Plaignant
Mme Lina Trudel
Mis en cause
M. Pierre Bruneau, chef d’antenne; M. Alain Laforest, journaliste; Mme Maryse Gagnon, journaliste; M. Serge Fortin, vice-président information et l’émission « Le TVA 17 heures » et le Groupe TVA
Résumé de la plainte
Mme Lina Trudel porte plainte contre Mme Maryse Gagnon, MM. Alain Laforest et François Paradis ainsi que contre M. Pierre Bruneau pour avoir proposé aux téléspectateurs, dans le cadre du « TVA 17 heures » le 22 mai 2008, un reportage ainsi que des commentaires portant sur le dévoilement des conclusions du rapport Bouchard-Taylor qui aurait manqué d’objectivité et de rigueur.
Griefs du plaignant
Selon Mme Lina Trudel, le reportage mettait en évidence des éléments qu’elle qualifie d’« irritants » pour les Québécois de souche en ne rapportant presque exclusivement que des commentaires négatifs sur le rapport. Elle explique que, consciente qu’il s’agissait d’un sujet se prêtant à la critique, l’impression lui est néanmoins restée d’avoir assisté à un exercice de discréditation qui, en occultant les faits saillants du rapport, était centré sur les éléments et commentaires négatifs. La plaignante ajoute qu’il n’a jamais été fait mention que les constats et conclusions du rapport avaient été basés sur des analyses fouillées et rigoureuses.
De l’avis de Mme Trudel, le reportage a eu pour effet de renforcer les préjugés et les clivages entre les Québécois de souches et les immigrants alors qu’il aurait dû fournir à la population des éléments pouvant favoriser une meilleure compréhension de la question. Pour la plaignante, ce constat est d’autant plus navrant que le rapport présentait un ensemble d’informations, de définitions de concepts et d’énoncés de principes qui pouvait permettre de pousser plus loin la réflexion.
Les premières réactions qui ont été présentées au public provenaient, selon Mme Trudel, de l’émission « TVA en direct.com » animée par François Paradis. Elle soulève que celles-ci étaient négatives et ce, alors que le rapport n’avait pu être consulté au préalable puisqu’il n’était pas déjà rendu public. M. Pierre Bruneau, qui présentait le reportage, se serait ensuite servi de ces commentaires pour interroger le premier ministre, M. Jean Charest.
La portion du reportage où intervenait le journaliste, M. Alain Laforest, aurait été volontairement centrée sur des éléments choquants. La plaignante pense qu’il n’est pas anodin d’y entendre « contrairement aux demandes de nombreux participants » et ajoute qu’il affirmait inexactement que le rapport dénonçait l’insécurité de la majorité francophone.
Dans la portion du reportage où intervient Mme Gagnon, les réactions des personnes interrogées seraient quant à elles pour la plupart négatives. L’unique commentaire positif proviendrait d’une représentante du Congrès islamique canadien, ce qui ne serait pas, pour Mme Trudel, un hasard.
La plaignante termine en expliquant que le non verbal venait renforcer l’image négative qui était donnée au rapport, le tout laissant aux téléspectateurs l’impression que les commissaires n’avaient pas été impartiaux dans leur travail.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Véronique Dubois, conseillère juridique principale, représentant le Groupe TVA
Selon Me Véronique Dubois, représentante des mis-en-cause, la plainte de Mme Trudel n’est pas fondée puisque, dans le cadre de son édition du 22 mai 2008 du « TVA 17 heures », TVA a consacré le premier bloc de son émission à la couverture du dépôt du rapport Bouchard-Taylor. Mme Dubois fait le détail de l’émission et explique que M. Bruneau a dès le début mentionné que, selon ce rapport, il n’y avait pas eu de crises d’accommodements raisonnables mais plutôt un problème de perception. Il aurait ensuite fait état du fait que 37 recommandations ont été émises à l’issue du rapport et déroulé à l’antenne six d’entre elles. M. Bruneau a ensuite entamé une discussion avec trois reporters que sont MM. Laforest et Plouffe et Mme Gagnon.
