Plaignant
M. Bernard Desgagné
Mis en cause
Mme Julie Miville-Dechêne, journaliste; Mme Geneviève Guay, directrice, traitement des plaintes et affaires générales, services français; l’émission « Le Téléjournal » et la Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
M. Bernard Desgagné porte plainte contre un reportage de Mme Julie Miville-Dechêne diffusé lors de l’édition de 22 heures du « Téléjournal » le 8 mars 2007. Le plaignant reproche à la journaliste d’avoir participé à une opération orchestrée par la Société Radio-Canada et le quotidien La Presse visant à ternir la réputation de M. Robin Philpot, celle du Parti Québécois et des militants indépendantistes, en véhiculant erreurs et insinuations au sein du reportage.
Griefs du plaignant
M. Bernard Desgagné affirme que le reportage diffusé par la Société Radio-Canada était une opération montée par cette dernière et le quotidien La Presse dans le but de discréditer M. Robin Philpot et de nuire au mouvement indépendantiste québécois.
Selon le plaignant, le lancement du reportage, fait par Bernard Derome, présenterait M. Robin Philpot comme l’alter ego péquiste de M. Jean-François Plante. Pour M. Bernard Desgagné, l’écrivain y est associé à un personnage grotesque. Cette impression serait renforcée par l’assertion de Bernard Derome selon laquelle « depuis le début de la campagne, le Parti Québécois avait été épargné par ce genre de controverse, et bien plus maintenant ». Pour le plaignant, MM. Robin Philpot et Jean-François Plante ne pouvaient être comparés. Il ajoute qu’au fil des années, le réseau aurait habitué le public, sous prétexte d’équilibre de sa couverture, à des comparaisons sommaires ou les torts des uns valent ceux des autres.
Le plaignant considère que l’entrée en matière du reportage de Mme Miville-Dechêne était destinée à semer le doute sur la crédibilité de M. Robin Philpot dans l’esprit du public. Il explique que quand la journaliste rapporte que ce dernier cherche la controverse, elle affirmerait que ses enquêtes, analyses et livres n’auraient été faits que dans le but d’entretenir des points de vue contradictoires et nourrir les antagonismes et non afin de faire ressortir la vérité.
M. Desgagné ajoute que, selon Mme Julie Miville-Dechêne, les indépendantistes se délecteraient d’un des précédents ouvrages de M. Robin Philpot intitulé « Les Secrets d’Option Canada ». De son avis, le public en conclurait que c’est un ouvrage biaisé. La journaliste émettrait un jugement selon lequel « ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali », l’ouvrage dont il est question dans le reportage, serait encore plus controversé. Pour le plaignant, la journaliste a émis des jugements de valeur et non des observations objectives. Selon lui, si Mme Julie Miville-Dechêne avait voulu faire une présentation objective de l’auteur, elle aurait donné une description sommaire du contenu de ce premier ouvrage.
Le plaignant se demande si il était légitime que la Société Radio-Canada aborde le sujet d’un ouvrage paru il y a quatre ans en pleine campagne électorale et dans quelle mesure il ne s’agissait pas, par ce biais, de nuire à M. Robin Philpot ainsi qu’au Parti Québécois. Il se demande également si le fait d’évoquer la question du génocide rwandais, en période électorale, pouvait se justifier autrement que par une volonté de salir la réputation d’un candidat.
M. Desgagné ajoute qu’il s’élève avec vigueur contre la participation de la Société Radio-Canada à ce qu’il pense être une campagne de désinformation menée par le quotidien La Presse. De son avis, la Société Radio-Canada est un organisme public et elle ne peut, de par son statut, s’associer à ce qu’il qualifie comme étant de la propagande.
Le plaignant explique que, dans son reportage, Mme Julie Miville-Dechêne reprend le titre du quotidien La Presse, « Un candidat du PQ nie le génocide rwandais » et que le public peut voir celui-ci à l’écran. De son avis, un article provenant d’autres sources, destiné à faire scandale et portant sur un sujet déjà abondamment débattu, serait injustement devenu une nouvelle en soi. De plus, le plaignant estime que la suite du reportage vise à accréditer la thèse selon laquelle M. Robin Philpot serait un menteur.
