Plaignant
Mme Marie-Claude Montpetit
Mis en cause
M. Claude Poirier, journaliste et animateur; M. Martin Cloutier, directeur général; l’émission « Le vrai négociateur » et le Groupe TVA-LCN
Résumé de la plainte
Mme Marie-Claude Montpetit porte plainte contre le journaliste Claude Poirier et la chaîne télévisée LCN pour avoir proféré en ondes, dans l’émission « Le vrai négociateur », des propos inacceptables et pour des excuses insatisfaisantes à la suite de ces propos. Les propos dénoncés ont été diffusés le 26 juin 2008 et les excuses de M. Poirier, le lendemain, le 27 juin 2008.
Griefs du plaignant
Mme Marie-Claude Montpetit porte plainte contre le journaliste Claude Poirier et la chaîne télévisée LCN pour des propos inacceptables et une rectification insatisfaisante.
Selon la plaignante, le 26 juin 2008, « en introduction de son émission, mais sans relation avec son contenu, Claude Poirier a expliqué ce que, selon lui, était le rôle d’un animateur de radio ou de télévision. Dans le cadre de cette explication, il a qualifié Monsieur Gilles Proulx « d’animateur-poubelle » et a qualifié la plaignante de « folle qui a aucune crédibilité » ».
Le lendemain, M. Poirier aurait formulé, également en ondes, des excuses pour les paroles prononcées. Toutefois, selon Mme Montpetit, les excuses présentées à la suite de ces propos seraient « partielles ». Insatisfaite, la plaignante décide de porter plainte au Conseil de presse.
En déposant sa plainte contre M. Poirier, Mme Montpetit précise trois motifs de plainte : « avoir excédé sa liberté d’expression; avoir excédé sa liberté et indépendance au titre de journaliste; avoir agi dérogatoirement aux principes de la liberté, de l’exactitude, de l’impartialité, de la pondération, de la rigueur et de la cueillette de l’information. »
La plaignante annexe à son envoi un accusé de réception de la réponse des mis-en-cause à sa proposition de règlement. Elle y explique ainsi sa réponse : « La proposition faite par les mis-en-cause pourrait nous apparaître acceptable si les mis-en-cause se montraient disposés à publier les modifications proposées à l’annexe ci-jointe, s’ils nous permettaient de les rendre publiques dans le cadre de l’émission ayant initialement annoncé nos accusations et, s’ils s’engageaient à nous adresser des excuses relativement à leur refus préalable de publier l’information concernant nos acquittements. » Le document de proposition, intitulé « Annexe relative aux publications requises », fait référence à sept situations à caractère juridique dans lesquelles Mme Montpetit aurait été impliquée soit : une dénonciation criminelle, deux plaintes pénales, trois actions civiles et un cas d’affiliation professionnelle.
Commentaires du mis en cause
M. Claude Poirier amorce ses commentaires en rappelant les motifs de plainte de Mme Montpetit. Il répond que la plainte n’est pas fondée et expose les raisons motivant sa réaction. Et pour que le Conseil de presse soit en mesure de bien analyser cette plainte, le journaliste considère essentiel de faire un historique des propos tenus par la plaignante sur les ondes de la station 98,5 FM dans le cadre de l’émission « Le Journal du midi » de Gilles Proulx. M. Poirier annexe donc à sa réponse les transcriptions des émissions des 23, 25 et 26 juin 2008 de M. Proulx.
Le journaliste mis en cause raconte d’abord que, le 23 juin 2008, l’animateur Gilles Proulx a reçu en entrevue Mme Montpetit et qu’ils ont notamment parlé de bars et de maisons de débauche. Les noms de plusieurs personnalités ont alors été mentionnés. à une question de l’animateur, la plaignante aurait affirmé ne pas savoir si M. Poirier fréquentait ces établissements. Par contre, elle aurait affirmé qu’il connaissait Mme Julie Couillard qui faisait les manchettes à cette période et qu’il fréquenterait des lieux de réputation douteuse.
C’est donc dans ce contexte, selon M. Poirier, qu’il s’est permis le 26 juin, en début de son émission « Le vrai négociateur » de préciser les rôles et les responsabilités d’un animateur de radio et de télévision et notamment « qu’en tout temps nous étions responsables des gens et des propos que nous mettions en ondes, et nous devions nous assurer que ceux-ci étaient appuyés par des sources crédibles ».
Il aurait alors tenu à rappeler deux faits importants : qu’il avait assisté au mariage de Julie Couillard à titre de journaliste d’Allo Police, mais qu’il n’était jamais allé à l’endroit nommé par Mme Montpetit et qu’il ne connaissait pas cet endroit. Par contre, et il donne en preuve l’enregistrement de son émission durant laquelle il n’aurait en aucun temps nommé ni M. Proulx, ni Mme Montpetit. Il aurait, de plus, précisé qu’il ne nommerait pas ces personnes. Enfin, il n’aurait même pas nommé le titre de l’émission, mais seulement fait référence au diffuseur.
