Plaignant
Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) et M. Pierre Lavoie, directeur général
Mis en cause
Mme Lysiane Gagnon et M. Jacques Folch-Ribas, journalistes; M. André Pratte, éditorialiste en chef et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) porte plainte contre Mme Lysiane Gagnon, M. Jacques Folch-Ribas et le quotidien La Presse, pour trois articles publiés les 20 janvier, 5 et 23 février 2008. Les motifs invoqués par la plaignante sont : inexactitude de l’information, manque de rigueur et d’équilibre, refus d’un droit de réponse et refus de rectification de l’information.
Griefs du plaignant
Avant de présenter ses explications sur les motifs de la plainte de son organisme, le directeur général de l’UNEQ, M. Pierre Lavoie, procède à un rappel de la chronologie des échanges.
Le lendemain de la parution de l’article de M. Folch-Ribas, soit le lundi 21 janvier 2008, l’ex-président de l’UNEQ, M. Bruno Roy, fait parvenir une lettre d’opinion au quotidien La Presse. Après deux autres envois du même texte, et sans explication, celui-ci ne sera pas publié. De plus, la lettre de Mme Danièle Simpson, vice-présidente de l’UNEQ, envoyée le 23 janvier ne sera publiée que le 4 février après deux appels de M. Lavoie à la secrétaire de M. André Pratte, éditorialiste en chef et responsable de la publication des lettres des lecteurs.
Le directeur général ajoute que « les personnes qui souhaitaient lire le texte de Mme Simpson, normalement archivé dans Cyberpresse (où les textes sont généralement conservés pendant 30 jours), n’ont pu y accéder, parce qu’il n’y figurait pas, contrairement aux textes de Jacques Folch-Ribas et de Lysiane Gagnon, publiés respectivement les 20 janvier et 5 février ». Son message et son courriel à ce sujet seraient demeurés sans réponse.
Le 5 février, M. Lavoie achemine une réponse à la chronique de Mme Gagnon, publiée ce jour-là, et téléphone à la secrétaire de M. Pratte pour lui demander de publier rapidement la réponse de l’UNEQ. Après l’avoir à nouveau contactée les 13 et 14 février, elle lui répond que M. Pratte considère que le débat est clos, « la lettre de Pierre Lavoie reprenant des arguments déjà évoqués dans la lettre de Mme Simpson le 4 février ». Pourtant, une deuxième chronique sur le sujet sera publiée par Mme Gagnon le 23 février suivant.
Selon le directeur général, cette polémique a été lancée dans La Presse le 20 janvier par M. Folch-Ribas « dans une lettre d’opinion truffée d’erreurs où ce dernier dénonçait un supposé projet d’éditeurs et d’écrivains (par l’entremise de leurs associations l’ANEL et l’UNEQ), celui de remplacer la littérature française par la littérature québécoise dans le programme d’enseignement au collégial ». Il aurait eu vent de cette information en lisant les questions d’un sondage mené auprès des professeurs de français des cégeps. Et Mme Gagnon, chroniqueuse au même journal, aurait « repris à son compte les inexactitudes de monsieur Folch Ribas, sans vérifier les « faits » ni consulter les principaux « accusés », et y a ajouté une interprétation de son cru qui tenait davantage de l’affabulation que de l’information ».
Réagissant au premier article, la vice-présidente de l’UNEQ, Mme Danièle Simpson, a écrit au quotidien pour clarifier et rétablir les faits. Selon elle, « L’UNEQ n’a jamais suggéré que l’on abandonne l’enseignement de la littérature française. Elle a simplement informé les professeurs de français, dans une lettre envoyée dans tous les départements de lettres, en novembre dernier, de la possibilité qui s’offrait à eux d’inclure des Œuvres québécoises dans les quatre cours de littérature. » Sa lettre qui a été publiée le 4 février n’aurait cependant pas empêché Mme Gagnon de prétendre, dans sa chronique du 5 février « qu’on était en train d’éliminer ce qui restait de l’enseignement de la littérature française au cégep, voyant même une collusion en ce sens entre l’UNEQ, l’ANEL et le ministère de l’éducation, du Loisir et du Sport ».
Pour le porte-parole de la plaignante, la journaliste n’a pas vérifié les rumeurs qu’elle a contribué à faire circuler, ni cherché de preuves de ce qu’elle avançait. Il en donne pour preuve les erreurs relevées dans cette chronique, qu’il détaille en six points :
1. La journaliste affirme erronément que « […] le ministère de l’éducation a fait parvenir aux enseignants un sondage […] », alors que c’est le Comité des enseignantes et enseignants de français (CEEF) et non le Ministère qui a effectué ce sondage et en a rédigé les questions, sondage qui devait d’ailleurs demeurer interne.
