Plaignant
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ); M. Louis Cauchy, directeur des communications
Mis en cause
M. Brian Myles, journaliste; Mme Josée Boileau, directrice de l’information et le quotidien Le Devoir
Résumé de la plainte
Le directeur des communications de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) reproche au journaliste Brian Myles d’avoir fondé un article sur une information non vérifiée et attribuée au président de la FTQ, Henri Massé. L’article contesté a été publié à la une du quotidien Le Devoir, le samedi 5 mai 2007.
Griefs du plaignant
Le directeur des communications de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), M. Louis Cauchy, porte plainte contre le quotidien Le Devoir et son journaliste Brian Myles invoquant qu’un article publié le 5 mai 2007 reposait sur une prétendue remarque lancée par le président de la FTQ, M. Henri Massé. L’article rapporte que ce dernier aurait qualifié les personnes ayant occupé son bureau, le 1er mai 2007, d’ « anarchistes ». Selon M. Cauchy, on relate également dans l’article que « L’accusation de M. Massé (a été) reprise dans les médias de masse. »
Le plaignant précise : « Or, M. Massé n’a jamais fait de commentaires, de remarques ou lancé d’accusations de cette nature, encore moins reprises par les médias de masse, sur les événements survenus à son bureau le 1er mai 2007. »
M. Cauchy dit avoir communiqué avec la rédaction du quotidien, le 6 mai 2007, pour discuter de la question avec la directrice de l’information, Mme Josée Boileau. Il aurait reçu pour réponse que M. Myles « s’est basé sur un article « En bref » du Devoir du 2 mai 2007, rédigé par Guillaume Bourgault-Côté sous le titre « La marche du 1er mai » ». L’article se terminerait par : « Selon la FTQ, il s’agirait d’anarchistes ». Mme Boileau aurait alors dit à M. Cauchy que si ce n’est pas M. Massé qui a fait cette remarque, c’était à tout le moins une porte-parole de la FTQ, Mme Isabelle Gareau.
Le plaignant dit avoir discuté avec Mme Gareau pour apprendre qu’elle aurait dit à M. Bourgault-Côté qu’elle n’était pas présente lors des événements au bureau du président de la FTQ et qu’elle ne pouvait confirmer ou infirmer qu’il s’agissait d’anarchistes, comme le journaliste lui avait demandé. Ce dernier aurait d’ailleurs confirmé cette version à Mme Gareau après une vérification de la part de celle-ci. Le journaliste lui aurait même précisé que c’est l’absence de confirmation formelle qui aurait justifié l’emploi du conditionnel dans son article du 2 mai.
M. Cauchy affirme avoir alors tenté à nouveau de parler à Mme Boileau pour lui faire part de cette nouvelle version et, n’ayant pu la rejoindre, lui a relaté les faits dans sa boîte vocale, en demandant de le rappeler. Cet appel n’est jamais venu, mais, selon lui, un court rectificatif est paru dans l’édition du 8 mai, à l’endos du journal, mentionnant que la remarque ne provenait pas de M. Massé, mais « bel et bien d’un représentant de la FTQ » ce qui, aux yeux du plaignant, est toujours inexact.
Le plaignant aurait même parlé à M. Normand Baillargeon, cité dans l’article, et ce dernier aurait reconnu que c’est M. Myles « qui lui a parlé des soi-disant déclarations de Henri Massé sur les anarchistes et qu’il n’avait pas de raison de douter de la véracité de ces déclarations ».
Pour illustrer ce qu’il considère comme « la piètre efficacité d’un tel rectificatif, même erroné », le plaignant indique que la journaliste Caroline Montpetit, dans Le Devoir du 19 mai, sous le titre « L’ordre sans le pouvoir », écrivait : « Le mouvement anarchiste québécois a récemment retenu l’attention des médias, alors que le président de la FTQ, Henri Massé, l’associait au vandalisme. »
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Josée Boileau, directrice de l’information :
Les mis-en-cause s’interrogent sur le bien-fondé de la plainte, étant donné que dès qu’il a été avisé de cette erreur, Le Devoir a publié un rectificatif. De plus, écrit Mme Boileau, « l’article en question avait pour objectif d’expliquer les tensions entre anarchisme et syndicalisme dans l’histoire; la malencontreuse référence à M. Massé servait un style d’écriture et n’était pas, en soi, le cŒur du texte ». Pour elle, cet article aurait été fait même sans l’erreur des propos attribués au président de la FTQ, et la référence aux anarchistes est bien le fait d’une porte-parole de la FTQ, tel qu’indiqué dans le rectificatif contesté par M. Cauchy.
