Plaignant
M. Jacques Hamel
Mis en cause
MM. Matthieu Boivin, Richard Hénault, journalistes; M. Raymond Tardif, éditeur et vice-président, information et le quotidien Le Soleil; M. Éric Thibault, journaliste; M. Pierre Lachance, chef des nouvelles; M. Denis Bolduc, éditeur et le quotidien MédiaMatinQuébec
Résumé de la plainte
M. Jacques Hamel porte plainte contre les journalistes MM. Matthieu Boivin et Richard Hénault du quotidien Le Soleil, ainsi qu’à l’encontre de MM. Éric Thibault, Pierre Lachance, et Denis Bolduc du quotidien MédiaMatinQuébec. Le plaignant accuse les mis-en-causes d’être en conflit d’intérêts, d’avoir manqué d’équilibre dans le traitement de l’information concernant son procès et d’avoir publié une fausse information. Il accuse également les journaux de ne pas lui avoir accordé de droit de réplique.
Griefs du plaignant
M. Jacques Hamel porte plainte contre deux quotidiens : Le Soleil et MédiaMatinQuébec. Les articles mis en cause ont été publiés le 13 juin 2008 et le 7 juillet 2008. La plainte vise d’abord le quotidien Le Soleil et ses journalistes MM. Matthieu Boivin et Richard Hénault. La seconde a pour cible le journaliste Éric Thibault du quotidien MédiaMatinQuébec et son chef des nouvelles, Pierre Lachance.
Le plaignant reproche aux mis-en-cause d’avoir publié une information inexacte, d’avoir manqué d’équilibre dans le traitement de l’information, d’avoir refusé de lui accorder un droit de réplique, d’avoir atteint à sa réputation et d’avoir été en conflit d’intérêts.
Le plaignant accuse d’abord les deux quotidiens d’avoir publié une information inexacte en dévoilant sa mise en accusation avant que celle-ci ne lui ait été formellement communiquée.
Ensuite, le plaignant dénonce le manque d’équilibre de l’information et reproche aux journalistes de l’avoir « attaqu[é] sur la place publique en faisant [son] procès dans leur journal ». Il juge que les journalistes ont traité son procès de manière « plus visible et sensationnaliste » que normal.
Troisièmement, le plaignant reproche aux mis-en-causes de ne pas lui avoir accordé de droit de réplique.
Le plaignant affirme ensuite que les mis-en-cause ont atteint à sa réputation.
Enfin, le plaignant accuse le quotidien Le Soleil et MédiaMatinQuébec d’être en conflit d’intérêts en traitant de son procès, car les deux médias auraient un lien avec le club de ski de Mont-Sainte-Anne dont le plaignant a été président et au sujet duquel il est accusé de fraude.
Le plaignant reproche particulièrement au Soleil d’être commanditaire du club de ski. Ainsi, dans son procès, Le Soleil serait « juge et partie » dans la mesure où le quotidien serait appelé à témoigner contre lui au tribunal. Le plaignant met également en cause Michel Dallaire, chroniqueur au journal Le Soleil et président de Skibec acrobatique.
Quant au journal MédiaMatinQuébec, son chef des nouvelles, Pierre Lachance, serait en conflit d’intérêts en ayant été parallèlement administrateur de Skibec acrobatique, responsable de club et juge de ski. Dès lors, le chef des nouvelles, selon le plaignant, ne serait pas neutre et l’aurait « attaqué en utilisant son média alors que [le plaignant] ne peut [se] défendre en utilisant à [son] tour son journal ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Raymond Tardif, éditeur adjoint et vice-président à l’information du quotidien Le Soleil :
L’éditeur adjoint répond au plaignant au sujet des articles des journalistes du Soleil : Richard Hénault et Matthieu Boivin.
11. Selon le mis-en-cause les journalistes n’ont commis aucun manquement dans leur démarche journalistique. Il précise que Richard Hénault est un expert de la couverture judiciaire et que Matthieu Boivin est membre de l’équipe assignée aux faits divers. Le mis-en-cause assure que les articles sont conformes aux faits et ont été rédigés et publiés avec professionnalisme et rigueur, à partir de faits confirmés et de documents judiciaires.
L’accusation selon laquelle le journal serait juge et partie dans ce dossier n’est pas justifiée selon le mis-en-cause. Le quotidien « s’associe promotionnellement à une foule d’organismes ».
Commentaires de MédiaMatinQuébec :
Les mis-en-causes évoquent l’article d’Éric Thibault publié le 13 juin 2008 et affirment qu’il ne contient aucune erreur de fait. Il fut publié dans le cadre normal de la couverture des affaires juridiques du Palais de justice de Québec.
