Plaignant
Les éditions Protégez-Vous et M. David Clerk, directeur général
Mis en cause
M. Michel Marcoux, chroniqueur; M. Gérard Bérubé, chroniqueur; Mme Josée Boileau, directrice de l’information et le quotidien Le Devoir
Résumé de la plainte
M. David Clerk, directeur général des éditions Protégez-Vous porte plainte contre MM. Gérard Bérubé et Michel Marcoux pour les articles qu’ils ont respectivement publié dans les éditions du 27 et du 29 et 30 septembre 2007 du quotidien Le Devoir. De l’avis du plaignant, ils auraient manqué d’éthique journalistique en critiquant les conclusions de l’enquête d’Option consommateurs qui fut publiée dans l’édition d’octobre 2007 du magazine Protégez-Vous et qui portait sur les conseillers financiers.
Griefs du plaignant
à titre de mise en contexte, M. David Clerk rappelle que dans le numéro d’octobre 2007, le magazine Protégez-Vous a publié les résultats d’une enquête sur les conseillers financiers réalisée par Option consommateurs. Il explique que cette enquête, qui portait sur 39 représentants en valeurs mobilières, a fait ressortir d’importantes lacunes dans le travail de plus de la moitié d’entre eux. Le plaignant ajoute que pour mener celle-ci, Option consommateurs a reçu une subvention du Fonds réservé à l’éducation des investisseurs et à la promotion de la gouvernance de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Plainte contre la chronique « Haro sur les conseillers » de M. Gérard Bérubé :
De l’avis de M. Clerk, le mis-en-cause aurait contrevenu à son obligation de rigueur de l’information en mettant en doute le sérieux de l’enquête parue dans le magazine Protégez-Vous, en alléguant qu’un échantillon de 39 représentants en valeurs mobilières à l’emploi dans de grandes institutions financières aurait permis de conclure à l’incompétence de la moitié des 31 000 membres de la Chambre de la sécurité financière. Or, selon le plaignant, cette allégation serait fausse puisqu’il n’aurait jamais été prétendu que les résultats présentés pouvaient s’étendre au-delà des personnes concernées par l’enquête.
Le plaignant ajoute que M. Bérubé, en critiquant les conclusions de l’enquête et en postulant que tout planificateur financier n’est tenu de bien connaître son client qu’à l’ouverture d’un compte et non lors d’une rencontre d’information ou lors d’un entretien de prospection, contreviendrait, au Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière qui évoque les responsabilités qui incombent au représentant envers son client ou envers tout client éventuel en matière de collecte et de transmission d’informations.
En s’appuyant à plusieurs reprises sur la même source que représente le rédacteur en chef du magazine Objectif Conseiller, le mis-en-cause aurait affirmé dans sa chronique que le vice-président d’Option consommateurs, après avoir annoncé qu’il demanderait à son syndicat d’enquêter sur la question se serait rétracté, ce qui, pour M. Clerk est inexact. De son avis, M. Bérubé aurait dû prendre soin de valider les informations dont il disposait. Il reproche au chroniqueur de n’avoir jamais communiqué avec Option consommateurs ou avec son magazine pour tenter d’obtenir leurs points de vue ou un supplément d’information.
Plainte contre la chronique « Se protéger de Protégez-Vous » de M. Michel Marcoux :
Le plaignant explique que la chronique de M. Marcoux est basée sur l’affirmation erronée qui veut que l’enquête sur les conseillers financiers ait été réalisée par le magazine Protégez-Vous. En s’appuyant sur cette information inexacte et en utilisant un titre sensationnaliste, « Se protéger de Protégez-Vous », le chroniqueur mettrait en doute la crédibilité de la publication.
M. Clerk conteste l’affirmation du chroniqueur selon laquelle les obligations du conseiller en regard de clients potentiels ne seraient pas les mêmes que celles envers des clients qui possèdent déjà un compte. Cette allégation contreviendrait au Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière qui confirmerait que le représentant doit s’informer sur le profil de son client et ce, même avant ouverture d’un compte et alors qu’il n’est qu’un client éventuel.
Le plaignant remarque que M. Marcoux, en étant lui-même conseiller en placement et président d’une société de courtage de fonds communs de placement et de gestion privée, était en situation de conflit d’intérêts, situation qui, selon M. Clerk, l’aurait empêché de traiter et d’analyser l’enquête publiée par le magazine Protégez-Vous avec la rigueur et l’impartialité nécessaires. Il ajoute que le chroniqueur aurait influencé l’information transmise dans sa chronique en tenant compte de ses intérêts propres.
