et la revue Le Point, pour manque de vérification ayant entraîné la diffusion d’informations inexactes et pour refus d’un droit de réplique. Les autres griefs sont rejetés.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C15D Manque de vérification
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination