Plaignant
Mme Martine Ménard
Mis en cause
Mme Caroline Lepage, journaliste; M. Jean-Claude Bonneau, directeur de l’information et l’hebdomadaire L’Express
Résumé de la plainte
Mme Martine Ménard porte plainte contre la journaliste Caroline Lepage concernant un article intitulé « Le champ de tir de Durham-Sud livre une bataille de quelques décibels devant les tribunaux », paru dans L’Express de Drummondville le 10 septembre 2006. La plaignante dénonce principalement la diffusion d’informations inexactes et non vérifiées.
Griefs du plaignant
Mme Martine Ménard porte plainte contre Mme Caroline Lepage, journaliste à L’Express de Drummondville, concernant un article intitulé « Le champ de tir de Durham-Sud livre une bataille de quelques décibels devant les tribunaux », paru le 10 septembre 2006.
Cet article relatait que le champ de tir de Durham-Sud était fermé depuis qu’une famille s’était plainte du bruit. En effet, des tests auraient démontré que les activités pratiquées au sein de ce champ de tir généraient un son environnant de 54 décibels, alors que la limite imposée par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) est de 45 décibels. Il appert que la famille dont il est question dans cet article est celle de Mme Ménard, bien que son nom ne soit pas cité.
Mme Ménard soutient que plusieurs éléments contenus dans cet article sont faux. Ainsi, la journaliste aurait rapporté que l’Association sportive de protection du poisson et du gibier de Durham-Sud [ASPPGDS] aurait gagné en cour contre sa famille, ce qui serait inexacte. Elle ajoute que sa famille se bat depuis six ans pour se faire respecter, en précisant qu’elle ne serait pas la seule à se plaindre du bruit. La journaliste aurait ainsi mal vérifié les informations utilisées dans son article, en ne recherchant pas si un tel jugement avait été rendu ou non et en ne rapportant pas la version des faits de la famille Ménard. La plaignante estime ainsi être directement affectée par cet article qu’elle considère comme « mensonger » et demande que la journaliste s’excuse.
La plaignante ajoute qu’elle a des documents du MDDEP, prouvant que le taux de plomb contenu dans le sol est 19 000 fois trop élevé par rapport à la normale. Or, son puit serait 20 pieds plus bas en ligne directe. Elle présume que cela aurait un lien avec divers ennuis de santé que connaissent les membres de sa famille.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Caroline Lepage, journaliste :
Mme Caroline Lepage précise d’abord que son article du 10 septembre faisait suite à un autre article, publié le 6 septembre 2006, intitulé « Le champ de tir de Drummond menacé de fermeture définitive – ce qui compromettrait la sécurité des citoyens ».
Me Jean-François Brouillard, l’avocat de la famille Ménard, aurait informé L’Express, lors d’une conversation téléphonique ayant eu lieu le 11 septembre 2006, que l’article du 10 septembre 2006 contenait une erreur. Il était mentionné que la famille plaignante avait intenté un recours en justice pour obtenir la fermeture définitive du champ de tir, et qu’elle avait perdu cette cause. Selon la journaliste, il aurait fallu lire qu’une injonction permanente avait été prononcée contre les administrateurs de l’ASPPGDS pour que les décibels soient limités à 45 le jour et à 40 la nuit, injonction à laquelle l’ASPPGDS avait consenti. En effet, la « cause perdue » ne faisait pas référence à la poursuite intentée par la famille Ménard contre l’ASPPGDS, mais au recours en justice intenté par la famille Ménard pour la fermeture définitive du champ de tir. Or, le champ de tir était fermé temporairement.
L’avocat aurait aussi déploré que l’article ne laissait pas la parole à la famille et qu’il donnait l’impression que celle-ci se plaignait pour rien. La journaliste aurait donc demandé les coordonnées de la famille Ménard afin de la contacter, mais Me Brouillard lui aurait répondu qu’il était le porte-parole de la famille et que celle-ci préférait ne pas être contactée.
Lors de cette conversation, Mme Lepage se serait engagée à faire les corrections nécessaires dans un autre article. En effet, dans la mesure où de nouveaux éléments d’information semblaient imminents, concernant le champ de tir, la journaliste comptait écrire un nouvel article. Or, rien n’est survenu aussi rapidement que prévu. Les rectifications auraient donc été mises en suspens. Cependant, le dossier a progressé en janvier, des articles ont donc pu être publiés le 7 février 2007, comprenant comme convenu les corrections demandées par Me Brouillard.
La plaignante considérait que l’article du 10 septembre portait atteinte à la vie privée de sa famille. La mise-en-cause répond qu’en ne dévoilant pas leur nom, elle a été respectueuse à leur endroit.
Concernant la contamination de plomb qui toucherait le puit de la famille Ménard, Mme Lepage précise que Me Brouillard aurait lui-même confirmé qu’il n’y avait pas d’éléments qui permettaient de prétendre que cette contamination s’était répandue au-delà des limites du champ de tir. Elle en faisait d’ailleurs état dans son article publié le 7 février.
Commentaires de M. Jean-Claude Bonneau, directeur de l’information :
M. Jean-Claude Bonneau estime que l’article du 10 septembre ne porte pas préjudice à Mme Ménard et à sa famille, d’autant plus que celle-ci aurait déménagé au moment où l’article avait paru. M. Bonneau ajoute que le nom de cette famille n’a jamais été précisé dans l’article et il estime que ce dernier rapportait uniquement l’état de la situation du champ de tir.
Le mis-en-cause réitère qu’il n’a pas été possible de contacter la plaignante ou un membre de sa famille, puisque leur avocat avait laissé entendre qu’il était leur unique porte-parole.