2. Mme Gagnon écrit : « […] un sondage de 11 questions dont les deux dernières laissent clairement supposer que l’on songe sérieusement en haut lieu à bannir complètement les cours de littérature française au profit de la littérature québécoise ». Selon M. Lavoie, la prémisse de ce raisonnement est fausse. Il explique que la chroniqueuse n’a pas vérifié ou mis en doute ses sources et qu’elle s’en est prise au ministère de l’éducation l’accusant de se faire complice d’un « comportement primaire », celui des écrivains et éditeurs voulant vendre leurs livres. Elle crie alors au « scandale » sans se soucier de vérifier l’exactitude des rumeurs qu’elle fait circuler.
Selon M. Lavoie, que l’UNEQ dans ce sondage ait été identifiée comme l’ « Union nationale des écrivains québécois » plutôt que comme l’ « Union des écrivaines et des écrivains québécois » aurait dû mettre la puce à l’oreille à Mme Gagnon quant aux sources qu’elle citait et la convaincre de vérifier les propos qu’on attribuait à cette association. Selon lui, les autres informations livrées par la journaliste n’étaient « guère plus fiables ».
3. Le représentant de l’UNEQ conteste ensuite l’affirmation selon laquelle la littérature française n’est enseignée environ que sur une période de six mois. Selon lui, la journalise a simplement repris les données de M. Folch-Ribas. Il indique qu’il y a, au collégial, quatre cours de français de 60 heures, échelonnés sur quatre semestres. Il se demande comment les chroniqueurs ont pu en arriver à « six mois » ou à « un semestre et demi » d’enseignement de la littérature française; il questionne leurs calculs et suggère qu’il pourrait s’agir de manipulation de l’information.
4. M. Lavoie relève également que la chroniqueuse a affirmé que « la littérature québécoise occupe presque tout l’espace » alors qu’il n’y a qu’un seul cours de littérature québécoise parmi les quatre cours de littérature dispensés. Il demande alors si la journaliste a consulté les programmes de littérature au collégial.
5. Il reproche aussi à Mme Gagnon d’avoir utilisé les propos de M. Folch-Ribas sur les éditeurs australiens comme un argument, alors qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse, qu’elle n’hésite pas à transformer en preuve.
6. M. Lavoie relève que la journaliste a attribué une date de publication erronée au roman « Angéline de Montbrun », de Laure Conan, soit 1848 au lieu de 1884. Dans une seconde chronique sur le sujet, elle prétexterait qu’il s’agissait d’une simple erreur de frappe.
Le porte-parole de l’UNEQ aborde ensuite les réactions de Mme Gagnon, dans son second article. Elle reconna1/4icirc;t avoir commis une erreur et précise que ce n’est pas du ministère de l’éducation que provenait le sondage distribué dans les cégeps, mais d’un comité d’enseignants, le CEEF. Elle répète toutefois que le projet était porté par l’Association nationale des éditeurs de livres et par « l’Union nationale des écrivains du Québec » (répétant ainsi l’erreur initiale sur ce nom), et que le Ministère y était tout à fait favorable.
M. Lavoie soulève plusieurs questions sur les sources des journalistes. Il reconna1/4icirc;t que Mme Gagnon semble cette fois avoir en main un document « qui met en lumière le projet de l’ANEL de faire de la littérature québécoise « le pilier autour duquel les programmes devraient s’articuler et à partir duquel on aborderait les autres littératures, francophones et étrangères » ». La plaignante ne chercherait pas à déterminer si la journaliste a raison ou non, ce projet ne lui ayant jamais été soumis. Elle se sent toutefois concernée par le paragraphe où la journaliste cite un porte-parole du Ministère qui indique que ce dernier a « fait dispara1/4icirc;tre les références directes à la littérature française pour permettre des approches nouvelles », car c’est effectivement sur la base de cette ouverture du Ministère que l’UNEQ a écrit aux professeurs pour les informer de la flexibilité des devis qu’ils pourraient « sans déroger aux exigences, mettre à profit pour mieux faire conna1/4icirc;tre la littérature québécoise ». Il n’a donc jamais été question d’exclure la littérature française ni d’en faire une matière accessoire. Selon M. Lavoie, on peut ne pas être d’accord avec ce point de vue, et il peut y avoir débat. Ainsi, après la parution de la première chronique de Mme Gagnon, irrité que la journaliste n’ait pas pris en compte la lettre de la vice-présidente de son association, M. Lavoie a voulu protester, mais on a refusé de publier sa lettre, prétextant que le débat était clos, alors que Mme Gagnon a pu écrire une seconde chronique sur le sujet.
