Plaignant
La Commission scolaire Marie-Victorin (CSMV) et M. Denis Roy, directeur général
Mis en cause
Mme émilie Dubreuil, journaliste; Mme Geneviève Guay, directrice, traitement des plaintes et
affaires générales et la Société Radio-Canada (SRC-RDI)
Résumé de la plainte
La Commission scolaire Marie-Victorin porte plainte contre la Société Radio-Canada (SRC- RDI) et sa journaliste émilie Dubreuil parce qu’elle aurait produit des reportages en contrevenant à la déontologie journalistique. Les motifs invoqués sont : fausse représentation et abus de confiance, atteinte à la vie privée et atteinte à la protection des mineurs.
Griefs du plaignant
Au nom de la Commission scolaire Marie-Victorin, son directeur général, M Denis Roy, dépose une plainte contre la journaliste émilie Dubreuil et son employeur la Société Radio-Canada (SRC-RDI) au sujet d’un reportage sur l’organisme Narconon et l’église de scientologie. Le reportage a été diffusé le 2 avril 2008 et il impliquait une école de la CSMV soit l’école secondaire Saint-Jean-Baptiste, à Longueuil.
Le directeur général rappelle les faits : le mercredi 2 avril 2008 vers 15 h 45, Mme Colette Marcil, journaliste à la recherche à la Société Radio-Canada communique avec une éducatrice spécialisée de l’école Saint-Jean-Baptiste pour lui indiquer qu’un reportage serait diffusé le soir même sur les ondes de Radio-Canada concernant l’organisme Narconon et l’église de scientologie. Le reportage montrerait un représentant de Narconon filmé à son insu le 11 mars 2008, alors qu’il donnait une conférence sur la prévention des toxicomanies aux élèves du 4e secondaire de l’école. Ni l’école ni la Commission scolaire ne seraient identifiées.
Lors de la communication téléphonique, l’éducatrice a appris que la journaliste émilie Dubreuil avait utilisé une fausse identité pour se présenter à l’école et assister à la conférence donnée par M. Carpentier de Narconon. Elle avait prétendu être une représentante de la Maison des jeunes de Montréal, intéressée à retenir éventuellement les services du représentant de Narconon. Manifestement, la journaliste portait une caméra cachée puisque aucune autorisation n’a été demandée pour filmer le conférencier, le personnel et les élèves. Les parents des jeunes n’étaient pas au courant de ce reportage ni du fait que leur enfant mineur était filmé.
Par la suite, une conseillère en communication de la CSMV a joint Mme Marcil pour s’assurer que la CSMV, l’école Saint-Jean-Baptiste, le personnel ou les élèves ne seraient pas identifiés, ce que Mme Marcil a confirmé. Au cours de la conversation, elle a toutefois indiqué que le reportage faisait mention d’une « commission scolaire de la Rive-Sud » et qu’il montrait « une image tanguante » de l’école.
Quelques minutes après la diffusion d’un résumé du reportage à 17 heures, une mise en demeure provenant de la CSMV est parvenue à la SRC lui demandant de ne pas diffuser le reportage sur Narconon ou d’éviter toute information, image ou allusion qui pourrait permettre d’identifier la Commission scolaire ou l’un de ses établissements. Le document exprimait aussi le désaccord de la plaignante avec les méthodes utilisées pour recueillir l’information. L’ombudsman de la SRC, qui en a également reçu copie a répondu ne pas pouvoir intervenir dans le dossier. Le reportage a ensuite été diffusé. Le lendemain de la diffusion, la journaliste émilie Dubreuil a tenté d’obtenir des réactions de la plaignante, mais la Commission scolaire a refusé de commenter.
Après l’exposé des faits, le directeur général précise les motifs de la plainte : fausse représentation et abus de confiance, atteinte à la vie privée et atteinte à la protection des mineurs.
Citant le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil, M. Roy rappelle l’exigence faite aux journalistes de s’identifier clairement lorsqu’ils recueillent des informations auprès du public, d’éviter la fausse représentation et le recours aux techniques d’enregistrement qui pourraient relever de l’abus de confiance ou s’apparenter à une atteinte à la vie ou à la propriété privée.
