Plaignant
M. Ahmed Bensaada
Mis en cause
M. André Pratte, éditorialiste en chef et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Ahmed Bensaada reproche au quotidien La Presse d’être partial dans son choix de lettres publiées dans le courrier des lecteurs dans le dossier des accommodements raisonnables.
Griefs du plaignant
M. Ahmed Bensaada explique que le but de sa plainte n’était pas de faire publier ses lettres, mais de faire ressortir que les choix de La Presse en cette matière lui apparaissent partiaux.
M. Bensaada relate son histoire menant à cette plainte. Il a tout d’abord fait parvenir une première lettre au quotidien qui exposait son idée sur « un ex-immigrant arabo-musluman qui vit au Québec depuis plus de 18 ans ». Dans sa lettre, il « attirait l’attention sur le fait que la majorité des immigrants sont des personnes qui contribuent à l’essor du Québec à divers niveaux et que la tournure médiatique du débat [des accommodements raisonnables] n’avait pour effet que d’exacerber l’intolérance ethnique ».
N’ayant reçu aucune réponse, il contacta le quotidien qui, par l’entremise de Mme Christiane Clermont, adjointe à l’éditorialiste en chef, lui annonça que sa lettre ne serait pas publiée. à ce moment, il décida de vérifier le système de publication du journal en envoyant une seconde lettre qui exprimait des idées contraires à la première. Il inventa un « être fictif, une femme arabo-musulmane qui aurait été traumatisée dans son pays par les islamistes, ayant une profonde aversion pour toute barbe ou voile et étant en accord avec les règles édictées par la municipalité d’Hérouxville ». à la suite de l’envoi de cette deuxième lettre, Mme Clermont lui annonçait que sa lettre serait publiée le lendemain.
En conclusion, M. Bensaada se demande si La Presse a un parti pris? Ou si elle favorise les opinions anti-minorités ethniques? Et si elle manquerait à son devoir de partialité dans l’information?
Commentaires du mis en cause
Selon Me Philippe-Denis Richard vice-président des affaires jurdiques, La Presse est impartiale dans ses choix de publication, ces derniers sont guidés par des critères de publication qui respectent l’éthique et l’expression d’opinions diverses dans une société libre et ouverte.
Selon Me Richard, cette plainte devrait être rejetée. Il explique les motifs soutenant sa position.
1. Les pages Forum de La Presse s’ouvrent aux échanges, débats, réflexions, opinions des lecteurs ainsi qu’aux répliques. Elles s’ouvrent également, au fil des événements, aux opinions de divers collaborateurs reconnus pour leur autorité intellectuelle dans leur domaine d’expertise.
2. Les critères suivants guident notamment le choix de la publication d’opinions des lecteurs : l’intérêt du sujet proposé et son harmonie avec l’actualité; la qualité et la valeur ajoutée du contenu; l’absence de propos outranciers, insultants ou discriminatoires et l’obligation pour l’auteur de signer le texte et de s’identifier afin de permettre les vérifications d’usage.
3. En 2006, La Presse a reçue 37 716 textes et en a publié 2 800 sur différents sujets. Il ajoute que sur le thème des accommodements raisonnables, sur un total de 819 textes reçus, 39 d’entre eux ont été publiés, couvrant différents points de vue.
4. Le premier texte de M. Bensaada comprenait des propos intéressants, mais qui avaient déjà été traités dans des textes déjà publiés. Selon lui, ces propos n’apportaient rien de nouveau au débat.
5. Le deuxième texte proposé par M. Bensaada paraissait intéressant puisqu’il apportait au débat un point de vue distinct, telle était sa valeur ajoutée, souligne-t-il. Pour ce motif, La Presse avait l’intention de le publier, mais les vérifications d’usage ont freiné cette intention alors que s’est révélée la fausse identité de son auteur, dont on doit présumer que le véritable point de vue était celui exprimé dans le premier texte.
6. Le mis-en-cause expose les principes reconnus en matière de publication de lettres des lecteurs. Il explique que la politique de publication des lettres des lecteurs relève de la prérogative et de la responsabilité de l’éditeur; et que dès lors, nul n’aurait accès de plein droit aux pages d’un journal. De plus, il ajoute que le journal a le devoir de favoriser l’accès par ses lecteurs aux pages qui leur sont consacrées. à ce titre, les jugements d’appréciation en matière de publication de lettres ouvertes doivent demeurer conformes à la responsabilité d’informateur public soucieux de renseigner adéquatement et honnêtement ses lecteurs et, dans une société qui se veut ouverte et progressiste, faire preuve de la largeur de vue nécessaire pour bien informer le public lecteur et aussi favoriser l’expression des libertés individuelles et collectives.
7. Me Richard souligne que les politiques d’édition du courrier des lecteurs apparaissant dans les pages « Forum » de La Presse, respectent ces règles et que La Presse favorise l’expression d’autant de points de vue possibles. Cependant, conclut-t-il, ces points de vue doivent apporter au débat, tout en respectant les règles fondamentales en matière d’équité et tout en tenant compte du choix et de l’importance du sujet, de même que de la façon de le traiter et des contraintes de temps, d’espaces et d’intérêt des lecteurs qui affectent l’accès à la tribune des lecteurs.
