Plaignant
M. Bernard Desgagné
Mis en cause
M. Claude Brunet, journaliste; Mme Geneviève Guay, directrice, traitement des plaintes et affaires générales, Information/Services français et la Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
M. Bernard Desgagné porte plainte contre le journaliste Claude Brunet de la Société Radio-Canada (SRC) pour avoir utilisé à l’endroit du chef du Parti québécois, André Boisclair, le mot « flatterie », un terme nettement péjoratif, et d’avoir fait un commentaire dans un reportage alors qu’il n’était censé que rapporter les faits. Les actions reprochées se seraient produites sur lors du « Radiojournal de 17 h », le mercredi 28 février 2007.
Griefs du plaignant
M. Bernard Desgagné amorce sa plainte en indiquant que le journaliste Claude Brunet « a décidé de s’en prendre à André Boisclair, l’accusant sans détour d’user de « flatteries » pour séduire les électeurs de la région de Québec ».
Le plaignant précise que « dans un reportage diffusé entre autres à la radio de Radio-Canada vers 17 h le mercredi 28 février [2007], M. Brunet parlait des difficultés du PQ dans la région de Québec. Avant de faire entendre un extrait des propos de M. Boisclair, M. Brunet a dit qu’André Boisclair cherchait « à séduire [les gens de Québec] par des flatteries » ». Pour le plaignant, le mot « flatteries » est nettement péjoratif et il cite des définitions de dictionnaires pour démontrer son affirmation. Il en conclut donc que le journaliste a fait un procès d’intention à M. Boisclair.
Le plaignant conteste également la fin du reportage de M. Brunet qui aurait alors laissé tomber « avec dépit » : « Aujourd’hui, le chef du PQ n’a rien proposé pour la région de Québec. Ses remarques et ses promesses n’ont porté que sur les garderies. » Selon M. Desgagné, le journaliste « peut être personnellement d’avis que les garderies ne sont pas pour les gens de Québec, mais quand il le dit dans un reportage, il fait de la politique, et non du journalisme ». Pour le plaignant, le journaliste est censé rapporter les faits mais, dans ce cas il a plutôt fait de l’éditorial.
Le plaignant rappelle alors des « prises de bec avec Bernard Landry, qu’il talonnait avec une arrogance consommée ». Selon lui, « manifestement, M. Brunet a décidé de récidiver, et Radio Canada n’a pas tiré les leçons de la campagne de 2003 ».
INFORMATIONS COMPLéMENTAIRES :
Près de quinze jours après le dépôt de sa plainte, M. Desgagné fait parvenir au Conseil la réponse reçue de la directrice du traitement des plaintes et affaires générales Information/Services français de la SRC, Mme Geneviève Guay; il avait préalablement adressé sa plainte à la SRC. Dans sa lettre de présentation, il indique que cette réponse ne le satisfait pas du tout et, après avoir ajouté le nom d’une autre journaliste de la SRC, il affirme : « Ces journalistes et les responsables qui les envoient sur le terrain ont manifestement pour principal objectif de nuire au Parti québécois et au mouvement indépendantiste en général. »
Il conteste ensuite les éléments de réponse fournis par Mme Guay :
– L’utilisation du mot « flatterie » : si pour Mme Guay, « il s’agit d’un choix de mot malheureux, c’est-à-dire d’une erreur mineure », pour le plaignant, M. Brunet n’a pas droit au bénéfice du doute, compte tenu de ses antécédents dans la campagne de 2003. Connaissant le sens des mots, le journaliste aurait employé à dessein le mot « flatterie ».
– Au sujet de l’accusation de Mme Guay selon laquelle le plaignant ferait un procès d’intention à M. Brunet, M. Desgagné demande combien de fois il faudra que ce journaliste (ou sa consoeur déjà nommée) « se livrent à leurs basses Œuvres avant que la direction de Radio Canada finisse par reconnaître que leur biais est évident ». Il ajoute : « si ça continue, je vais commencer à croire que c’est la direction de Radio-Canada elle-même qui souhaite que le PQ fasse l’objet d’une campagne de dénigrement ».
– En matière d’interprétation, Mme Guay aurait répondu au plaignant qu’il avait tort « de voir des propos adéquistes ou conservateurs dans le reportage de M. Brunet »; pourtant, dans un autre cas mettant en cause une journaliste de la SRC, Mme Guay aurait répondu être d’accord avec certains groupes de femmes qui ont vu de la violence conjugale dans un film publicitaire du PQ.
– Au sujet de l’affirmation du journaliste selon laquelle « M. Boisclair n’a rien à proposer pour Québec », le plaignant considère la réponse de Mme Guay comme une demande d’interpréter ce que M. Brunet veut dire, alors que ce dernier n’aurait pas parlé de « mesures particulières » et qu’il n’aurait pas nuancé ses paroles en utilisant ce mot « particulières ».
Le plaignant termine en indiquant qu’à titre de contribuable et de citoyen engagé, il a les journalistes de Radio-Canada à l’Œil et que le dossier qu’il monte est déjà imposant. M. Desgagné donne alors une série d’exemples qu’il fait suivre par la mention : « Toutes ces malheureuses initiatives du service de l’information de Radio-Canada visaient manifestement à désinformer le public sur des sujets qui touchent directement le mouvement indépendantiste québécois. »
Aux informations complémentaires du plaignant est annexée la réponse reçue de Mme Guay.
