Plaignant
Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal et M. Richard Thériault, directeur de l’administration et des communications
Mis en cause
M. Michel Jean, journaliste; Mme Nadia Jahwar, rédactrice en chef; l’émission « J.E. » et
le Groupe TVA
Résumé de la plainte
M. Richard Thériault, directeur de l’administration et des communications du Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal, porte plainte contre les journalistes Annie Gagnon et Michel Jean au sujet d’un reportage intitulé « Rats à Montréal », diffusé dans le cadre de l’émission « J.E. », le 11 janvier 2008 sur TVA. Le plaignant reproche aux mis-en-cause d’avoir diffusé dans ce reportage des informations inexactes, incomplètes et d’avoir laissé croire à l’inaction des autorités municipales pour endiguer les infestations de rats à Montréal.
Griefs du plaignant
M. Richard Thériault, directeur de l’administration et des communications du Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal, dépose plainte contre les journalistes Annie Gagnon et Michel Jean au sujet d’un reportage de l’émission « J.E. » diffusé par le Groupe TVA. Le reportage en question, intitulé « Rats à Montréal » fut diffusé le 11 janvier 2008 et traitait des infestations de rats sur l’île de Montréal.
Le plaignant reproche tout d’abord aux auteurs de ce reportage d’avoir commis des inexactitudes, notamment en ayant affirmé : « aucun fonctionnaire n’a été autorisé à nous parler ». M. Thériault affirme que la recherchiste de l’émission, Mme Karine Boudreault, a pourtant obtenu des informations auprès de plusieurs fonctionnaires municipaux dont le plaignant fournit la liste des noms. Le plaignant indique qu’il est donc faux de prétendre que la Ville de Montréal aurait interdit à ses fonctionnaires de parler aux membres de l’équipe de l’émission « J.E. ».
Le plaignant reproche également aux mis-en-cause d’avoir omis de mentionner qu’une équipe responsable de la dératisation à Montréal est sous la coordination de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, livrant ainsi une information incomplète quant à l’engagement de la Ville sur la question des infestations de rats.
Le plaignant indique enfin que les auteurs du reportage ont sous-entendu que le maire et la Ville n’accordaient pas d’importance à la question des infestations de rats à Montréal, alors que l’administration municipale actuelle est celle qui, jusqu’à maintenant, a consacré le plus de financement afin d’améliorer les infrastructures et résoudre ainsi ce problème. Au cours du reportage, les journalistes de « J.E. » avaient souligné que le maire avait participé à nombre de manifestations publiques tandis qu’il refusait de se prononcer sur la gestion de ce problème par les autorités municipales. Le plaignant estime qu’il s’agit là de désinformation et d’un manquement à l’éthique journalistique, car un élu est selon lui tout à fait en droit de refuser une entrevue sans que cela puisse par la suite lui être reproché publiquement par les journalistes auteurs de la demande d’entrevue.
Le plaignant demande en conséquence que les manquements qu’il a soulevés dans la plainte fassent l’objet de correctifs appropriés auprès du public par les journalistes mis-en-cause. M. Thériault explique avoir écrit à TVA pour demander ces rectifications, ce qui lui fut refusé. Il joint à sa plainte la réponse des représentants de TVA à cette lettre. M. Thériault annexe également à sa plainte un verbatim du reportage en cause ainsi qu’une liste d’éléments pour lesquels les fonctionnaires municipaux ont livré des informations à la recherchiste de « J.E. ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Véronique Dubois, conseillère juridique principale :
La représentante des mis-en-cause estime que ces derniers ont traité d’un sujet d’intérêt public. Ainsi la plainte de M. Thériault est non fondée dans la mesure où le journaliste Michel Jean a étayé sa recherche avec rigueur par le biais d’entrevues avec un expert en dératisation, un ingénieur, un professeur d’université ainsi que des citoyens ayant témoigné de la présence de rats près de leurs résidences.
Concernant les reproches du plaignant au sujet de l’entrevue refusée à « J.E. » par le maire de Montréal, la représentante des mis-en-cause estime qu’un élu peut certes refuser une entrevue mais qu’il n’est pas interdit à un journaliste d’aviser le public de ce refus. Elle indique que les mis-en-cause ont en effet souligné que le maire multipliait les sorties publiques parallèlement à ce refus. Elle estime toutefois que ces affirmations, en tout point, objectives et véridiques ne constituent pas un reproche mais ont été formulées dans le seul but d’informer les citoyens, en vertu du principe selon lequel un élu doit pouvoir en tout temps rendre compte de ses actions aux citoyens.
Concernant le reproche du plaignant selon lequel les mis-en-cause n’ont pas indiqué dans le reportage qu’une équipe de dératisation est sous la coordination de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, la représentante des mis-en-cause estime que l’angle et le contenu d’un reportage relèvent du jugement du journaliste, qui n’était donc pas contraint d’inclure cette information dans son reportage. Elle souligne par ailleurs qu’une entrevue auprès des autorités de l’arrondissement fut sollicitée par la recherchiste de l’émission et que cette entrevue lui fut refusée.