M. Poirier reconnaît ensuite : « J’ai effectivement qualifié de « maudite folle n’ayant aucune crédibilité » la personne qui s’est permis d’avancer des noms, notamment le mien et d’entacher ma crédibilité. Cependant, dès le lendemain, et tel qu’il appert de l’enregistrement de mon émission du 27 juin 2008 au tout début de l’émission, je me suis excusé pour avoir utilisé un mot disgracieux « maudite folle ». J’ai admis que je n’aurais pas dû me permettre cela. Encore une fois, il est important de souligner que je n’ai nommé aucune personne. »
Le journaliste contredit ensuite deux « faussetés » qui se retrouveraient dans la correspondance de la plaignante avec le Conseil. La première est à l’effet que l’émission de M. Poirier « a initialement annoncé ses accusations », ce qui serait absolument inexact. La demande de la plaignante de faire référence aux acquittements dont elle a été l’objet serait ainsi complètement disproportionnée par rapport aux propos qu’il a tenus. Or, il n’aurait jamais fait référence aux accusations dont elle avait pu faire l’objet dans le passé. La seconde concerne le fait qu’il aurait menti en affirmant qu’il n’a pas mentionné les personnes visées par les insultes. à ce sujet, M. Poirier invite le Conseil à consulter les enregistrements des émissions fournis avec sa réponse.
Le journaliste termine en précisant que, dans le cadre de son émission, il exerce un journalisme de type « commentaire » qui, selon le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil, lui accorde une grande latitude dans l’expression de points de vue, commentaires et critiques. En conséquence, il dit croire que ses propos étaient permis dans ce contexte. Or, il aurait tout de même pris la peine, dès le lendemain, de s’excuser pour l’expression « maudite folle ». à son avis, cette mise au point était en tout point conforme au guide de principes du Conseil.
Aux commentaires de M. Poirier sont annexées la transcription des entrevues de M. Proulx avec Mme Montpetit, diffusées le 23 juin 2008 et celle du 25 juin 2008. Il annexe aussi la transcription d’une « annonce du réseau » concernant des propos qu’aurait tenus Mme Montpetit durant l’émission « Le journal du midi ».
Réplique du plaignant
La plaignante rappelle que sa plainte « reprochait aux mis-en-cause les trois manquements professionnels suivants : 1) en proférant des insultes, avoir excédé la liberté d’expression; 2) en proférant des insultes, avoir excédé la liberté et l’indépendance d’un journaliste; 3) en proférant des insultes, avoir agi en dérogation aux principes de la liberté, de l’exactitude, de l’impartialité, de la pondération, de la rigueur et de la cueillette de l’information. »
Mme Montpetit relève également que la réponse des mis-en-cause serait basée sur trois éléments principaux : 1) que les propos de M. Poirier auraient été provoqués par des déclarations antérieures de la plaignante; 2) que la plaignante n’aurait pas été nommément visée par ces propos; 3) que Claude Poirier se serait subsidiairement absout de ses manquements professionnels par le fait de sa prompte prononciation d’excuses. En outre, d’autres éléments de réponse avancés par le journaliste feraient l’objet de commentaires.
La plaignante aborde d’abord « L’élément de provocation ». Selon elle, les mis-en-cause laissent sous-entendre qu’elle aurait provoqué les insultes et les propos prononcés par Claude Poirier : « maudite folle pas de crédibilité », lorsqu’elle l’aurait préalablement assimilé à du bétail, et qu’elle aurait insinué qu’il fréquentait l’Ambassador’s Club. Mme Montpetit confirme avoir, le 25 juin 2008, sur les ondes du 98,5 FM, répondu à l’une des questions de l’animateur Gilles Proulx par : « Bien Poirier, il mange dans toutes les auges. Alors, est-ce qu’il a mangé dans celle-là aussi? Je ne le sais pas. »
La plaignante nie toutefois que ses paroles aient pu insinuer que Claude Poirier aurait pu être un des clients de l’Ambassador’s Club. Elle rappelle que, lorsqu’elle a été questionnée sur la présence de M. Poirier sur les lieux, elle a répondu : « Je ne le sais pas. »
Mme Montpetit note que, sans égard à la question de l’existence d’un élément de provocation, la jurisprudence du Conseil indique de manière constante que l’utilisation d’insultes par un journaliste constitue un excès à la liberté d’expression et à l’indépendance journalistique. Elle ajoute que le fait de l’avoir traitée de « folle pas de crédibilité » constitue « non seulement des insultes, mais que ces insultes ont aussi permis la diffusion d’information inexacte, partiale, impondérable et manquant de rigueur ». à l’appui de son affirmation, la plaignante cite 15 extraits de la jurisprudence du Conseil de presse.
Traitant ensuite de la question de « L’absence de désignation de la personne visée par les insultes prononcées » par M. Poirier, la plaignante considère que « ses propos introductifs permettaient d’identifier ces deux personnes et de les associer aux insultes proférées ».
