Plaignant
Mme Marie-ève Courchesne, directrice de l’information; Mme Nathalie Villeneuve, journaliste et le bihebdomadaire Courriel Laval
Mis en cause
M. Yves Poirier, journaliste; M. Martin Cloutier, directeur général du service de l’information de TVA et LCN et l’émission « Le TVA 18 heures »
Résumé de la plainte
Mme Marie-ève Courchesne, directrice de l’information pour le bihebdomadaire le Courrier Laval porte plainte contre M. Yves Poirier, journaliste pour le réseau TVA, pour avoir repiqué les conclusions d’une enquête exclusive du Courrier Laval sur le rejet du contenu des fosses septiques dans la rivière des Milles îles à l’est de Laval sans en mentionner la provenance.
Griefs du plaignant
Le reportage diffusé par le réseau de télévision TVA en ouverture de son bulletin de nouvelles de 18 h 00 le 15 octobre 2007 aurait repiqué les conclusions d’une série de cinq articles publiés par le Courrier Laval au terme d’une enquête réalisée par la journaliste Nathalie Villeneuve. La plaignante précise que les articles portaient sur le rejet du contenu des fosses septiques dans la rivière des Mille îles dans l’est de Laval et ont été réalisés avec la collaboration du Conseil régional de l’environnement (CRE) de la région.
Pour Mme Courchesne, le mis-en-cause, M. Yves Poirier, se serait contenté de tourner des images sur place et de faire intervenir le directeur du CRE qui essentiellement répète ce qu’il avait dit au Courrier Laval. De l’avis de la plaignante, aucun complément d’information, aucun suivi, aucune réaction ou analyse exclusive ne venait enrichir le sujet développé par Mme Villeneuve. Elle ajoute qu’à aucun moment la provenance des informations utilisées dans ce reportage n’a été mentionnée.
Elle explique que l’analyse des rejets de fosses a été commandée et payée par le Courrier Laval et ajoute que cette information a été clairement présentée en une du bihebdomadaire.
Mme Courchesne rapporte que lorsque M. Poirier a contacté pour la première fois Mme Villeneuve, soit le 15 octobre 2007, ce dernier l’aurait félicité pour la qualité de ses articles. M. Poirier aurait, par ailleurs, assuré à Mme Villeneuve que le réseau TVA citerait le Courrier Laval.
à la suite de cette conversation, Mme Villeneuve aurait recontacté le mis-en-cause pour s’assurer que ce dernier avait bien eu les coordonnées du photographe. M. Poirier lui aurait, une nouvelle fois, affirmé que le Courrier Laval serait cité.
Lors d’un troisième entretien téléphonique avec Mme Villeneuve, le lendemain de la diffusion du reportage sur le réseau TVA, M. Poirier aurait expliqué à cette dernière que, puisqu’il n’était pas parvenu à une entente avec le photographe, il avait pris la décision de ne rien diffuser et aurait précisé qu’il n’y avait dès lors plus lieu de citer le Courrier Laval.
De l’avis de Mme Courchesne, le reportage du mis-en-cause serait basé sur une prétendue affirmation du directeur du CRE Laval à l’effet que les analyses ont été commandées par son organisme. Le directeur aurait d’ailleurs contacté M. Poirier, à la suite de la diffusion du reportage, pour démentir l’information. Elle ajoute que celui-ci affirme avoir montré au journaliste le rapport d’analyses sur lequel figure le nom du client soit la journaliste du Courrier Laval, Mme Villeneuve.
En appui à la plainte de Mme Couchesne, le directeur du CRE Laval affirme dans une correspondance avoir mentionné à M. Poirier, lors de l’entrevue, que l’enquête concernant la qualité des eaux fut réalisée grâce à la contribution financière du Courrier Laval et en collaboration avec le CRE Laval.
La plaignante explique ensuite avoir effectué une série de démarches afin d’obtenir réparation de la part du réseau TVA. Elle aurait à cet effet contacté M. Martin Cloutier, directeur général du service de l’information de TVA et LCN pour la diffusion d’une rectification au bulletin de nouvelles du soir. Ce dernier l’aurait recontacté le lendemain pour lui expliquer qu’il ne pouvait faire d’erratum en ouverture du bulletin de nouvelles. Après discussion, elle aurait aussi demandé à M. Cloutier de corriger l’erreur sur le portail Canöe.ca, ce qu’il fera.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Véronique Dubois, conseillère juridique principale pour le réseau TVA :
Pour la représentante des mis-en-cause, la plainte formulée par Mme Courchesne n’est pas fondée. Elle explique que l’information diffusée dans le Courrier Laval était du domaine public et que ce sont ses articles qui ont servi de point de départ à M. Yves Poirier dans sa démarche journalistique.