M. Clerk conclut en expliquant qu’en dépit du droit de réplique offert par le quotidien Le Devoir au magazine Protégez-Vous, il déplore que celle-ci n’ait pas été publiée dans son intégralité. Toutes les allégations mettant en doute la rigueur journalistique des mis-en-cause et qui faisaient ressortir la question du conflit d’intérêts auraient été supprimées. Le plaignant déplore également que, bien qu’informé des inexactitudes que comprenaient les deux articles, le quotidien n’ait publié aucun rectificatif.
En mettant en doute la rigueur du magazine Protégez-Vous, M. Clerk conclut que les chroniqueurs ont porté atteinte à la réputation de la publication qu’il dirige.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Gérard Bérubé, chroniqueur :
Le mis-en-cause, après avoir proposé une chronologie des événements entourant la publication de l’enquête sur les conseiller financiers par le magazine Protégez-Vous, mentionne que les titres « Conseillers financiers, -50 % échouent à notre test », « L’incompétence règne » ou encore « Enquête conseillers financiers, la moitié échoue » laissaient selon lui aux lecteurs l’impression que les résultats de l’enquête ont été généralisés à l’ensemble de l’industrie.
M. Bérubé ajoute que, dans le cadre de son article, il lui semblait être dans le droit de prendre position, d’autant que ce dernier est identifié sous l’appellation « Perspectives ».
Il conclut en expliquant que le quotidien Le Devoir a accordé un espace de réplique au magazine Protégez-Vous, et que, reconnaissant ce droit, il a préféré ne pas y répliquer.
Commentaires de M. Michel Marcoux, chroniqueur :
Le mis-en-cause commence par préciser qu’il ne s’est jamais prétendu journaliste en proposant sa chronique dans le cadre de l’édition du 29 et 30 septembre 2007 du quotidien Le Devoir. Il explique qu’il était par ailleurs clairement identifié comme appartenant au monde de la finance et que c’est à ce titre qu’il a proposé aux lecteurs son opinion sur l’enquête publiée par le magazine Protégez Vous.
M. Marcoux mentionne également que le quotidien Le Devoir a laissé au magazine un espace de réplique afin d’exprimer son point de vue et que c’est en reconnaissance de ce droit qu’il a choisi de ne pas répliquer par la suite.
Commentaires de Mme Josée Boileau, directrice de l’information :
De l’avis de Mme Boileau, le plaignant confond textes d’information et d’opinion dans sa plainte. Pour elle, les deux chroniqueurs ont exercé leur métier en analysant et portant un jugement sur une nouvelle d’intérêt public que le quotidien Le Devoir avait par ailleurs également traité sous l’angle du journalisme d’information. Selon elle, MM. Bérubé et Marcoux n’étaient ainsi pas tenus de revenir sur les détails de l’affaire et pouvaient donc réagir selon leur perception.
Pour Mme Boileau, M. Bérubé pouvait faire appel aux experts de son choix pour étayer son commentaire personnel tandis que M. Marcoux pouvait librement faire état de sa propre expertise professionnelle pour critiquer les méthodes de l’enquête. Elle ajoute que, comme en témoignent les faits et plus particulièrement le communiqué de l’Autorité des marchés financiers en date du 7 novembre 2007, les mis-en-cause avaient des raisons de faire valoir leur point de vue, même si celui-ci peut être perçue comme étant sévère.
La directrice de l’information conclut en expliquant que le raccourcissement des lettres de réplique est une pratique inévitable et liée au manque d’espace. Elle précise néanmoins que les parties supprimées ne touchaient pas le cŒur de l’argumentation de l’auteur mais concernaient quelques phrases qui, selon elle, relevaient plus du procès d’intention que de la démonstration.
Réplique du plaignant
La réplique de M. Clerk ne fait réponse qu’aux commentaires de M. Bérubé.
De l’avis du plaignant, le mise-en-cause a manqué de rigueur en publiant des informations inexactes, fausses et incomplètes basées sur une unique source d’information qui, de surcroît, aurait véhiculé des informations biaisées. Il rappelle que M. Bérubé n’a pas vérifier la véracité des informations qu’il détenait auprès de sources indépendantes et mentionne que ce dernier n’est jamais entré en contact avec le magazine Protégez-Vous ou même avec l’association Option consommateur afin d’obtenir leur point de vue ou un supplément d’information.
M. Clerk ajoute que, bien que le quotidien Le Devoir ait accordé un droit de réponse au magazine Protégez-Vous, celui-ci ne vient, selon lui, nullement corriger l’erreur journalistique du mis-en-cause.
