Plaignant
Mme Mehrnoushe Solouki
Mis en cause
Mme Laura-Julie Perreault, journaliste; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Mme Mehrnoushe Solouki porte plainte contre la journaliste Laura-Julie Perreault et le quotidien La Presse, au sujet d’un article paru le 22 janvier 2008. Elle reproche à la journaliste d’avoir déformé ses propos tenus lors d’une entrevue téléphonique, de ne pas avoir voulu lui remettre la cassette de cette entrevue, d’avoir utilisé son témoignage pour défendre des intérêts autres et d’avoir atteint à sa réputation.
Griefs du plaignant
Mme Mehrnoushe Solouki porte plainte contre la journaliste Laura-Julie Perreault et le quotidien La Presse, au sujet d’un article sur sa retenue en Iran du 18 mars 2007 au 18 janvier 2008 en tant que documentariste. Elle reproche à la journaliste d’avoir déformé ses propos, tenus lors d’une interview téléphonique. Elle accuse la journaliste d’avoir utilisé son témoignage pour défendre des intérêts autres et d’avoir atteint à sa réputation. Elle reproche au quotidien de ne pas lui avoir transmis la cassette de ladite interview et de ne pas lui avoir accordé un droit de réplique.
La plaignante était en France lorsqu’elle a pris connaissance de l’article en cause « Les cris ne s’oublient pas », plusieurs mois après sa publication.
Tout d’abord, la plaignante reproche au journal de ne pas avoir voulu lui transmettre l’enregistrement de son interview téléphonique avec la journaliste, afin de vérifier si les propos cités entre guillemets étaient conformes aux siens.
Ensuite, elle accuse la journaliste d’avoir déformé ses propos.
« J’étais dans un no man’s land, je ne savais pas ce qui m’attendait, quel danger me guettait. J’aurais préféré être en prison en sécurité sachant qu’un procès viendrait éventuellement. » Selon la plaignante, cette citation contredit ses véritables propos selon lesquels les autorités iraniennes ont Œuvré pour un règlement rapide de ses problèmes judiciaires.
« Elle est restée cloîtrée au domicile de ses parents plusieurs mois, subissant les contrôles fréquents des forces de l’ordre, autocensurant ses conversations au téléphone et par internet. » Selon la plaignante, cette phrase remet en cause le fait qu’elle n’était pas seule, mais soutenue par des amis canadiens organisés en comité autour du cinéaste Denis McCready. De plus, elle était aussi souvent interviewée « notamment à [son] domicile » par des journalistes.
« Elle avait trouvé refuge à l’ambassade. (Elle détient la double nationalité canado- française). » Selon la plaignante, elle aurait non pas « trouvé refuge », mais été « invitée » à l’ambassade de France, détenant la double nationalité franco-iranienne et non « canado- française ».
« Hasard ou prémédité? Elle ne le saura jamais. » Or, la plaignante explique qu’elle avait décrit clairement les raisons de l’accident à la journaliste.
La plaignante reproche à la journaliste d’avoir intentionnellement utilisé des expressions qui ne correspondraient pas à ses propos et seraient même « à l’opposé des faits racontés à la journaliste ».
Enfin, la plaignante accuse la journaliste de conflit d’intérêts et de mettre en avant « les relations d’amitiés avec certains groupes d’opposantes iraniennes en exil au Canada ». Dès lors, la plaignante accuse le journal d’avoir servi « de tribune pour ces groupes d’opposantes au régime islamique » et de l’avoir utilisée comme « outil » à ces fins.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Éric Trottier, directeur de l’information :
Le mis-en-cause juge la plainte confuse, déraisonnable et considère qu’elle n’apporte aucune preuve de manquement à l’éthique journalistique.
Il réfute, d’abord, les accusations concernant les demandes successives de la plaignante de se procurer l’enregistrement de l’interview téléphonique. Selon le directeur de l’information, il n’a eu qu’une seule communication avec la plaignante à ce sujet. Il lui aurait répondu qu’il n’est pas dans les pratiques du journal de remettre une copie d’un enregistrement aux interviewés, encore moins six mois après l’entrevue. Le mis-en-cause dit que, dans de meilleurs délais, il aurait vérifié l’enregistrement et fait le correctif si besoin avait été.
Le mis-en-cause souligne qu’au cours de sa conversation avec la plaignante, il a repris l’article avec elle afin de mieux comprendre ses reproches. Or, le mis-en-cause a jugé sa demande « confuse et pleine de contradictions ».
En réponse à l’accusation de la plaignante selon laquelle la journaliste entretiendrait des relations d’amitiés avec des groupes d’opposants iraniens et se serait servie de la plaignante pour leur accorder une tribune, le directeur de l’information la juge « grossière, gratuite et ridicule ».
Enfin, le directeur de l’information rappelle que Laura-Julie Perreault est une journaliste aguerrie, spécialisée dans les affaires internationales, dont le travail a souvent été récompensé par ses pairs. De plus, l’Iran est un pays qu’elle connaît bien.
