Plaignant
Guy Gendron, journaliste, Jean-Luc Paquette, réalisateur et Monique Dumont, chef recherchiste et l’émission « Zone Libre Enquêtes » et la SRC
Mis en cause
Dany Bouchard, journaliste et Le Journal de Montréal (Serge Labrosse, directeur général de la rédaction)
Décision sur la recevabilité de la plainte
Les plaignants portent plainte contre le Journal de Montréal et le journaliste Dany Bouchard au sujet d’un article paru le 25 janvier 2007 intitulé : « Plainte de Stephen Harper : à Radio-Canada on fait le mort ». Les plaignants, qui précisent porter plainte à titre personnel, reprochent aux mis-en-cause le manque de vérification et l’inexactitude d’une information publiée ayant laissé planer un doute sur leur intégrité professionnelle portant ainsi atteinte à leur réputation.
La présente décision vise à établir la recevabilité du dossier 2007-02-065 qui met en cause Guy Gendron, journaliste, Jean-Luc Paquette, réalisateur et Monique Dumont, chef recherchiste pour « Zone Libre Enquête » et Dany Bouchard, journaliste et Le Journal de Montréal.
Décision :
Considérant la jurisprudence du Conseil qui précise que le rôle du Conseil n’est pas de déterminer le degré d’atteinte à la réputation du plaignant, cela relevant des tribunaux, mais d’étudier le dossier sous l’angle de l’éthique professionnelle;
Considérant que la plainte des artisans de « Zone Libre Enquête » contre M. Dany Bouchard et le Journal de Montréal peut être étudiée sous les griefs d’inexactitude ou de manque de vérification et que ceux-ci tombent sans aucun doute sous la juridiction du Conseil;
Le comité des plaintes et de l’éthique de l’information considère la plainte recevable.
Résumé de la plainte
MM. Guy Gendron, Jean-Luc Paquette et Mme Monique Dumont portent plainte à l’encontre du journaliste Dany Bouchard et du quotidien Le Journal de Montréal, concernant un article publié le 25 janvier 2007, sous le titre « Plainte de Stephen Harper : à Radio-Canada, on fait le mort… ». Les plaignants accusent le journaliste d’avoir publié de fausses informations en s’appuyant sur de « prétendus chuchotements en coulisses », sans avoir tenté d’en vérifier l’authenticité auprès des principaux intéressés, ce qui aurait porté atteinte à leur réputation.
Griefs du plaignant
MM. Guy Gendron, Jean-Luc Paquette et Mme Monique Dumont portent plainte, à titre personnel, contre le journaliste Dany Bouchard et le quotidien Le Journal de Montréal, concernant un article publié le 25 janvier 2007, sous le titre « Plainte de Stephen Harper : à Radio-Canada, on fait le mort… », pour atteinte à leur réputation. Ils accusent le journaliste et le Journal de Montréal d’avoir publié de fausses informations sans avoir tenté d’en vérifier l’authenticité auprès des principaux intéressés. Les plaignants déplorent que le journaliste et le Journal n’aient présenté ni excuses, ni rétractation.
L’article portait sur le fait que 24 heures après avoir reçu une plainte du bureau du Premier ministre Stephen Harper contre un reportage de « Zone Libre Enquêtes », sur les sables bitumineux, la SRC n’avait toujours pas fait connaître sa réponse. Le journaliste titrait ainsi : « Plainte de Stephen Harper : à Radio-Canada, on fait le mort… ».
La phrase dénoncée par les plaignants comme contenant de fausses informations et juxtaposée à une photographie de M. Guy Gendron est la suivante : « En coulisses, on chuchote que le reportage de Radio-Canada pourrait être une vengeance à l’égard du gouvernement Harper, qui a donné le feu vert à la révision du mandat et du financement de la société d’état. » Selon les plaignants, sans autre point d’appui « que de prétendus chuchotements en coulisses », le journaliste laisserait entendre que l’équipe de « Zone Libre Enquêtes » aurait accepté une commande venant d’on ne sait qui, et d’on de sait où à Radio-Canada, pour attaquer malicieusement le gouvernement Harper dans le seul but de se venger de la révision du mandat et du financement de la société d’état.