Il termine en mentionnant que le quotidien Le Devoir, dans sa politique d’information, distinguerait trois genres journalistiques que sont l’information, le commentaire et l’analyse et atteste que M. Bérubé a fait une analyse et que celle-ci n’est pas soumise aux mêmes règles que la chronique.
Analyse
Le directeur général des éditions Protégez-Vous, M. David Clerk portait plainte contre MM. Gérard Bérubé et Michel Marcoux pour avoir respectivement publié dans le quotidien Le Devoir des articles d’opinions qui mettaient en doute le sérieux des conclusions rapportées par le magazine Protégez-Vous à propos d’une étude sur les conseillers financiers.
Le plaignant reprochait à M. Marcoux d’avoir basé sa chronique sur une affirmation inexacte à l’effet que l’enquête sur les conseillers financiers avait été réalisée et publiée par le magazine Protégez-Vous.
Sur ce point, le Conseil constate qu’il s’agissait bien d’une information erronée puisque l’enquête fut réalisée par l’association Option consommateurs. Ce sont les conclusions de cette étude qui furent publiées par le magazine Protégez-Vous.
Le plaignant déplorait également que le titre de la chronique « Se protéger de Protégez-Vous » soit sensationnaliste. à cet effet, la déontologie du Conseil de presse rappelle que les titres doivent respecter le sens, l’esprit et le contenu des textes auxquels ils renvoient et que les responsables doivent veiller à éviter qu’ils se révèlent sensationnalistes puisqu’ils pourraient se faisant, induire le public en erreur sur la valeur et la portée réelles des informations. Il appert cependant au Conseil que le titre de la chronique de M. Marcoux était conforme à l’éthique journalistique.
M. Clerk reprochait par ailleurs à M. Marcoux d’avoir contrevenu à la déontologie de la Chambre de la sécurité financière (CSF) en affirmant que les clients potentiels et établis n’ont pas à s’attendre au même niveau de service de la part d’un conseiller en placement. Or, en tant que chroniqueur, le mis-en-cause pouvait librement faire valoir son point de vue sur cet aspect : la question de l’adéquation de cette opinion avec la déontologie du milieu financier n’est toutefois pas du ressort du Conseil de presse.
Enfin le plaignant reprochait à M. Marcoux d’avoir manqué de rigueur et d’impartialité dans sa chronique, puisqu’il est lui-même conseiller en placement et président d’une société de courtage. Il convient ici de rappeler que le genre journalistique qu’est la chronique laisse une grande place à la personnalité de son auteur, ce qui lui permet de proposer une lecture personnelle de l’actualité et des questions mises en perspectives. Or, en vertu de ce principe, le Conseil conclut que M. Marcoux, pouvait librement écrire une chronique portant sur les conclusions de l’enquête publiée par le magazine Protégez-Vous et ce, bien qu’il soit lui-même issu du monde de la finance et à la seule condition, ici respectée, que sa société de courtage n’ait pas fait l’objet de l’enquête sur laquelle il s’exprime.
Concernant l’article dont M. Bérubé est l’auteur, le Conseil tient préalablement à faire remarquer au quotidien Le Devoir, que la distinction qu’il fait dans le cadre de sa politique d’information entre le journalisme d’information, d’analyse et de commentaire est en contradiction avec le principe actuellement reconnu par le guide de déontologie du Conseil, soit que seuls existent deux genres journalistiques que sont le journalisme d’information et d’opinion. Il constate par ailleurs que cette même politique d’information laisse entendre que les analyses publiées sous l’intitulé « Perspectives » sont de l’ordre du journalisme d’information, bien que cela soit toutefois contredit par la pratique du quotidien qui semble l’assimiler à une chronique. Le Conseil invite donc le quotidien Le Devoir à bien distinguer de ce qui relève du journalisme d’information et du journalisme d’opinion et ainsi à clarifier sa position concernant ce qu’il considère comme étant de l’analyse. Il précise également qu’il a considéré, dans le cadre de son analyse et conformément à son guide des Droits et responsabilités de la presse, que l’article de M. Bérubé se rapportait à du journalisme d’information.
M. Clerk reprochait ainsi en premier lieu à M. Bérubé de ne s’être appuyé que sur une unique source d’information dans le cadre de son article, soit le rédacteur en chef du magazine Objectif Conseiller pour justifier l’affirmation à l’effet que la CSF faisait marche arrière quant à la pertinence de mener une enquête dans le dossier. Il ajoute que le journaliste aurait dû vérifier cette information auprès de sources indépendantes.