Le directeur général déplore alors le fait que Mme Gagnon ne se soit appuyée que sur « l’interprétation qu’ [avait] faite Marie Gagné, la présidente du CEEF », insistant sur le fait que « son sondage mentionnait en toutes lettres que tant l’UNEQ que l’ANEL réclamaient l’exclusion de la littérature française au collégial »; et enfin, que la journaliste ne se soit jamais interrogée sur sa source ou sur la véracité de l’information.
Commentaires du mis en cause
Me Philippe-Denis Richard amorce ses commentaires par un rappel des faits :
Dans son numéro du 20 janvier 2008, La Presse a publié dans ses pages un texte signé par M. Jacques Folch-Ribas intitulé « inculte et satisfaits (?) », portant sur l’actualisation des devis de formation générale, plus précisément sur l’enseignement de la littérature française au collégial. M. Folch-Ribas est un collaborateur à La Presse. Il est aussi professeur de littérature au collégial et membre de l’UNEQ. Son texte qui s’apparente à une chronique soulignait que les professeurs de littérature des cégeps avaient reçu un sondage de 11 questions dont deux, les questions 10 et 11 ont soulevé son intérêt, et il rappelle le libellé des questions :
– « La question 10 se lisait comme suit : « Désirez-vous que la littérature québécoise occupe une place plus grande et dans quelle mesure? ».
– « La question 11 se lisait comme suit : « Une hypothèse émise l’an dernier par l’ANEL (Association nationale des éditeurs de livres) et par l’UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois) était d’exclure complètement la littérature française des cours de niveau collégial en créant trois cours de littérature québécoise. Que pensez-vous de cette hypothèse? »
Dans son numéro du 4 février 2008, La Presse publie la réplique de Mme Danièle Simpson, vice-présidente de l’UNEQ. Le titre de cette réplique est : « L’UNEQ n’a jamais suggéré que l’on abandonne l’enseignement de la littérature française. »
Dans son numéro du 5 février 2008, La Presse poursuivait ce débat par la publication d’une chronique, signée par Mme Lysiane Gagnon, intitulée « L’inculture triomphante: est-on en train d’éliminer ce qui reste de l’enseignement de la littérature française au cégep? ». Et dans son numéro du 23 février 2008, La Presse publiait une dernière chronique sur ce même débat, signée par Mme Gagnon et intitulée « Littérature, prise deux ». Cette dernière chronique faisait suite au courrier que Mme Gagnon avait reçu quant à l’enseignement de la littérature française.
En ce qui a trait aux faits relatifs à la plaignante, M. Richard précise que les chroniques de M. Folch-Ribas et de Mme Gagnon ont immédiatement aiguillonné des demandes de l’UNEQ au service de l’éditorial de La Presse visant la publication d’une lettre d’opinion signée par M. Bruno Roy, ex-président de l’UNEQ, des interventions téléphoniques de M. Pierre Lavoie, directeur général de l’UNEQ et une réplique de Mme Danièle Simpson qui a été publiée.
La seconde partie des commentaires du vice-président, affaires juridiques, a pour titre « L’environnement des chroniques ». M. Richard y précise que les chroniques de M. Folch-Ribas et de Mme Gagnon relèvent de l’opinion et cite le guide Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil sur la latitude reconnue aux genres journalistiques de la chronique, du billet et de la critique, soit une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information, permettant aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Le porte-parole des mis-en-cause ajoute : « Dans sa décision D2006-07-004, le Conseil rappelle que les chroniqueurs doivent rappeler les faits relatifs aux événements, situations et questions qu’ils décident de traiter en vue de présenter leur point de vue, afin que le public puisse se former une opinion en toute connaissance de cause quant aux sujets sur lesquels ils se prononcent. C’est dans cet esprit que M. Folch-Ribas et Mme Gagnon ont expliqué dans leurs chroniques respectives le contexte entourant le sondage qui est au cŒur du débat, et ce, en ciblant plus particulièrement les questions 10 et 11. »
La troisième partie des commentaires constitue la réponse des mis-en-cause aux cinq motifs de plainte soulevés au début de la plainte de l’UNEQ.