Selon le porte-parole de la plaignante, la journaliste n’a jamais décliné clairement et en toute honnêteté son identité lors de son arrivée à l’école, utilisant une fausse identité. Elle aurait aussi utilisé une caméra cachée, et donc une technique relevant de l’abus de confiance. Elle se serait introduite dans une école, soit un lieu privé et n’aurait pas hésité à filmer des employés sans leur consentement et des élèves mineurs sans le consentement de leurs parents. Malgré le brouillage partiel des visages il était encore possible, selon M. Roy, de reconnaître les voix et les silhouettes des personnes.
Enfin, malgré l’envoi d’une mise en demeure avant l’heure de diffusion, les reportages ont été diffusés. M. Roy dit trouver excessivement décevantes et surprenantes les méthodes utilisées par la SRC et sa journaliste dans le traitement de cette information, et dénonce ce qu’il considère comme un manquement aux standards professionnels de l’activité journalistique.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Geneviève Guay, directrice au traitement des plaintes et affaires générales, au Services français de l’information :
Les commentaires de Mme Guay portent sur trois aspects : les règles journalistiques, l’identité des personnes et la mise en demeure de la plaignante.
Sur le premier aspect, la porte-parole des mis-en-cause note que la direction de la Commission scolaire Marie-Victorin (CSMV) demande au Conseil de presse d’intervenir parce que la Société Radio-Canada et la journaliste émilie Dubreuil n’auraient pas respecté les règles du Conseil telles qu’énoncées dans le document Droits et responsabilités de la presse. M. Roy s’appuierait sur un extrait du texte selon lequel les journalistes doivent s’identifier clairement lorsqu’ils recueillent leurs informations auprès du public et doivent éviter de recourir à la fausse représentation.
Mme Guay assure que non seulement Radio-Canada souscrit à cette règle générale, mais que les Normes et pratiques journalistiques de la SRC en énoncent de semblables qu’elle cite.
La représentante des mis-en-cause ajoute que tant le Conseil de presse que Radio-Canada ont prévu une exception à cette règle et elle cite à nouveau le document du Conseil indiquant : « Le journalisme d’enquête présente des difficultés et des exigences qui justifient parfois l’usage de procédés clandestins lors de la collecte d’informations, tels que micros et caméras cachés, dissimulation d’identité, infiltrations, filatures. Le Conseil de presse reconnaît que l’on puisse et doive parfois avoir recours à de pareils procédés. Leur utilisation doit toujours demeurer exceptionnelle et ne trouver sa légitimité que dans le haut degré d’intérêt public des informations recherchées et dans le fait qu’il n’existe aucun autre moyen de les obtenir. »
Mme Guay cite ensuite le guide des principes de la SRC qui abonde dans le même sens.
Elle rappelle que les mis-en-cause ont traité dans ce reportage de la présence, dans de nombreuses écoles du Québec, d’une entreprise étroitement associée à l’église de scientologie, sans que les parents, les professeurs ou les directions d’écoles ne soient avisés de cette association. Selon elle, « il était évidemment impossible pour un média de savoir quel genre de message était véhiculé dans les écoles par Narconon sans avoir recours à une caméra cachée ». Les mis-en-cause ont alors estimé « que la présence d’un organisme associé à l’église de scientologie à l’insu des parents posait des questions suffisamment sérieuses pour justifier amplement le recours à des techniques de travail exceptionnelles ».
Selon Mme Guay, la journaliste et la réalisatrice de l’émission ont travaillé en respectant toutes les règles de l’art. Et comme preuve de l’intérêt public du sujet, le ministre de la Santé du Québec et la Fédération des comités de parents ont réagi dès le lendemain de la diffusion des reportages en manifestant leur préoccupation. Elle rapporte également que la vice-présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec a clairement laissé entendre que Radio-Canada avait rendu service aux commissions scolaires en présentant ce reportage.