Commentaires de Mme Laura-Julie Perreault, journaliste :
La mise-en-cause rappelle le contexte de production de l’article. Elle souligne le fait qu’elle a couvert la retenue de la plaignante en Iran à travers plusieurs articles précédemment et qu’elle était en contact avec l’ami de la plaignante, Denis McCready.
Au sujet du droit de réplique de la plaignante, la mise-en-cause répond qu’en raison du délai écoulé depuis la publication de l’article, l’éditeur a refusé la lettre de Mme Solouki.
La mise-en-cause souligne qu’elle a été mise au courant des plaintes à son égard par ses collègues et non par la plaignante elle-même. Pourtant, la journaliste lui aurait envoyé des courriels, en vain. Mme Perreault juge que la plaignante a fait preuve de mauvaise foi.
La mise-en-cause rejette également l’accusation comme quoi la plaignante aurait demandé plusieurs fois au journal de lui rendre l’enregistrement de l’interview. La journaliste n’aurait pas été contactée par la plaignante directement.
La mise-en-cause précise que la plaignante se serait plainte au directeur de l’information davantage du contexte donné à l’article plutôt que des propos rapportés. Pourtant, c’est sur ce dernier point que porte la plainte devant le Conseil de presse.
La journaliste répond, ensuite, méthodiquement aux accusations de la plaignante, relatives aux propos et citations de l’article.
« J’étais dans un no man’s land, je ne savais pas ce qui m’attendait, quel danger me guettait. J’aurais préféré être en prison en sécurité sachant qu’un procès viendrait éventuellement. »
Pour la journaliste, l’interprétation que fait la plaignante à partir de cette phrase n’est pas justifiée. De plus, elle aurait fait répéter cette phrase à deux reprises à la plaignante pour être certaine des propos. La journaliste se serait également fiée à d’autres sources dont le journal français en ligne Rue 89 et aussi des courriels échangés entre elle et la plaignante en juin 2007.
« Elle est restée cloîtrée au domicile de ses parents plusieurs mois, subissant les contrôles fréquents des forces de l’ordre, autocensurant ses conversations au téléphone et par internet. »
La mise-en-cause conteste tout autant cette autre interprétation faite par la plaignante. En effet, la journaliste souligne qu’elle parle des remerciements de la plaignante à ses amis et rappelle qu’elle-même était en contact permanent avec Denis McCready. La mise-en-cause souligne qu’à aucun moment dans l’article elle ne mentionne que la plaignante n’est pas en contact avec les médias, dans la mesure où elle-même a échangé courriels et conversations téléphoniques.
Pour justifier la notion d’autocensure, la mise-en-cause évoque des propos écrits dans les courriels comme quoi la plaignante ne voulait pas que la journaliste écrive sur leur communication, ni sur le film sur lequel elle travaillait, de peur que les autorités iraniennes ne la surprennent.
« Elle avait trouvé refuge à l’ambassade. (Elle détient la double nationalité canado- française). »
La mise-en-cause juge ne pas avoir déformé les propos de la plaignante en parlant de « refuge ». La plaignante lui aurait rapporté qu’elle avait été hébergée par l’ambassade parce que ses parents étaient absents et qu’elle ne voulait pas rester seule.
La mise-en-cause justifie le terme « cloîtrée » dans le fait que la plaignante a, à plusieurs reprises, dans des courriels à la journaliste et sur Rue 89 dit être « assignée à résidence ».
La mise-en-cause dit ne pas être au courant des vacances à Caspienne de la plaignante.
La mise-en-cause reconnaît l’erreur de la double nationalité faite par le journal, en aval de l’écriture par la journaliste. Dans les articles précédents, la journaliste avait précisé la véritable situation de la plaignante.
32. « Hasard ou prémédité? Elle ne le saura jamais. » La mise-en-cause, bien qu’ayant parlé du trafic infernal de Téhéran avec la plaignante, récuse le fait que cette dernière lui ait clairement expliqué les causes de l’accident. De plus, dans les documents envoyés aux journalistes, le cinéaste ami de la plaignante, faisait référence aux « circonstances suspectes » entourant l’accident.
Enfin, au sujet des allégations de la plaignante concernant le conflit d’intérêts et la manipulation de l’information dont aurait fait preuve la journaliste, celle-ci estime qu’il s’agit d’une atteinte à sa réputation. Elle met en avant le fait qu’elle a l’expérience du traitement de l’information iranienne, un pays où elle s’est rendue à plusieurs reprises et où elle a toujours été impartiale dans ses reportages, interrogeant divers acteurs. Selon la mise-en-cause, les accusations de la plaignante seraient gratuites et insidieuses.
Réplique du plaignant
La plaignante remet en cause la démarche journalistique qui s’appuie sur des propos anciens de plus de six mois, compte tenu de l’évolution de la situation. Elle met en lumière le paradoxe selon lequel le journal ne lui a pas autorisé de droit de réplique « trois mois après la publication », mais a repris certains de ses propos datant de plus de six mois.
Ensuite, la plaignante évoque le fait que, dans la mesure où la journaliste a utilisé des propos de courriels, elle aurait dû les reprendre en contexte et dans leur globalité « plutôt que d’y opérer une ponction arbitraire ».
