Plaignant
M. André Beaulieu
Mis en cause
Mme Caroline Lacroix, journaliste; M. Réal Germain, directeur de l’information et oa chaîne de télévision TQS
Résumé de la plainte
Le plaignant, M. André Beaulieu, porte plainte contre la journaliste Mme Caroline Lacroix et la chaîne de télévision TQS. Le plaignant reproche à Mme Lacroix d’avoir fait preuve d’un manque de rigueur ainsi que d’un manque de pondération de l’information et d’avoir confondu les genres journalistiques en exprimant son opinion personnelle dans un reportage diffusé dans le bulletin de nouvelles de TQS, le 17 janvier 2007.
Griefs du plaignant
Le plaignant, M. André Beaulieu accuse la journaliste Caroline Lacroix d’avoir enfreint aux principes déontologiques de pondération et de rigueur de l’information et d’avoir en particulier exprimé son opinion personnelle au cours d’un reportage diffusé dans le bulletin de nouvelles du midi le 17 janvier 2007, sur la chaîne de télévision TQS.
Le reportage de Mme Lacroix portait sur l’histoire d’un jeune soldat des Forces canadiennes, FrédÉric Couture, envoyé en Afghanistan et blessé au cours d’une opération militaire près de la ville de Kandahar. Mme Lacroix a notamment réalisé pour ce reportage une entrevue avec M. Couture, à son retour au Québec.
Selon M. Beaulieu, la journaliste n’avait pas à présumer de l’avenir de ce soldat dans les Forces armées canadiennes. Le plaignant souligne encore que Mme Lacroix « par ses propos, […] laisse croire que le soldat Couture n’a plus d’avenir dans les Forces ».
Le plaignant déclare également que Mme Lacroix a fait preuve d’un manque de rigueur et de vérification dans la mesure où elle « n’a prouvé d’aucune façon qu’elle avait fait quelque recherche que ce soit au sein de l’armée canadienne, dans le but de savoir de quelle façon les soldats blessés sont traités ».
Le plaignant ajoute que la mise-en-cause pourrait également avoir dérogé à l’article 2.3.1 du guide déontologique du Conseil de presse [article intitulé « La Discrimination »] en tenant des propos qu’il juge « méprisants » à l’égard du soldat récemment mutilé, qualifiant de nulles ses perspectives de carrière dans l’armée à la suite de son accident.
Le plaignant indique avoir fourni un enregistrement sonore du reportage mis en cause et fait savoir que Mme Lacroix aurait également tenu des propos méprisants à l’antenne de TQS en dehors de ce reportage.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Bernard Guérin, directeur général aux affaires juridiques :
Me Bernard Guérin qualifie de « raisonnables » les affirmations faites par la journaliste, Mme Caroline Lacroix, à l’effet que la capacité physique du soldat à poursuivre une carrière « traditionnelle » a été affectée par un récent accident.
Me Guérin tient à souligner que le propos de la journaliste était fortement nuancé par les mots « bien qu’il soit encore trop tôt pour en parler… ». Mme Lacroix a également précisé que le soldat « sera affecté à des tâches administratives ou qu’il pourra demander à être relevé de ses fonctions… », ce qui relativise la portée de l’affirmation « presque nul ».
Si Me Guérin dit comprendre que le reportage ait pu paraître discriminatoire aux yeux du plaignant, il souligne que le reportage ne visait toutefois pas à quelque malveillance, mais qu’il illustrait au contraire la compassion qu’avait pu éprouver la journaliste dans le cadre de ce sujet de reportage. Mme Lacroix a, selon lui, cherché à exprimer « l’ampleur du défi qui attend ce jeune soldat ».
Me Guérin affirme enfin que le simple fait d’évoquer le handicap d’une personne et les conséquences fâcheuses de celui-ci ne peuvent constituer en soi de la discrimination, à moins que cette particularité ne soit utilisée pour entretenir des préjugés, « ce qui n’est aucunement le cas en l’espèce ».
Me Guérin exprime ainsi le souhait de voir la plainte rejetée dans la mesure où la journaliste a fait d’après lui un constat dont elle tire une conclusion logique et raisonnable, non empreinte de mépris comme l’a supposé le plaignant.
Réplique du plaignant
Le plaignant, M. Beaulieu, exprime son insatisfaction face aux arguments de Me Guérin et affirme que Mme Lacroix ne sait pas faire la part des choses entre « les différents chapeaux portés par les journalistes », qu’elle confond ainsi les divers genres journalistiques. Il souligne ainsi que la mise-en-cause a, dans le présent cas, abandonné son rôle de journaliste traitant de la nouvelle, du compte-rendu ou du reportage, pour « aller jouer dans les platebandes de l’éditorial et du commentaire, ou encore la chronique, le billet, la critique ».
