Plaignant
église Raëlienne (du Canada); Mme Marie Louise Bussières, responsable des affaires relatives à l’éthique journalistique
Mis en cause
M. Serge Fortin, vice-président, Information et affaires publiques etLe Groupe TVA Inc.
Résumé de la plainte
La plainte de l’église Raëlienne contre le Groupe TVA porte sur l’émission « Québec à la Une » du 11 décembre 2007. Les manquements reprochés visent la collecte et le traitement de l’information, la discrimination à l’endroit d’un organisme religieux et le refus d’un droit de réponse et de rectification de l’information.
Griefs du plaignant
En tant que responsable des affaires relatives à l’éthique journalistique pour l’église Raëlienne, Mme Marie Louise Bussières porte plainte contre la direction du réseau de télévision TVA et du Journal de Montréal au sujet de l’émission « Québec à la Une » du 11 décembre 2007.
Selon Mme Bussières, l’histoire évoquée dans le documentaire fait état du choix du Journal de Montréal pour le journalisme d’enquête et d’infiltration, et c’est ainsi que le mouvement raëlien a été « infiltré » durant neuf mois. En rappelant une série d’articles parus du 6 au 23 octobre 2003, sous le thème « Le monde secret de Raël », les mis-en-cause ont réactualisé, selon la plaignante, « les titres diffamatoires des articles de l’époque ». Et cela s’applique non seulement aux images des titres et des sous-titres, ainsi qu’aux photos présentées en arrière-plan, mais également aux entrevues effectuées lors de l’émission et qui reprendraient plusieurs termes péjoratifs et discriminatoires : peur, endoctrinement, secte, mettre fin à ça, dérapage, échanges inhabituels, gourou, expérience troublante, intimider, etc.
Mme Bussières demande pourquoi le rédacteur en chef, Dany Doucet, peut prétendre encourager le journalisme civique, dont le rôle serait la défense de ses lecteurs. Selon elle, même s’il s’agit d’un documentaire, le réseau TVA se devait de présenter à son auditoire des informations réelles et ne devait pas « mentir ou reprendre les erreurs journalistiques des uns pour les faire citer par les autres ». Ce faisant, le documentaire du 11 décembre 2007 ferait revivre aux auditeurs d’aujourd’hui les mêmes impressions discriminantes qu’à l’époque, sans présenter de contrepartie.
Comme en 2003, l’église Raëlienne a tenté sans succès d’obtenir un droit de réponse. Les mis-en-cause ont refusé en prétextant « qu’il était pertinent de permettre à la journaliste Brigitte McCann de faire connaître la réalité vécue dans ce mouvement ». Pour Mme Bussières, le problème est, qu’en recréant le contenu de ce reportage, on recréait aussi son aspect discriminatoire. Sans retour sur les éléments nouveaux survenus depuis, il n’y avait aucune chance de réajuster les erreurs du reportage.
La porte-parole des plaignants détaille ensuite sa plainte, en commençant par les titres et les sous-titres du Journal de Montréal, publiés du 6 au 21 octobre 2003, qu’on a pu apercevoir lors de l’émission et qu’elle commente un à un. Elle qualifie ces titres de : sensationnalistes, exagérés, parfois mensongers et déformant la réalité. Pour la plaignante, « comme il n’y a rien pour contrebalancer ces faussetés, le spectateur ne peut que les prendre comme des faits réels et avérés ».
Mme Bussières relève notamment que, lorsqu’il rapporte l’incident du Salon du Livre de Montréal, l’animateur Paul Houde affirmerait erronément que le nombre de raëliens présents était de 150 alors qu’il n’était que de 60. Il contribuerait ainsi à caricaturer la réalité.
La porte-parole des plaignants relève aussi l’intervention du professeur en journalisme, Marc-François Bernier, qui viendrait justifier indûment l’infiltration du mouvement raëlien.
Mme Bussières déplore ensuite que le professeur, ainsi que les journalistes Dany Doucet, Brigitte McCann et Chantal Poirier, « s’acharnent à faire passer une religion minoritaire respectable pour une organisation détestable, dangereuse, voire même criminelle ». Elle dénonce leur « ton insidieux [qui] déborde dans les entrevues toute la durée de l’émission « Québec à la UNE », sans jamais en questionner la justesse ni insérer un autre point de vue ». Or, selon elle, les portes du mouvement raëlien sont grandes ouvertes, et quatre autres journalistes ont participé au même stage que Mmes McCann et Poirier, sans avoir eu besoin de s’infiltrer.