Sur ce point, le guide de déontologie du Conseil de presse rappelle que les médias et les journalistes doivent faire preuve d’esprit critique, tant à l’égard de leurs sources que des informations qu’ils en obtiennent et qu’il est donc impératif qu’ils prennent tous les moyens à leur disposition pour s’assurer de leur fiabilité ainsi que pour vérifier, auprès d’autres sources indépendantes, l’authenticité des informations qu’ils en obtiennent.
Or, l’analyse a permis au Conseil de constater que M. Bérubé relayait dans son article le point de vue du rédacteur en chef du magazine Objectif Conseiller, ce qui ne constituait par ailleurs en rien une entorse à la déontologie. Le Conseil déplore néanmoins que le mis-en-cause n’ait pas pris soin de vérifier directement l’information auprès de la CSF, puisque celle-ci s’est révélée inexacte.
M. Clerk reprochait également au mis-en-cause d’avoir affirmé, d’une part, que le magazine Protégez Vous aurait généralisé les conclusions de ladite enquête à l’ensemble de l’industrie et, d’autre part, que la règle qui consiste à bien connaître son client s’applique uniquement à l’ouverture d’un compte et non aux clients potentiels.
Or, l’analyse a permis de constater que bien que le dossier d’enquête publié par le magazine Protégez-Vous comportait des titres « chocs », les conclusions obtenues à partir d’un échantillon de 39 conseillers financiers n’ont toutefois pas été généralisées à l’ensemble de l’industrie. M. Bérubé s’est donc trompé en affirmant le contraire dans son analyse. Le grief est retenu sur ce point.
En ce qui a trait au deuxième point du reproche, il convient de faire remarquer que ce n’est pas le mis-en-cause directement qui affirmait que les mêmes services devaient être offerts aux clients établis et potentiels, mais le rédacteur en chef du magazine spécialisé Objectif Conseiller. Cette affirmation est ensuite remise en cause par le vice-président de la CSF. Le grief est rejeté.
Enfin le plaignant reprochait à M. Bérubé de n’être jamais entré en contact avec le magazine Protégez-Vous ou avec l’association Option consommateurs pour tenter d’obtenir auprès d’eux leur point de vue ou un supplément d’information. Or, beaucoup d’espace médiatique a préalablement été accordé à l’enquête parue dans le magazine et M. Bérubé avait ainsi à sa disposition de nombreuses informations pour effectuer son analyse. Le grief est rejeté.
à la suite de la parution des articles de MM. Bérubé et Marcoux, le plaignant a fait parvenir au quotidien Le Devoir une lettre de réplique. Il déplorait néanmoins le fait que celle-ci n’ait pas été publiée dans son intégralité et ajoutait qu’au vu des inexactitudes véhiculées par les deux articles et contre lesquels il porte plainte, le quotidien aurait dû selon lui publier un rectificatif.
Sur ces deux aspects, la déontologie mentionne d’une part, que les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée et qu’ils peuvent, par ailleurs, apporter des modifications aux lettres qu’ils publient pourvu qu’ils n’en changent pas le sens et qu’ils ne trahissent pas la pensée des auteurs. Elle mentionne d’autre part, que les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non, et qu’ils doivent consacrer aux rétractations et aux rectifications qu’ils publient ou diffusent une forme, un espace, et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses.
Après analyse, le Conseil constate que la lettre de réplique du plaignant a effectivement été raccourcie par la rédaction du Devoir. Le Conseil a constaté que les passages supprimés ne touchaient pas les arguments de fond du plaignant quant au grief retenu pour inexactitude dans la chronique de M. Marcoux. Toutefois, le paragraphe de la réplique de Protégez Vous qui rétablissait l’inexactitude relevée quant à la poursuite de l’enquête par la CSF, abordée par la chronique de M. Bérubé, a été supprimé. Le Conseil conclut donc que le magazine Protégez-Vous a disposé d’un espace de réplique qui permettait de ne rétablir que partiellement les inexactitudes soulevées par le plaignant.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette dans un premier temps la plainte de M. David Clerk, directeur général des éditions Protégez-Vous contre M. Marcoux, l’inexactitude relevée par le Conseil ayant été rétablie dans la réplique du plaignant.
Dans un second temps, le Conseil retient partiellement la plainte contre M. Bérubé pour une inexactitude due à un manque de vérification de l’information, les autres griefs sont rejetés.
Le Conseil recommande enfin vivement au quotidien Le Devoir de clarifier sa politique d’information et ce, en distinguant et identifiant distinctement textes d’information et d’opinion.
Analyse de la décision
- C01B Objection à la prise de position
- C03B Sources d’information
- C09C Modification du texte
- C11B Information inexacte
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12C Absence d’une version des faits
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15D Manque de vérification
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C19A Absence/refus de rectification
- C22E Travail extérieur incompatible