Selon les plaignants, cela les présenterait « comme des tueurs à gage de l’information, des fiers à bras du journalisme, des mercenaires corporatifs ». Ils estiment qu’il s’agit d’une attaque inacceptable à leur réputation. Or, soutiennent-ils, la réputation de probité et d’indépendance d’esprit est le fond de commerce du journalisme.
Les plaignants sont d’avis que cet article n’est pas un simple dérapage. Il s’inscrirait dans une stratégie de l’Empire Quebecor qui viserait à jeter le discrédit sur Radio-Canada, une stratégie dont ils auraient malheureusement fait les frais.
En appui à leur plainte, ils soumettent un autre article du Journal de Montréal, « Reportage de Zone Libre sur les sables bitumineux – La société d’état reconnaît sa part d’erreurs », pour démontrer le caractère malicieux dans lequel s’inscrivait l’article de M. Bouchard. Les plaignants questionnent l’ « erreur » qu’aurait reconnue Radio-Canada. Celle d’avoir dit que Rona Ambrose a été assermentée comme ministre de l’Environnement le 16 février 2006 alors qu’en fait, elle a été assermentée le 6 février 2006. Les plaignants soutiennent que « c’est une faute d’inattention, une seule, dans un reportage d’une heure! » Est-ce que cela valait une pleine page à la une du cahier « Arts et spectacles », se questionnent-ils. Voilà selon eux une illustration évidente de la mauvaise foi du Journal de Montréal.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Dany Bouchard, journaliste :
Selon M. Dany Bouchard, la plainte est injustifiée et mérite d’être contextualisée et argumentée. Tout d’abord, il estime que la couverture du secteur de la télévision, comme celui de la politique, de l’économie ou des sports a ceci de particulier; régulièrement – voire souvent – des gens qui ne sont pas des acteurs de l’actualité, mais qui sont directement concernés par une nouvelle font le noble geste de contacter eux-mêmes les représentants de la presse pour partager leur point de vue.
En télévision, ajoute-t-il, ce sont la plupart du temps des secrétaires, des journalistes, des pupitreurs, des affectateurs, des techniciens, et même, dans certains cas, des directeurs qui contactent les journalistes de la presse écrite, pour réagir à un état de fait ou donner un contexte, un relief à une nouvelle qui n’aurait pu être décelé autrement.
M. Bouchard ajoute que le reportage a fait beaucoup de bruit. M. Gendron a été invité sur le plateau de « Tout le monde en parle » et il fut présenté par l’animateur comme l’instigateur d’un reportage qui « pourrait faire tomber le gouvernement Harper ».
De plus, le journaliste ajoute que le Globe and Mail aurait carrément mis en doute certaines des prémisses de base du reportage. Trois jours après la diffusion, le gouvernement conservateur déposait une plainte auprès de l’ombudsman de Radio-Canada en réclamant des excuses. Le lendemain, la plainte du Premier Ministre se serait retrouvée sur la plupart des organes de presse, à l’exception, de ceux régis par Radio-Canada.
Selon le journaliste, il est facile de croire que plusieurs employés de Radio-Canada se soient manifestés auprès d’un des journalistes du Journal de Montréal. M. Bouchard affirme que deux d’entre eux ont affirmé que le reportage diffusé « pourrait être une vengeance à l’égard du gouvernement Harper qui avait autorisé la révision du mandat et de la structure de financement de Radio-Canada ».
De l’avis de M. Bouchard, les artisans de la télévision occupent des emplois précaires qui ne leur permettent pas de prendre la parole en public sous peine d’être réprimandés. Il ajoute que cette situation s’applique particulièrement à Radio-Canada où les cadres de travail professionnels sont souvent très rigides. Il en conclut donc que l’information dite « officielle », est souvent filtrée, mince ou hermétique.
De ce fait, il juge normal que ses sources de Radio-Canada qui ont noblement choisi de contextualiser le reportage d’un de leurs collègues ont chacune demandé à partager les informations transmises sous le couvert de l’anonymat. Comme il est coutume dans le métier de journaliste, d’autres sources ont aussi accepté de partager leurs points de vue sur la question, sous le couvert de l’anonymat, ajoute M. Bouchard.