La représentante des mis-en-cause explique que M. Laforest, dans le cadre de sa conversation avec M. Bruneau, a d’abord mis l’accent sur le titre du rapport. Il a ensuite expliqué que, selon les commissaires et dans les trois-quarts des quinze événements relatés publiquement par les médias, il n’y aurait pas eu de problèmes d’accommodements raisonnables mais de perception et que ces événements ont été montés en épingle par les médias. Il cite, à titre d’exemple, le repas à la cabane à sucre. De l’avis de Me Dubois, le journaliste ne soulignait donc pas les impacts négatifs du rapport mais plutôt la conclusion de celui-ci à l’effet qu’il n’y a pas eu de crise des accommodements raisonnables mais un problème de perception. Enfin, M. Bruneau a présenté deux extraits d’une entrevue avec M. Bouchard qui expliquait que le rapport se voulait un plaidoyer pour l’équité, la modération et le compromis.
M. Bruneau se serait ensuite tourné vers M. Plouffe qui, de Québec, aurait présenté la position du gouvernement concernant le retrait du crucifix à l’Assemblée Nationale ainsi que les réactions, en chambre, de Mme Pauline Marois et M. Mario Dumont.
Le troisième bloc du reportage, présenté par Mme Gagnon, se consacrerait aux réactions suscitées par le rapport. La journaliste aurait mentionné d’entrée de jeu que la plupart des gens ont salué cet appel à la tolérance et au dialogue. La représentante des mis-en-cause explique que la première personne interviewée était la représentante du Congrès islamique canadien. Fut ensuite interrogé le président de la Société Saint-Jean-Baptiste qui, sans se prononcer spécifiquement sur le rapport aurait mentionné l’importance de la francisation du Québec. Enfin, le représentant d’Hérouxville se serait dit déçu.
à la suite de sa description de l’émission, la représentante des mis-en-cause affirme que le reportage était équilibré et qu’il présentait des réactions autant positives que négatives ainsi qu’une réaction neutre.
Ce ne serait qu’un peu plus tard dans l’émission que M. Bruneau se serait entretenu avec M. Paradis. Ce dernier aurait lu trois courriels de téléspectateurs, deux étant plutôt critiques envers les conclusions du rapport et un très positif.
Mme Dubois conclut que le reportage était rigoureux, équilibré, intègre et permettait aux téléspectateurs de disposer d’une information complète concernant le dépôt du rapport par la Commission Bouchard-Taylor. Elle ajoute que le langage non verbal ne lui semble pas avoir biaisé le reportage de même que la crédibilité des Commissaires n’a, à son sens, été mise en doute.
Réplique du plaignant
Mme Trudel considère que la réponse de la représentante des mis-en-cause n’invalide nullement les éléments dont elle a fait mention dans sa plainte. Elle maintient que l’emphase a été mise sur les éléments les plus négatifs du rapport.
Analyse
Mme Lina Trudel portait plainte contre Mme Maryse Gagnon ainsi que MM. Alain Laforest, François Paradis et Pierre Bruneau pour avoir proposé aux téléspectateurs, dans le cadre du « TVA 17 heures » du 22 mai 2008, un reportage portant sur le dévoilement des conclusions du rapport Bouchard-Taylor ainsi que des commentaires de téléspectateurs qui auraient manqué d’objectivité.
Dans un premier temps, la plaignante reprochait au premier tiers du reportage, où intervenait M. Laforest, d’avoir été volontairement centré sur des éléments choquants et d’avoir inexactement affirmé que le rapport Bouchard-Taylor dénonçait l’insécurité de la majorité francophone.
La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. Elle est synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des événements.