Lors de cette même conversation téléphonique, Mme Lepage aurait convenu avec Me Brouillard de réaliser un autre texte incluant les correctifs, lorsque du nouveau se présenterait. Or, ce dossier n’a évolué qu’à la mi-janvier. Aussi, dès que Mme Lepage a obtenu d’autres renseignements, elle a pu réaliser de nouveaux articles.
Réplique du plaignant
Mme Ménard réitère que l’article concerné contenait des faussetés et que la journaliste aurait dû lui demander sa version des faits et vérifier ses informations avant d’écrire son article.
La plaignante confirme par ailleurs que l’article du 10 septembre 2006 a paru la fin de semaine où elle et sa famille ont déménagé.
Elle ajoute que la journaliste, qui avait promis à Me Brouillard qu’elle corrigerait les inexactitudes juridiques contenues dans l’article du 10 septembre 2006, ne l’a fait qu’après le dépôt de la plainte au Conseil, soit quatre mois plus tard.
Analyse
La présente plainte opposait Mme Martine Ménard à Mme Caroline Lepage, concernant un article intitulé « Le champ de tir de Durham-Sud livre une bataille de quelques décibels devant les tribunaux », paru dans L’Express de Drummondville le 10 septembre 2006.
Les principaux motifs invoqués par la plaignante étaient la diffusion d’informations inexactes, le manque de vérification et d’une version des faits et la rectification insatisfaisante.
La plaignante reprochait d’abord à la journaliste d’avoir diffusé des informations inexactes en écrivant, d’une part, que l’Association sportive de protection du poisson et du gibier de Durham-Sud [ASPPGDS] avait gagné en justice contre la famille Ménard et, d’autre part, que cette famille était la seule à se plaindre du bruit résultant des activités pratiquées au champ de tir.
La mise-en-cause admettait qu’elle aurait dû écrire « qu’une injonction permanente avait été prononcée contre les administrateurs de l’ASPPGDS pour que les décibels soient limités à 45 le jour et à 40 la nuit, injonction à laquelle l’ASPPGDS avait consenti ». Ainsi, l’information publiée était inexacte. De plus, d’après les informations au dossier, la famille Ménard n’était pas la seule à se plaindre du bruit émis par les activités pratiquées au sein de champ de tir, contrairement aux propos de Mme Madeleine Labonté rapportés dans l’article de Mme Lepage. Cette information est donc aussi inexacte. Les griefs ont été retenus.
La plaignante considérait que ces inexactitudes résultaient d’un manque de vérification, dans la mesure où la journaliste n’aurait pas demandé à la famille Ménard sa version des faits. En effet, la journaliste n’aurait pas tenté de contacter la famille Ménard avant la rédaction de son article du 10 septembre. C’est uniquement à la suite de l’appel de Me Jean-François Brouillard, le 11 septembre, qu’elle aurait voulu le faire. Aussi, le Conseil rappelle que dans les cas où une nouvelle traite d’une situation controversée, ou de conflits entre des parties, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. Dans le cas présent, par souci d’exactitude et d’équilibre, la journaliste aurait dû contacter la famille Ménard, ou son porte-parole, afin de recueillir sa version des faits, puisqu’elle était directement concernée par l’article. Le grief a donc été retenu.
Mme Ménard estimait que le rectificatif publié par le journal n’était pas satisfaisant. L’Express a publié un nouvel article concernant le même sujet le 7 février 2007. Dans celui-ci, la journaliste écrivait : « Contrairement à ce qu’avait indiqué L’Express dans un article du 10 septembre, aucune cause n’a encore été gagné ou perdue à l’heure actuelle entre les exploitants du champ de tir […] et la famille plaignante […]. » Elle a aussi écrit que la famille Ménard « a également tenu à souligner qu’elle n’avait pas été la seule à se plaindre du bruit, disposant de quelques affidavits à l’appui, en vue du procès dont la date n’a pas encore été fixée » et a mentionné les commentaires de Me Brouillard. La jurisprudence du Conseil indique que l’usage en pareil cas est de considérer que même si la publication d’une rectification ne peut jamais réparer complètement le préjudice causé par le média, la publication peut libérer les mis-en-cause d’un blâme de sa part.
Cependant, même si la journaliste a apporté au dossier les corrections et les précisions nécessaires, le Conseil a considéré que le délai entre le moment où Me Brouillard a contacté la journaliste et la publication du rectificatif était trop long. En effet, la journaliste n’avait pas besoin d’attendre de nouvelles informations pour reconnaître publiquement qu’elle avait diffusé des informations inexactes dans l’article du 10 septembre. Aussi, bien que l’article du 7 février remplisse le rôle de rectificatif, le Conseil a estimé qu’un tel rectificatif aurait dû être publié plus rapidement. Ainsi, l’article du 7 février constituait une mesure de réparation acceptable sur le fond du dossier, mais non sur la forme. Le grief a donc été partiellement retenu.
Enfin, la plaignante considérait que l’article de Mme Lepage avait enfreint le droit de sa famille à la vie privée. Le rôle du Conseil n’est pas de déterminer ou d’évaluer le degré d’atteinte à la réputation ou à la vie privée des plaignants, cela relève des tribunaux. Le Conseil a étudié le dossier sous l’angle de l’éthique journalistique. D’une part, il appert que la journaliste n’a pas cité pas le nom de la famille Ménard et n’a pas donné de détails précis à son sujet, et d’autre part, la justice étant publique, la journaliste aurait pu citer le nom de cette famille. Le grief a été rejeté.
Décision
En raison de ces considérations, le Conseil retient partiellement la plainte de Mme Martine Ménard contre Mme Caroline Lepage et L’Express de Drummondville, pour avoir diffusé des informations inexactes et non vérifiées et pour avoir publié un rectificatif trop tardivement.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12C Absence d’une version des faits
- C15D Manque de vérification
- C19B Rectification insatisfaisante