Plaignant
Association des propriétaires de boisés de la Beauce et M. Raymond Racine, directeur général
Mis en cause
MM. Robert Joly et André Emery, collaborateurs; M. Guy Lavoie, directeur général et le mensuel Le Monde forestier
Résumé de la plainte
L’Association des propriétaires de boisés de la Beauce porte plainte contre le journal Le Monde forestier pour un article publié en page 10 de son édition de juin 2007, sous la plume de MM. Robert Joly et André Emery. La plaignante formule des griefs pour information incomplète et inexacte et pour manquements à l’impartialité, à l’équilibre et à la rectification de l’information publiée.
Griefs du plaignant
L’objet de la plainte de l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce (l’Association) contre Le Monde forestier est un article publié en page 10 de l’édition de juin 2007 du journal, sous la plume de MM. Robert Joly et André Emery. L’Association formule des griefs pour information incomplète et inexacte et pour manquements à l’impartialité, à l’équilibre et à la rectification de l’information.
Avant de détailler l’exposé des griefs, le directeur général de l’organisme, M. Raymond Racine, décrit brièvement la publication mise en cause : Le Monde forestier est un journal spécialisé en foresterie publié par Les Editions forestières inc. dont le siège social est situé à Québec. Ses propriétaires sont « la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) et le Regroupement des sociétés d’aménagement forestier du Québec (RESAM). Il s’agit d’une publication mensuelle tirant à 16 431 copies. Le Monde forestier est offert par abonnement ».
Le porte-parole de la plaignante expose ensuite sa version des faits : « Le Monde forestier a publié, en page 10 de son édition du 7 juin 2007, un texte signé par Robert Joly et André Emery, intitulé « Les groupements forestiers de Beauce-Sud et de la Vallée de la Chaudière – Cessation des opérations de la récolte de bois ». Les auteurs sont, respectivement, directeur général des groupements forestiers cités en exergue. Ces groupement forestiers sont des entreprises privées qui exploitent, pour elles-mêmes ou pour leurs actionnaires, des lots boisés sur le territoire du Plan conjoint de la Beauce, et sont de ce fait soumis à sa juridiction ». M. Racine fait observer que les auteurs sont aussi membres du RESAM, copropriétaire des éditions forestières.
M. Racine poursuit son exposé des faits : « Dans ce texte, publié sous forme d’article d’information occupant une demi-page avec son illustration, les auteurs et Le Monde forestier mènent une charge en règle contre l’Association, qu’ils identifient par son ancienne appellation : le syndicat. Après avoir exposé abondamment leur point de vue, les deux auteurs attaquent carrément l’intégrité de l’Association et de sa direction par des accusations de conflits d’intérêts, de graves questions d’éthique et de transparence. » M. Racine aborde les griefs en tant que tels.
Le premier motif de plainte invoqué concerne l’équilibre et l’exhaustivité de l’information. M. Racine déplore qu’avant de publier « des propos aussi graves et conséquents pour la réputation et l’intégrité de l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce », les mis-en-cause n’aient pas communiqué avec elle « pour contrebalancer cette information incomplète ». Ainsi, selon le porte-parole de la plaignante, Le Monde forestier a failli à sa responsabilité de rétablir l’équilibre de l’information.
Un autre motif de plainte concerne l’exactitude de l’information. à ce sujet, M. Racine indique : « Les informations véhiculées dans cet article sur un prétendu « conflit d’intérêts dans lequel s’est placé le syndicat en administrant le plan conjoint et en offrant des services d’aménagement en concurrence avec les groupements forestiers… » sont inexactes. La Régie [des marchés agricoles et alimentaires du Québec], dès 1998, avait disposé de ce prétendu conflit d’intérêts, question portée à son attention d’ailleurs par ce même Robert Joly lors de l’examen quinquennal de l’administrateur du Plan conjoint. Dans le rapport de la Régie qui a suivi l’examen, tout comme dans sa décision 8190 du 30 décembre 2004 sur le Règlement des contingents de bois […], la Régie a confirmé l’Association (anciennement le Syndicat) dans son double rôle de gestionnaire du Plan conjoint et de conseiller forestier en aménagement, indiquant qu’elle s’en acquittait non en conflit d’intérêts, mais bien dans l’intérêt des producteurs ». M. Racine en conclut que M. Joly était bien au courant des conclusions de la Régie à ce sujet.
