Plaignant
Mme Valérie Dufour
Mis en cause
M. Gilles Lévesque, journaliste et rédacteur en chef; M. Renel Bouchard, directeur général et l’hebdomadaire Le Canada Français
Résumé de la plainte
Mme Valérie Dufour, journaliste au quotidien Le Journal de Montréal, dépose une plainte contre le journaliste et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Canada Français de Saint-Jean-sur-Richelieu, M. Gilles Lévesque. Elle reproche au mis-en-cause d’avoir diffusé des informations inexactes et incomplètes ainsi que d’avoir fait preuve de partialité dans son article intitulé « Saint-Jean veut aussi séduire les jeunes médecins », paru dans l’édition du 14 février 2007.
Griefs du plaignant
Dans un article du journal Le Canada Français paru dans l’édition du 14 février 2007, M. Gilles Lévesque informe le public d’un projet entrepris par la Corporation Fort Saint-Jean, un organisme sans but lucratif gérant le campus de l’ancien Collège militaire royal de Saint-Jean. Cette corporation avait récemment décidé de fournir gratuitement des maisons du campus à des médecins afin de les inciter à venir pratiquer dans la région. La plaignante, Mme Dufour, avait rédigé un article sur le sujet quelques jours auparavant, le 4 février 2007, dans Le Journal de Montréal. Dans son article, elle indiquait les coûts des travaux effectués dans les logements en question, et donnait la parole à des personnes contestant l’initiative de la Corporation.
La plaignante, Mme Dufour, considère que le journaliste M. Gilles Lévesque a rédigé un article comportant des informations inexactes et incomplètes. Il aurait également fait preuve de partialité. Elle indique notamment en ce qui a trait à l’inexactitude et au manque d’exhaustivité de l’information que M. Lévesque « a choisi de ne pas résumer » la nature des prestations (gratuité du logement et de charges telles que le chauffage, l’électricité, le téléphone, la connexion Internet…) généreusement fournies aux médecins dans le cadre de l’action de la Corporation du Fort Saint-Jean. La plaignante reproche encore au journaliste de ne pas avoir mentionné qu’il n’y avait pas dans la région de pénurie de praticiens dans les spécialités qu’exercent ceux logeant actuellement sur le site géré par la Corporation.
L’autre volet de la plainte concerne les accusations de partialité dans l’article rédigé par M. Lévesque. Le début de l’article évoque celui écrit quelques jours plus tôt par la plaignante, et publié dans Le Journal de Montréal. à ce sujet, il rapporte les propos du président du conseil d’administration de la Corporation Fort Saint-Jean qui laisse entendre que le point de vue adopté par la journaliste dans son article fait suite au refus de la Corporation de la laisser visiter les logements mis à la disposition des médecins. La plaignante reproche en particulier à M. Lévesque de ne pas avoir vérifié cette information avant publication et de s’être adressé à cette unique source qui apporte une information biaisée.
La plaignante souligne enfin qu’elle a envoyé un courriel à l’éditeur et au journaliste de l’hebdomadaire Le Canada français pour leur faire part de ses récriminations. Ce courriel est resté sans réponse.
Commentaires du mis en cause
M. Renel Bouchard critique l’article de Mme Dufour, qu’il juge court et sensationnaliste. D’après lui, c’est avant tout le fait d’avoir vu sa réputation mise à mal dans l’article de M. Lévesque, bien plus que la défense du droit du public à une information exacte dont elle se réclame, qui aurait guidé Mme Dufour dans le dépôt de sa plainte contre Le Canada français.
Dans la suite de son commentaire, le mis-en-cause analyse les divergences des deux journalistes sur le fond de l’article publié dans Le Canada français. Mme Dufour reprochait à M. Lévesque d’avoir adopté un point de vue vantant l’initiative de la Corporation, alors que selon elle, il n’y avait pas de raison valable pour loger gratuitement les trois médecins demeurant actuellement sur le campus, puisqu’il n’y aurait pas de pénurie dans la région pour les spécialités dans lesquelles ils exercent. M. Bouchard répond à ce reproche en affirmant que la pénurie de praticiens dans certaines spécialités ne fut pas le critère au fondement du projet de la Corporation. Il ajoute que l’action de la Corporation n’est pas uniquement destinée aux trois médecins hébergés actuellement sur le campus, mais que les logements sont à la disposition de divers professionnels de la santé dont les spécialités de certains font cruellement défaut dans la région.
Une autre divergence de points de vue entre les deux journalistes concerne le statut de la Corporation Fort Saint-Jean et, en conséquence, sa compétence pour engager ou non ce type de projet. Dans son article rédigé pour Le Journal de Montréal, Mme Dufour expliquait que la Corporation Fort Saint-Jean gère le site de l’ancien Collège militaire royal au nom du ministère de la Défense nationale et perçoit donc ses subventions du gouvernement fédéral. Ainsi, selon elle, la vocation de la Corporation étant de servir les militaires, celle-ci apparaît difficilement compatible avec l’organisation d’un projet destiné à loger gratuitement des médecins. A contrario, les mis-en-cause estiment que la Corporation, créée lors de la fermeture du Collège militaire royal, est un organisme entièrement civil destiné à trouver de nouvelles vocations au site pour atténuer les effets négatifs de cette fermeture sur le dynamisme socio-économique de la région. Selon eux, l’action actuelle de la Corporation s’inscrirait donc parfaitement dans cette voie et mériterait d’être soulignée de façon méliorative.
