Plaignant
Transat A.T. inc. et M. Michel Lemay, vice-président, affaires publiques et communication
Mis en cause
M. Carl Langelier, journaliste; M. Serge Fortin, vice-président, Information, TVA, LCN, Argent et Affaires publiques et la chaîne spécialisée Canal Argent – Groupe TVA
Résumé de la plainte
M. Michel Lemay porte plainte contre le reportage du journaliste Carl Langelier, diffusé sur Canal Argent le 17 avril 2007, pour avoir rapporté des informations fausses et trompeuses, avoir dérogé au principe d’équité et d’impartialité, ainsi que pour avoir induit le public en erreur. Il ajoute que le reportage s’appuyait en partie sur du matériel inexact provenant d’un autre reportage datant du 12 septembre 2006.
Griefs du plaignant
M. Michel Lemay commence par préciser que le reportage dont il se plaint portait sur la disparition du voyagiste Vacances Maestro, une entreprise qui a tenté de s’établir sur le marché des destinations soleil au départ de la ville de Québec durant l’hiver 2007, et qui a fait faillite quelques mois après le début de ses activités. Le plaignant explique que la compagnie qu’il représente, Transat A.T. inc., offre ces mêmes services depuis une vingtaine d’années et qu’au moment où Vacances Maestro a choisi de s’implanter, un autre voyagiste, SunWing Vacations, a lui aussi fait son entrée avec beaucoup de succès sur le même marché.
M. Lemay rappelle que, bien que certains analystes aient déterminé que la très vive concurrence a été une des causes de la faillite de Vacances Maestro, le journaliste, M. Carl Langelier, a terminé son reportage en affirmant que « ce sont d’autres qui se sont chargés de détruire [Vacances Maestro] ». Il aurait évoqué trois raisons permettant d’expliquer celle-ci : le gouvernement du Québec qui leur aurait refusé une aide financière, des comportements concurrentiels déloyaux qui feraient l’objet d’une enquête auprès du Bureau de la concurrence ainsi que des subventions qui auraient été consenties à la compagnie Air Transat par l’Office du tourisme de Québec. Par la tournure de sa phrase, il aurait ainsi affirmé que d’éventuelles erreurs de gestion ne sont nullement à mettre en cause dans la faillite du voyagiste. De plus, les allégations du président de Vacances Maestro auraient été présentées comme avérées par le journaliste.
Le plaignant explique que la compagnie qu’il représente nie les accusations formulées à son égard et regrette de ne pas avoir eu la possibilité d’y répondre avant la diffusion du reportage. Il ajoute que le journaliste avait le devoir d’attribuer les accusations qu’il avait formulées et se devait de qualifier celles-ci d’allégations ou de prétentions.
En ce qui à trait à l’enquête du Bureau de la concurrence évoquée par le journaliste, M. Lemay soutient que celle-ci n’a aucun lien avec Vacances Maestro et le marché des voyagistes à Québec et précise qu’il s’agit d’une enquête qui concerne les voyagistes basés en Ontario. Le plaignant conclut que le journaliste a induit le public en erreur en s’abstenant de formuler cette précision.
Concernant les subventions qui auraient été octroyées à sa compagnie par l’Office du tourisme de Québec, M. Lemay précise que, dans un reportage datant du 12 septembre 2006, M. Langelier avait fait des déclarations analogues et le Groupe Air Transat inc. avait déjà à cette époque pris soin de lui mentionner son erreur. Le journaliste aurait donc, dans le cadre du reportage du 17 avril 2007, réitéré une erreur dénoncée par le passé.
Pour le plaignant, le public a été doublement induit en erreur puisque l’information était d’une part inexacte et que d’autre part, les vols supplémentaires mis en place au départ de Québec et à destination de l’Europe pour l’hiver 2007 ne venaient nullement concurrencer Vacances Maestro qui concentrait ses activités, pour cette même période, sur les destinations soleil.
Ainsi, en parlant de subventions, en faisant abstraction d’éléments de contexte comme la mention de l’existence de la compagnie SunWing ou plus génériquement d’une vive concurrence, le reportage se serait avéré incomplet et trompeur.
M. Lemay reproche au journaliste de ne pas avoir respecté le principe d’équité puisque le Groupe Air Transat inc., bien que directement mis en cause dans le reportage, n’a nullement été consulté afin de faire valoir son point de vue. Or, comme le précise le plaignant, en raison des échanges qui ont eu lieu entre le Groupe TVA et la compagnie qu’il représente concernant le reportage du 12 septembre 2006, le journaliste savait que le Groupe Transat A.T. inc. avait une position divergente sur cette question et aurait donc dû mentionner ce désaccord dans son reportage du 17 avril 2007.
