Plaignant
M. Giovanni (Wolfmann) Bruno
Mis en cause
M. André Pratte, éditorialiste en chef; M. Pierre-Paul Gagné et Mme Christiane Clermont, responsables du « courrier des lecteurs »; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Giovanni (Wolfmann) Bruno porte plainte à l’encontre des responsables du « courrier des lecteurs », MM. André Pratte, Pierre-Paul Gagné et Mme Christine Clermont, qui sous le motif d’antisémitisme, auraient refusé de publier une de ses lettres.
Griefs du plaignant
M. Giovanni (Wolfmann) Bruno dénonce ce qu’il qualifie « d’antisémitisme » exercé, consciemment ou non, par les responsables du « courrier des lecteurs » de La Presse, pour avoir refusé de publier une de ses lettres dans la rubrique réservée à cette fin. M. Bruno tient toutefois à préciser qu’il n’accuse pas le journal d’antisémitisme, seulement les responsables du « courrier des lecteurs ».
Selon le plaignant, sous le faux motif de manque d’espace, l’équipe du « courrier des lecteurs » aurait refusé de publier sa lettre qui racontait un témoignage traitant de l’holocauste. La lettre se voulait un complément à l’article de M. Marc Thibodeau publié le 12 novembre 2006, sous le titre « Un historien révèle un passé trouble – La Suisse, « coffre-fort » des nazis ».
Le plaignant relate les événements qui se sont succédés à la suite de l’envoi de sa lettre à La Presse. Tout d’abord il tient à préciser que La Presse dans sa section réservée aux lecteurs, invite ces derniers à exprimer leur opinion. à la suite de l’article de M. Thibodeau, il décidait d’envoyer une lettre, le 14 novembre 2006, en guise de témoignage pour raconter l’histoire de ses parents qui se sont vus refusés l’entrée en Suisse, alors qu’ils fuyaient l’Allemagne nazie. Après deux jours d’attente, ne voyant pas sa lettre publiée, il décide de faire un rappel auprès de La Presse. Mme Clermont, une des responsables du « courrier des lecteurs », lui indique que son texte sera soumis au responsable de la publication. Quelques jours plus tard, son texte n’étant toujours pas publié, il tente un autre rappel, sans réponse. Le 1er décembre 2006, il reçoit une réponse négative justifiée par le « manque d’espace ». Selon lui, il s’agit d’un faux argument, car il dit constater qu’il y a de l’espace pour publier d’autres lettres.
Le plaignant a effectué une recherche sur les lettres publiées dans le « courrier des lecteurs » au cours des dernières années. Selon lui, ses recherches l’auraient mené à constater que c’est souvent des lettres signées par les mêmes personnes qui sont publiées. Il considère que plusieurs de ces lettres, auraient un contenu à connotation antisémite.
M. Bruno conclut que M. Pratte a trouvé facilement et plusieurs fois de l’espace pour les mêmes personnes et les mêmes sujets, ce qui contreviendrait, selon lui, aux règles de diversité des points de vue promues par le Conseil de presse.
Commentaires du mis en cause
Par l’entremise de Me Carolina Mingarelli, La Presse déplore que, bien que, M. Bruno avouait dans sa plainte que le journal n’était pas une publication antisémite ou raciste, il n’hésitait cependant pas à en accuser certaines personnes.
La représentante des mis-en-cause est d’avis que la plainte n’est pas fondée, elle rejette d’emblée les accusations de racisme et d’antisémitisme dont font l’objet Mme Clermont et MM. Pratte et Gagné.
Me Mingarelli soulève le fait que la présente plainte serait prescrite, en regard du Règlement No 3 du Conseil de presse qui stipule qu’une plainte doit être soumise dans un délai de six mois suivant la publication de l’objet visé par la plainte. Or, souligne-t-elle, la plainte est datée du 22 mai 2007, soit plus de six mois suivant la publication de l’article en question. La procureure souligne que même si le Conseil a estimé que « l’objet visé par la plainte » devrait être la lettre envoyée par M. Bruno à La Presse ou les réponses à cette lettre par le journal, plutôt que l’article de M. Marc Thibodeau, la plainte serait toujours prescrite. De plus, ajoute-t-elle, M. Bruno n’a pas établi de circonstances exceptionnelles justifiant que le Conseil de presse ignore cette règle.
Dans l’alternative, elle soumet que la plainte devrait être rejetée en regard de la liberté rédactionnelle impartie aux médias dans leur choix de lettres à être publiées dans le « courrier des lecteurs ». En se référant à la jurisprudence du Conseil, Me Mignarelli rapporte que ce dernier s’est à maintes fois prononcé sur l’espace réservé aux lecteurs, tout en soulignant que « nul ne peut dicter à la presse ce qu’elle doit publier ou non puisqu’il s’agit d’une prérogative de l’éditeur ».