La plainte se poursuit par une analyse des entrevues diffusées et de la conclusion qui s’en dégage, conclusion qui serait endossée par les mis-en-cause : « En octobre 2003, après 9 mois de travail, Brigitte McCann et Chantal Poirier publient les résultats de leur enquête. Elles révèlent que le mouvement raëlien est dirigé par un gourou qui dérape et que le clonage est une pure fumisterie. » Mme Bussières reprend en détail cette conclusion pour démontrer qu’elle est, en partie, mal fondée et que l’infiltration du mouvement n’était pas justifiée, allant à l’encontre de l’éthique journalistique.
Selon Mme Bussières, l’émission se garderait de révéler un élément nouveau survenu depuis 2003, soit celui de la condamnation du Journal de Montréal par la Cour des petites créances du Québec pour avoir publié la photo d’une « simple raëlienne », la faute reconnue alors étant la prise, la publication et l’utilisation de photos sans autorisation. Mme Bussières déplore l’absence de mise en contexte et le fait d’avoir caché volontairement des faits aux téléspectateurs.
Avant de conclure, Mme Bussières conteste l’utilisation du terme « secte » qui aurait été utilisé dans un contexte péjoratif. Selon elle, cette utilisation ne pouvait que discréditer davantage.
Reprenant ensuite les griefs exprimés plus haut, concernant l’aspect discriminatoire et sensationnaliste, la déformation de la réalité et l’absence de droit de réplique, Mme Bussières termine en affirmant que la conclusion du narrateur Paul Houde « frôle l’accusation criminelle et émet un diagnostic psychiatrique » sans que ce dernier n’ait les qualifications requises pour émettre ce genre de constat. Elle réclame, encore une fois, un droit de réplique et un blâme à l’endroit des auteurs de l’émission et de la direction du réseau TVA.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Véronique Dubois, conseillère juridique principale :
Me Dubois situe d’abord le produit contesté : « Dans le cadre de la série documentaire « Le (sic) Québec à la Une », TVA a remonté le cours du temps et a fait revivre à ses téléspectateurs, à travers les pages du Journal de Montréal, quelques-uns de ses moments marquants. La série a comporté trois (3) épisodes, en ondes les 27 novembre, 4 et 11 décembre 2007. » La conseillère juridique principale explique que l’épisode visé par la plainte a couvert les années 2000, durant lesquelles le Journal de Montréal a privilégié le journalisme d’enquête. C’est un segment de ce troisième épisode qui a été consacré à l’infiltration du mouvement raëlien, pour mieux faire connaître la réalité vécue par ses adeptes.
La conseillère juridique principale affirme que le documentaire n’est pas un reportage de nouvelles, ni d’affaires publiques, mais bien un documentaire pour souligner et survoler l’historique du Journal de Montréal, dont la couverture du mouvement raëlien fut l’un des faits saillants dans le traitement médiatique des années 2000. Il était donc pertinent pour le documentaire de s’y attarder.
Pour Me Dubois, il n’y avait aucune obligation pour TVA de donner un droit de réplique au mouvement raëlien. Selon elle, « Il ne s’agissait pas d’une couverture médiatique d’une nouvelle concernant le mouvement raëlien, mais bien d’un reportage abordant la couverture médiatique en elle-même. »
Selon la conseillère juridique principale, le documentaire a été fait dans le respect de toutes les règles applicables.
Réplique du plaignant
La porte-parole des plaignants explique que le fait de présenter en ondes des faits saillants du Journal de Montréal au sujet du mouvement raëlien avait comme résultat de réactualiser la série de reportages de 2003. La plaignante dit comprendre qu’il s’agit d’un documentaire, mais ajoute que la référence au clonage que fait Me Dubois démontre que le Groupe TVA ne fait que perpétuer, dans son documentaire, une inexactitude à ce sujet. Ce serait d’ailleurs une information erronée parmi tant d’autres. Mme Bussières explique que, bien que raëlienne, Mme Boisselier est une scientifique et la propriétaire de la compagnie Clonaid. Propriété privée, cette entreprise n’aurait « rien à voir avec une quelconque propriété scientifique, légale ou financière du mouvement raëlien ». Mme Bussières reconnaît toutefois que la société Clonaid est connue et soutenue par Raël, mais la philosophie raëlienne soutiendrait, non seulement, les recherches sur le clonage, mais aussi celles sur les cellules souches, la nanotechnologie et les OGM. Il y aurait donc inexactitude de la part des mis-en-cause.