Refus de répondre : M. Richard indique que le service de l’éditorial de La Presse n’a pas refusé de répondre aux demandes de l’UNEQ ou de ses représentants. Il rappelle la règle édictée par le Conseil voulant que le public n’ait pas accès de plein droit aux pages des médias. Il insiste également sur le principe voulant que les journaux puissent refuser de publier certaines lettres, à condition que leur refus ne soit pas motivé par un parti pris, une inimitié ou encore par le désir de taire une information d’intérêt public qui serait contraire au point de vue éditorial ou nuirait à certains intérêts particuliers.
M. Richard fait observer que la réplique de la vice-présidente de l’UNEQ, Mme Simpson, a été publiée dans le numéro du 4 février de La Presse, dans un délai raisonnable après la publication de la chronique de M. Folch-Ribas, compte tenu du volume de correspondance que le service de l’éditorial gère quotidiennement. Comme cette réplique exprimait le point de vue divergent de l’UNEQ aux propos de M. Folch-Ribas, les lecteurs de La Presse étaient alors à même de former leur propre opinion quant aux questions du sondage au centre du débat.
M. Richard ajoute : « Quant à la réplique de l’UNEQ aux chroniques de Mme Gagnon, le service de l’éditorial a en toute bonne foi estimé que la réplique de Mme Simpson, publiée le 4 février, était adéquate et appropriée d’autant plus que Mme Gagnon ne mentionnait l’UNEQ dans ses chroniques du 5 février et du 23 février que dans une seule phrase, alors que le reste du texte de ces chroniques dénonçait le sondage et le Ministère (5 février), puis, sous une autre forme de précision, le Comité des enseignants de français du collégial (ou CEEF), le 23 février. »
M. Richard en conclut que ces motifs montrent que le service de l’éditorial a agi raisonnablement et, de ce fait, qu’il n’y avait pas lieu pour ce dernier de publier une autre lettre qui disait précisément ce qu’affirmait déjà celle de Mme Simpson.
Inexactitude de l’information : M. Richard rappelle encore ici un extrait du DERP concernant « La chronique, le billet et la critique ». Sur cette base, il indique que la plainte de l’UNEQ repose essentiellement sur une divergence d’opinions : « M. Folch-Ribas et Mme Gagnon prétendent d’un côté que la littérature française n’occupe pas assez de place dans l’enseignement collégial, l’UNEQ prétend le contraire. C’est là le cŒur du débat. »
Le porte-parole des mis-en-cause reconnaît que Mme Gagnon a évoqué dans sa chronique du 5 février que le sondage était associé au ministère de l’éducation alors que, dans les faits, il était associé au CEEF, mais que sa chronique du 23 février apporte cette précision, ce qui rectifie le propos. M. Richard fait observer que cette erreur ne porte pas en soi ombrage à l’UNEQ. Il insiste aussi sur le fait que la cible du débat était l’enseignement de la littérature française au collégial.
M. Richard ajoute que l’UNEQ relève d’autres erreurs mineures qui, selon lui, n’ont aucune portée réelle sur le débat et ne peuvent l’influencer. En conséquence, « hormis ces quelques erreurs de forme, et non de fond, le texte des chroniques respecte les règles reconnues en cette matière. Qui plus est, ces erreurs très mineures dont la plupart ont fait l’objet d’une rectification dans la chronique de Mme Gagnon parue le 23 février n’ont aucun impact sur la compréhension de l’enjeu qu’est l’enseignement de la littérature française. »
Manque d’équilibre dans l’information : M. Richard rappelle que nous sommes ici en matière de chronique et non de reportage, et que la règle reconnue veut que le chroniqueur jouisse d’une très grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Ainsi, « l’auteur qui le pratique peut alors adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer ses critiques, dans le style qui lui est propre. Il est aussi reconnu que ce genre accorde une grande place à la personnalité de son auteur qui traduit sa lecture personnelle de l’actualité et des réalités et des questions qu’il choisit de traiter ». Pour M. Richard, M. Folch-Ribas et Mme Gagnon respectent en tout point l’esprit de ces règles en ce qu’ils expriment leurs critiques dans leur style respectif, traduisant ainsi dans leurs propres mots un débat social et pédagogique dont l’issu peut être important dans la société. à la lumière, donc, de ce qui précède, le porte-parole des mis-en-cause estime que ce point de la plainte de l’UNEQ lui apparaît non pertinent.