Dans le reportage ainsi que dans la présentation de M. Bernard Derome, M. Philpot serait présenté comme une personne qui se défend d’avoir nié le génocide rwandais. Or, et ce faisant, ce dernier serait assimilé à un négationniste, ce que M. Desgagné conteste. De son avis, le livre de M. Philpot présente à la fois une réponse à la question de savoir pourquoi les deux ethnies que sont les Tutsis et les Hutus se livraient une guerre ethnique depuis de si nombreuses années ainsi qu’une explication concernant ce qui s’est déroulé entre les années 1990 et 1994, ce qui prouverait que l’auteur ne soutient nullement la thèse négationniste. Pour le plaignant, ce qui est dénoncé par l’ouvrage est l’usage du terme « génocide » afin de camoufler les causes véritables du massacre.
Le plaignant ajoute que la journaliste n’a pas mentionné que le Président actuel du Rwanda, M. Paul Kagamé, était l’un des chefs du Front patriotique rwandais et qu’il vivait actuellement dans l’impunité, alors qu’il est probablement l’auteur de plusieurs attentats.
De l’avis de M. Desgagné, la journaliste s’est gardée de présenter des opinions divergentes au sens où, après avoir interrogé M. Philpot, elle s’est tournée exclusivement vers des personnes appartenant à l’ethnie des Tutsis.
Le plaignant lui reproche également d’avoir passé sous silence l’intégralité, ou presque, des arguments contenus dans le livre en question. Pour lui et dans l’hypothèse où elle avait vraiment lu l’ouvrage, elle a sciemment trompé le public en détournant le sens de celui-ci.
M. Desgagné reproche finalement à Mme Julie Miville-Dechêne de s’être servie du témoignage d’une femme victime de viols. Cette dernière serait présentée de façon caricaturale. Le reportage laisserait voir son visage attristé disant qu’elle « trouvait ça écŒurant » et donnant l’impression que M. Robin Philpot niait les actes dont elle a pu être victime, ce que le plaignant conteste.
Pour lui, la dimension la plus dommageable du reportage mené par la Société Radio-Canada serait l’opération qui consiste à répéter les thèses officielles pour faire oublier les causes profondes d’un drame.
Commentaires du mis en cause
Mme Geneviève Guay nie que la Société Radio-Canada ait, comme l’affirmait le plaignant, répandu des faussetés concernant M. Robin Philpot. Pour celle-ci, le cŒur du reportage portait sur les thèses de ce dernier au sujet du génocide du Rwanda. Pour ce qui est de l’article publié par le quotidien La Presse le même jour, Mme Geneviève Guay affirme qu’il s’agissait d’un sujet d’intérêt public incontournable durant la campagne électorale. Après publication de cet article et par voie de communiqué, M. Philpot a fait entendre son point de vue à l’écran, affirmant qu’il n’avait jamais nié l’existence d’un génocide au Rwanda et que celui-ci figurait parmi les plus grandes tragédies du 20ème siècle.
De l’avis de Mme Guay, ces déclarations politiques ont été relatées dans un premier reportage, précédant celui de Mme Julie Miville-Dechêne. Le mandat de cette dernière était celui de l’épreuve de faits, c’est-à-dire qu’elle devait faire la comparaison entre les déclarations présentes et passées des candidats. La journaliste a donc lu les chapitres pertinents du livre de M. Robin Philpot, paru en 2004, pour tenter d’établir si les récentes déclarations du candidat étaient en accord avec ses écrits passés, avant qu’il fasse le saut en politique. Après investigation, Mme Miville-Dechêne serait arrivée à la conclusion que l’auteur avait changé de discours.