Selon la porte-parole des plaignants, TVA aurait dû vérifier l’exactitude de ce que son animateur racontait en présentation du reportage. Le documentaire comporterait un manque total d’impartialité, de rigueur, d’équilibre et d’exactitude. De plus, les commentaires de l’animateur Paul Houde seraient insidieux et inciteraient à la haine, donnant ainsi au documentaire un ton de scandale injustifié. La réalité serait déformée et parfois mensongère. Les commentaires des personnes interviewées viendraient confirmer cette vision négative à sens unique.
Mme Bussières conclut que le reportage de 2003 paru dans le Journal de Montréal et, ensuite, le documentaire de 2007 diffusé sur les ondes de TVA, ont contribué à ternir la réputation des raëliens et de Raël de manière injustifiée.
Analyse
La plainte de l’église Raëlienne contre le Groupe TVA porte sur l’émission « Québec à la Une » diffusée le 11 décembre 2007. L’émission présente trois exemples de journalisme d’enquête : le dossier des Hell’s Angels, celui de la sécurité dans les aéroports et celui sur le mouvement raëlien. Avant de se prononcer sur le fond du dossier soumis à son attention, le Conseil de presse souhaite préciser que l’objet de la présente plainte est une tranche d’environ 10 minutes de l’émission « Québec à la Une », au sein de laquelle des articles du Journal de Montréal publiés en octobre 2003 ont été mis en scène. Comme le délai de six mois pour le dépôt d’une plainte au Conseil est dépassé, la partie de la plainte portant sur les articles du Journal de Montréal, publiés du 6 au 21 octobre 2003 ne peut être étudiée dans le cadre de la présente plainte. Ainsi le premier manquement invoqué par la partie plaignante concernant les titres et les sous-titres sensationnalistes, exagérés, mensongers et déformant la réalité du Journal de Montréal ne seront pas analysés par le Conseil. Le second grief, concernant l’infiltration non justifiée du mouvement par les journalistes du Journal de Montréal, n’est, selon la même logique, pas non plus recevable.
Une autre précision concerne le traitement du dossier qui pourrait, à première vue, sembler tardif. La plainte a en effet été reçue au Conseil de presse en juin 2008. Avant de pouvoir procéder à son analyse, il a néanmoins dû statuer sur la recevabilité de la plainte, ce qui explique pourquoi la présente décision survient près d’un an après le début du processus.
Les manquements reprochés par la plaignante visent le traitement de l’information, le manque de respect à l’endroit d’un organisme religieux et le refus d’un droit de réponse.
Grief 1 : information partiale, inexacte, incomplète, tendancieuse
Selon la plaignante, rien ne venait contrebalancer les faussetés que véhiculaient les articles du Journal de Montréal dans le cadre de la portion du documentaire portant sur l’église Raëlienne. Le spectateur pouvait ainsi indûment les prendre comme des faits réels et avérés.
Dans le cadre de l’émission, le narrateur Paul Houde introduit les téléspectateurs à l’enquête réalisée par des journalistes du Journal de Montréal en précisant que : « L’avènement des chaînes d’information continue, de l’Internet et des quotidiens gratuits a révolutionné notre façon de consommer l’information. […] Pour survivre, face à cette nouvelle réalité, Le Journal de Montréal va privilégier le journalisme d’enquête. » Comme le documentaire dans son ensemble n’avait pas pour vocation de présenter un bilan du mouvement raëlien au Québec, mais de donner des exemples de journalisme d’enquête, les plaignants ne pouvaient s’attendre à un portrait parfaitement équilibré de leur mouvement. Ce dernier n’avait ainsi pas à être « contrebalancé ». De plus, il n’a jamais été démontré antérieurement que les faits rapportés dans les articles de 2003 étaient erronés. Sur cet aspect, le grief est rejeté.
La plaignante reproche par ailleurs à l’animateur d’avoir fait une erreur en mentionnant que 150 raëliens auraient été présents au Salon du livre de Montréal. Selon la mise-en-cause, ceux-ci n’auraient été que 60. Devant des affirmations contradictoires et non démontrées et comme c’est l’usage au Conseil, cet aspect du grief n’est pas retenu.
La plaignante déplore également l’absence de mise en contexte du reportage ainsi que le fait d’avoir volontairement caché des faits aux téléspectateurs. Selon la plaignante, l’émission se serait aussi gardée de révéler un élément nouveau depuis 2003, soit celui de la condamnation du Journal de Montréal par la Cour des petites créances du Québec, pour avoir publié la photo d’une « simple Raëlienne », la faute reconnue par la Cour étant la prise, la publication et l’utilisation de photos sans autorisation.