De l’avis de M. Lemay, le réseau aurait également manqué à son devoir d’impartialité en prenant fait et cause pour la thèse défendue par l’ancien président-directeur général de Vacances Maestro. Il ajoute que le journaliste ne cite aucune partie désintéressée et ne fait appel à aucun expert dans son reportage.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Véronique Dubois, conseillère juridique principale pour le Groupe TVA :
La représentante des mis-en-cause rappelle que le contexte du reportage de M. Langelier était celui d’une meute de créanciers présents à une assemblée afin de questionner la gestion de Vacances Maestro qui venait de faire faillite. Elle ajoute que le journaliste n’a nullement annoncé dans le reportage qu’il ferait une analyse des causes de la faillite de cette compagnie.
Dans sa plainte, M. Lemay expliquait que la programmation promotionnelle d’Air Transat pour l’hiver 2007 concernait des destinations qui n’avaient jamais été programmées par Vacances Maestro. Selon Me Dubois et contrairement à l’avis énoncé par le plaignant, M. Langelier n’a jamais contredit cette information dans son reportage, ni fait le lien entre ce programme et la faillite du voyagiste. De son avis, le reportage n’aurait fait que mettre en parallèle la décision du gouvernement québécois de ne pas cautionner Vacances Maestro et la décision d’un organisme de ce même gouvernement d’investir une somme importante dans un programme coopératif avec Air Transat.
Selon Me Dubois, ce serait M. Mordret, le président-directeur général de Vacances Maestro, qui aurait affirmé qu’Air Transat a offert des forfaits à perte sur les mêmes destinations que sa compagnie dans le reportage. Elle ajoute que le journaliste l’a d’ailleurs d’emblée spécifié. C’est également lui qui ajoute que le Bureau de la concurrence fut saisi d’une enquête pour pratique déloyale chez plusieurs tours opérateurs du pays.
M. Lemay reprochait également à M. Langelier d’avoir affirmé que « ce sont d’autres qui se sont chargés de détruire [Vacances Maestro] ». à cet égard, la représentante des mis-en-cause reprend les propos du journaliste et mentionne que celui-ci a bien dit que « par souci de transparence, Michel Mordret nous a remis tout le plan d’affaires de Maestro. Il dit avoir bien fait son travail; ce sont d’autres qui se sont chargés à sa place de le détruire », ce qui, pour elle, est différent.
Pour Me Dubois, le reportage est équilibré en ce sens qu’il démontre d’une part, la position des créanciers qui questionnaient la gestion de M. Mordret et d’autre part, la position de ce dernier concernant la validité de son plan d’affaires. De son avis, le Groupe Transat A.T. inc. n’était nullement un acteur de cette nouvelle, ce qui expliquait pourquoi son témoignage ne fut pas recueilli.
Le plaignant reprochait également au journaliste d’avoir ignoré le succès du voyagiste SunWing ainsi que de ne pas avoir utilisé l’approche consistant à étudier et commenter le plan d’affaires. à cet égard, la représentante des mis-en-cause rappelle que le choix d’un sujet ainsi que l’angle d’un reportage relèvent de la liberté rédactionnelle.
Me Dubois conclut en précisant que M Langelier a bien distingué ce qui était factuel de ce qui constituait la position de M. Mordret et n’a jamais présenté comme avérées les prétentions de ce dernier.
Réplique du plaignant
M. Michel Lemay explique qu’un des points cruciaux de sa plainte concerne l’affirmation du journaliste selon laquelle le Groupe Transat A.T. inc. aurait reçu des subventions, dans le cadre d’un programme promotionnel, alors qu’il s’agirait d’un investissement fait par celui-ci. Il ajoute qu’il s’agissait d’une répétition délibérée d’une fausseté de la part du réseau puisque celui-ci avait déjà été informé, à la suite de la diffusion du reportage du 12 septembre 2006, que cette information était inexacte. Il mentionne également que, contrairement à ce qui a été énoncé par les mis-en-cause, l’Office du tourisme de Québec n’est pas un organisme dépendant du gouvernement mais une association touristique liée à la Ville de Québec.
Le plaignant ajoute qu’il maintient que le reportage de M. Langelier faisait le lien entre le programme promotionnel dont aurait bénéficié Air Transat et la faillite de Vacances Maestro. Il mentionne que, compte tenu du mandat du reportage, il n’était pas justifié d’en faire mention.
De son avis, le journaliste a donné à la fin du reportage son plein aval à la position du président-directeur général de Vacances Maestro à l’effet que « ce sont d’autres qui se sont chargés à sa place de le détruire ».