Le plaignant ajoute que la précision apportée par la journaliste, selon laquelle le soldat FrédÉric Couture pourrait demander à être affecté à des tâches administratives, ne nuancerait pas le reste des propos tenus dans le reportage. Le plaignant pense en effet quant à lui que Mme Lacroix insinue que, par extension, tous les employés de l’armée affectés à des tâches administratives ont un avenir professionnel « presque nul ».
Le plaignant maintient que la journaliste aurait dû employer des termes « plus appropriés » pour qualifier la situation du soldat, et estime que la mise-en-cause ainsi que les responsables de TQS « devraient avoir l’humilité de reconnaître une critique constructive ».
Analyse
Le plaignant, M. André Beaulieu, a déposé une plainte contre la journaliste de TQS Mme Caroline Lacroix, au sujet d’un reportage diffusé dans le bulletin de nouvelles, le 17 janvier 2007. Le sujet du reportage était l’accident d’un jeune soldat des Forces canadiennes près de Kandahar en Afghanistan, accident ayant conduit à son amputation et à son rapatriement au Québec. Le plaignant formule notamment des griefs pour manque de rigueur, confusion des genres journalistiques, discrimination et absence de pondération de l’information.
Le plaignant formule un grief pour manquement en regard de la rigueur de l’information au motif que Mme Lacroix n’a pas pris la peine de vérifier la façon dont les Forces canadiennes procédaient avec les soldats amputés. Cette négligence l’aurait conduite à diffuser des insinuations, et à livrer une information peu rigoureuse.
Le guide déontologique du Conseil énonce que l’attention que les professionnels de l’information décident de porter à un sujet particulier, le choix de ce sujet et sa pertinence relèvent de leur jugement rédactionnel.
Ainsi, la journaliste a, conformément à sa liberté rédactionnelle, traité en priorité l’accident du soldat et ses impressions à la suite de l’événement, ce choix ne lui imposant pas d’effectuer des recherches plus avancées concernant les modalités de reclassement des soldats blessés au sein des Forces canadiennes. Le grief est par conséquent rejeté.
M. Beaulieu expose un autre grief pour confusion des genres journalistiques, reprochant à Mme Lacroix d’avoir exprimé son opinion personnelle dans le cadre d’un sujet d’information.
Les suites probables de la carrière du soldat évoquées par la journaliste ne constituent vraisemblablement pas une opinion personnelle. Le Conseil de presse estime que la journaliste a fait preuve de suffisamment de nuance dans son propos – en précisant qu’il est encore trop tôt pour apprécier la suite des événements – pour ne pas faire l’objet d’un blâme sur ce point. Le grief est rejeté.
Le plaignant formulait aussi un grief pour discrimination à l’égard des soldats handicapés et par extension, des personnes vivant avec un handicap, dans la couverture du sujet de reportage.
Le guide déontologique du Conseil rappelle qu’il n’est pas interdit de faire état des caractéristiques qui différencient les personnes ou les groupes dans la mesure où ces mentions sont pertinentes et conditionnent la compréhension de l’information par le public.
Il apparaît que la journaliste n’a pas fait état du handicap récent du soldat dans le but de discriminer les personnes handicapées. Cette mention ne visait pas à cultiver ou entretenir un préjugé à l’endroit des blessés de guerre ou des handicapés mais à exposer la situation actuelle du soldat. Le Conseil rejette donc ce grief.
Le dernier grief formulé par le plaignant a trait à la pondération de l’information : le plaignant reproche à la journaliste d’avoir montré une insistance indue et inappropriée à l’égard de la situation du jeune soldat et de lui avoir par là manqué de respect.
L’absence de pondération, le recours au sensationnalisme, à l’insistance et à l’exagération concernant certains événements relèvent d’une démarche visant à déformer la réalité et risquant d’induire le public en erreur quant à la valeur et la portée de l’information transmise.
Le Conseil n’a pas relevé de démarche d’une telle nature dans le reportage de Mme Lacroix. Cette dernière a bien fait mention du handicap du soldat qu’elle a interviewé mais a établi qu’une carrière administrative pourrait lui être ouverte dans d’autres services de l’armée. Si elle envisage l’avenir du soldat comme « presque nul », on comprend dans la suite de son propos qu’elle entend son avenir en tant que combattant. Le grief est rejeté.
Décision
Pour ces motifs, le Conseil rejette la plainte de M. André Beaulieu contre la journaliste, Mme Caroline Lacroix et la chaîne de télévision TQS.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C15D Manque de vérification
- C15H Insinuations
- C18F Discrimination (couverture)
- C20A Identification/confusion des genres