Plaignant
M. Benoît Piché
Mis en cause
Mme Isabelle Dorais, journaliste; M. Michel Gagnon, directeur de l’information et la station de télévision TVA-Sherbrooke
Résumé de la plainte
M. Benoît Piché porte plainte contre la journaliste Isabelle Dorais et la station de télévision TVA-Sherbrooke pour avoir utilisé sans consentement des images et des propos de sa fille de 16 ans, sous des prétextes trompeurs. Le reportage visé par la plainte a été diffusé à l’émission « TVA 18 heures Estrie », le 18 juillet 2007.
Griefs du plaignant
M Benoît Piché porte plainte contre la journaliste Isabelle Dorais et la station TVA-Sherbrooke en indiquant comme motifs de plainte : « Protection des personnes mineures » et « Choix et contributions du public ».
Le plaignant raconte les faits. Le 18 juillet 2007, et en reprise le lendemain, un reportage au « TVA 18 heures Estrie » mettait en garde les parents et les adolescentes contre l’usage que celles ci peuvent faire d’Internet, en particulier des sites de rencontre et de « clavardage ». Ce reportage relatait les méthodes de recrutement des gangs de rue de la région de Magog et l’exploitation des jeunes filles, mettant en relief les activités de ces groupes criminels dans le monde de la prostitution et des danseuses nues.
Selon le plaignant, à cette occasion et pour illustrer son sujet, la journaliste aurait utilisé sans son consentement des images de sa fille de 16 ans, obtenues sous des prétextes trompeurs et pour une cause qui lui est totalement étrangère. M. Piché explique que « même si elle est vue de dos, ma fille demeure parfaitement identifiable par les personnes qui la côtoient et son association avec le contenu très subjectif du reportage ne peut que lui être préjudiciable ». Le plaignant ajoute : « En réponse à une question sur un sujet connexe, mais qui n’était pas exposée dans le reportage, on l’entend répondre : « Moi, je l’ai déjà fait […] j’étais naïve, puis je l’ai fait » », commentaires suivis de peu par des images plutôt explicites d’une jeune femme qui offre ses charmes à un « client ».
Le plaignant se dit profondément choqué de l’utilisation qui a été faite de ce matériel. Il affirme que sa fille a accepté de parler à la journaliste en toute innocence. à son avis, ces images ne servent ni le propos, ni l’intérêt du public, mais n’ont été diffusées qu’à des fins sensationnalistes. Selon le plaignant, depuis ce temps, sa fille est l’objet de questions et de sarcasmes de la part de son entourage « et nul ne peut présager des conséquences à venir sur sa réputation et ses relations futures ».
M. Piché termine en indiquant qu’il a demandé à TVA-Sherbrooke de diffuser une correction qui fasse en sorte de dissocier clairement son enfant des activités liées à ces groupes criminels.
Le plaignant annexe à sa plainte la réponse qu’il a reçue du directeur de l’information de TVA- Sherbrooke, M. Michel Gagnon, à la suite d’une première plainte adressée à la station de télévision le 25 juillet 2007.
Le contenu de sa réponse est essentiellement le même que celui qu’il a fait parvenir au Conseil de presse en guise de « commentaires ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Véronique Dubois, conseillère juridique principale :
La porte-parole de TVA-Sherbrooke répond que la plainte de M. Piché est mal fondée, et elle en expose les motifs. Elle rappelle que le reportage fait suite à une alerte émise par la police de Magog à propos de l’utilisation de sites Internet par des gangs de rue pour attirer les jeunes filles.
Selon Me Dubois, dans un premier temps, la journaliste a « réalisé une entrevue avec le capitaine Yves Denis de la Régie de la Police. Celui-ci a alors confirmé à la journaliste que des jeunes filles avaient accepté de rencontrer des inconnus qui se sont révélés être des membres de gangs de rues. Dans le contexte de cette entrevue, le nom des plaignantes, leur âge, ni aucun détail permettant de les identifier, n’ont été divulgués ».