Manque de rigueur de l’information : La réaction des mis-en-cause s’amorce par une précision voulant que les principes cités au point précédent s’appliquent également au présent point. M. Richard reconnaît que les auteurs des chroniques ne peuvent se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude, mais affirme qu’ils ont aussi le droit de dénoncer avec vigueur les idées et les actions qu’ils réprouvent et le droit également de porter des jugements, dans la mesure où les faits qui justifient de tels jugements sont conformes. Or, pour lui, la question fondamentale au coeur du débat est l’enseignement de la littérature française au collégial et le fait qu’un sondage questionne sa pertinence, voire sa remise en question. M. Richard fait aussi remarquer que ces faits ne sont pas contestés. Il conclut donc que « le reste n’est que détail ». Il ajoute que les chroniques de Mme Gagnon ont fait l’objet d’une démarche selon les règles de l’art. Par exemple, dans sa chronique du 23 février, Mme Gagnon cite une lettre de l’UNEQ envoyée aux professeurs qui apparaît confirmer ses dires. Elle cite aussi un procès-verbal et les propos de la rédactrice du sondage en question, Mme Marie Gagné. Enfin, la chroniqueuse a « abondamment correspondu avec un professeur et écrivain, M. André Vanasse, qu’elle a perçu comme l’âme dirigeante de ce mouvement en faveur d’un recentrage des programmes autour de la littérature québécoise ».
Refus de rectifier l’information : à ce titre, M. Richard rappelle aussi ici un principe voulant « que les médias d’information trouvent les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leur productions journalistiques, que celles-ci relèvent de l’information ou de l’opinion ». Selon lui, encore faut-il qu’en matière d’opinion il y ait eu manquement ou erreur qui biaise ou ait un impact significatif sur le jugement ou l’opinion du chroniqueur dans le dossier, et qu’il soit nécessaire pour le journal de le rectifier. Or, dans le présent dossier, les quelques erreurs de forme n’auraient aucune pertinence sur le fond du débat. De plus, le service de l’éditorial a publié une réplique de Mme Danièle Simpson sur la question. Il reconnaît que d’autres demandes de publication sur cette même question lui ont été soumises, mais leur teneur était du même ordre que celle apparaissant dans la réplique de Mme Simpson. Par ailleurs, durant cette même période, l’actualité était abondante tout comme les lettres des lecteurs.
Réplique du plaignant
Le porte-parole de la plaignante indique avoir pris connaissance de la lettre des mis-en-cause et est d’avis que M. Richard accorde une latitude aux journalistes « que leur code de déontologie ne leur accorde pas ». Il relève plusieurs points de désaccord.
M. Lavoie n’est pas d’accord avec l’interprétation des mis-en-cause de la latitude reconnue dans le traitement de l’information : « L’UNEQ ne croit pas qu’il faille comprendre dans ces lignes que le Conseil inclut dans la liberté qu’il reconnaît aux chroniqueurs le droit d’utiliser de fausses informations pour susciter une polémique à laquelle est mêlée, contre son gré et à son détriment, un organisme dont on n’a pas jugé bon de vérifier la participation. »Il explique que, selon M. Richard, les faits ne concernent que les deux questions du sondage réalisé auprès des professeurs de cégep; ce qui implique que leur formulation repose nécessairement sur des informations vérifiées et vraies, et que les journalistes ne sont donc pas tenus de les mettre en doute. Pour le représentant de l’UNEQ, une telle attitude va à l’encontre de la première qualité exigée d’un journaliste, soit l’esprit critique. M. Folch-Ribas et Mme Gagnon n’ont douté de rien. Ils ont décrit une situation qu’ils voyaient découler des questions du sondage et impliquant une collusion entre l’UNEQ, l’ANEL et le ministère de l’éducation, inventant de toutes pièces une polémique dont l’UNEQ, entre autres, a fait les frais et qui a nui à son image.