De même, Me Dubois explique qu’il n’y a pas eu de fausse information diffusée par les journalistes lorsqu’ils affirmaient qu’aucun fonctionnaire n’avait été autorisé à leur parler dans la mesure où il n’y a eu aucune entrevue télévisée possible avec un responsable municipal sur le sujet du reportage : une entrevue aurait bien été planifiée avec un administrateur, M. Jean-Paul Magnan mais celui-ci aurait annulé au dernier moment. La représentante des mis-en-cause affirme que cette phrase ne prêtait pas à confusion car elle faisait directement référence à une entrevue devant caméra.
Pour ce qui est des contacts que la recherchiste de l’émission « J.E. » a pu avoir avec des employés de la Ville, la représentante des mis-en-cause explique que les journalistes ont choisi, parmi les informations qui leur furent transmises, d’utiliser celles qu’ils jugeaient pertinentes aux fins de leur reportage. Ainsi, le reportage établit clairement que les sommes consenties à la réfection des égouts ont été augmentées par l’administration en place. Le sujet a aussi fait l’objet d’une enquête approfondie sur le terrain par laquelle les journalistes n’ont pas voulu se limiter à la seule information de source officielle. Il leur revient de diffuser l’information qu’ils jugent adéquate au traitement de leur sujet, nul ne pouvant leur dicter le contenu de leur reportage.
Me Dubois apporte des précisions pour ce qui est de l’accusation de désinformation du public : selon elle, il était impossible aux journalistes de divulguer certaines informations concernant l’engagement budgétaire de la Ville afin d’améliorer les infrastructures et de remédier au problème des infestations de rats, dans la mesure où ces mêmes informations n’ont pas été portées à la connaissance de l’équipe journalistique de « J.E. ». Elle estime qu’il aurait pu être intéressant d’introduire de tels éléments dans le reportage dans le cadre d’une entrevue avec un administrateur de la Ville mais que ceci n’a pu être fait compte tenu du refus des fonctionnaires municipaux d’accorder de telles entrevues.
Elle ajoute qu’il apparaît difficile de se voir ainsi reprocher des manquements dans le traitement du sujet par les mêmes personnes qui ont refusé d’apporter leur point de vue dans le reportage. Elle déclare en outre que l’administration publique ne doit pas confondre l’information qu’elle a intérêt à faire connaître d’une part et l’information d’intérêt public d’autre part.
La représentante des mis-en-cause mentionne enfin que le reportage en cause a fait l’objet d’un suivi dans l’édition du 22 février 2008 de l’émission « J.E. » et qu’à ce titre les mis-en-cause ne peuvent être taxés de manque de professionnalisme puisqu’ils ont eu le souci de fournir une information à jour et complète : M. Michel Jean a ainsi fait état de l’annonce faite par le maire M. Gérald Tremblay de nouveaux investissements dans le réseau d’eau et d’égouts montréalais.
Réplique du plaignant
Le plaignant se déclare insatisfait des commentaires de la représentante des mis-en-cause. Il s’interroge en effet sur l’intention réelle des journalistes lorsqu’ils ont signalé la participation du maire à de nombreux événements publics en parallèle de son refus de leur accorder une entrevue.
Le plaignant trouve paradoxal de la part des mis-en-cause de se prévaloir du droit du citoyen à l’information pour justifier le contenu de leur reportage alors même qu’ils ont transmis au public des informations inexactes ou incomplètes. Celui-ci cite à nouveau une phrase en cause dans le reportage « aucun fonctionnaire n’a été autorisé à nous parler » en rappelant que huit employés de la Ville ont pourtant eu des contacts directs avec la recherchiste de l’émission « J.E. ». Dans la même optique, le plaignant indique que les mis-en-cause ont faussement prétendu que certaines informations budgétaires ne leur ont pas été communiquées par la Ville alors que l’attaché de presse M. Bernard Larin orientait un membre de l’équipe de « J.E. » vers le site Internet de la Ville où étaient inscrites les informations répondant au questionnement des journalistes de l’émission.
Analyse
Le plaignant, M. Richard Thériault, directeur de l’administration et des communications du Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal, portait plainte à l’endroit du journaliste M. Michel Jean, pour inexactitude, manque de rigueur, d’exhaustivité et d’équilibre de l’information dans un reportage de l’émission « J.E. » diffusé sur TVA le 11 janvier 2008, traitant des infestations de rats dans la ville.