Pour la représentante des mis-en-cause, M. Philpot n’écrit jamais avoir nié le génocide mais elle se demande toutefois si il y a une grande différence entre nier le génocide et rejeter l’utilisation du terme « génocide ». En juxtaposant les écrits passés et les propos du jour de l’écrivain, la journaliste aurait démontré que le discours s’est modifié entre 2003 et 2007 au sens où le candidat n’utilise plus les formules chocs de son livre. De son avis, il aurait adouci son message pour finalement reconnaître qu’il y aurait peut-être eu actes génocidaires.
En ce qui à trait au reproche du plaignant concernant le fait que Mme Miville-Dechêne aurait ignoré les questions intéressantes posées par l’ouvrage de M. Philpot sur les événements entourant le génocide, Mme Guay reconnaît que le contexte historique est effectivement important pour mieux comprendre les événements mais que celui-ci ne pouvait être rapporté dans un reportage d’une durée de 2 minutes 30.
Le plaignant reprochait également à la journaliste de n’avoir fait entendre que des témoignages d’individus appartenant à la tribu tutsie et ce, sans présenter de contrepartie hutue. De l’avis de la représentante de la mise-en-cause, si ce point de vue n’est pas rapporté, c’est parce que M. Robin Philpot, interrogé à trois reprises, a un point de vue essentiellement semblable à celui des Hutus, à savoir que la notion de génocide des Tutsis est contestable.
Sur la question des viols, Mme Guay explique qu’en réponse à la thèse exprimée par M. Robin Philpot et selon laquelle certains hauts dignitaires accusés de viols seraient en réalité innocents, la Société Radio-Canada a choisi de présenter le témoignage d’une réfugiée. Pour la représentante de la mise-en-cause, le fait que le plaignant ait qualifié ce témoignage de caricatural revient à nier que celui-ci soit crédible.
Lors de l’introduction, M. Bernard Derome évoquait deux incidents différents dans la présentation des reportages sur la campagne électorale. Le lien entre les deux candidats ne portait que sur le fait que ce jour-là, deux chefs de partis ont eu à prendre position sur des déclarations d’un de leurs candidats et ne comportait, à son avis, aucun sous-entendu.
Concernant le reproche de M. Desgagné selon lequel l’entrée en matière du reportage donne l’impression que M. Robin Philpot cherche à entretenir la polémique par ses écrits et non à faire ressortir la vérité, Mme Geneviève Guay soutient que ce dernier aime le choc des idées, en précisant toutefois qu’il ne s’agit nullement d’une notion péjorative.
Dans le cadre du reportage, on peut entendre que « « Les Secrets d’Option-Canada » avait fait le bonheur des indépendantistes ». Pour la représentante des plaignants, cette affirmation ne signifiait nullement que cet ouvrage était suspect ou biaisé. Celle-ci n’avait pour but que de situer M. Robin Philpot comme un indépendantiste de longue date, reconnu des militants ce qui, en fonction des auditeurs, augmentera ou réduira sa crédibilité.
Mme Geneviève Guay affirme qu’en aucun cas les raisons qui ont amené la Société Radio Canada à traiter de ce sujet ne sont en rapport avec une quelconque entente avec le quotidien La Presse. Selon elle, lorsqu’un média concurrent, quel qu’il soit, publie une information importante, il est normal de la reprendre.
Concernant l’affirmation du plaignant selon laquelle la Société Radio-Canada chercherait à détruire systématiquement la crédibilité du Parti Québécois, Mme Guay rappelle que les politiciens indépendantistes s’expriment régulièrement et ouvertement sur les ondes de son réseau et que nombreux sont les observateurs à penser que celui-ci fait la promotion de l’indépendance québécoise comme le contraire.
Mme Geneviève Guay conclut que le reportage de Mme Miville-Dechêne ne peut être évalué selon les mêmes critères qu’une enquête approfondie sur le Rwanda puisqu’il s’agissait d’un court reportage destiné à mettre en perspective les opinions d’un candidat sur le sujet du génocide. Elle ajoute que la journaliste n’a émis aucun jugement de valeur, qu’elle a seulement opposé les écrits passés et le discours actuel de M. Robin Philpot en montrant que les thèses de ce dernier suscitaient la controverse auprès de la population réfugiée tutsie.