Concernant le droit de réplique du plaignant, les mis-en-causes disent n’avoir eu aucune communication avec le plaignant.
Enfin, au sujet de la partialité dans le traitement de l’information, les mis-en-causes expliquent que les accusations criminelles à l’égard du plaignant relèvent du domaine public et le quotidien n’a aucune obligation de s’enquérir de la version des faits d’une personne accusée d’une infraction criminelle.
Commentaires de M. Éric Thibault, journaliste, MédiaMatinQuébec :
M. Thibault revient sur sa collecte d’information. Il précise que les faits rapportés ont été recueillis lors des enquêtes policières visant les infractions criminelles et mis en preuve par la procureure de la poursuite devant la Cour du Québec, chambre criminelle. En tant que journaliste assigné à la couverture du Palais de justice de Québec, le mis-en-cause dit avoir traité cette affaire comme toutes les autres.
Concernant l’accusation de conflit d’intérêts, le mis-en-cause la juge non fondée. Il ne serait pas au courant des implications de son chef des nouvelles, Pierre Lachance, au sein du club de ski de Mont-Sainte-Anne. Le mis-en-cause rappelle les antécédents judiciaires du plaignant qui « fait face à des accusations toujours pendantes de fraude, de fabrication et d’usage de faux, de vol et de méfait ». Le mis-en-cause rappelle qu’il n’a pas dévoilé ces antécédents dans son article « afin de ne pas miner de quelque façon le droit à une défense pleine et entière de l’accusé ».
Enfin le mis-en-cause revient sur les antécédents criminels du plaignant afin de poser la question de sa crédibilité.
Réplique du plaignant
Au quotidien Le Soleil :
Le plaignant réitère l’accusation de conflit d’intérêts et explique que la relation entre le quotidien et le club de ski dépassait la simple promotion, et qu’il s’agissait d’une entente de commandite en argent confirmée par contrat. Dès lors, « le journal versait annuellement 2 000 dollars soit plus de 10 % du budget en plus de faire la promotion des activités dans ses pages sportives ». De plus, il souligne que le vice-président du quotidien de l’époque, Yves Trudeau, avait un fils qui s’entraînait dans le club de ski. Le plaignant met une nouvelle fois en cause Michel Dallaire qui écrivait une chronique financière dans le quotidien, et était impliqué comme officiel dans le ski acrobatique et qui est un des plaignants contre Jacques Hamel.
Le plaignant renouvelle son accusation en matière de publication d’une information fausse. Le quotidien aurait publié au matin du 13 juin 2008 les détails de son accusation avant même son accusation le même jour, mais à 12 h 34.
Le plaignant insiste sur la partialité du traitement de cette information de par « l’empressement, l’insistance et l’emphase manifestés par le journal ». Il accuse le journal d’avoir traité de cette information de manière discriminatoire et de ne jamais avoir cherché à connaître la version du plaignant.
En informations complémentaires, le plaignant a joint à sa réplique des articles de presse concernant des affaires judiciaires traitées par le quotidien Le Soleil. Il estime avoir eu droit à un traitement particulier : « plus visible, plus sensationnel avec mon nom en gros caractères ».
Au quotidien MédiaMatinQuébec :
Le plaignant rappelle qu’il accuse le journaliste d’avoir dévoilé son accusation avant que celle-ci ne soit formelle le 13 juin vers 12 h 34. Ayant été publiée le 13, l’information a été écrite la veille, donc avant la mise en accusation.
Concernant le conflit d’intérêts, le plaignant explique que tous les journalistes du quotidien connaissaient nécessairement l’implication de Pierre Lachance dans le milieu sportif du ski dans la mesure où il « a contribué grandement à faire connaître ce sport par le biais des pages sportives du Journal de Québec ». Il ajoute qu’il aurait perçu de l’argent comme juge et « officiel » de ski acrobatique en lien avec l’affaire reprochée au plaignant devant le tribunal. Dès lors, le chef des nouvelles se serait, selon le plaignant, servi des pages du journal pour le discréditer et se venger.
Il reproche à la réplique d’Éric Thibault de faire preuve de « salissage » à son égard.
Commentaires à la réplique
COMPLéMENT D’INFORMATION
Pour statuer sur le conflit d’intérêts avancé par le plaignant et sur lequel le mis-en-cause n’a pas répondu, le secrétaire général du Conseil de presse a réitéré par courriel deux questions aux mis-en-cause :
Est-ce que le mis-en-cause, Pierre Lachance, était administrateur du club de ski, au moment de la publication de l’article?