Le plaignant déplorait d’abord ce qu’il qualifie de propos inexacts. Le journaliste Michel Jean affirmait au cours du reportage « aucun fonctionnaire n’a également été autorisé à nous parler », après avoir mentionné le refus du maire de Montréal d’accorder une entrevue à « J.E. » sur la gestion du réseau d’aqueduc et d’égout par la Ville. Le plaignant considère que la phrase susmentionnée serait inexacte puisque la recherchiste de l’émission « J.E. » aurait eu accès à des informations sur le sujet par le biais de fonctionnaires municipaux.
En ce qui a trait à l’exactitude de l’information, le guide déontologique du Conseil de presse mentionne que les médias et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements.
Si aucune entrevue n’a été réalisée avec le maire ou l’un des fonctionnaires de la Ville pour diffusion dans le cadre du reportage, la recherchiste de l’émission « J.E. » a néanmoins obtenu des informations sur le sujet du reportage, auprès de plusieurs fonctionnaires municipaux. Il était alors inexact d’affirmer dans un tel contexte : « aucun fonctionnaire n’a également été autorisé à nous parler ». Le grief est donc retenu.
Le plaignant reprochait ensuite aux mis-en-cause d’avoir fourni une information incomplète sur la dératisation et la gestion par la Ville du réseau d’aqueduc et d’égout de Montréal, ce qui aurait eu pour effet de laisser penser au public que les autorités municipales négligeaient le problème des infestations de rats dans la ville.
Il convient de rappeler que le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. Les mis-en-cause ont donc toute latitude pour choisir le contenu de leur reportage en fonction de l’angle qu’ils ont défini, dans la mesure où le reportage est équilibré et ne favorise pas l’une des parties prenantes au dossier traité.
Certaines informations apportées par le plaignant, notamment à l’effet qu’une équipe de dératisation est sous la coordination de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, n’ont en effet pas été introduites dans le reportage.
Il apparaît parallèlement que le journaliste a exposé le montant des investissements effectués par la Ville dans la réfection du réseau d’aqueduc et d’égout, ceux-ci étant en constante augmentation entre 2006 et 2008, ce qui contribuerait à illustrer les initiatives de la Ville en ce domaine. Le Conseil de presse constate alors que l’absence de la première information ne nuisait vraisemblablement pas à l’équilibre du reportage et n’induisait pas le public en erreur quant au contenu dudit reportage.
Dans le contexte de la réalisation de ce reportage, il faut souligner que le journaliste s’est vu refuser des entrevues devant caméra avec des responsables de la Ville, qui constituait l’une des parties intéressées au dossier. En pareil cas, le Conseil a déjà recommandé aux professionnels de l’information de prendre toutes les précautions nécessaires pour assurer une couverture équilibrée du sujet, en ayant par exemple recours à des sources statistiques et experts indépendants (D2005-11-024). Les mis-en-cause ont fait intervenir un chercheur, un ingénieur, un spécialiste en dératisation dans le cadre de leur reportage, et se sont appuyés sur des sources statistiques fiables, dont le site Internet de la Ville de Montréal, couvrant ainsi ce sujet d’intérêt public de manière équilibrée. Ce grief est donc rejeté.
Le plaignant indiquait enfin que les mis-en-cause avaient reproché publiquement au maire de Montréal d’avoir refusé de leur accorder une entrevue, en montrant des images de plusieurs de ses apparitions publiques, tout en faisant part de ce refus.
Cette manière de procéder constituerait de la désinformation aux yeux du plaignant, qui estime que de telles images, juxtaposées à la mention du refus du maire d’accorder une entrevue à « J.E. », laisseraient supposer que celui-ci ne se préoccuperait pas du problème des infestations de rats et de la nécessaire réfection du réseau d’égout qui permettrait d’y remédier.
Le guide déontologique du Conseil de presse souligne que l’attention que les médias et professionnels de l’information décident de porter à un sujet particulier, le choix de ce sujet et sa pertinence relèvent de leur jugement rédactionnel.
Dans la mesure où cette information était exacte, les mis-en-cause étaient en droit de mentionner dans leur reportage le refus du maire de leur accorder une entrevue sur la question des infestations de rats à Montréal et la gestion de ce problème par les autorités municipales. Le Conseil constate que le journaliste n’a pas tronqué les faits en signalant que le maire avait participé à plusieurs événements publics. Toutefois, le Conseil estime que le parallèle établi entre ces participations du maire et son refus d’accorder une entrevue était tendancieux. Le grief est donc retenu.
Décision
Pour l’ensemble des raisons précédemment exposées, le Conseil de presse retient partiellement la plainte de M. Richard Thériault, directeur de l’administration et des communications du Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal, contre M. Michel Jean, journaliste pour l’émission « J.E. » et le Groupe TVA.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C15H Insinuations
Date de l’appel
4 November 2008
Appelant
M. Michel Jean, journaliste; Mme Nadia Jahwar, rédactrice en chef; l’émission « J.E. » et
le Groupe TVA
Décision en appel
Les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.