Ce qui amène le journaliste à expliquer l’utilisation des termes « chuchotements en coulisses » qui faisaient référence aux points de vue des personnes souhaitant garder l’anonymat et qui étaient essentiels à la contextualisation, à la compréhension de la situation, d’une nouvelle dans l’intérêt public. Selon M. Bouchard, cette expression serait largement utilisée par les médias écrits ou électroniques.
Le journaliste réfute aussi les allégations d’affirmation grossière et mensongère et affirme que son affirmation était basée sur les témoignages de plusieurs personnes, dont certains collègues, qui n’accusent personne, mais qui l’auraient informé d’un lien entre la diffusion du reportage et la décision de ce même gouvernement de revoir les fondements de leur organe de presse.
De plus, M. Bouchard souligne que l’affirmation ne pointe et n’accuse aucun des plaignants. Selon lui, ce serait Radio-Canada qui devrait se sentir interpellée puisque c’est d’elle dont il s’agit. Il précise que la société d’état n’a, elle-même à ce jour, porté plainte contre l’article.
Le journaliste estime que les propos avancés dans la plainte, « Cela nous présente comme des tueurs à gage de l’information, des fiers à bras du journalisme, des mercenaires corporatifs » sont exagérés et colorés et ne font référence qu’à une seule phrase d’un article de 582 mots. M. Bouchard estime que la phrase, qui lui est reprochée, n’a servi qu’à contextualiser un reportage qui a défrayé les manchettes durant plusieurs jours. Jamais, le journaliste n’a rapporté ces propos et les artisans du reportage se font les défendeurs d’une cause qui n’est pas la leur, puisqu’il est question ici d’une « vengeance » qu’aurait pu orchestré Radio-Canada et non MM. Gendron, Paquette et Mme Dumont.
M. Bouchard précise qu’il n’a jamais remis en cause leurs qualités professionnelles et individuelles dans la phrase reprochée. Il termine en soulignant que le but de cet article n’a jamais été autre que de contextualiser le reportage de Radio-Canada au profit du public et non d’atteindre à la réputation de ses artisans.
Commentaires de Me Bernard Pageau, procureur du Journal de Montréal :
à la suite de la décision du Conseil de presse sur la recevabilité de ce dossier, Me Bernard Pageau émet les commentaires suivants. Selon lui, le seul objet de la plainte sera l’article paru le 25 janvier 2007, sous la plume du journaliste Dany Bouchard et le Conseil ne devra pas considérer les propos avancés par les plaignants de « malice et de mauvaise foi du Journal de Montréal », dans l’article du 2 février 2007, remis par les plaignants en appui à leur plainte.
Me Pageau cite le paragraphe dénoncé dans l’article faisant l’objet de cette plainte : « En coulisses, on chuchote que le reportage de Radio-Canada pourrait être une vengeance à l’égard du gouvernement Harper, qui a donné le feu vert à la révision du mandat et du financement de la société d’état. » Selon ce dernier, un lecteur objectif pouvait difficilement y lire qu’il s’agissait d’une vengeance « des artisans du reportage » à l’égard du gouvernement Harper. La phrase, selon lui, visait Radio-Canada. Or, cette dernière n’aurait formulé aucune plainte à l’égard de l’article.
Me Pageau rappelle que le journaliste explique dans ses commentaires que les informations rapportées provenaient d’employés de Radio-Canada ainsi que d’autres artisans de la télévision qui ont, contre promesse d’anonymat, accepté de lui confier ces informations. Le journaliste a promis à ses sources de respecter leur demande. Me Pageau souligne que l’utilisation des termes « chuchotements en coulisses » fait référence à ces points de vue de personnes souhaitant garder l’anonymat. Le journaliste avertissait ainsi les lecteurs de la nature confidentielle de ses sources.
Il termine en soulignant que le journaliste a rapporté une information d’intérêt public. De l’avis du procureur, le journaliste était justifié de rapporter toutes les facettes de cette affaire où une plainte inhabituelle du gouvernement visait un reportage de Radio-Canada.