Second point de désaccord, M Richard aurait compris dans la réplique de Mme Simpson qu’il ne s’agissait pour elle que d’exprimer le point de vue divergent de l’UNEQ au propos de M. Folch-Ribas, mais il ferait alors « abstraction du sous-intitulé de sa lettre » qui indiquait que « l’UNEQ n’a jamais suggéré que l’on abandonne l’enseignement de la littérature française ». La question n’était donc pas de débattre de la place de la littérature française dans le cursus collégial, mais de rectifier les informations de la chronique. M. Lavoie relève la phrase de M. Richard : « Le service de l’éditorial a en toute bonne foi estimé que la réplique de Mme Simpson, publiée le 4 février, était adéquate et appropriée d’autant que Mme Gagnon ne mentionnait l’UNEQ dans ses chroniques et du 5 et du 23 février que dans une seule phrase. » Il en conclut : « Il semble qu’à la Presse, du moins si l’on en juge par les propos de M. Richard, on fasse peu de cas des informations fausses si elles sont contenues dans une seule phrase. » Le représentant de la plaignante revient sur cette affirmation et expose les phrases erronées relevées dans les chroniques du 4 et du 23 février pour démontrer une absence de vérification, une fausse information et une interprétation fautive.
Le troisième point de désaccord porte sur les réactions des mis-en-cause regroupées sous le titre « Inexactitudes de l’information ». M. Lavoie conteste et considère comme fausse l’affirmation de M Richard à l’effet que la plainte de l’UNEQ auprès du Conseil repose essentiellement sur une divergence d’opinion. Ce ne pourrait être vrai que si l’UNEQ avait eu comme position celle que les journalistes de La Presse lui attribuent. Mais il n’en est rien : si l’UNEQ a porté plainte, c’est parce que La Presse avait publié à son sujet des inexactitudes qui nuisent à sa réputation.
Autre point de désaccord, celui sur la provenance du sondage. L’affirmation de M. Richard laisse entendre que cette erreur ne porte pas ombrage à l’UNEQ, ce qui est faux, selon M. Lavoie. Pour lui, si Mme Gagnon n’avait pas fait cette erreur, elle n’aurait pas pu soutenir que le ministère encourageait « le corporatisme primaire » de l’UNEQ.
Le point suivant porte sur l’affirmation de M. Richard à l’effet que la cible du débat était l’enseignement de la littérature. Pour les mis-en-cause, il n’y a tout simplement pas eu de débat puisque les organismes visés n’ont pas eu réellement voix au chapitre, et qu’il n’y en aurait pas eu sans l’utilisation de fausses informations.
M. Lavoie reproche enfin au porte-parole de la plaignante d’avoir affirmé que l’UNEQ n’aurait relevé que « d’autres erreurs mineures qui n’ont aucune portée réelle sur le seul débat, l’enseignement de la littérature et sa place au collégial ni ne peuvent l’influencer ». Le directeur de l’UNEQ demande enfin : si affirmer que la littérature québécoise « a la part du lion » dans les cours de français (alors qu’elle n’est obligatoire que pendant une seule session), et que « la littérature française n’est enseignée, grosso modo, que six mois », (alors qu’elle fait partie de trois cours sur quatre), n’a pas d’influence dans un débat dont on dit qu’il porte sur la place la littérature française, quel argument en aura?
Analyse
L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) porte plainte contre les chroniqueurs Mme Lysiane Gagnon et M. Jacques Folch-Ribas ainsi que le quotidien La Presse. Elle évoque plusieurs motifs de plainte, composant quatre ensembles : inexactitude de l’information, manque de rigueur et d’équilibre de l’information, refus d’un droit de réponse et refus de rectification de l’information. Les articles contestés ont été publiés les 20 janvier, 5 et 23 février 2008 et portaient principalement sur le contenu du programme d’enseignement du français dans les cégeps du Québec et sur ses modifications éventuelles.
Dans leur défense, les mis-en-cause ont invoqué le guide déontologique du Conseil de presse Droits et responsabilités de la presse reconnaissant aux chroniqueurs une grande liberté dans l’expression de leurs points de vue. Le Conseil rappelle qu’en contrepartie la pratique du journalisme d’opinion comporte aussi des obligations. Les auteurs de chroniques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude, ils doivent éviter de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. De plus, s’ils peuvent dénoncer avec vigueur les idées et les actions qu’ils réprouvent et porter des jugements en toute liberté, rien ne les autorise à cacher ou à altérer des faits pour justifier l’interprétation qu’ils en tirent. Enfin, ils doivent rappeler les faits relatifs aux événements, situations et questions qu’ils décident de traiter avant de présenter leurs points de vue, critiques et lectures personnelles de l’actualité, afin que le public puisse se former une opinion en toute connaissance de cause quant aux sujets sur lesquels ils se prononcent. C’est notamment sur la base de ces principes que les griefs de la présente plainte ont été examinés.