En ce qui a trait à l’identité des personnes, Mme Guay indique : « Or, nous considérons que le brouillage était suffisant pour protéger adéquatement l’identité des personnes filmées. Même la voix de l’enseignante a été modifiée à l’aide de moyens techniques. Par ailleurs, conformément à l’engagement de la journaliste, ni le nom de l’école ni le nom de la Commission scolaire ne se sont retrouvés dans le reportage. » Elle ajoute que la présence de Narconon dans l’école n’avait pas été tenue secrète et que les élèves présents dans la classe visitée par le représentant de Narconon ont pu faire état de cette visite à leurs parents. De toute évidence, certaines personnes avaient été informées du passage de l’organisme dans l’école en question.
Au sujet de la mise en demeure, Mme Guay explique que les mis-en-cause ont jugé que rien dans la mise en demeure ne justifiait de suspendre la diffusion du reportage. Elle conclut en ajoutant que les mis-en-cause continuent de croire que ce reportage était d’intérêt public.
Réplique du plaignant
M. Roy présente, pour sa part, une réplique en trois points : l’identification de la journaliste, l’intérêt public du sujet et l’identité des personnes.
Au sujet de l’identification de la journaliste, le porte-parole est d’avis « qu’il existait d’autres moyens d’obtenir les informations recherchées sans devoir recourir à la fausse représentation et à l’abus de confiance. La journaliste aurait pu clairement s’identifier à la direction de l’école et lui indiquer le but poursuivi ».
M. Roy ajoute que « l’article 10.1 des Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada réfère à la notion des endroits où le « grand public a généralement accès, comme les magasins… ». Or, un établissement scolaire est un lieu privé en vertu de la législation applicable et il appartient à la direction de cet établissement d’assurer la sécurité des élèves en s’assurant de l’identification des visiteurs ».
En ce qui a trait à l’intérêt public du sujet, la Commission scolaire Marie-Victorin ne nie pas que les informations fussent d’intérêt public, mais elle est d’avis que les méthodes journalistiques utilisées pour la diffuser étaient clairement contraires aux standards professionnels. Selon elle, la notion d’intérêt public ne justifie aucunement la façon de faire de la journaliste. La Société Radio-Canada aurait pu procéder autrement et « l’infiltration dans une école n’était pas nécessaire pour réaliser un reportage sur ce sujet ».
Au sujet de l’identité des personnes M. Roy répond aux commentaires de la SRC selon lesquels « conformément à l’engagement pris par la journaliste, ni le nom de l’école, ni le nom de la Commission scolaire ne se sont retrouvés dans le reportage ». Il répond que pourtant, le lendemain, pour obtenir des réactions de la direction, la journaliste a tout de même menacé de diffuser ces informations.
Analyse
La Commission scolaire Marie-Victorin (CSMV) reprochait aux mis-en-cause quatre types de manquements : fausse représentation, abus de confiance, atteinte à la vie privée et atteinte à la protection des mineurs.
Au chapitre de la fausse représentation, la plaignante déplorait que dans sa recherche d’informations, la journaliste n’ait jamais décliné clairement et en toute honnêteté son identité lors de son arrivée à l’école.
à ce sujet, le guide de principes Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil indique, dans sa section sur les responsabilités de la presse : « L’éthique journalistique commande que les journalistes, dans l’exercice de leur profession, s’identifient clairement et recueillent l’information à visage découvert, par le biais de recherches, d’entrevues, de contacts et de consultations de dossiers. La même règle s’applique en matière de journalisme d’enquête. » (DERP, p. 26)
Par ailleurs, dans le même guide de principes, mais dans sa section des droits de la presse, le Conseil indique également : « Le journalisme d’enquête présente des difficultés et des exigences qui justifient parfois l’usage de procédés clandestins lors de la collecte d’informations, tels que micros et caméras cachés, dissimulation d’identité, infiltrations, filatures. Le Conseil de presse reconnaît que l’on puisse et doive parfois avoir recours à de pareils procédés. Leur utilisation doit toujours demeurer exceptionnelle et ne trouver sa légitimité que dans le haut degré d’intérêt public des informations recherchées et dans le fait qu’il n’existe aucun autre moyen de les obtenir. » (DERP, p. 15)
La CSMV affirmait qu’il existait d’autres moyens d’obtenir les informations recherchées. Toutefois, selon le Conseil, rien dans sa plainte ou dans sa réplique ne précisait quels étaient ces moyens et le type de réponse que la journaliste aurait reçue si elle avait fait cette démarche que les mis-en-cause jugeaient essentielle. Ainsi, la plaignante n’a pas fait la démonstration que la « fausse représentation » reprochée n’était pas nécessaire dans les circonstances.
