Plaignant
M. Marc Bouchard
Mis en cause
Mme Marie-Claude Paradis-Desfossés, journaliste; M. Louis Lavoie, chef de pupitre; M. André Renaud, directeur général régional et l’hebdomadaire L’écho Abitibien
Résumé de la plainte
M. Marc Bouchard dépose une plainte contre L’écho Abitibien, la journaliste Marie-Claude Paradis-Desfossés et le chef de pupitre Louis Lavoie pour partialité de l’information, conflits d’intérêts et censure à son encontre au sujet d’un article intitulé « Protéger et mettre en valeur l’eau des eskers », paru dans l’hebdomadaire du 19 septembre 2007.
Griefs du plaignant
M. Marc Bouchard, porte plainte au sujet d’un article paru dans L’écho Abitibien sur le sujet du Forum sur les eaux souterraines en Abitibi-Témiscamingue organisé par la Société de l’Eau Souterraine de l’Abitibi-Témiscamingue (SESAT). Parallèlement à la publication de cet article qu’il qualifie de partial, le plaignant souligne qu’une commandite d’un montant de 5 000 $ a été versée par le journal pour l’organisation du Forum. Une publicité de la SESAT parue dans Le Citoyen de l’Harricana révèle que L’écho Abitibien est commanditaire dudit Forum.
En parallèle de ces affirmations, le plaignant reproche à la journaliste Mme Marie-Claude Paradis-Desfossés d’avoir fait preuve de partialité dans sa couverture du Forum. Il indique ainsi que « dans un article en date du 19 septembre 2007, la journaliste Marie-Claude Desfossés fait un compte rendu dudit forum du 13 et 14 septembre, et prend en compte seulement l’opinion du président de la SESAT M. Serge Bastien ». Il ajoute que L’écho Abitibien ne prend pas en compte l’opinion des personnes qui sont opposées à ce que la SESAT contrôle la gestion des eaux souterraines de la région; l’article en question laisserait donc « sous-entendre que tous les citoyens de l’Abitibi-Témiscamingue sont d’accord avec la philosophie de la SESAT qui est de protéger l’eau pour mieux la commercialiser ».
Selon le plaignant, le chef de pupitre de L’écho Abitibien, M. Louis Lavoie, « préconise de la censure systématique depuis 10 ans » à son égard, en l’empêchant « d’exprimer librement [ses] opinions dans l’hebdomadaire mis en cause, dans le dossier des eaux souterraines d’Amos ». M. Bouchard relate une conversation téléphonique qu’il aurait eue avec la journaliste Mme Paradis-Desfossés à ce sujet, avant la publication de l’article du 19 septembre 2007 : la journaliste souhaitait s’entretenir avec lui sur le dossier des eskers d’Amos. M. Bouchard l’aurait prévenue qu’il était habituellement censuré par les dirigeants du journal et aurait conseillé à son interlocutrice de s’enquérir de l’avis de ses supérieurs avant de faire une entrevue avec lui. La journaliste n’aurait pas donné suite à cette conversation téléphonique.
En conséquence, M. Bouchard accuse les mis-en-cause de conflit d’intérêts, de manquements éthiques en matière d’impartialité de l’information ainsi que d’atteinte à sa liberté d’expression. Le plaignant cite dans sa plainte des passages du guide déontologique du Conseil de presse concernant les conflits d’intérêts, l’accès du public aux tribunes des médias et la discrimination. Il joint également en appui à sa plainte et à sa réplique un ensemble de 14 pièces, notamment des documents sur la SESAT et sur la nature de la commandite octroyée par le média en cause, des extraits du procès verbal d’une réunion du Conseil municipal d’Amos, à laquelle assistait M. Bouchard, un communiqué de presse qu’il a rédigé ainsi que l’un de ses articles paru dans le bulletin du printemps 2006 de la Ligue des Droits et Libertés consacré au droit à l’eau.
Commentaires du mis en cause
M. Louis Lavoie répond point par point aux griefs énoncés par le plaignant au sujet de l’article du 19 septembre 2007. Concernant l’accusation de conflit d’intérêts, il affirme que « la politique d’information de L’écho Abitibien est totalement indépendante des commandites que verse l’entreprise ». Il ajoute que cette politique n’est pas influencée par les publicitaires ». M. Lavoie affirme qu’il a appris en recevant la plainte que le journal [L’écho Abitibien] « avait pris un engagement envers les organisateurs du Colloque sur l’eau souterraine ». M. Lavoie estime que cet événement exigeait une couverture de la part du journal, « étant donné l’importance grandissante de la gestion de l’eau potable ».
Concernant la partialité de l’article reprochée par le plaignant, M. Lavoie répond que la commande passée par le pupitre à la journaliste Marie-Claude Paradis-Desfossés était d’écrire un seul article sur l’événement. « Je lui avais donc demandé de réaliser une entrevue uniquement avec le président [de la SESAT] et de faire un compte rendu global de l’événement. Raison de cette décision : contraintes d’espace et de temps, importance de l’événement versus les autres sujets d’actualité au cours de la même semaine ».