Au sujet de la prononciation d’excuses, Mme Montpetit explique le tort que lui ont causé les insultes de M. Poirier, sa crédibilité étant importante pour ses activités professionnelles. Pour elle, « l’excuse prononcée n’était que partielle et ne rétablissait pas les faits relatifs à l’absence de crédibilité et les accusations criminelles que Claude Poirier avait attribuées à Madame Montpetit lors de la prononciation des propos faisant l’objet de sa plainte ».
La plaignante termine en tentant de démontrer que la réponse des mis-en-cause tend à faire la démonstration que les propos de Claude Poirier n’ont jamais constitué des insultes, et que Mme Montpetit serait effectivement folle et qu’elle n’aurait, par conséquent, aucune crédibilité. La plaignante explique qu’il est compréhensible que M. Poirier soit choqué, mais que ses déclarations sont fondées et seront rendues publiques sous peu. à l’aide de documents auxquels elle fait référence et qu’elle annexe à sa réplique, la plaignante poursuit sa démonstration en reprenant, notamment, plusieurs éléments de ses déclarations faites à M. Proulx, pour démontrer qu’elles sont fondées.
Analyse
La plaignante reprochait au journaliste Claude Poirier d’avoir, en proférant des insultes, excédé sa liberté d’expression, c’est-à-dire, la latitude assortie à sa fonction de commentateur de l’actualité. Ce dernier aurait qualifié en ondes M. Gilles Proulx « d’animateur-poubelle » et traité la plaignante de « folle qui a aucune crédibilité ». De plus, il n’aurait pas présenté de rectification satisfaisante.
Grief 1 : propos abusifs et méprisants
Le premier grief, pour « propos abusifs et méprisants », porte sur les qualificatifs « d’animateur-poubelle » et de « folle qui a aucune crédibilité ». Le Conseil observe tout d’abord que ces jugements ont été exprimés dans un contexte de journalisme d’opinion. Or, dans sa section relative au journalisme d’opinion, le guide DERP du Conseil indique que : « La chronique, le billet et la critique sont des genres journalistiques qui laissent à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Ils permettent aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. » DERP, p. 46
Le Conseil a jugé d’une part que l’expression « animateur-poubelle » dont le journaliste a affublé l’animateur Gilles Proulx, même si elle n’était pas très flatteuse, peut être considérée comme ne dépassant pas les limites acceptables dans les circonstances. En ce qui a trait au qualificatif de « folle qui a aucune crédibilité », le Conseil a en revanche noté qu’il s’agissait d’un manquement à la déontologie de la part du journaliste, puisque cette expression dépassait cette fois-ci les limites acceptables en la matière.
Or, le journaliste a non seulement admis avoir utilisé l’expression, mais a également reconnu avoir fait une erreur en utilisant celle-ci. à ce sujet, le guide Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil indique : « Il relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productions journalistiques, que celles-ci relèvent de l’information ou de l’opinion. Cependant, les rétractations et les rectifications devraient être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non. » DERP, p. 46
Le Conseil conclut que, conformément à ce principe, le journaliste a pris les moyens nécessaires pour remédier avec diligence à son manquement professionnel. En pareil cas, l’usage veut que le manquement ne soit pas retenu. Le grief est donc rejeté.
Grief 2 : rectification insatisfaisante
Le second grief formulé par la plaignante concernait la rectification qui, selon elle, était insatisfaisante. La rectification faite n’aurait pas remédié pleinement et diligemment au tort causé, puisque les propos du journaliste permettaient de reconnaître les personnes visées par ses insultes. La plaignante affirmait également que la rectification du mis-en-cause était incomplète.
En ce qui a trait à la diligence, le Conseil a d’abord noté que la rectification en question avait été prononcée dès le lendemain de l’insulte reconnue, donc dans un délai satisfaisant. Le Conseil a par ailleurs relevé que les insultes faites en ondes par M. Poirier ne mentionnaient effectivement aucun nom, ce qui rendait l’identification de personnes presque impossible. Les excuses pouvaient, elles aussi, ne préciser aucun nom.
Concernant le fait que la rectification du mis-en-cause était incomplète, la mise-en-cause exigeait qu’au moment de la présentation de ses excuses, le journaliste diffuse une liste d’acquittements dont elle avait déjà fait l’objet antérieurement. Elle faisait reposer cette exigence sur le fait que le journaliste aurait fait référence à ses démêlés avec la justice et atteint à son image. Comme aucun élément déposé dans le cadre de l’étude de la plainte ne prouve l’existence de telles mentions ou d’allusions à ce sujet de la part du journaliste, le Conseil estime que ce dernier n’avait aucune obligation d’en faire mention dans ses excuses. Le grief est rejeté.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Marie-Claude Montpetit contre le journaliste M. Claude Poirier et la chaîne télévisée LCN.
Analyse de la décision
- C17C Injure
- C17E Attaques personnelles
- C19B Rectification insatisfaisante