Réplique du plaignant
Réplique aux commentaires du journaliste, M. Dany Bouchard du Journal de Montréal :
Les plaignants reprochent au journaliste d’avoir laissé écouler 25 jours avant de répondre à la plainte. Ils remettent en question l’argument avancé par le journaliste, selon lequel « au moins deux » employés de Radio-Canada mécontents de leur sort l’auraient contacté pour partager des rumeurs circulant en coulisse. Les plaignants remettent en cause l’éthique professionnelle du journaliste, qui qualifiait de « noble geste » cette pratique qui consiste, sous le couvert de l’anonymat, à salir des réputations.
Les plaignants reprochent au journaliste de laisser entendre qu’ils auraient accepté, en s’associant au reportage sur la politique environnementale du gouvernement Harper, une mission politique commandée par les patrons de la SRC dans le but de se venger de ce dernier. Les plaignants, en plusieurs points, dénoncent les arguments utilisés par le journaliste pour justifier ses attaques envers eux.
1. D’avoir trouvé appui sur une chronique publiée dans le Globe and Mail qui « mettait en doute certaines des prémisses de base », sans avoir pris la peine de parler de la réplique des plaignants envoyée au journal.
2. D’avoir prétendu que d’autres journalistes utilisaient le mot « coulisses », ce qui laisserait entendre que l’on peut raconter n’importe quel ragot, même injurieux, pourvu qu’on y attribue l’origine. Selon les documents fournis par le journaliste soulignant l’utilisation du mot « coulisses », les plaignants se demandent « Combien [de cas] remettent en question des réputations? Selon eux, « On raconte en coulisse que les sondages sont favorables » n’a pas le même sens que « On raconte en coulisse que les auteurs d’un reportage ont accepté d’agir en fiers à bras de l’information pour des motifs purement corporatifs ».
3. Selon M. Bouchard, les propos tenus dans l’article n’ « accusent personne ». Ainsi, le reportage pourrait être une vengeance à l’égard du gouvernement Harper, mais que cela n’engageait absolument personne, surtout pas ses auteurs! Que ces derniers se serait « vengés » malgré eux. Les plaignants disent se retrouver devant une alternative : soit ils sont malhonnêtes, soit ils sont des imbéciles. Dans un cas comme dans l’autre, leur réputation est ternie.
4. Le journaliste expliquait que la « vengeance » aurait été orchestrée par Radio-Canada, à l’insu des plaignants et selon le journaliste Dany Bouchard, « il aurait fallu que ce soit Radio-Canada qui se sente visée » et non les plaignants. Les plaignants estiment que le texte de l’article fait référence à M. Gendron à maintes reprises et que sa photo est accolée à l’article, les artisans du reportage sont donc, selon eux, directement visés par l’article.
5. Le journaliste laisserait entendre « que les plaignants cherchent des poux », car ils reprocheraient une phrase dans un article de 582 mots. Les plaignants soulignent que la signature du journaliste au bas du texte engage sa responsabilité sur chacune de ses composantes.
6. Selon les plaignants, que le journaliste suppose que des expressions telles que « chuchotements en coulisses » soit de « l’information » et qu’elles « sont essentielles à la contextualisation, à la compréhension… dans l’intérêt public ». Selon eux, tout ne serait que spéculations sur les motifs imputés à la direction de Radio-Canada et dont les trois plaignants se seraient fait les porte-voix ou les complices. Les plaignants disent ne pas comprendre en quoi la phrase à l’origine de la plainte viendrait-elle « contextualiser » l’article de M. Bouchard. Cet article rappellent-ils portait sur le processus de traitement de la plainte déposée par le bureau du Premier ministre Harper à la direction de Radio-Canada.
7. à deux reprises, le journaliste Dany Bouchard parle de la noblesse du geste qui consisterait, pour un employé de Radio-Canada, à ne pas respecter ses engagements contractuels : « emplois précaires », mécontentement devant une « direction (qui) semble souvent distante des employés sur le terrain ». Le journaliste ajoutait dans ses commentaires que « les plaignants l’ignorent peut-être, mais les employés de Radio-Canada sont tout particulièrement portés sur cette pratique », qui consisterait à se « manifester auprès d’un journaliste du Journal de Montréal » pour raconter les vraies affaires, ce qui « se chuchote en coulisses » et M. Bouchard de préciser que c’est un procédé qui est « particulier… au secteur télévision, comme celui de la politique municipale, de l’économie ou des sports ». Selon les plaignants, le journaliste aurait tort, il y a des gens aux intentions pas toujours très nobles, qui se font un plaisir de raconter des ragots, de spéculer… et de calomnier.