M. Lavoie ajoute que, conformément à sa fonction de chef de pupitre, s’il avait décidé de consacrer plus de temps et d’espace à l’événement, l’équipe de rédaction aurait alors fait un second texte à ce sujet, dans lequel le journal aurait permis aux divers intervenants de s’exprimer, « y compris M. Bouchard, si bien sûr ses propos étaient pertinents. »
Concernant les accusations du plaignant à l’effet que sa liberté d’expression est régulièrement brimée par le journal, M. Lavoie indique que « M. Bouchard n’est pas plus censuré que les 200 000 personnes qui composent la population de l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord-du-Québec, territoires que nous desservons ». Le mis-en-cause explique qu’il est impossible au journal de donner la parole à tous ceux et celles qui le souhaitent.
Réplique du plaignant
Concernant le conflit d’intérêts, le plaignant tient à souligner que M. Lavoie n’a pas nié que le journal avait pris « un engagement envers les organisateurs du Colloque sur l’eau souterraine », cet engagement consistant en une commandite de 5 000 $ de la part de L’écho Abitibien pour la tenue du Forum sur la ressource hydrique à Amos.
M. Bouchard cite l’article 2.1.3 du guide déontologique du Conseil de presse. Cet article mentionne que les médias et professionnels de l’information doivent garder à l’esprit que gouvernements, entreprises et groupes de pression cherchent par différents moyens à orienter et à influencer l’information en fonction de leurs intérêts. Le plaignant considère que le média mis en cause s’est placé en situation de conflit d’intérêts par l’opération de commandite citée précédemment. Il souligne que, parallèlement à cette commandite, une journaliste de L’écho Abitibien a rédigé un article au ton approbateur au sujet des discussions tenues lors du Forum d’Amos. Le plaignant estime que l’organisme en question, la SESAT, s’apparente à un groupe de pression dont la raison sociale est le développement économique et le but principal la commercialisation de l’eau des eskers d’Abitibi-Témiscamingue. L’adhésion du journal au parti pris de ce groupe de pression « sciemment et en toute connaissance de cause » remettrait donc en question « la crédibilité de M. Lavoie et de L’écho Abitibien ».
M. Bouchard ajoute que le chef de pupitre ne peut invoquer des contraintes de temps et d’espace pour justifier la couverture du Forum de la SESAT par son média, puisqu’il indique dans ses commentaires qu’il avait passé commande à la journaliste d’un seul article sur le sujet. Le plaignant estime que M. Lavoie avait par conséquent décidé à l’avance que seul « le président du Colloque, M. Serge Bastien pourrait expliquer le point de vue de son groupe de pression, qui est en faveur de la privatisation et de la commercialisation de l’eau en Abitibi-Témiscamingue ». Le plaignant pense que M. Lavoie et L’écho Abitibien perpétuent les positions de la Banque mondiale en faveur de la privatisation des ressources hydriques, en ne permettant pas à des citoyens de donner un autre point de vue.
Il souligne que l’article 2.2.1 du guide Droits et Responsabilités de la presse préconise au contraire que les médias et professionnels de l’information doivent encourager la libre circulation des idées et l’expression du plus grand nombre de points de vue afin de diversifier l’information et de favoriser le débat démocratique. à cet effet, le plaignant estime que si le média mis en cause s’est engagé envers le groupe de pression qu’est la SESAT, il devait en contrepartie s’engager à publier le point de vue de personnes documentées sur le dossier de la gestion de l’eau de façon à faire partager les diverses opinions sur le sujet. Or, M. Bouchard constate que « l’article de Mme Paradis-Desfossés ne prend nullement en compte l’opinion des citoyens qui s’opposent à la privatisation de l’eau ». Il ajoute qu’il y a « un manque d’éthique journalistique flagrant et volontaire de la part de M. Lavoie, puisqu’il était clair pour lui qu’il y aurait seulement un article sur le président de la SESAT ». Le plaignant indique qu’il y a une contradiction à ne pas exposer l’ensemble des points de vue sur le sujet alors que M. Lavoie souligne parallèlement dans sa lettre de commentaires que les problèmes liés de la gestion de l’eau sont d’une « importance grandissante ».
M. Bouchard reprend enfin les termes de M. Lavoie dans ses commentaires à la plainte, où il mentionnait que le plaignant n’était « pas plus censuré que les 200 000 personnes qui composent la population de l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord-du-Québec », propos dans lesquels M. Bouchard voit un aveu que le média en cause préconise la censure à l’égard de certains citoyens, en négligeant certaines opinions.
Analyse
La plainte porte sur le contenu d’un article intitulé « Protéger et mettre en valeur l’eau des eskers », publié le 19 septembre 2007 dans L’écho Abitibien. L’article consistait en un compte rendu du Forum sur la ressource hydrique en Abitibi-Témiscamingue, organisé à Amos par la Société de l’Eau Souterraine de l’Abitibi-Témiscamingue (SESAT). La journaliste Mme Marie-Claude Paradis-Desfossés y abordait les orientations prises par les décideurs locaux à l’issue de cet événement de même que certains enjeux de la gestion de l’eau dans la région.