Mme Dubois mentionne que lorsque le mis-en-cause a communiqué avec Mme Villeneuve, c’était afin d’obtenir le nom du photographe qui avait pris les photos publiées au soutien des articles. Il aurait bien mentionné à ce dernier que le crédit serait donné au Courrier Laval mais ce, uniquement dans l’optique d’une utilisation des photos similaires à celle du bihebdomadaire. Or, les photos n’ont pas été utilisées.
Pour la représentante des mis-en-cause, l’approche de M. Poirier se voulait moins scientifique que celle du Courrier Laval puisqu’il abordait la question sous un angle plus pratique. Dans le cadre de sa démarche, le journaliste a rencontré le directeur du CRE de Laval et est allé avec lui sur les berges de la rivières des Milles îles où furent « enregistrées des images exclusives au réseau TVA ».
Lors de l’entrevue avec le directeur du CRE Laval, ce dernier aurait ajouté des éléments qui ne se retrouvaient pas dans les textes du Courrier Laval. Lors de cette même entrevue, il aurait utilisé l’expression « notre étude », ce qui aurait donné au journaliste l’impression que les analyses avaient été faites à l’initiative du CRE Laval.
Selon Me Dubois, le journaliste n’a jamais laissé entendre que les analyses avaient été faites à la demande du réseau TVA. Il ne peut ainsi nullement être question de plagiat puisque le réseau ne s’est pas attribué quelque chose qui ne lui appartenait pas.
La représentante des mis-en-cause ajoute que lorsque la plaignante a contacté M. Cloutier afin d’obtenir réparation pour ne pas avoir donné tout le crédit nécessaire au Courrier Laval, ce dernier a démontré rapidement sa bonne foi en modifiant les textes de présentation du reportage sur le portail de Canöe.ca.
Me Dubois conclut que, pour toutes ces raisons, la plainte de Mme Courchesne n’est pas fondée.
Réplique du plaignant
De l’avis de Mme Courchesne, ce qui fut diffusé au « TVA 18 heures » le 15 octobre 2007 ne contenait rien de nouveau ni d’exclusif par rapport à ce que le Courrier Laval avait publié la veille à l’exception de la mention faite par M. Poirier à la fin du reportage que la Ville de Laval se donnait deux ans pour corriger la situation. Pour elle, cet ajout ne transformait pas l’information de telle façon qu’elle en devenait fort différente dans sa forme et son contenu.
Selon Mme Courchesne, le travail déjà réalisé par le Courrier Laval n’a nullement constitué un point de départ pour le journaliste mais un point d’arrivée puisque ce dernier ce serait limité à marcher dans les traces du bihebdomadaire sans jamais le citer, tel que l’impose pourtant la déontologie.
Pour la plaignante, peu importait que les photographies soient ou non publiées, le Courrier Laval devait être cité. Elle ajoute que le reportage s’ouvrait d’ailleurs sur la même image que celle publiée en une du bihebdomadaire le 14 octobre 2007.
Pour elle, l’angle adopté par M. Poirier n’était en rien différent de celui choisi par le bihebdomadaire puisque, dans les deux cas, il s’agissait de mettre au jour un problème de contamination des berges et de l’eau de la rivière des Mille îles et d’en mentionner les conséquences possibles pour la santé publique. Selon Mme Courchesne, le mis-en-cause a présenté un résumé de l’enquête dans son reportage, ce qui n’est en soi pas, pour elle, une démarche journalistique.
M. Poirier affirmait que les deux entrevues qu’il a réalisées apportaient des éléments nouveaux à l’information publiée par le Courrier Laval, idée que Mme Courchesne rejette compte tenu du fait que ces deux intervenants ont également été interrogés par le bihebdomadaire et reprennent essentiellement les mêmes propos.
Pour la plaignante, le fait que le directeur du CRE Laval ait utilisé l’expression « notre étude » ne dégage pas le journaliste de la responsabilité qu’il avait de poser des questions et de clarifier les choses si besoin était.
De son avis, peu importe que le mis-en-cause ne se soit jamais attribué les conclusions de l’enquête, il a néanmoins omis de mentionner sa source, ce qui, pour la plaignante, reviendrait à s’attribuer un contenu diffusé par un autre média.