Après consultation du document en question, le Conseil constate que, dans son introduction, le juge Jean-F. Keable précise : « Ce jugement possède une portée bien limitée; il ne constitue pas une appréciation de la qualité et de la rigueur du travail journalistique […]. » En outre, le jugement ne se prononce pas, non plus, sur la légitimité ou non de l’infiltration. Plus loin, aux paragraphe 152 et 153, portant sur les photographies, on peut lire : « [153] L’examen de l’ensemble des photos diffusées par le Journal de Montréal et le Journal de Québec révèle généralement un souci de prudence. Les dirigeants du mouvement et les porte-parole sont identifiés alors que d’autres personnes, sans rôle particulier, voient leur visage brouillé pour en empêcher l’identification. [153] Quelques exceptions subsistent, fruit d’une erreur, de l’empressement à rencontrer l’heure de tombée ou, encore, d’une décision inexplicable. »
En raison de la liberté rédactionnelle que le Conseil reconnaît aux médias et aux journalistes, qui leur permet de sélectionner les faits qu’ils considèrent pertinents au traitement d’un sujet, le Conseil considère que les mis-en-cause n’étaient pas obligés de mentionner ce jugement et que son omission n’était pas une faute. Il n’y a pas lieu de retenir cet aspect du grief.
Même s’il s’agit d’un documentaire, le réseau TVA se devait, selon la plaignante, de présenter des informations réelles et de ne pas « mentir ou reprendre les erreurs journalistiques des uns pour être citées par les autres ». Selon elle, les participants « s’acharnent à faire passer une religion minoritaire respectable pour une organisation détestable, dangereuse, voire même criminelle ». Leur « ton insidieux déborde dans les entrevues toute la durée de l’émission sans jamais en questionner la justesse, ni insérer un autre point de vue ». Après analyse, le Conseil constate que les témoignages livrés aux téléspectateurs, dans le cadre de la portion du reportage mis en cause, relataient des expériences journalistiques et faisaient ainsi appel à des éléments factuels, mais également à des impressions permettant d’illustrer le sujet du journalisme d’enquête sur lequel portait le reportage. Ne relevant aucune volonté de tromper les téléspectateurs par le biais de ces témoignages, le Conseil rejette le grief.
La plaignante déplore enfin l’intervention du professeur en journalisme, Marc-François Bernier, qui viendrait justifier indûment l’infiltration du mouvement raëlien.
Considérant que le sujet de l’émission était le journalisme d’enquête, considérant la fonction de M. Bernier et considérant la liberté rédactionnelle qui leur est reconnue, les mis-en-cause avaient le droit, selon le Conseil, de retenir cette intervention de leur invité.
Au terme de l’analyse de ce grief, le Conseil rejette celui-ci.
Grief 2 : manquement au respect des groupes sociaux
La plaignante conteste l’utilisation du terme « secte » qui aurait été utilisé dans un contexte péjoratif, discréditant encore plus les raëliens. Le Conseil constate à cet effet que sur les 10 minutes de diffusion, le mot « secte » n’a été utilisé qu’une seule fois, contre plusieurs utilisations de l’appellation « mouvement raëlien ». Considérant que le téléspectateur disposait de suffisamment d’informations dans le reportage pour se faire une idée de ce qu’était le groupe religieux, sans qu’on ait à craindre que le public ne soit induit en erreur quant à la valeur et à la portée réelle du mot contesté, le Conseil a estimé qu’il n’y avait pas lieu de retenir le grief.
Grief 3 : manquement pour refus d’un droit de réponse
La plaignante invoque que l’église Raëlienne a tenté, sans succès, d’obtenir un droit de réponse. Ils estiment qu’en recréant le contenu de ce reportage, on recréait aussi son aspect discriminatoire. Sans retour sur les éléments nouveaux survenus depuis, il n’y avait aucune chance de réajuster les faits erronés du reportage.
Comme aucun des griefs étudiés dans la présente plainte n’a été retenu; il n’y avait pas, selon le Conseil, d’obligation pour les mis-en-cause de reconnaître aux plaignants un droit de réponse. Le grief est rejeté.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de l’église Raëlienne (du Canada) contre le Groupe TVA Inc.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C03C Sélection des faits rapportés
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11E Estimation des foules
- C11H Terme/expression impropre
- C18D Discrimination
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
24 November 2009
Appelant
Madame Marie-Louise Bussières, responsable des affaires relatives à l’éthique journalistique pour l’église raëlienne
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.