Le plaignant estime d’abord que les mis-en-cause étaient en conflit d’intérêts dans la couverture de l’événement dans la mesure où le journal L’écho Abitibien était commanditaire dudit Forum. Il reprochait également à la journaliste le manque d’équilibre et la partialité de son article qui ne comprenait selon lui que le point de vue de M. Serge Bastien, président de la SESAT, au sujet du Forum et de la gestion de l’eau en Abitibi-Témiscamingue. Il reprochait finalement au mis-en-cause M. Louis Lavoie, chef de pupitre à L’écho Abitibien, la censure systématique dont il ferait l’objet de la part du journal.
Le Conseil de presse signale en premier lieu que le guide Droits et Responsabilités de la presse reconnaît que les médias peuvent commanditer divers événements ou activités, tout en se montrant vigilants dans leur couverture journalistique dès lors qu’ils choisissent de traiter des sujets en relation avec leurs commandites.
Or, ce Forum sur la ressource hydrique était un événement d’intérêt public donc tout à fait susceptible d’être traité dans les pages de L’écho Abitibien. Le conflit d’intérêts entre la salle de nouvelles et le service publicitaire du média en cause n’est pas démontré. Le Conseil souligne toutefois qu’en raison de la commandite accordée par le média en cause, la journaliste se devait de redoubler de précautions dans le traitement du sujet, l’apparence de conflit d’intérêts s’avérant aussi préjudiciable que le conflit d’intérêts réel. Sous réserve de ces commentaires, le premier grief est rejeté.
Au grief pour manque d’équilibre, le Conseil rappelle d’abord que l’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix sont laissés à la discrétion des professionnels de l’information qui se fient en cela à leur jugement rédactionnel dans la mesure où ces choix sont empreints d’équité.
Ainsi, rien n’imposait à la journaliste en cause de recueillir l’opinion du plaignant pour l’intégrer à son article. Le sujet de l’article était le Forum lui-même. L’article, rapportant de façon neutre les discussions tenues au cours de la manifestation, correspondait aux visées du sujet.
Le plaignant reprochait quand même à la journaliste d’avoir rédigé un article partial qui laissait sous-entendre que l’ensemble de la population de la région était en accord avec le mode de gestion des eaux souterraines prôné par la SESAT. Le plaignant estimait que l’article en cause rapportait seulement le point de vue du président de la SESAT sur la problématique de la gestion de l’eau, ce manque d’équilibre contrevenant aux exigences déontologiques de la profession.
Les mis-en-cause avaient choisi d’effectuer un compte rendu global du Forum d’Amos en n’y consacrant qu’un seul article. L’article mentionnait les propos et engagements de trois des participants au Forum. Les différents enjeux de la manifestation ont été évoqués par la mise-en-cause, qui en a privilégié certains pour les besoins de son article. L’ensemble de ces choix relève de la liberté rédactionnelle attachée à la fonction de journaliste. Mentionnons que la journaliste a par ailleurs contacté le plaignant pour obtenir ses commentaires. De ce point de vue, il n’y a pas eu entorse à l’éthique journalistique dans le traitement du sujet. Le grief est rejeté.
Le Conseil de presse tient néanmoins à souligner que lorsqu’un média décide de couvrir un événement dont il est par ailleurs commanditaire, il a le devoir de prendre toutes les précautions nécessaires afin de ne laisser planer aucun doute sur son impartialité, afin que ne soit pas remise en cause la crédibilité de ses rédacteurs aussi bien que la justesse de l’information publiée. Le Conseil appelle les mis-en-cause à la prudence dans cette situation.
Finalement, le plaignant estimait être l’objet d’une censure systématique de la part des journalistes de L’écho Abitibien. L’un des mis-en-cause, M. Lavoie, aurait en effet passé un mot d’ordre aux journalistes afin que ceux-ci ne laissent jamais la parole au plaignant. M. Bouchard reprochait en outre à la journaliste Mme Paradis-Desfossés de ne pas avoir pris en compte dans son article l’opinion d’individus comme lui, opposés au mode de gestion de l’eau souterraine prôné par la SESAT.
Concernant tout d’abord les actes de censure et de boycottage dont ferait l’objet M. Bouchard, le Conseil constate que la journaliste a eu le réflexe de contacter le plaignant pour obtenir ses commentaires. Si une consigne de censure existait, elle n’avait pas été transmise à l’ensemble des journalistes. Quant aux allégations contre M. Lavoie, nous ne disposons pas dans la plainte d’éléments permettant de confirmer sans aucun doute cette situation de censure systématique de sa part.
Décision
Sous réserve des commentaires précédemment exprimés, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Marc Bouchard à l’encontre de la journaliste Mme Marie-Claude Paradis-Desfossés, du chef de pupitre M. Louis Lavoie et de l’hebdomadaire L’écho Abitibien.
Analyse de la décision
- C08E Boycottage/représailles
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C13A Partialité
- C13C Manque de distance critique
- C22C Intérêts financiers
- C22H Détourner la presse de ses fins