Après analyse, le Conseil conclut qu’aussi choquants qu’ont pu paraître les propos de M. Laforest à la plaignante, ceux-ci reflétaient avec exactitude ce qui était décrit dans le rapport Bouchard-Taylor. Par ailleurs, l’analyse a permis au Conseil de constater que, contrairement à ce qu’affirmait Mme Trudel, le journaliste rapportait l’idée, mentionnée par le rapport, que la minorité francophone en Amérique a une tendance à la victimisation. Le grief est rejeté.
La plaignante reprochait au dernier tiers du reportage, où intervient Mme Gagnon, d’avoir offert des réactions pour la plupart négatives aux téléspectateurs, avec pour seul commentaire positif celui de la représentante du Congrès islamique canadien.
Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition.
Le Conseil a pu constater, après avoir procédé à l’analyse, que les deux premiers témoignages qui étaient proposés au public, celui de la représentante du Congrès islamique et celui du président de la Société Saint-Jean-Baptiste, illustraient l’idée, annoncée par la journaliste, que le rapport aurait pu aller plus loin. Ces deux témoignages n’étaient pas particulièrement hostiles au rapport. Le dernier témoignage, émanant d’un conseiller municipal d’Hérouxville, illustrait quant à lui l’insatisfaction. Par conséquent, et au terme de cette portion du reportage, ressortait une impression d’équilibre. Le grief est rejeté.
Mme Trudel déplorait ensuite que les premières réactions du public proposées aux téléspectateurs, et présentées par M. François Paradis, aient été négatives. Elle ajoutait que les personnes qui réagissaient au rapport ne pouvaient avoir lu celui-ci puisqu’il n’était pas déjà disponible.
Les réactions du public auxquelles fait référence la plaignante ont été présentées dans le cadre du bulletin de nouvelles quelques vingt minutes après la fin du reportage sur le dévoilement des conclusions du rapport Bouchard-Taylor, soit la journée même où s’est tenue la conférence de presse qui révélaient ces conclusions. Bien que les impressions présentées étaient plus de type négatif que le contraire, la preuve n’a pas été faite qu’elles ne reflétaient pas avec exactitude la tonalité générale des commentaires reçus par courriel par M. Paradis.
Mme Trudel de plus évoquait l’idée selon laquelle, au sein du reportage, le non verbal serait venu renforcer l’image négative qui était donnée du rapport.
Compte tenu du fait que la plaignante n’a pas fait la démonstration de ce qu’elle affirmait et que sa propre analyse n’a pas non plus permis au Conseil d’isoler des éléments allant dans le sens de cette dernière, le grief est rejeté.
La plaignante évoquait également l’idée qu’il aurait dû être mentionné que les constats et conclusions du rapport ont été basés sur des analyses fouillées et rigoureuses.
Le choix des faits et des événements rapportés relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec exactitude et impartialité.
S’il tient compte de l’angle et du sujet du reportage, le Conseil constate que le fait de ne pas mentionner dans quel esprit s’est déroulée la collecte de données ne nuisait en rien à la bonne compréhension du reportage. Par conséquent, le grief est rejeté.
Enfin, selon Mme Trudel, le reportage en étant centré sur les éléments négatifs et en occultant les faits saillants aurait discrédité le rapport, renforcé les préjugés et clivages entre Québécois de souche et immigrants et laissé aux téléspectateurs l’impression que les commissaires avaient fait preuve de partialité.
Or, l’analyse a permis au Conseil de démontrer que le reportage ne s’est pas particulièrement concentré sur les éléments négatifs du rapport Bouchard-Taylor. Il rapportait bien, mais légitimement, une insatisfaction partagée par plusieurs personnes à la suite du dévoilement des conclusions du rapport.
Décision
Au terme de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Lina Trudel contre Mme Maryse Gagnon et MM. Alain Laforest, et Pierre Bruneau et le Groupe TVA.
Analyse de la décision
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11C Déformation des faits
- C12A Manque d’équilibre
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C18C Préjugés/stéréotypes