Réplique du plaignant
M. Bernard Desgagné observe que Mme Julie Miville-Dechêne n’avait pas lu intégralement le livre de M. Robin Philpot avant de réaliser son reportage. De son avis, la Société Radio-Canada aurait dû faire appel à un journaliste qui avait pris connaissance du dossier et aurait dû veiller à ne pas faire croire au public que la journaliste avait lu le livre.
Le plaignant s’oppose à l’avis mentionné dans le reportage selon lequel M. Robin Philpot est une personne qui aime la controverse et dont les livres font le bonheur des indépendantistes. De son avis, l’objectif premier de l’écrivain est la quête de vérité. Il ajoute que lorsque l’on affirme qu’une personne « aime la controverse », l’auditeur comprend que cette personne a l’esprit de contradiction et que lorsque l’on dit que des livres « font le bonheur des indépendantistes », cela sous-entend qu’ils sont biaisés.
De l’avis de M. Desgagné, Mme Miville-Dechêne a insinué que M. Philpot avait changé de position en devenant candidat pour la Parti Québécois alors que ce ne serait pas le cas. Pour lui, la journaliste a tenté de lui faire dire autre chose que ce qu’il avait déclaré au quotidien La Presse et ce, afin de ternir sa réputation. Le plaignant ajoute que la télévision se prête particulièrement bien aux manipulations puisque les reportages, généralement brefs, ne permettent pas d’entrer dans les détails. En retenant seulement un court extrait de l’entrevue, « j’appelle ça un génocide, le titre de La Presse est mensonger », la journaliste a fait dire à M. Robin Philpot autre chose que ce qu’il pensait véritablement.
Il ajoute que Mme Geneviève Guay a reconnu que le reportage de Mme Julie Miville-Dechêne avait associé M. Robin Philpot au courant négationniste. Il s’étonne que de tels propos, au ton nettement éditorial, aient pu être émis dans le cadre d’un reportage et a fortiori d’une épreuve des faits.
M. Bernard Desgagné remarque que la journaliste a abordé le problème des viols dans son reportage mais qu’elle a passé sous silence la violation des règles de droit par le Tribunal pénal international rwandais et par le gouvernement de Paul Kagamé. Il ajoute que si la journaliste avait véritablement voulu faire l’épreuve des faits, elle se serait aperçue que Jean-Paul Akayesi n’a jamais été condamné pour viol, ni même été accusé de ce crime.
Le plaignant précise qu’il n’a pas voulu dire que la victime était une caricature mais bien que le reportage en avait fait une présentation caricaturale. De son avis, dire qu’une femme a été violée cinq cents fois sans donner aucune explication ne peut que soulever des interrogations chez toute personne raisonnable. Compte tenu du peu de temps dont la journaliste disposait pour le reportage, M. Bernard Desgagné pense qu’il aurait été préférable que la journaliste dise que la femme avait été victime à de multiples reprises de viols collectifs.
Il ajoute qu’en plus de ne pas avoir lu l’intégralité du livre de M. Robin Philpot, la journaliste n’a pas retenu d’autres points de vue que celui du principal intéressé et de ses opposants. Ce faisant, elle aurait adopté une attitude biaisée. Le plaignant pense qu’elle aurait agi ainsi en toute connaissance de cause afin de tromper le public.
En ce qui a trait à l’objectivité de la Société Radio-Canada, M. Bernard Desgagné conclut que le fait que le réseau reçoive des plaintes de fédéralistes ne prouve en rien qu’elle est objective dans son traitement de l’information.
COMPLéMENT D’INFORMATION
N.B. : Les informations suivantes visent à compléter le dossier. Aucun nouveau grief ne pourra y être soulevé, il s’agit d’informations nouvelles et nécessaires à la bonne compréhension de la décision rendue par le Conseil.