Comme l’indique la jurisprudence du Conseil, il ne suffit pas à un plaignant de formuler une accusation pour obtenir automatiquement une condamnation de sa part sur un sujet donné; il faut aussi que le fondement de cette accusation soit établi et il appartient au plaignant d’en faire la preuve. Comme il n’a pas été démontré que les mis-en-cause pouvaient procéder autrement pour traiter adéquatement le sujet, le grief pour recours inutile à une fausse identité n’est pas retenu.
Le second grief avait trait à l’utilisation de la caméra cachée, mesure que les mis-en-cause qualifiaient d’exceptionnelle, mais qu’ils estimaient essentielle dans les circonstances. Pour la plaignante, cette technique relevait de l’abus de confiance.
Le Conseil a observé qu’au-delà de déplorer ce manquement aux principes déontologiques, la plaignante n’expliquait pas comment les mis-en-cause auraient pu obtenir ces informations sans le recours à la technique dénoncée; elle ne précisait pas, par exemple d’autres moyens pouvant être offerts par l’école pour permettre à l’équipe de la SRC de procéder autrement dans sa collecte d’informations. Comme il appartenait à la plaignante de faire cette démonstration, le grief sur cet aspect n’a pas non plus été retenu.
Le grief suivant était à l’effet que la journaliste s’était introduite dans une école et avait filmé des employés sans leur consentement. Selon la plaignante, malgré le brouillage partiel des visages il était encore possible de reconnaître les voix et les silhouettes des personnes.
Après visionnement du reportage, le Conseil a constaté qu’il est exact que le tournage avait eu lieu dans une école. Mais de l’avis du Conseil, les motifs exposés au sujet de l’utilisation de la caméra cachée valent également pour cet aspect et ne sont pas condamnables dans les circonstances. Comme l’examen du reportage permet de conclure qu’aucune personne filmée à son insu dans le reportage ne pourrait être reconnues sur la rue, le Conseil a considéré que le brouillage étant suffisant à cet égard et n’a pas retenu le grief.
Le dernier reproche avait trait à la captation d’images de mineurs sans le consentement de leurs parents.
Tel que mentionné, le visionnement a révélé que les images des personnes filmées étaient suffisamment brouillées pour empêcher de reconnaître qui que ce soit. S’il est possible d’apercevoir à deux reprises des mineurs, de dos ou de trois-quarts profil, le Conseil a estimé qu’ils n’étaient aucunement reconnaissables, sinon par des personnes qui auraient été présentes à la même conférence. Ainsi, le Conseil a estimé que même si les mis-en-cause n’ont pas obtenu l’autorisation de filmer les mineurs, ils ont pris les moyens adéquats pour protéger leur identité. Le grief à ce sujet a aussi été rejeté.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de la Commission scolaire Marie-Victorin contre la journaliste émilie Dubreuil et la Société Radio-Canada (SRC-RDI).
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16D Publication d’informations privées
- C23C Recours à une fausse identité
- C23D Tromper sur ses intentions
- C23E Enregistrement clandestin
- C23H Interview et images d’enfants
- C23I Violation de la propriété privée
Date de l’appel
10 March 2009
Appelant
M. André Byette, directeur général, Commission scolaire Marie-Victorin
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision de première instance.