Réplique du plaignant
M. Ahmed Bensaada répond à l’argumentaire du mis-en-cause.
1. Selon lui, les points 1, 2, 6 et 7 seraient des généralités qui ne prouveraient pas l’impartialité du journal. Au contraire, soutient-il, certains points plaideraient en faveur de la publication de son premier texte. Il cite en exemple « les jugements d’appréciation (ceux du journal La Presse) en matière de publication de lettres ouvertes doivent demeurer conformes à la responsabilité d’informateur public soucieux de renseigner adéquatement et honnêtement ses lecteurs et, dans une société qui se veut ouverte et progressiste, faire preuve de la largeur de vue nécessaire pour bien informer le public lecteur et aussi favoriser l’expression des libertés individuelles et collectives ».
2. Au point 3, le journal indiquait qu’il avait reçu 819 textes sur le thème des accommodements raisonnables et que 39, d’entre eux, avaient été publiés. Il estime que cette phrase est très vague. Il ne nie pas que La Presse ait publié des textes sur ce sujet, mais émet un doute sur l’opinion véhiculée dans ces textes. Selon lui, le journal aurait dû mentionner le nombre de lettres reçues « valorisant le rôle positif des immigrants au Québec ».
Il dit avoir vérifier, via le site Internet de La Presse, le nombre de textes reliés au sujet des accommodements raisonnables et dit en avoir répertorié 2 390, qu’il a lu dans sa quasi- totalité et affirme n’en avoir trouvé aucun qui donnait « clairement » du crédit à l’engagement des immigrants dans la construction de la société québécoise moderne. La plupart des textes, fait-il remarquer, allait dans la direction de son second texte qui dénonçait l’immigration négative, rétrograde et qui n’avait d’autre rôle que d’imposer ses « tares socioculturelles ».
3. Au motif du point 4, selon lequel son premier texte « n’apportait rien de nouveau au débat », le plaignant souligne qu’il n’a lu aucun texte mettant en évidence l’apport positif des immigrants dans l’édification d’une société québécoise moderne et ouverte. Il souligne que son texte se voulait d’apaisement, de rassemblement et de tolérance. Ainsi, il ne croit pas que « le tout s’est réalisé dans un esprit d’équité et de justice et avec discernement » comme l’affirme le mis-en-cause. Il demande à La Presse de lui présenter des textes en accord avec les idées véhiculées dans sa première lettre.
4. Selon lui, son deuxième texte aurait eu l’aval de la direction pour publication car le journal serait en accord avec la thèse de l’invasion immigrante qui ne cherche qu’à avoir de plus en plus de droits et aucun devoir. Il souligne que les idées utilisées pour ce second texte, il les a puisées des journaux et des émissions de télé. Il affirme que son second texte, « n’apportait rien de nouveau au débat ».
Il cite en exemple des textes qu’il a relevés sur le site Internet du journal qui « n’hésitent pas à enfoncer le clou dans les accommodements raisonnables et, en même temps, dans la respectabilité des immigrants ».
En ce qui a trait à la fausse identité utilisée, elle était, selon lui, nécessaire pour savoir si le journal avait un parti pris dans le débat des accommodements et souligne qu’il a réussi à le démontrer dans ce dossier.
Il conclut en soulignant que les propos évoqués par La Presse en regard de sa plainte, sont fallacieux, évasifs et vagues et que les principes généraux, en argumentaire, démontrent une vertu factice, derrière lesquels veut s’abriter le journal. Il souhaite que La Presse soit sanctionnée pour qu’il y ait une réelle liberté de la presse et la diversité des opinions.
Analyse
M. Ahmed Bensaada reprochait au quotidien La Presse d’être partial dans son choix de lettres publiées dans le courrier des lecteurs, sur le dossier des accommodements raisonnables.
à ce reproche, le représentant du journal rétorquait que les médias bénéficient de toute la latitude possible dans la publication des lettres de lecteurs. Il ajoute que les propos du plaignant sur les accommodements raisonnables avaient déjà été traités dans d’autres textes déjà publiés et que ceux-ci n’auraient donc rien apporté de nouveau au débat.
Le Conseil tient à souligner que pour lui permettre de rendre une décision, il est important de préciser le (ou les) texte fautif, en spécifiant la date et les motifs qui justifient la plainte, afin de fournir une base concrète à l’analyse. Dans le présent cas, le plaignant soumettait une liste de textes sans donner les informations requises pour fins d’analyse. Il est à noter qu’il n’est pas dans le rôle du Conseil de faire cette démarche. à cet égard, le Conseil de presse ne pourrait donc, sans faire un procès d’intention au journal, l’accuser de partialité dans son choix de lettres à être publiée dans la rubrique réservée à cette fin. Ce grief est rejeté.
Le Conseil tient de plus à souligner qu’il s’est à maintes fois prononcé sur les règles encadrant la section du « Courrier des lecteurs ». Bien que la presse ait le devoir d’en favoriser l’accès à ses lecteurs, elle reste libre de choisir les lettres qui y seront publiées.
Décision
Pour ces motifs, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Ahmed Bensaada contre La Presse.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C08F Tribune réservée aux lecteurs
- C13A Partialité
Date de l’appel
19 February 2008
Appelant
M. Ahmed Bensaada
Décision en appel
La commission d’appel du Conseil de presse du Québec a étudié l’appel que vous avez interjeté relativement à la décision rendue par le comité des plaintes et de l’éthique de l’information dans le dossier cité en titre.
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.