De l’avis de la procureure, La Presse se soucie de « respecter la diversité des points de vue, de l’actualité des sujets abordés ainsi que les éventuels droits de réponse et les réactions à des articles publiés ailleurs dans le journal », dans son choix de lettres à être publier dans le « courrier des lecteurs ». De plus, souligne-t-elle, M. Bruno ne faisant pas l’objet de l’article de M. Thibodeau, en conséquence, il ne jouissait pas d’un droit de réplique.
Réplique du plaignant
M. Bruno insiste sur le fait que sa lettre était d’intérêt public. Il souligne que si le journal avait publié des points de vue semblables au sien, il aurait pu comprendre ce refus. Mais après vérification, il dit avoir plutôt trouvé des lettres critiquant les juifs ou qui contenaient des sentiments, des réactions, des frustrations à connotation antisémite. Il constate qu’aucune lettre exprimant son point de vue n’a été publiée.
Il explique qu’il est le dernier représentant qui puisse témoigner de sa parenté maternelle qui a subi l’holocauste. Il reproche donc aux responsables de La Presse d’être insensibles et hostiles face au passé de sa famille et de ne pas lui avoir permis d’expliquer son point de vue qui, explique-t-il, n’est pas représenté dans le « courrier des lecteurs ».
Le plaignant déplorait que l’on retrouve toujours les mêmes noms dans la rubrique réservée aux lecteurs. Il joint une liste de lettres répertoriées et regrette que la procureure du journal n’ait pas expliqué ces « privilèges » que le journal accorderait à ces personnes.
Analyse
Le quotidien La Presse soulevait le fait que la plainte de M. Bruno serait prescrite en regard du délai de six mois pour déposer une plainte auprès du Conseil de presse. Cette plainte met en cause un cas de non-publication plutôt qu’un article publié. Après examen du dossier, il apparaît dans la correspondance échangée entre le plaignant et La Presse, que M. Bruno a clairement signifié son insatisfaction au quotidien, à l’égard de la non-publication de sa lettre, le 1er décembre 2006. La plainte de M. Bruno a été formulée le 22 mai 2007. Dans l’esprit du Règlement No 3, le Conseil a donc jugé la plainte recevable puisque le délai de six mois aurait pris fin le 1er juin 2007.
M. Giovanni (Wolfmann) Bruno reprochait aux responsables du « courrier des lecteurs » de La Presse, MM. André Pratte, Pierre-Paul Gagné et Mme Christine Clermont, sous le motif d’antisémitisme, d’avoir refusé de publier une de ses lettres.
Au premier grief reproché, le plaignant déplorait que le journal ait refusé de publier sa lettre dans la section réservée au « courrier des lecteurs ». Il reproche aux responsables d’être insensibles et hostiles face au passé de sa famille et de ne pas lui avoir permis d’expliquer son point de vue qui, par ailleurs n’était pas représenté par d’autres lecteurs. Les mis-en-cause invoquent la liberté rédactionnelle du média, en soulignant que l’article de M. Marc Thibodeau exposait un point de vue semblable à celui de M. Bruno. De plus, La Presse dit se soucier de représenter différents points de vue dans le « courrier des lecteurs » et que cet objectif répond aux exigences déontologiques du journal.
Bien que le plaignant considérait sa lettre comme un complément d’information d’intérêt public, faisant suite à un article, La Presse était libre de choisir les lettres à être publiées dans la rubrique réservée à cette fin. M. Bruno considère que La Presse ne représente pas tous les points de vue, cependant, le dossier ne permet pas d’en arriver à une telle conclusion. à cet égard, on ne pourrait donc, sans faire un procès d’intention au journal, l’accuser de partialité. Le grief est rejeté.
Au deuxième grief, le plaignant accusait le journal et certains de ses représentants de racisme et d’antisémitisme. Selon M. Bruno, les responsables du « courrier des lecteurs » favoriseraient ou sympathiseraient avec ceux ou celles qui critiquent ou s’opposent aux juifs. Il affirme qu’aucune lettre exprimant un point de vue différent n’aurait été publiée.
Bien que le plaignant se dise heurté par ces quelques lettres, le Conseil n’a pu déceler de sentiments antisémites ou racistes, qui soulèveraient la haine et le mépris, encourageraient la violence ou encore heurteraient la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. De l’avis du Conseil, il est impossible de conclure à de l’antisémitisme de la part des responsables du « courrier des lecteurs » de La Presse. Le grief est rejeté.
Décision
Compte tenu des motifs précédemment exposés, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Giovanni (Wolfmann) Bruno à l’encontre des responsables du « courrier des lecteurs », MM. André Pratte, Pierre-Paul Gagné et Mme Christine Clermont et le quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C08F Tribune réservée aux lecteurs
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C18D Discrimination
- C24C Règles de procédure