M. Bouchard fait globalement ressortir les divergences de conceptions des deux journalistes quant au traitement de l’information régionale. Il achève d’ailleurs son commentaire par ce point, indiquant que Mme Dufour n’a selon lui pas su appréhender les effets positifs de l’initiative de la Corporation Fort Saint-Jean sur les activités de la région et que de ce point de vue, l’article de la journaliste lui apparaît nettement partiel en comparaison de celui rédigé par M. Lévesque pour Le Canada français.
Réplique du plaignant
La plaignante précise également en préambule de sa réplique que ce n’est pas son article qui est en cause mais bien l’article rédigé par M. Lévesque pour Le Canada français.
Concernant les motifs centraux de sa plainte et les divergences de points de vue entre elle et M. Lévesque, Mme Dufour rappelle que la Corporation Fort Saint-Jean est gérée par le ministère de la Défense nationale et subventionné par le gouvernement fédéral. Ainsi, il était tout à fait justifié d’après elle de s’interroger sur l’initiative de la Corporation de loger gratuitement des médecins sur le campus du Fort en utilisant les fonds versés par ce ministère fédéral.
La plaignante réitère par ailleurs ses accusations de partialité à l’encontre des mis-en-cause. Selon elle, dans l’article publié dans Le Canada français, ces derniers visent plus à favoriser le développement économique de la région qu’à livrer une information exacte et objective. D’après elle, il aurait été judicieux de la part de M. Lévesque de faire état de plusieurs sources dans son article, comme elle l’a fait elle-même dans le sien. Car, cette initiative de la Corporation n’est pas saluée de manière unanime par les habitants de la région, précise-t-elle. L’utilisation des fonds de la Corporation pour ce projet soulève divers mécontentements, qu’elle a cru bon de relever dans son article, mais qui sont absents de celui publié dans Le Canada français.
Analyse
La plaignante, Mme Valérie Dufour, journaliste au quotidien Le Journal de Montréal, accusait le journaliste et rédacteur en chef du quotidien Le Canada français, M. Gilles Lévesque, d’avoir livré une information inexacte et incomplète au sujet d’une décision de la Corporation Fort Saint-Jean, soit de mettre gratuitement à la disposition de médecins des logements situés sur le campus de l’ancien Collège militaire royal Saint-Jean. Ces défauts d’informations et d’inexactitudes sont renforcés, selon la plaignante, par l’utilisation de la part du journaliste d’une unique source d’information, qui ne permet pas le respect de l’équilibre dans le traitement du sujet.
Le Conseil de presse tient d’abord à rappeler les principes inscrits dans son guide déontologique ayant trait à la discrétion rédactionnelle des journalistes. Ainsi, l’information livrée au public fait nécessairement l’objet de choix. La façon de présenter et d’illustrer l’information, relève du jugement rédactionnel et demeure une prérogative des médias et des professionnels de l’information. Il est également stipulé dans le guide déontologique du Conseil que nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information.
Dans le cas présent, le Conseil de presse estime que le journaliste pouvait choisir d’axer son article sur l’impact positif de l’initiative de la Corporation Fort Saint-Jean d’héberger gratuitement des médecins sur son campus afin de les inciter à pratiquer leur activité dans la région. Les divergences de points de vue des deux journalistes quant à l’initiative de la Corporation prouvent bien que chaque journaliste est en droit de traiter l’information selon son propre jugement rédactionnel. En outre, le journaliste du quotidien Le Canada français s’est informé auprès d’une source crédible, à savoir le président du conseil d’administration de la Corporation, M. Alain Beauchamp. Il ne peut donc lui être reproché d’avoir commis des entorses à l’éthique journalistique dans sa collecte et son traitement de l’information.
Le Conseil rejette donc les griefs ayant trait aux manquements en regard de l’exactitude, de l’équilibre et de l’exhaustivité de l’information.
La plaignante reprochait également au mis-en-cause d’avoir fait preuve de partialité et de manque de rigueur en rapportant dans son article certains propos de M. Beauchamp à son endroit. Ces propos, du président du conseil d’administration de la Corporation Fort Saint-Jean, constituent une répartie à l’article rédigé par la plaignante au sujet de la Corporation et le journaliste a choisi de laisser s’exprimer M. Beauchamp à ce sujet. Ce choix rédactionnel ne peut lui être reproché. En outre, de la même façon, la plaignante avait choisi de ne pas publier le point de vue de M. Beauchamp dans son propre article. Le grief est rejeté.
Le guide déontologique du Conseil de presse préconise que les journalistes prennent tous les moyens nécessaires pour vérifier l’authenticité des informations qu’ils obtiennent de leurs sources. Ainsi, le Conseil estime qu’il aurait été avisé de la part du journaliste de contacter l’intéressée, Mme Dufour, afin de vérifier auprès d’elle que les informations contenues dans le commentaire de M. Beauchamp à son sujet étaient exactes. De connaître la version des faits de cette dernière aurait permis de respecter plus scrupuleusement le principe d’impartialité auquel doivent souscrire les journalistes dans la collecte et le traitement de l’information.
Décision
Pour l’ensemble des raisons exposées et sous réserve de ce dernier commentaire, le Conseil rejette la plainte de Mme Valérie Dufour à l’encontre de M. Gilles Lévesque et de l’hebdomadaire Le Canada français.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15H Insinuations