En regard de « l’impartialité de l’information », le directeur général indique que Le Monde forestier, qui est la propriété du RESAM, a manqué d’impartialité « en donnant tout cet espace à une information incomplète et inexacte en provenance de deux membres de son organisation, cela sans offrir ni droit de réplique, ni droit de rectifications [sic] à la partie mise en cause, soit l’Association ».
Toujours en regard de « la rectification de l’information », M. Racine explique que devant ce traitement qu’il qualifie d’injuste, l’Association a fait parvenir au Monde forestier une mise en demeure l’enjoignant de se rétracter. à la suite de quoi, l’éditeur, M. Guy Lavoie aurait admis au téléphone que son journal était allé trop loin, qu’il avait commis une erreur et qu’il devrait publier une rétractation et proposé à l’Association d’écrire un texte dans des dimensions comparables au texte contesté qui exposerait la version de la plaignante.
Selon M. Racine, M. Lavoie aurait accepté la proposition. Mais, après avoir reçu le texte, le 7 septembre 2007, Le Monde forestier aurait failli à son engagement en refusant de le publier.
Commentaires du mis en cause
Ayant estimé que la matière de la présente plainte relève de la compétence des tribunaux civils québécois, les mis-en-cause choisissent de ne formuler aucun commentaire.
Réplique du plaignant
Le directeur général, M. Raymond Racine, indique n’avoir aucune réplique à formuler.
Analyse
Dans sa plainte contre le journal mensuel Le Monde forestier et MM. Robert Joly et André Emery, l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce (l’Association) formule des griefs pour information incomplète et inexacte et pour manquements à l’impartialité, à l’équilibre et à la rectification de l’information publiée.
Le Conseil tient à préciser que celui-ci ne traite aucun dossier d’un point de vue juridique mais uniquement du point de vue de l’éthique journalistique.
Avant de rendre sa décision, le Conseil de presse s’est arrêté à préciser le genre journalistique de l’article dénoncé. En effet, alors que le porte-parole de la plaignante décrivait le texte mis en cause comme étant « publié sous forme d’article d’information », le Conseil a observé que le texte en question contenait suffisamment de prises de position pour être considéré comme un article d’opinion.
Or, un principe fondamental en éthique journalistique veut justement que les médias et les journalistes respectent les distinctions qui s’imposent entre les genres journalistiques. Ceux-ci doivent être facilement identifiables afin que le public ne soit pas induit en erreur sur la nature de l’information qu’il croit recevoir.
N’étant pas identifié comme un article d’opinion, le texte contesté présentait toutefois certains faits mêlés avec des opinions tranchées des auteurs. Il devenait alors difficile d’en reconnaître le genre journalistique. Cette entorse aux règles déontologiques constitue donc, aux yeux du Conseil, un manquement à l’éthique journalistique de la part des mis-en-cause.
Le grief suivant, abordé par le Conseil, est celui sur l’exactitude de l’information. La plaignante reprochait aux auteurs de l’article d’avoir rapporté erronément des informations sur un prétendu conflit d’intérêts dans lequel se serait placé l’Association en administrant le plan conjoint et en offrant des services d’aménagement en concurrence avec les groupements forestiers. La plaignante donnait alors pour preuve une décision de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec qui, selon ses dires, « dès 1998, avait disposé de ce prétendu conflit d’intérêts ».