M. Lemay conteste par ailleurs l’affirmation des mis-en-cause selon laquelle Air Transat n’est pas un acteur à part entière de la nouvelle puisque celle-ci ciblait toutefois la compagnie comme une des causes principale de la faillite de Vacances Maestro. Il ajoute que pour lui, le reportage n’avait nullement comme mandat de questionner la gestion du voyagiste mais bien de s’interroger sur les causes de sa faillite.
Il affirme que dans cette hypothèse, le journaliste disposait de nombreuses observations sur les causes de la disparition de Vacances Maestro, telles que l’aspect concurrentiel du marché, les faibles marges qui en découlent, la question de la validité du plan d’affaires, la présence d’un concurrent en la personne de SunWing, la baisse des parts de marché d’Air Transat pour l’hiver 2007 ou encore le fait que la compagnie ait nié les pratiques déloyales dont elle est accusée. Tout ces faits, ajoute-t-il, ont été ignorés par M. Langelier, ce qui a pour conséquence de ne faire reposer sa thèse sur aucun élément probant.
Analyse
M. Michel Lemay, vice-président, affaires publiques et communication du Groupe Transat A.T. inc., portait plainte contre le reportage du journaliste Carl Langelier, diffusé sur les ondes de Canal Argent le 17 avril 2007. De son avis, le reportage véhiculait des informations inexactes et trompeuses qui induisaient le public en erreur en lui laissant l’impression que la compagnie de transport qu’il représente était responsable de la faillite du voyagiste Vacances Maestro.
Le plaignant reprochait au journaliste de ne pas avoir précisé que l’enquête du Bureau de la concurrence à laquelle il fait référence dans son reportage référait à des événements qui n’étaient nullement en lien avec la faillite de Vacances Maestro. Il reprochait également à M. Carl Langelier d’avoir affirmé que l’Office du tourisme de Québec avait subventionné Air Transat afin que celle-ci ajoute des départs depuis la ville de Québec et ce, alors que cette information était inexacte. Enfin, M. Michel Lemay déplorait le manque de mise en contexte du reportage qui, selon lui, ne permettait pas au public de cerner avec justesse les raisons de la faillite de Vacances Maestro.
Or, l’analyse a permis de démontrer qu’en plus d’avoir omis de faire les précisions nécessaires concernant l’enquête du Bureau de la concurrence, ce qui eu pour conséquence de donner au public l’impression que celle-ci avait un lien avec la faillite de Vacances Maestro, M. Carl Langelier a présenté une information imprécise en parlant des « subventions » qui avaient été accordées à la compagnie Air Transat puisqu’il s’agissait en réalité d’un partenariat entre l’Office du tourisme de Québec et le transporteur aérien. Ce sujet était par ailleurs connu du journaliste, celui-ci avait en effet déjà réalisé, en septembre 2006, un reportage sur cette question. Les griefs ont été retenus.
En ce qui concerne le manque de mise en contexte, le Conseil conclut que le mandat du journaliste n’était pas de présenter au public les raisons de la faillite de Vacances Maestro mais rappelle toutefois que, dès lors que M. Carl Langelier rapportait les accusations du président de Vacances Maestro à l’égard d’Air Transat, il devait veiller à ne pas endosser le point de vue de celui-ci dans son reportage.
Les médias et les professionnels de l’information doivent, dans le cadre d’un reportage, s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour celui-ci, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. De plus, dans les cas où un reportage traite de conflits entre des parties, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition.
M. Lemay reprochait par ailleurs plus spécifiquement au journaliste de ne pas avoir cherché à recueillir le point de vue de la compagnie qu’il représente, celle-ci étant, de son avis, un acteur à part entière de la nouvelle. Le plaignant regrettait également que M. Carl Langelier n’ait pas proposé au public une analyse du plan d’affaires de Vacances Maestro faite par un expert. Au terme de ces deux observations, il concluait que seul le point de vue du président de Vacances Maestro était présenté dans le reportage, ce qui nuisait à la neutralité de l’information.
Si le Conseil conclut que le journaliste n’avait pas l’obligation de contacter un expert dans le cadre de son reportage, il mentionne que, dès lors qu’étaient diffusées les accusations de M. Mordret, président de Vacances Maestro, à l’encontre d’Air Transat, M. Carl Langelier se devait de présenter le point de vue de la compagnie dans son reportage. Ce grief a été retenu.
Décision
Par conséquent, le Conseil de presse retient la plainte du Groupe Transat A.T. inc. à l’encontre du journaliste M. Carl Langelier et de la chaîne spécialisée Canal Argent du Groupe TVA.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15C Information non établie
- C15H Insinuations