Les plaignants concluent en soulignant que le travail d’un journaliste honnête et sérieux est d’écouter pour alimenter sa recherche de faits, pas de rapporter sans filtre leurs élucubrations sans essayer de contacter les premières personnes concernées, celles dont la réputation peut être entachée par la publication de ces « confidences ». Or, affirment-ils, M. Bouchard n’a jamais tenté d’obtenir leur version des faits avant de publier.
Réplique aux commentaires de Me Bernard Pageau, procureur du Journal de Montréal :
Selon les plaignants, la réponse de Me Pageau demeure muette sur les griefs reprochés, soit l’inexactitude et le manque de vérification. Il tenterait plutôt de détourner l’attention du Conseil en plaidant en faveur de la protection des sources confidentielles du journaliste et en prétendant que l’article ne concernait pas les artisans du reportage.
Les plaignants expliquent en quatre points leur argumentaire.
1. Les plaignants soulignent qu’ils sont les premiers à reconnaître l’importance de respecter la confidentialité sur l’identité des sources anonymes. Cependant, en aucun moment, cela ne peut justifier les journalistes d’écrire n’importe quel ragot sans en vérifier la véracité. Au contraire, ajoutent-ils, cela impose un fardeau supplémentaire de vérification, d’autant plus lorsque les sources confidentielles agissent, comme le soulignait Dany Bouchard, pour assouvir un quelconque sentiment de frustration. Or, les plaignants affirment que le journaliste n’aurait jamais tenté de les rejoindre avant de publier son article, ce que le journaliste n’a jamais nié.
2. En regard de la vérification des faits, les plaignants mentionnent qu’il y avait deux façons de vérifier l’information. Premièrement en contactant les principaux intéressés pour ainsi vérifier les faits et s’assurer d’avoir leur version. Deuxièmement, ils doivent s’en remettre à l’information déjà accessible. En l’occurrence, le journaliste aurait pu se rendre sur le site Internet de l’émission où le jour même de la diffusion, on y trouvait une entrevue avec Guy Gendron sur « les dessous de l’enquête ». Il y racontait le travail entamé depuis février 2006, soit bien avant que le gouvernement n’annonce une révision du mandat de Radio-Canada. Selon les plaignants, cela discrédite la thèse voulant que le reportage ait été commandé pour se venger de cette décision du gouvernement. De plus, Guy Gendron a accordé une entrevue à l’émission « C’est bien meilleur le matin », la veille de la diffusion du reportage; M. Bouchard y aurait appris qu’à l’origine, le dossier n’avait aucune saveur politique. Ce n’est qu’en cours d’enquête que les ramifications politiques du dossier se sont révélées.
3. Certaines informations seraient fausses ou inexactes et selon les plaignants, elles seraient le contraire de la réalité. Ces derniers affirment que si M. Bouchard les avait appelés, ils auraient pu lui expliquer que loin d’être une commande de leurs patrons pour se venger du gouvernement Harper, ce reportage était le résultat de leur entêtement à le produire malgré les réticences initiales. Il leur aura fallu plusieurs semaines et beaucoup d’insistance pour les faire changer d’avis.
4. De l’avis de Me Bernard Pageau, l’article ne visait pas l’équipe du reportage. Pourtant soulignent les plaignants, dans l’article on s’y interroge sur le fait que « le journaliste Guy Gendron, à l’origine du reportage de « Zone Libre », n’a pas été rencontré », « que vexé par le reportage de Guy Gendron » et que la plainte « étrangement, n’a été évoquée par aucun bulletin d’information de la société Radio-Canada » et le tout accompagné d’une photographie du journaliste Guy Gendron. Comment ne pas prétendre que M. Gendron se sente visé à tort, observent les plaignants.
En regard des autres plaignants, M. Jean-Luc Paquette et Mme Monique Dumont, bien qu’ils ne soient pas nommément identifiés, les ragots rapportés dans l’article ne mènent qu’à une seule conclusion : l’équipe éditoriale ayant produit le reportage aurait agi comme « des tueurs à gage de l’information, des fiers à bras du journalisme, des mercenaires corporatifs ».