à l’affirmation selon laquelle Mme Julie Miville-Dechêne n’aurait pas lu le livre de M. Robin Philpot, celle-ci rétorque qu’elle a lu une centaine de pages, soit la moitié du livre, et qu’elle a survolé le reste. Elle précise que le reportage ne visait pas à faire le compte rendu complet du livre ou expliquer l’histoire récente du Rwanda mais que son objectif était bien de vérifier si M. Philpot avait changé de discours sur le génocide rwandais depuis l’annonce de sa candidature.
Elle affirme que ce dernier a changé de discours entre 2004 et 2007 puisqu’il disait auparavant rejeter l’utilisation du terme « génocide » pour décrire les tueries au Rwanda et qu’il reconnaît maintenant qu’il y a peut-être eu un génocide ou des actes génocidaires. Elle rejette également l’idée selon laquelle elle se serait appuyée sur des opinions pour affirmer que M. Philpot avait changé de discours et dit ne s’être basée que sur ses écrits pour ce faire. Pour le plaignant, l’auteur n’a jamais nié le génocide, tout au plus a-t-il dénoncé l’utilisation qui a été faite de ces termes.
La journaliste rejette la possibilité qu’il y ait eu concertation entre elle et le journaliste du quotidien La Presse auteur de l’article. Elle précise ne jamais l’avoir rencontré et avoir fait ses propres vérifications ainsi qu’entrevues sur le sujet. M. Bernard Desgagné estime qu’il n’est pas nécessaire que les deux journalistes se soient rencontrés, il suffit que leurs supérieurs respectifs se soient servis d’eux dans ce but.
Pour Mme Miville-Dechêne, l’information selon laquelle M. Jean-Paul Akayesu s’est contenté de ne pas empêcher des viols est inexacte. Elle cite une partie du jugement du Tribunal pénal international du Rwanda afin d’étayer l’idée que ce dernier a ordonné, incité et encouragé des viols. Pour le plaignant, cet extrait n’a pas autorité étant donné que les règles élémentaires du droit n’ont pas été respectées dans le cadre du procès.
Contrairement à l’affirmation du plaignant selon laquelle le reportage serait biaisé, la journaliste explique avoir donné davantage de temps d’antenne à M. Robin Philpot qu’à ses adversaires. Ce dernier s’exprimerait à quatre reprises pour un total de 30 secondes tandis que le président de l’Association tutsi parlerait quinze secondes et la victime de viol huit secondes. Elle précise que dans le reportage qui précède le sien, c’est le même point de vue qui prédomine puisque M. André Boisclair prend la défense de son candidat lors de deux interventions de huit et quinze secondes chacune. Toutefois et pour le plaignant, cela ne justifie en rien le fait que la journaliste aurait dû faire appel au point de vue d’un tiers.
Analyse
M. Bernard Desgagné porte plainte contre la Société Radio-Canada pour avoir diffusé, lors du téléjournal de 22 heures le 8 mars 2007, un reportage sur le candidat du Parti Québécois et auteur M. Robin Philpot. Il reproche à Mme Julie Miville-Dechêne, journaliste, d’avoir voulu y discréditer celui-ci, son parti ainsi que les indépendantistes québécois en véhiculant des conclusions erronées tirées de son ouvrage publié en 2004 et intitulé « ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali ».
Les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont ils doivent faire preuve représente la garantie d’une information de qualité. Elle ne signifie aucunement sévérité ou austérité, restriction, censure, conformisme ou absence d’imagination. Elle est plutôt synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des événements.
Le plaignant soutenait que M. Philpot n’avait jamais, et bien que le quotidien La Presse ait publié un article affirmant le contraire, nié le génocide rwandais dans son ouvrage paru en 2004. Sa position n’aurait donc pas évolué entre cette date et aujourd’hui. Son point de vue aurait ainsi été manipulé dans le reportage et ce, afin de le faire passer pour un négationniste. Pour M. Desgagné, Mme Miville-Dechêne n’aurait de plus pas dû être affectée à la couverture de ce sujet puisqu’elle n’avait pas lu l’intégralité de l’ouvrage en question et qu’elle n’avait que peu de connaissances sur la question du génocide rwandais.