La conseillère juridique continue : « Par la suite, notre journaliste a, par hasard, rencontré la fille du plaignant, alors âgée de seize ans, qui se promenait avec une de ses amies. La journaliste Isabelle Dorais a alors clairement expliqué à la fille du plaignant l’objet du reportage, c’est-à-dire une alerte émise par la police de Magog mettant en garde des jeunes filles à propos de l’utilisation de l’Internet et de sites de clavardage par des gangs de rues afin de recruter des jeunes filles. La fille du plaignant a alors volontairement, en toute connaissance de cause et de façon éclairée, voulu témoigner à la caméra sur de expérience sur le clavardage où elle dit avoir accepté de rencontrer un individu qu’elle ne connaissait pas. » Ainsi, la jeune fille n’aurait jamais témoigné sous des prétextes trompeurs et pour une cause qui lui était totalement étrangère.
Rappelant que le plaignant reproche également au témoignage de sa fille de lui être préjudiciable, Me Dubois tient à préciser que « ce témoignage ne lui a aucunement été dicté ou suggéré par la journaliste Isabelle Dorais ».
En ce qui a trait à l’idée de M. Piché que le sujet sur lequel sa fille témoigne est « connexe », sans être « exposé dans le reportage », son interprétation serait mal fondée, puisque sa fille tient les propos suivants : « Moi, je l’ai déjà fait. C’est jamais arrivé des affaires dangereuses. Je savais à peu près à qui j’avais affaire. C’est sûr que si on est naïf, moi j’étais naïve, je l’ai fait. » Pour la porte-parole des mis-en-cause, la jeune fille « répond ainsi directement à la question soulevée par le reportage à savoir qu’elle a déjà clavardé sur Internet avec des inconnus mais, qu’heureusement elle n’a jamais été victime « d’affaires dangereuses » ».
En ce qui a trait au reproche voulant « que sa fille soit parfaitement identifiable par les personnes qui la côtoient », Me Dubois répond que « d’entrée de jeu, la jeune fille, avec toute sa capacité de discernement, voulait témoigner face à la caméra sur ce sujet. Par mesure de précaution, notre journaliste a expressément demandé à la fille du plaignant de témoigner dos à la caméra ».
Pour la conseillère juridique, « l’anonymat de la jeune fille a donc en tout temps été préservé car elle n’a jamais été nommée, les traits de son visage n’ont jamais été montrés à la caméra et elle est vêtue d’une façon standard pour une jeune fille de son âge. Ce faisant, TVA a donc respecté les normes relatives à la protection des personnes mineures, contenues dans le guide des droits et responsabilités de la presse, s’assurant de respecter les principes de base de l’anonymat et du consentement libre et éclairé ».
Au reproche de n’avoir diffusé des images qu’à des fins sensationnalistes, Me Dubois répond que ce reportage « se voulait alarmiste et pour cause », puisqu’il faisait justement suite à une alerte émise par la police de Magog. Selon elle, il s’agissait d’un sujet « d’un grand intérêt public, qui constitue une situation où la protection de mineures était en jeu, lequel n’a aucunement été traité de façon sensationnaliste ».
Réplique du plaignant
Dans un premier temps, le plaignant indique qu’il ne remet aucunement en question le bien-fondé de l’alerte émise par la police de Magog et de l’objectif du reportage qui en a découlé.
M. Piché poursuit en ces termes les clarifications qu’il veut apporter : « Pendant l’entrevue, suite à l’exposé des faits, lorsque ma fille mentionne à la caméra : « Moi, je l’ai déjà fait », elle répond à une question posée hors d’ondes, laquelle n’a jamais été diffusée. Le téléspectateur ne peut alors que présumer ce qu’elle a voulu dire, à la lueur du reportage qui laisse délibérément planer le doute. On peut remarquer par exemple, dans le reportage, un site Internet de rencontres où on peut lire une offre libellée comme suit: « ouverte à toute proposition […] cocotte557, Femme de 19 ans… » »
Le plaignant insiste pour rappeler que sa fille ne s’est pas offerte sur Internet, qu’elle n’a jamais été « recrutée » par un gang de rue, qu’elle n’a jamais travaillé dans un club de danseuses ou une agence d’escorte et qu’elle est toujours mineure. Il considère donc qu’il n’était pas nécessaire de présenter, quelques secondes après le témoignage de sa fille, des images hautement suggestives pour illustrer le propos du reportage. C’est en ce sens qu’il se plaint du sensationnalisme.