La directrice de l’information dresse ensuite la chronologie des événements au dossier :
– Le 1er mai, lors de la marche de la Fête des travailleurs, le photographe du Devoir, Jacques Nadeau, qui couvrait l’événement, a constaté la présence d’un service de sécurité resserré autour du président de la FTQ, M. Henri Massé. « Il se raconte, indique Mme Boileau, qu’un peu plus tôt dans la journée, des gens se seraient barricadés dans le bureau de M. Massé et auraient fait des dégâts. » De retour au journal, M. Nadeau en a fait part au journaliste Guillaume Bourgault-Côté, chargé d’écrire sur la marche.
– M. Bourgault-Côté communique avec la porte-parole de la marche du 1er mai, Mme Isabelle Gareau, qui indique ne pas avoir été sur place lors des événements et qu’il faut plutôt parler à M. Jean Laverdière de la FTQ. Ensuite, pendant plusieurs heures, elle tente elle-même de le joindre sur cellulaire, mais en vain. C’est finalement Mme Gareau qui rappelle le journaliste vers 20 h 00 (heure de tombée de la première édition) indiquant qu’elle ne savait pas exactement ce qui s’était passé, mais « que ce serait des anarchistes » qui ont envahi le bureau de M. Massé. L’information est reprise telle quelle dans Le Devoir.
– Pour la seconde édition dont la tombée est en toute fin de soirée, M. Bougault-Côté tente à nouveau de joindre M. Laverdière et le directeur des communications de la FTQ, M. Louis Cauchy, à deux reprises. Le journaliste a notamment parlé à une personne qui accompagnait M. Cauchy ce soir-là et qui a répondu sur le cellulaire de celui-ci. Le journaliste a demandé que M. Cauchy le rappelle, mais il n’a eu aucun retour d’appel ce soir-là. La deuxième édition du Devoir du 2 mai reprend donc l’information diffusée dans la première édition.
– Le lendemain, 2 mai, M. Bougault-Côté cherche en vain à faire le suivi des événements en laissant plusieurs messages dans les boîtes vocales de MM. Laverdière et Cauchy, qui sont restés sans réponse.
– Pendant ce temps, le Journal de Montréal et La Presse publient des reportages avec les auteurs des événements survenus aux bureaux de la FTQ; ceux-ci s’identifient comme altermondialistes et anticapitalistes. Les réseaux et sites d’informations continues relaient la nouvelle et Le Devoir reçoit des courriels prenant la défense de ces jeunes ou de la mouvance anarchiste.
– Pour mieux comprendre ces tensions entre syndicalisme et anarchisme, et pour distinguer entre casse et anarchisme, la directrice de l’information du Devoir demande, le jeudi 3 mai, au journaliste Brian Myles de se pencher sur le dossier en vue d’une publication le samedi. Ce dernier s’enquiert de l’état du dossier auprès de M. Bougault-Côté qui le réfère à M. Laverdière, désigné porte-parole pour l’incident en question. Il ajoute que ni M. Laverdière ni M. Cauchy n’ont retourné les appels placés par le Devoir la veille. M. Myles tente de rejoindre M. Laverdière qui ne l’a jamais rappelé.
La directrice de l’information poursuit sa chronologie ponctuée d’explications :
– « Vu le télescopage des événements de la semaine (bureau du président saccagé et sécurité autour de celui-ci, cafouillages dans l’identification, propos tenus par les jeunes eux-mêmes…), un malheureux glissement se produit le vendredi dans l’écriture du dossier de M. Myles, et Henri Massé se voit attribuer des propos qu’il n’a pas lui-même tenus, soit l’emploi du terme anarchistes pour désigner les gens qui ont occupé son bureau. L’article est toutefois d’abord à teneur pédagogique, expliquant les liens entre syndicalisme et anarchisme. L’occupation des bureaux de M. Massé devient le prétexte pour interroger les liens tantôt harmonieux, tantôt conflictuels entre le syndicalisme et l’anarchisme dans l’histoire moderne et pour remettre en question l’idée répandue selon laquelle l’anarchisme rime avec vandalisme. » Mme Boileau indique aussi que l’article est informatif et qu’il répond au critère de l’intérêt public tel que formulé dans le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil de presse.