Est-il intervenu d’une quelconque manière dans le processus de production de l’article?
à ces deux questions la partie mise en cause a répondu, par écrit, par la négative.
Analyse
M. Jacques Hamel portait plainte contre le quotidien Le Soleil et ses journalistes MM. Matthieu Boivin et Richard Hénault. Il portait également plainte contre le journaliste Éric Thibault du quotidien MédiaMatinQuébec et son chef des nouvelles Pierre Lachance. Il leur reprochait d’avoir publié une information inexacte, d’avoir manqué d’équilibre dans le traitement de l’information, d’avoir refusé de lui accorder un droit de réplique, d’avoir atteint à sa réputation et d’avoir été en conflit d’intérêts.
En premier lieu le plaignant reprochait aux deux quotidiens d’avoir publié une information inexacte en dévoilant sa mise en accusation avant que celle-ci ne lui soit formellement communiquée. Après analyse, le Conseil observe que la démarche de collecte d’information des journalistes leur assurait une information juste. Ils disposaient de preuves documentaires et verbales, solides, provenant de sources fiables et pouvaient publier cette information d’intérêt public avant même que le plaignant ne se soit fait signifier les termes des accusations. Dès lors, le Conseil ne retient pas le grief pour inexactitude.
Ensuite, le plaignant mettait en cause le manque d’équilibre de l’information. Il jugeait que les journalistes avaient traité son procès de manière « plus visible et sensationnaliste ». Or, le Conseil rappelle que le choix de couverture et de contenu relève de la liberté rédactionnelle. Quant au manque d’équilibre reproché aux journalistes, le guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil indique :
« L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. »
De plus, le Conseil de presse souligne que la couverture judiciaire relève d’un traitement particulier puisque la parole des accusés est généralement rapportée au procès et non lors d’entrevues. Après analyse, le Conseil ne constate aucun manque d’équilibre dans la couverture des deux journaux, et par conséquent, ne retient pas le grief pour manque d’équilibre de l’information.
Le plaignant reprochait aux mis-en-causes de ne pas lui avoir accordé de droit de réplique. Or, considérant que l’information n’était pas inexacte et qu’il n’y avait pas manque d’équilibre, le droit de réplique n’était pas exigible.
De plus, comme l’indique le guide DERP du Conseil : « Le public n’a pas accès de plein droit aux pages des médias écrits ou aux ondes des stations de radios et de télévision. » En conséquence, le Conseil de presse ne retient pas le grief pour refus de droit de réplique.
Le plaignant accusait ensuite les mis-en-causes d’avoir atteint à sa réputation. Considérant que l’information était exacte et que le traitement de l’information était équilibré, le Conseil de presse ne constate aucune faute déontologique en la matière de la part des journalistes. Le Conseil de presse ne retient donc pas le grief pour atteinte à la réputation.
Enfin, le plaignant accusait le quotidien Le Soleil et MédiaMatinQuébec d’être en conflit d’intérêts en traitant de son procès, car les deux médias auraient un lien avec le club de ski de Mont-Sainte-Anne dont le plaignant a été président et au sujet duquel il est accusé de fraude. Le plaignant reprochait au Soleil d’être commanditaire du club de ski. Or, le Conseil fait observer que les salles de rédaction et les services commerciaux d’un journal doivent toujours être distincts, et qu’aucune preuve du contraire n’a été apportée devant lui dans le cas présent. Le grief pour conflit d’intérêts n’est pas retenu à l’encontre du Soleil.
Quant au journal MédiaMatinQuébec, le chef des nouvelles serait, selon le plaignant, en conflit d’intérêts en étant impliqué directement dans l’administration du club de ski. Le mis-en-cause réfute par écrit cette accusation et affirme qu’il n’était ni membre, ni administrateur du club de ski acrobatique du Mont-Saint-Anne au moment de la publication de l’article; il ajoute qu’il n’est intervenu en aucun temps dans le processus de la publication de l’article. Devant ces informations contradictoires, le Conseil de presse ne retient pas non plus ce grief pour conflit d’intérêts.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Jacques Hamel contre les journalistes, MM. Matthieu Boivin, Richard Hénault et Le Soleil ainsi qu’à l’encontre de M. Éric Thibault, journaliste et du quotidien MédiaMatinQuébec.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11B Information inexacte
- C12C Absence d’une version des faits
- C17H Procès par les médias
- C22C Intérêts financiers
- C22D Engagement social