Après examen des arguments déposés, le Conseil a estimé que les auteurs n’étaient pas obligés de partager l’opinion du tribunal administratif et pouvaient avoir leur propre opinion sur le sujet. Cependant, ils ne pouvaient pas pour autant en faire abstraction au point de ne pas en faire mention dans l’exposé des éléments du dossier. Le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil de presse est clair et explicite dans la formulation de cette obligation faite aux médias et aux journalistes :
« Il importe […] qu’ils rappellent les faits relatifs aux événements, situations et questions qu’ils décident de traiter avant de présenter leurs points de vue, critiques et lecture personnelle de l’actualité, afin que le public puisse se former une opinion en toute connaissance de cause quant aux sujets sur lesquels ils se prononcent. »
Devant l’absence de cette mise en contexte qui aurait pu éclairer différemment cette prise de position des auteurs, le Conseil retient le grief.
Dans le cas du reproche relatif à l’équilibre et l’exhaustivité de l’information, la plaignante reprochait aux mis-en-cause de ne pas avoir communiqué avec elle pour obtenir son point de vue avant de publier des propos aussi graves au sujet de l’Association.
Tel que mentionné précédemment, le Conseil a pris en compte le fait qu’il s’agissait d’un article d’opinion. Ainsi, dans un tel cas, les mis-en-cause n’avaient pas à recueillir l’opinion de la plaignante avant la publication de leur article. Le grief est rejeté.
La plaignante déplorait aussi que Le Monde forestier, qui est la propriété du RESAM, ait manqué d’impartialité en donnant beaucoup d’espace à une information en provenance de deux membres de son organisation, sans offrir ni droit de réplique, ni droit de rectification à l’Association.
à ce sujet, le Conseil a estimé que puisque le texte pouvait être considéré comme du journalisme d’opinion, il était loisible à ses auteurs d’exprimer leur opinion même s’ils avaient un intérêt dans le dossier, à condition toutefois qu’il soit évident dans le texte, ou dans le contexte, qu’il s’agit bien de journalisme d’opinion. Or, comme l’a constaté le Conseil, cette dimension est demeurée ambiguë dans l’article. On peut donc dire que la faute n’est pas d’avoir eu un intérêt dans la matière traitée dans l’article, mais de ne pas avoir ouvertement fait état de cet intérêt.
La plaignante reprochait en outre aux mis-en-cause qu’après avoir accepté de se rétracter et de publier un texte exposant la version de la plaignante, les mis-en-cause ne l’aient jamais fait. En l’absence de la version des mis-en-cause, il devient difficile de confirmer cette admission de leur part.
Toutefois, la jurisprudence du Conseil indique à ce sujet que les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. Ainsi, en ne leur accordant pas de droit de réplique dans ses pages, Le Monde forestier contrevenait à un précepte déontologique.
Enfin, le Conseil relève le manque de collaboration des mis-en-cause pour l’étude de la plainte en ne fournissant pas d’explication et leur version des faits. Ce geste qui est contraire à la ligne de conduite adoptée habituellement par les médias va à l’encontre de la responsabilité qu’ils ont de répondre publiquement de leurs actions. Le Conseil insiste sur l’importance pour tous les médias de participer aux mécanismes d’autorégulation qui contribuent à la qualité de l’information et à la protection de la liberté de presse. Cette collaboration constitue un moyen privilégié pour eux de répondre publiquement de leur responsabilité d’informer adéquatement les citoyens. Devant ce manquement, le Conseil a donc retenu un grief sur cet aspect.
Décision
Au terme de cet examen et en regard des manquements identifiés, le Conseil de presse retient partiellement la plainte contre le mensuel Le Monde forestier et ses collaborateurs MM. Robert Joly et André Emery aux motifs de mélange des genres journalistiques, de manque de mise en contexte, de défaut d’avoir révélé leur intérêt et également d’avoir permis un droit de réplique, et enfin, de manque de collaboration dans le cadre du processus de plainte du Conseil.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité
- C19A Absence/refus de rectification
- C20A Identification/confusion des genres
- C24A Manque de collaboration