La plaignante reprochait d’abord aux mis-en-cause d’avoir commis plusieurs inexactitudes au sujet d’un supposé projet d’éditeurs et d’écrivains qui, par l’entremise de leurs associations l’ANEL et l’UNEQ, voulaient voir la littérature française remplacée par la littérature québécoise dans le programme d’enseignement au collégial. Une première erreur relevée était à l’effet que les mis-en-cause n’ont pas fait la distinction entre la position de l’ANEL et celle de l’UNEQ alors que les documents fournis au Conseil ont révélé une différence significative entre les positions des deux organismes, ce que les mis-en-cause n’ont d’ailleurs pas nié. Or, comme ils ont accepté de publier la lettre de réaction de Mme Simpson, représentant l’UNEQ, le Conseil a considéré cette publication comme un correctif suffisant pour ne pas retenir le grief sur ce point. L’examen des documents a également permis au Conseil de constater que, dans son second article, Mme Gagnon reconnaissait une erreur au sujet de l’origine d’un sondage distribué dans les cégeps, sondage qui ne provenait pas du ministère de l’éducation du Québec mais bien du CEEF, le Comité des enseignants de français du collégial. Comme ce manquement a été reconnu publiquement et que l’information a été rectifiée dans un délai raisonnable, l’usage en pareil cas veut qu’on ne retienne pas le grief sur cet aspect. Toujours au sujet du sondage, Mme Gagnon aurait indiqué faussement que l’on songeait en haut lieu à bannir les cours de littérature française au profit de la littérature québécoise. Après vérification, il apparaît que dans le second article, Mme Gagnon ne parle plus de « bannir complètement » les cours de littérature, mais seulement de « réduire considérablement l’enseignement de la littérature française ». Le Conseil a estimé que, sans avoir publié de correctif au sens strict, la journaliste avait tout de même corrigé l’information. Par conséquent, cette inexactitude n’a pas été retenue. Il en a été de même pour l’erreur sur la date de publication du roman « Angéline de Montbrun », dont la date erronée a fait l’objet d’une rectification par la journaliste dans son second texte.
La plaignante relevait ensuite que, dans les trois articles impliqués, l’UNEQ avait été identifiée comme « l’Union nationale des écrivains québécois » plutôt que comme l’Union des écrivaines et des écrivains québécois. La vérification a permis de constater que l’erreur initiale avait été répétée à deux reprises sans aucune rectification, même après la publication de la lettre de la vice-présidente de l’UNEQ par La Presse, mais cette omission demeure de peu d’importance par rapport au fond du débat.
Le grief suivant voulait que Mme Gagnon ait utilisé les propos de M. Folch-Ribas comme un argument, alors qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse. Ici encore, l’examen des documents des parties a donné raison à la plaignante. Tout en retenant le grief, le Conseil a noté qu’il s’agissait davantage d’une illustration que d’une information fondamentale dans l’article, et qu’il y avait lieu de relativiser l’importance de cette dernière erreur.
Enfin, deux autres griefs pour inexactitude portaient sur le nombre et la durée des cours inscrits au programme de littérature française. Après vérification, le Conseil a constaté des inexactitudes non rectifiées dans les textes des deux chroniqueurs et a dû retenir les griefs en conséquence.
En résumé, bien que le Conseil constate que la mise-en-cause a corrigé certaines inexactitudes dans sa dernière chronique, il appert que certaines erreurs persistent. Le grief pour inexactitude a donc été retenu en partie.
Les reproches suivants concernaient la rigueur de l’information. Selon la plaignante, Mme Gagnon aurait « repris à son compte les inexactitudes de monsieur Folch-Ribas, sans vérifier les « faits » ni consulter les principaux « accusés », et y aurait ajouté une interprétation de son cru ».