Puis, la plaignante remet en question le fait que la journaliste ait utilisé certains de ses propos tenus sur le site Rue 89, de manière arbitraire.
La plaignante insiste sur le fait que les citations faites par la journaliste auraient nui à son intégrité professionnelle et familiale, au Canada et en France.
Dans des documents complémentaires, la plaignante affirme que, lors de sa conversation téléphonique avec le directeur de l’information, Éric Trottier, ce dernier lui aurait assuré que l’article n’était pas conforme aux règles déontologiques et qu’il fallait rectifier les propos allant à l’encontre de ceux tenus lors de l’interview du 21 janvier. Or, la plaignante n’aurait pas eu de suite à cette conversation.
Commentaires à la réplique
Le directeur de l’information récuse les propos que lui attribue la plaignante, concernant leur conversation téléphonique.
Analyse
Mme Mehrnoushe Solouki porte plainte contre la journaliste Laura-Julie Perreault et le quotidien La Presse, au sujet d’un article portant sur son séjour en Iran. Elle reproche à la journaliste d’avoir déformé ses propos, tenus lors d’une entrevue téléphonique qui relevait, selon elle, de la sphère privée. Elle l’accuse aussi d’avoir utilisé son témoignage pour défendre des intérêts autres et d’avoir atteint à sa réputation. Elle regrette que le quotidien ne lui ait pas transmis la cassette de ladite interview et ne lui ait pas accordé un droit de réplique.
Grief 1 : propos déformés
En premier lieu, la plaignante reprochait à la journaliste d’avoir déformé ses propos, tenus lors d’une interview téléphonique le 21 janvier 2008.
Au regard des documents fournis, notamment, la communication par courriels entre la plaignante et la mise-en-cause et les articles en cause, le Conseil estime que la journaliste n’a pas commis de faute déontologique. Elle a rapporté les propos et les a mis en contexte, tel stipulé dans le guide de déontologie du Conseil de presse : « En ce qui a trait à la nouvelle et au reportage, les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » DERP, p. 26
Au vu de ce qui précède, le Conseil rejette le grief pour propos déformés.
Grief 2 : publication de propos privés
La plaignante accuse aussi la mise-en-cause d’avoir publié des informations contenues dans des courriels échangés en juin 2007 qui étaient de l’ordre privé.
Après analyse, le Conseil de presse estime que la journaliste n’a pas commis de faute déontologique en rapportant les propos tenus par la plaignante en juin 2007 dans la mesure où ils sont d’intérêt public, qu’ils permettent de comprendre la situation vécue par la plaignante et que la plaignante n’a jamais interdit à la journaliste de publier les propos controversés.
Grief 3 : conflit d’intérêts
Ensuite, la plaignante accusait la mise-en-cause d’être en conflit d’intérêts. Elle affirmait que la journaliste entretiendrait des relations d’amitié avec des groupes d’opposantes iraniennes qui biaiseraient son traitement de l’information. Elle estime que la journaliste a utilisé son témoignage pour défendre l’intérêt de ce groupe.
Après analyse, le Conseil observe que ces accusations ne sont aucunement démontrées et rejette le grief concernant le conflit d’intérêts.
Grief 3 : refus de réplique
Puis, la plaignante reprochait au journal d’avoir refusé de publier sa lettre de réplique.
En matière de droit de réponse du public, le guide de déontologie stipule : « Le public n’a pas accès de plein droit aux pages des médias écrits ou aux ondes des stations de radios et de télévision. Cependant, la presse a le devoir d’en favoriser l’accès à ses lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. » DERP, p. 37
Puisqu’il n’y a pas eu faute de la part de la journaliste et que les éditeurs ne sont pas tenus de publier systématiquement les lettres de répliques, le Conseil rejette le grief.
Grief 4 : refus de transmettre du matériel journalistique
La plaignante reprochait aux mis-en-cause de ne pas lui avoir transmis l’enregistrement de l’interview téléphonique avec la journaliste, afin qu’elle puisse en vérifier le contenu. Le Conseil estime que le matériel journalistique demeure, en tout temps, la propriété des médias. Les sources d’information ne détiennent aucun droit d’accès à ce matériel journalistique, même si elles y ont contribué. C’est la raison pour laquelle le Conseil de presse rejette le grief.
Grief 5 : respect de la réputation
Enfin, la plaignante reprochait à l’article de la journaliste d’avoir manqué de respect à sa réputation et d’avoir nui à sa situation familiale et professionnelle.
Le Conseil de presse n’ignore pas que la publication d’un article peut avoir des conséquences parfois néfastes. Or, il est de la responsabilité des journalistes de faire des choix rédactionnels en fonction du degré d’intérêt public. Dans ce cas, le Conseil estime que la journaliste n’a pas commis de faute au regard de l’éthique journalistique et n’a pas, dans ces propos, manqué de respect à la réputation de la plaignante. Après analyse, le Conseil a observé que les propos respectaient les faits à partir des témoignages reçus. Le Conseil ne retient pas ce grief.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de Mme Mehrnoushe Solouki contre la journaliste Laura-Julie Perreault et le quotidien La Presse.