Analyse
Le plaignant reprochait à la journaliste visée par la plainte d’avoir utilisé des images de sa fille de 16 ans sans son consentement et sous des prétextes trompeurs.
Le guide déontologique du Conseil de presse indique, à ce sujet, que la presse devrait s’abstenir de donner suffisamment de détails susceptibles de permettre l’identification de jeunes stigmatisés, que ce soit comme victimes, tiers innocents ou parce qu’ils vivent des difficultés personnelles graves; et que la presse ne peut se retrancher derrière sa liberté pour éviter de répondre aux devoirs que lui impose sa présence dans la vie privée de jeunes personnes vulnérables.
Le plaignant expliquait que sa fille a été la cible de sarcasmes provenant de personnes qui l’avaient reconnue à l’occasion du reportage. Or, le visionnement du reportage montre que les mis-en-cause ont pris des précautions pour respecter la règle de l’anonymat : le tournage se fait de dos; les visages ne sont jamais visibles; le reportage utilise plusieurs images d’autres jeunes filles pour diversifier les plans; les extraits sonores des deux jeunes filles sont brefs et ne contiennent pas d’information personnelle. Le grief n’a donc pas été retenu. Le Conseil estime toutefois qu’il aurait été souhaitable que les mis en-cause aillent encore plus loin dans ces précautions, notamment en transformant les voix des jeunes filles mineures interrogées, compte tenu du sujet du reportage.
En ce qui a trait au grief pour l’utilisation d’un témoignage sans consentement ou sous des prétextes trompeurs, il n’a pas été retenu par le Conseil. Ce dernier a estimé qu’au-delà de formuler ces accusations, le plaignant n’a ni contredit ni réfuté la réponse des mis-en-cause voulant que ce soit la jeune fille qui ait donné librement et volontairement son témoignage, en étant consciente du sujet et du contexte dans lequel il était traité.
Le plaignant déplorait également que le reportage ait juxtaposé erronément des séquences créant une image préjudiciable à sa jeune fille, et particulièrement d’avoir fait suivre les commentaires de sa fille par des images plutôt explicites d’une jeune femme qui offre ses charmes à un « client ».
Après examen, le Conseil a observé que les informations de la journaliste manquaient de précision dans la séquence précédant celle où la jeune fille utilise les mots « Moi j’étais naïve, puis je l’ai fait. ». Bien que la jeune fille précise qu’il n’est « jamais arrivé d’affaires dangereuses », une mise en contexte plus précise permettant de distancer la jeune fille de tout acte légalement ou moralement questionnable aurait été utile. Malgré cette réserve le grief n’a pas été retenu sur cet aspect, compte tenu de ce dernier commentaire émis par la jeune fille et rapporté dans le reportage.
Enfin, en ce qui a trait au grief pour sensationnalisme adressé aux mis-en-cause, le Conseil n’a pas souscrit à cette opinion du plaignant, estimant que ni les images, ni les propos de la jeune fille n’ont été juxtaposés immédiatement aux images de comportement répréhensible comme celles de la danseuse nue. De plus, ni le ton, ni le contenu du reportage ne donnaient à penser que la journaliste était mue par une recherche de sensationnalisme. Le grief n’a donc pas été retenu.
Décision
Pour ces motifs, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Benoît Piché contre la journaliste Isabelle Dorais et la station de télévision TVA-Sherbrooke mais déplore une déficience dans la mise en contexte et l’absence de modification de la voix de la fille du plaignant.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16D Publication d’informations privées
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image
- C23H Interview et images d’enfants