Tout en tenant compte de la liberté rédactionnelle et de la latitude reconnue au journalisme d’opinion, le Conseil a estimé que le texte de M. Folch-Ribas contenait des inexactitudes, comme celles sur le nom de la plaignante, qui ont été répétées d’un article à l’autre, indiquant de la part des deux auteurs un manque de vérification. Si les auteurs avaient pris soin de prendre contact avec la plaignante, ils auraient forcément pris conscience de cette erreur. Dans le cas des chroniques de Mme Gagnon ce manque de rigueur est d’autant plus étonnant qu’elles ont été publiées après la parution de la lettre de Mme Simpson dans le quotidien en cause et que la chroniqueuse aurait donc dû tenir compte de ces précisions. Il en va de même pour les deux reproches suivants, portant sur l’attitude de l’UNEQ en regard de l’enseignement de la littérature. Le premier cas portait sur la collusion qui aurait été découverte entre l’UNEQ, l’ANEL et le ministère de l’éducation, du Loisir et du Sport pour l’élimination de ce qui restait de l’enseignement de la littérature française au cégep. Le second portait sur l’interprétation de la présidente du CEEF au sujet de la position de l’ANEL et de l’UNEQ sur le même sujet. L’examen du Conseil a révélé un manquement aux principes reconnus et notamment une absence de vérification de l’information auprès de la plaignante. Le grief a été retenu.
La plaignante déplorait aussi un manquement en regard de l’équilibre de l’information : les personnes qui souhaitaient lire le texte de Mme Simpson dans Cyberpresse n’ont pu y accéder parce qu’il n’y figurait pas, contrairement aux textes de M. Folch-Ribas et de Mme Gagnon. Le Conseil note une absence de normes formelles et spécifiques à ce sujet dans la politique éditoriale des mis-en-cause. Il demeure conscient des nouveaux impératifs avec lesquels les médias sur Internet doivent conjuguer mais invite fortement le quotidien à élaborer des politiques en la matière. Il aurait en effet été plus conforme aux principes d’équilibre et d’équité que la réponse de Mme Simpson ait été conservée et accessible par Internet, sur Cyberpresse, assurant ainsi une équité dans le droit de réplique.
L’UNEQ a formulé tout au long de sa plainte des griefs en regard de son droit de réponse et de l’absence de rectification de la part des mis-en-cause. L’examen des échanges entre les parties a révélé qu’elle avait tenté à plusieurs reprises de réagir aux propos des deux chroniqueurs. Après le refus du texte de l’ex-président de l’UNEQ et après plusieurs démarches en ce sens, un texte de la vice-présidente, Mme Simpson, a été publié. Le lendemain de sa publication paraissait le premier texte de Mme Gagnon auquel le directeur général a tenté sans succès de répliquer, obtenant pour réponse que le débat était clos. Toutefois, un autre texte de Mme Gagnon est paru sur le sujet.
L’article 2.2.1 du guide déontologique du Conseil prévoit que les médias ont la responsabilité d’être courtois et ouverts envers leurs lecteurs, de leur éviter les tracasseries qui pourraient les empêcher de faire valoir leurs remarques, critiques ou récriminations légitimes. De même, la jurisprudence du Conseil révèle deux cas récents impliquant la même chroniqueuse et le même média sur la question du droit de réplique du public (D2006-02-043 et D2006-07-003), un de ces dossiers ayant même fait l’objet d’une révision par la commission d’appel du Conseil. Ces décisions recommandaient au quotidien La Presse « de réviser l’application de ses normes internes afin de permettre au lecteur une riposte équivalente, en termes de niveau de langage, à celle permise aux journalistes d’opinion ». Pourtant, même si, en accord avec le plaignant, elle considérait que la décision du quotidien pouvait ne pas être complètement équitable à son égard, la commission d’appel avait tranché en faveur des mis-en-cause en accordant la priorité au principe de la liberté rédactionnelle. Poursuivant la même logique, le Conseil a décidé, dans la présente décision, d’appliquer les mêmes principes et de rejeter le grief, tout en réitérant aux mis-en-cause les recommandations sur la révision de leurs normes internes, qui visiblement n’ont pas encore été mises en place par le quotidien La Presse. Il devient impérieux pour les mis-en-cause de rendre public le fruit de leurs réflexions sur le problème soulevé par le Conseil en matière d’équité, en regard du droit de réponse du public. L’absence prolongée de normes internes vérifiées est un problème et pourrait entrainer un blâme subséquent au chapitre du droit de réponse du public.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons et sur les aspects détaillés plus haut, le Conseil de presse blâme Mme Lysiane Gagnon, M. Jacques Folch-Ribas et le quotidien La Presse pour inexactitude, manque de rigueur et de vérification.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C12C Absence d’une version des faits
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15D Manque de vérification
- C19A Absence/refus de rectification
- C19B Rectification insatisfaisante
- C19C Délai de rectification
Date de l’appel
18 June 2009
Appelant
Mme Lysiane Gagnon et M. Jacques Folch-Ribas, journalistes; M. André Pratte, éditorialiste en chef et le quotidien La Presse
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.