Les plaignants concluent en soulignant qu’ils ont demandé au journaliste et au Journal de publier un rectificatif, ce qu’ils ont refusé de faire même après avoir entendu leurs dénégations sur leurs allégations.
Commentaires à la réplique
Commentaires du journaliste M. Dany Bouchard et du procureur, Me Bernard Pageau
à l’effet que le journaliste n’aurait jamais tenté de rejoindre les plaignants, les mis-en-cause affirment que M. Dany Bouchard aurait contacté et parlé à M. Guy Gendron la journée précédant la publication de l’article paru le 25 janvier 2007. Le journaliste lui aurait alors indiqué qu’il préparait un article sur son reportage et sur la plainte du Premier ministre Harper. M. Gendron aurait informé le journaliste qu’il ne désirait pas faire de commentaires, n’étant pas autorisé à accorder une entrevue sur ce sujet.
Selon les mis-en-cause, il serait donc faux de prétendre que le journaliste n’aurait pas contacté les personnes intéressées. Me Pageau se questionne aussi sur le fait que M. Gendron n’ait pas renvoyé le journaliste à l’entrevue sur le site Internet, puisqu’il refusait de faire des commentaires.
RéPLIQUE DES PLAIGNANTS AUX COMMENTAIRES DES MIS-EN-CAUSE :
M. Gendron réfute l’allégation selon laquelle le journaliste l’aurait contacté avant la publication de son article. Si c’était vrai, ajoute-t-il, pourquoi M. Bouchard n’a-t-il pas souligné dans son article qu’il avait refusé de répondre à ses questions.
Pour soutenir son argumentaire, M. Gendron a fait une demande à Bell Canada pour faire obtenir copie du répertoire des appels reçus sur son cellulaire. La compagnie lui a répondu qu’il leur était impossible de lui transmettre cette information.
Il assure toutefois, que le journaliste, Dany Bouchard, lui aurait téléphoné, mais après la publication de l’article. Lorsque le journaliste l’a contacté, il est vrai, qu’il a refusé de commenter la plainte du Premier ministre Harper, parce quelle se trouvait alors entre les mains de l’ombudsman. L’article ayant déjà été publié, il se permit, à ce moment-là, de soulever certaines erreurs au journaliste. Qu’en regard de la phrase « terrés dans leurs bureaux, les patrons de Radio-Canada s’affairaient à trouver des réponses à la délicate plainte… ». Il expliqua au journaliste que les « patrons » se trouvaient à l’extérieur, et que M. Bouchard lui aurait répondu : « peu importe où ils sont, je suis certain qu’il y a des bureaux de Radio-Canada, donc ce n’est pas faux ».
Il conclut en soulignant qu’après avoir remis son intégrité professionnelle en question par des faussetés comprises dans son article, le journaliste l’accuse maintenant de mentir au Conseil de presse, ce qu’il juge inacceptable.
Analyse
La déontologie du Conseil de presse stipule que quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité.
MM. Guy Gendron, Jean-Luc Paquette et Mme Monique Dumont reprochent au journaliste, M. Dany Bouchard et au Journal de Montréal d’avoir publié de fausses informations, dans un article paru le 25 janvier 2007, qui s’appuyaient sur de « prétendus chuchotements en coulisses », sans avoir tenté d’en vérifier l’authenticité auprès des principaux intéressés, ce qui aurait porté atteinte à leur réputation.
Le premier grief est à l’effet que le journaliste aurait publié de fausses informations dans la phrase suivante : « En coulisse, on chuchote que le reportage de Radio-Canada pourrait être une vengeance à l’égard du gouvernement Harper, qui a donné le feu vert à la révision du mandat et du financement de la société d’état ». Selon les plaignants, M. Bouchard n’aurait jamais tenté d’obtenir leur version des faits avant la publication de l’article.
De son côté, le journaliste rétorque que le reportage avait fait beaucoup de bruit, d’où la publication de l’article sur la plainte déposée par le gouvernement Harper. Me Bernard Pageau affirme, après un long échange de correspondance, que le journaliste aurait contacté Guy Gendron avant la publication de l’article. De son côté, M. Gendron affirme avoir reçu un appel du journaliste, après la publication de l’article.