Le réseau TVA aurait fait les modifications relatives au texte de présentation de son reportage sur le site Canöe.ca trop tard, ce qui aurait eu pour conséquence que plusieurs plateformes de Quebecor auraient relayé l’information sans faire jamais mention du Courrier Laval. Pour véritablement rétablir les faits d’une façon équitable, Mme Courchesne soutient qu’il aurait fallu que la correction soit faite dès le lendemain et dans le cadre de la même émission.
La plaignante conclut en expliquant que bien que l’enquête réalisée par le bihebdomadaire était du domaine public, cela ne signifiait nullement qu’un autre média pouvait reproduire celle-ci sans en mentionner la provenance.
Analyse
Mme Marie-ève Courchesne, directrice de l’information pour le Courrier Laval portait plainte contre M. Yves Poirier, journaliste pour le réseau TVA. Elle lui reprochait dans un premier temps d’avoir repiqué les conclusions d’une enquête exclusive au Courrier Laval sur le rejet du contenu de fosses septiques dans la rivière des Milles îles à l’est de Laval et ce, sans en avoir mentionné la provenance.
L’information diffusée dans les médias est du domaine public. On peut donc s’y référer, en rapporter la substance ou la citer. L’information rendue publique par un organe de presse peut parfois, dans le cadre de la démarche de recherche et de collecte des données d’un journaliste, servir de source d’information, de point de départ ou de complément de renseignements pour aller plus loin, faire un suivi, obtenir des réactions et déboucher sur d’autres perspectives, selon le cas. L’information qui en résulte généralement, fort différente dans sa forme et son contenu, ne relève en rien du plagiat ou du pillage d’un concurrent. Toutefois, le fait qu’une information soit diffusée dans un média ne justifie en aucun cas un autre média de la copier ou de la reproduire impunément sans en mentionner la provenance ou sans l’autorisation de l’auteur.
Après analyse, le Conseil constate qu’une seule information présentée dans le cadre du reportage de M. Poirier, et ayant trait au délai que se donnait la Ville de Laval pour corriger la situation, ne se retrouvait pas dans les articles publiés la veille par le Courrier Laval. Par conséquent, le Conseil conclut que le journaliste n’a pas utilisé les informations que fournissaient le journal comme point de départ à un reportage comportant des éléments d’analyse ou des compléments d’informations mais bien comme point d’arrivée. Par conséquent et compte tenu du fait que la majorité des informations diffusées provenait d’autres sources, le journaliste avait pour obligation de faire mention de la provenance de celles-ci, soit une étude payée par le Courrier Laval et ce, afin de ne pas laisser aux téléspectateurs l’impression erronée que le réseau TVA avait découvert la nouvelle annoncée à l’ouverture du bulletin de nouvelles.
Par ailleurs Mme Courchesne reprochait au réseau TVA de ne pas avoir diffusé un erratum au reportage de M. Poirier dans le cadre de l’édition ultérieure du « TVA 22 heures » et de n’avoir fait les rectifications nécessaires sur le site Internet Canoë.ca que le lendemain de la diffusion.
Il relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productions journalistiques, que celles-ci relèvent de l’information ou de l’opinion. Les rétractations et les rectifications devraient être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non, et ils doivent consacrer aux rétractations et aux rectifications qu’ils publient ou diffusent une forme, un espace, et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses.
En regard de la faute commise par le journaliste et précédemment identifiée, le Conseil est d’avis que le réseau TVA se devait d’accéder à la demande de réparation initialement formulée par la plaignante. Or, le directeur du service de l’information de TVA et LCN a proposé à la plaignante d’effectuer cette correction uniquement si celle-ci acceptait de partager avec le réseau TVA la primeur de la suite des articles sur la rivière des Milles îles à paraître dans le Courrier Laval la semaine suivante, ce que le Conseil déplore. Ainsi, bien que la mesure consistant à publier un rectificatif sur le portail du réseau, là où l’information demeurait disponible, pouvait permettre de réparer le tort causé, le Conseil conclut que TVA aurait aussi dû rectifier son erreur lors du bulletin de nouvelles, tel que proposé initialement à la plaignante.
Décision
Sur la base de ce qui précède, le Conseil de presse retient la plainte de Mme Marie-ève Courchesne, directrice de l’information pour le Courrier Laval et blâme M. Yves Poirier, journaliste et M. Martin Cloutier, directeur du service de l’information de TVA et LCN.
Analyse de la décision
- C19B Rectification insatisfaisante
- C23G Plagiat/repiquage
Date de l’appel
4 November 2008
Appelant
M. Yves Poirier, journaliste; M. Martin Cloutier, directeur général du service de l’information de TVA et LCN et l’émission « Le TVA 18 heures »
Décision en appel
Les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.