Après avoir fait lecture des chapitres correspondants, on constate que, si M. Philpot préfère parler de « catastrophe » ou de « tragédie » dans son ouvrage plutôt que de « génocide », c’est parce qu’il doute que les thèses officielles reflètent parfaitement la réalité et non parce qu’il nie les crimes commis. à ce titre, le Conseil n’a pu isoler aucune inexactitude dans le reportage de Mme Miville-Dechêne.
Le choix d’affecter Mme Miville-Dechêne à la couverture de cette information relevait de la direction de la salle de rédaction de la Société Radio-Canada. De plus, puisque celle-ci était officiellement en charge de la réalisation de vérification de faits durant la campagne électorale, il était légitime qu’elle soit affectée à la couverture de cette information.
M. Desgagné mentionnait également que, lors de la présentation des reportages de Mmes Josée Thibeault et Julie Miville Dechêne, M. Bernard Derome aurait présenté M. Philpot comme l’alter ego péquiste d’un candidat démisionnaire de l’ADQ, ce qui aurait eu pour résultat d’assimiler celui-ci à un personnage qu’il qualifie de grotesque.
Après analyse, le Conseil conclut que, si l’on se réfère aux propos de Bernard Derome, tout au plus peut-on comprendre que certaines positions du candidat du Parti Québécois et de ceux des partis opposés, sans toutefois qu’il ne soit fait mention du candidat de l’ADQ en particulier, avaient récemment suscité la controverse. Ainsi et bien que l’on ne puisse écarter la possibilité que l’auditeur ait pu se remémorer les événements qui ont entouré la campagne du candidat de l’ADQ, les propos de Bernard Derome n’assimilaient pas M. Philpot à un « personnage grotesque ».
Le plaignant reprochait aussi à Mme Miville Dechêne d’avoir fait mention de son opinion et occulté le témoignage des sympathisants de M. Philpot, ainsi que d’avoir passé sous silence bon nombre des informations et arguments qu’il présentait dans son ouvrage.
Une analyse minutieuse de ces différents griefs n’a pas permis au Conseil de constater, sur ces aspects, un manque de rigueur dans le travail de la journaliste. à cet égard, seul le format d’un court reportage d’épreuve des faits choisi par la rédaction pouvait peut-être donner au plaignant l’impression que le travail journalistique n’était pas complet ou suffisant.
Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. En effet, l’exagération ainsi que l’interprétation abusive des faits et des événements pourraient risquer d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises.
Selon le plaignant, Mme Miville-Dechêne aurait instrumentalisé le témoignage d’une victime de viols en présentant, sans mise en contexte, le nombre d’agressions dont elle témoigne, ce qui aurait laissé à l’auditeur l’impression que M. Philpot, qui conteste dans son ouvrage la véracité de certains de ces crimes, nierait que la victime ait effectivement vécu de tels sévices.
Le Conseil de presse est d’avis que la mise en contexte était suffisante pour que l’auditeur comprenne que M. Philpot ne niait pas les crimes personnellement subis par cette victime de viol.
De l’avis de M. Desgagné, le quotidien La Presse et la Société Radio-Canada auraient orchestré une opération de « salissage » afin de nuire à M. Philpot ainsi qu’au Parti Québécois.
L’analyse a permis au Conseil de conclure que l’affirmation du plaignant est erronée. En effet, une partie non négligeable du reportage est consacrée à la présentation des arguments de M. Philpot et il est par ailleurs indéniable que cette information était d’intérêt public.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Bernard Desgagné contre la journaliste Mme Julie Miville-Dechêne et la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C02A Choix et importance de la couverture
- C02B Moment de publication/diffusion
- C03C Sélection des faits rapportés
- C06H Affectation des journalistes
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C13B Manipulation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15D Manque de vérification
- C15H Insinuations
- C17D Discréditer/ridiculiser
Date de l’appel
27 May 2008
Appelant
M. Bernard Desgagné
Décision en appel
La commission d’appel du Conseil de presse du Québec a étudié l’appel que vous avez interjeté relativement à la décision rendue par le comité des plaintes et de l’éthique de l’information dans le dossier cité en titre.
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.