– à la suite de la publication du dossier, le samedi 5 mai, le directeur des communications Louis Cauchy laisse un message le dimanche à la directrice de l’information du Devoir, Josée Boileau, qui est absente du bureau. Elle le rappelle le lundi, lui disant qu’elle clarifiera la situation.
– Après explications, l’imbroglio est nettement établi et Le Devoir publie un rectificatif le mardi 8 mai, « bien visible, à l’endos du premier cahier, endroit où le Devoir place toujours ses rectificatifs ». Mme Boileau ajoute que non seulement Le Devoir corrige son erreur, mais ajoute qu’il en est « désolé ». Selon elle, la rectification respecte à la lettre les articles pertinents de la Loi sur la presse, et elle est également conforme à l’article 2.3.7 du document Droits et responsabilités de la presse. Ainsi, elle remédierait pleinement et avec diligence à l’erreur commise à l’égard de M. Massé.
– Mme Boileau dit ne pas avoir rappelé M. Cauchy puisque qu’elle savait qu’un correctif serait apporté dans le quotidien dès le lendemain.
– à la suite de la parution de ce rectificatif, jamais quiconque des communications de la FTQ n’a tenté d’entrer en contact à ce sujet avec quelqu’un du Devoir; pas plus d’ailleurs que lors de la parution, un peu plus tard, de l’article de Caroline Montpetit qui reprenait l’erreur déjà évoquée.
– Jamais non plus Le Devoir n’a reçu de lettre pour publication de la part de la FTQ pour présenter sa version des faits.
– Rien ne laissait croire à une insatisfaction de la FTQ quant au règlement de ce dossier jusqu’à ce que le Devoir reçoive la plainte adressée au Conseil de presse. La FTQ se plaint d’une rectification pourtant conforme aux règles et pratiques journalistiques. Ses prétentions à l’effet que la FTQ n’a pas associé les manifestants aux anarchistes est fausse, comme en témoignent les commentaires faits par Isabelle Gareau à Guillaume Bougault-Côté. Enfin, Mme Boileau ajoute que les mis-en-cause ne sauraient être tenus responsables des erreurs commises après la publication de la rectification.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a formulé aucune réplique.
Analyse
La plainte du directeur des communications de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), M. Louis Cauchy, porte sur une inexactitude publiée par le quotidien Le Devoir et sur sa correction qui serait insatisfaisante.
Au moment de rendre cette décision, il apparaît utile de clarifier d’abord un aspect du grief concernant le correctif publié. Les représentations du plaignant voulaient que la rectification ait été erronée parce qu’elle attribuait toujours à un membre du personnel de la FTQ la source de l’information. Comme le plaignant et les mis-en-cause présentaient des versions totalement contradictoires sur le sujet, et comme cette affirmation n’était pas démontrée par le plaignant, conformément à sa jurisprudence, le Conseil n’a pas retenu le grief sous cet aspect.
Demeurait la question de l’inexactitude pour avoir attribué erronément une information au président de la FTQ. Sur cet aspect, le Conseil a observé que la direction du quotidien avait reconnu son erreur, s’en était dite désolée et avait publié un rectificatif à cette fin. Le Conseil a également noté au passage les multiples tentatives des journalistes du Devoir pour vérifier l’exactitude de leur information, entre l’incident en question et la publication de l’article de M. Myles. Pour ces raisons, et toujours selon les usages confirmés par la jurisprudence du Conseil, le grief n’a pas été retenu.
Enfin, en ce qui concerne la mention par le plaignant de la reprise par Mme Caroline Montpetit de l’information inexacte associant les « anarchistes » au vandalisme du bureau du président de la FTQ, le Conseil fait observer que la journaliste du Devoir n’était pas mise en cause dans le présent cas, et que son nom et sa citation n’étaient mentionnées, comme le précisait le plaignant, que pour des fins d’illustration dans le dossier. Le Conseil n’a pas considéré cet aspect comme un grief appartenant au dossier.
Décision
Au terme de cet examen et pour les motifs exposés, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Louis Cauchy contre le journaliste M. Brian Myles et le quotidien Le Devoir.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C19B Rectification insatisfaisante