Commentaires du mis en cause
Mme Geneviève Guay amorce sa réponse par un historique du cas où elle relève les échanges entre le plaignant et la SRC, et notamment la réponse de l’ombudsman de Radio-Canada à sa plainte. Elle rappelle ensuite que la SRC a déjà reconnu, par la voix de la représentante de la direction de l’information et par celle de l’Ombudsman, que le reportage contenait un mot mal choisi.
En ce qui concerne l’importance de la faute reprochée, Mme Guay rappelle un extrait de sa réponse antérieure adressée à M. Desgagné où elle reconnaît « deux maladresses » dans le reportage. Elle y indique notamment : « nous ne croyons pas que l’affaire nécessite une mise au point de notre part. Le public n’a pas été induit en erreur sur aucun fait. Il était facile de bien comprendre la fin du reportage pour quelqu’un qui ne prêtait pas d’avance de mauvaises intentions au journaliste. Quant au mot flatterie, il relevait de l’interprétation et ne constituait pas en soi l’expression d’une opinion politique ».
Mme Guay ajoute : « Ce mot flatterie, même s’il implique un certain jugement négatif de la part de celui qui le prononce, n’est quand même pas une accusation grave et ne constitue d’aucune façon une atteinte à la réputation du chef du Parti québécois. En entendant la déclaration d’André Boisclair, chaque auditeur était à même de juger par lui-même, selon ses propres sympathies, si M. Boisclair avait simplement fait preuve d’habileté politique ou si au contraire, il avait exagéré un peu ses compliments à l’endroit des gens de Québec. » Tout en reconnaissant « le mauvais choix de mot », Mme Guay insiste sur le fait « que la faute n’est pas majeure ».
Par ailleurs, au moment de la plainte, la décision de l’ombudsman était publiée depuis 15 jours sur le site de Radio-Canada et Mme Guay considère que le plaignant a déjà largement atteint son but. Le plaignant aurait aussi été informé que la direction de la SRC a déjà discuté du sujet avec le journaliste.
En ce qui a trait aux allégations de « désinformation » qu’aurait formulé le plaignant, Mme Guay affirme qu’à sa connaissance une seule autre plainte a été déposée au Conseil. « Quant aux deux autres sujets mentionnés par le plaignant dans sa lettre, à savoir des reportages sur le bilinguisme et sur l’enseignement de l’anglais, nous n’avons jamais eu connaissance que le plaignant ait saisi le Conseil de ces dossiers », indique-t-elle à la fin de ses commentaires.
Réplique du plaignant
Le plaignant amorce sa réplique en affirmant que l’ombudsman de Radio-Canada, M. Renaud Gilbert, lui donne raison sur toute la ligne et que Mme Guay dit « dans cette affaire », qu’il aurait « largement atteint son objectif ». Le plaignant en déduit que « la direction de Radio-Canada refuse d’appliquer d’autres mesures que de rendre le jugement public ».
Le plaignant rétorque que le travail de M. Brunet « a déjà été vertement dénoncé aux élections québécoises de 2003, à la suite de la diffusion du documentaire « à hauteur d’homme » », et que « l’ombudsman reconnaît que ce journaliste a récidivé, en s’attaquant encore une fois au chef du Parti québécois, mais [que] Radio-Canada ne compte aucunement retirer ce journaliste des campagnes électorales à venir ». Le plaignant estime que dans les circonstances, le Conseil de presse doit également prononcer un jugement sévère contre le journaliste et la SRC.
Il reproche ensuite à Mme Guay de rejeter ses allégations de désinformation « sous prétexte que le Conseil de presse n’a reçu que deux plaintes » de sa part, l’accusant de feindre d’ignorer les autres plaintes qui lui ont été adressées. Il précise : « En tout, j’ai adressé cinq plaintes à Radio-Canada depuis le début de février. »
Analyse
Les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. En conséquence, les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité.
La porte-parole des mis-en-cause a reconnu dans ses commentaires que l’utilisation du mot « flatterie » constituait une maladresse. Bien que le Conseil appelle les journalistes à la prudence sur l’utilisation de mots qui risquent d’être interprétés comme du commentaire, il n’a pas constaté, dans le présent dossier, de manquement à la déontologie ayant eu pour effet de biaiser la réalité. Ce grief est rejeté.
Le second grief visait les propos de M. Boisclair sur les garderies et un lien que le journaliste aurait fait avec le programme de l’ADQ. En ce qui a trait au ton ou à l’attitude du journaliste, que le plaignant qualifiait de « dépit », le Conseil estime qu’il est difficile, voire impossible, d’arriver à la même conclusion que le plaignant. Selon le Conseil, il s’agit d’une opinion personnelle de M. Desgagné qui, toute légitime qu’elle soit, n’est ni évidente, ni démontrée.
En ce qui concerne le reproche fait à M. Brunet de faire de la politique et non du journalisme, le Conseil a estimé qu’il s’agit d’une interprétation de M. Desgagné, une affirmation qui n’est pas démontrée.
Décision
Au terme de cet examen et pour l’ensemble des motifs expliqués plus haut, le Conseil de presse rejette la plainte contre le journaliste Claude Brunet et la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C06D Ingérence extérieure dans la rédaction
- C11C Déformation des faits
- C20A Identification/confusion des genres