Le Conseil considère que dans les cas où une nouvelle traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. Donc, par souci d’exactitude et d’impartialité la pratique journalistique aurait voulu que le journaliste communique avec les principaux intéressées afin d’obtenir leurs versions des faits ou leurs commentaires. Le Conseil conclut que si le journaliste a effectivement rejoint M. Guy Gendron la veille de son reportage, il aurait dû en faire mention. Le grief est retenu.
Au second grief, les plaignants reprochaient au journaliste de considérer de « prétendus chuchotements » comme des sources crédibles, ce qui laisserait entendre que leur équipe aurait accepté une commande venant de la direction de Radio-Canada. M. Gendron précise que l’équipe travaillait sur ce reportage depuis février 2006, et ce, bien avant que le gouvernement n’annonce une révision du mandat de Radio-Canada.
Selon M. Bouchard, l’utilisation des termes « chuchotements en coulisses » fait référence aux points de vue des personnes qui souhaitaient garder l’anonymat et qui étaient essentiels à la contextualisation et à la compréhension de la nouvelle. Il affirme que cette information provenait de deux employés de Radio-Canada. Ces personnes auraient affirmé que le reportage diffusé dans le cadre de « Zone Libre » pourrait être une vengeance à l’égard du gouvernement Harper.
Le Conseil reconnaît l’importance de la confidentialité des sources anonymes et confidentielles. Cependant, il recommande aux médias et aux journalistes de mentionner au public que les informations recueillies l’ont été sur des bases confidentielles en indiquant la provenance générale de leurs sources d’information, afin de permettre au public d’évaluer la crédibilité et l’importance de l’information qui lui est transmise. Bien que le journaliste dit avoir consulté d’autres sources – artisans de la télévision oeuvrant ou non pour d’autres stations, ainsi que des sources politiques – toujours sous le couvert de l’anonymat, il a tout de même parlé de rumeurs pour présenter sa nouvelle, plutôt que de mentionner que des sources, ayant requis l’anonymat, au sein de Radio-Canada, lui avaient confirmé l’information. Le grief est retenu.
Finalement, les plaignants dénoncent l’atteinte à leur réputation causée par la publication de l’article et le refus de rectification. Le rôle du Conseil n’est pas de déterminer le degré d’atteinte à la réputation des plaignants, cela relève des tribunaux. Le Conseil a étudié le dossier sous l’angle de l’éthique journalistique.
à la lecture de l’article, le Conseil a constaté que l’article comporte des allusions aux artisans du reportage, telles que : « […] que le journaliste Guy Gendron, […] n’a pas été rencontré »; « étrangement, hier, la plainte du gouvernement Harper – vexé par le reportage de Guy Gendron sur l’exploitation des sables bitumineux en Alberta, Du sable dans l’engrenage – n’a été évoquée par aucun autre bulletin d’information de la société d’état », en plus d’y accoler une photo de Guy Gendron. Il est donc inévitable que les plaignants se soient sentis visés. Dans ce contexte, le journaliste se devait d’éviter de laisser planer des malentendus qui risquaient de les discréditer.
En regard de la rectification de l’information, les principes déontologiques du Conseil de presse stipulent qu’elle devrait être rédigée de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Le journaliste a manqué à sa responsabilité de rétablir l’équilibre de l’information, en ne rapportant pas les propos de Guy Gendron au sujet des « allégations de vengeance ourdi par Radio-Canada », ce qui aurait permis au public de faire la part des choses. Le grief est retenu.
Décision
Considérant les éléments ci-haut mentionnés, le Conseil de presse retient la plainte de MM. Guy Gendron, Jean-Luc Paquette et Mme Monique Dumont à l’encontre de M. Dany Bouchard, journaliste et Le Journal de Montréal.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C15A Manque de rigueur
- C15D Manque de vérification
- C17G Atteinte à l’image
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
19 February 2008
Appelant
Le Journal de Montréal
Décision en appel
La commission d’appel du Conseil de presse du Québec a étudié l’appel que vous avez interjeté relativement à la décision rendue par le comité des plaintes et de l’éthique de l’information dans le dossier cité en titre.
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.