Plaignant
M. Richard Emery, inspecteur,Officier responsable du bureau des communications, Division C de la Gendarmerie royale du Canada (GRC)
Mis en cause
M. Denis Arcand, journaliste; M. Éric Trottier, directeur de l’information; le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Richard Emery, au nom de la GRC, porte plainte contre M. Denis Arcand, pour avoir attenté au bon déroulement d’une opération policière ainsi qu’à la sécurité des policiers et ce, dans le but de produire un article à caractère sensationnaliste intitulé « Ouvre ou on défonce ta porte drett’là! », publié le 19 juin 2008 dans le quotidien La Presse.
Griefs du plaignant
La GRC, représentée par M. Richard Emery, procède en premier lieu à une mise en contexte. Il explique que, dans le cadre de son enquête sur les actes criminels commis par M. Vincent Lacroix, le journaliste, M. Denis Arcand, aurait contacté à deux reprises, par téléphone, la GRC afin de tenter d’obtenir confirmation qu’elle allait procéder à des arrestations. Le plaignant ajoute que, pour des raisons de sécurité, la police fédérale a refusé de confirmer ces informations au mis-en-cause.
De son avis, le journaliste a commis une faute en regard de la validation des renseignements sur les faits judiciaires, puisqu’il s’est rendu chez un des suspects à la veille de son arrestation. Pour le plaignant, cette action a enlevé l’élément de surprise nécessaire aux interventions policières, en plus d’avoir attenté à la sécurité des enquêteurs affectés à l’arrestation des suspects.
Le plaignant ajoute que nul ne peut savoir comment va réagir une personne qui se sait faire l’objet d’un mandat d’arrestation. Il explique que l’histoire de la GRC comporte plusieurs incidents où des suspects qui se savaient faire l’objet de procédures judiciaires ont attenté à la vie des policiers ou à la leur.
Il précise que, lorsque les policiers sont se présentés à la résidence du suspect le 18 juin 2008, le mis-en-cause était présent. Au moment où ces derniers ont procédé à l’arrestation du suspect, celui se trouvait dans la rue et ce, bien qu’il affirme que les policiers lui aient, à plusieurs reprises, demandé de se tenir à l’écart.
Pour le plaignant, c’est parce que le suspect pouvait voir le journaliste qu’il a refusé de collaborer. C’est ce qui, selon lui, explique pourquoi les policiers ont dû avoir recours à des techniques d’intervention « moins discrètes ». Il en déduit que M. Arcand est devenu la source de l’événement et que, de son avis, l’arrestation du suspect se serait déroulée sans difficulté s’il n’avait pas été informé de son arrestation par M. Arcand la veille. Pour le plaignant, le journaliste devait se prévaloir de la règle selon laquelle il faut faire preuve de prudence avant de dévoiler l’identité de personnes soupçonnées.
Le représentant de la GRC conclut qu’il souhaite que le Conseil de presse émette des recommandations afin de responsabiliser les journalistes quant à leurs actes en leur faisant prendre conscience des dangers que peuvent constituer pour les policiers les gestes qu’ils peuvent poser.
La GRC formule, pour finir, un grief relatif au sensationnalisme de l’article de M. Arcand découlant de cette arrestation.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, représentant de La Presse :
Le représentant du mis-en-cause rejette, en premier, lieu l’allégation du plaignant selon laquelle M. Arcand a enfreint les règles de la déontologie journalistique en compromettant la sécurité des policiers dans la gestion d’un dossier fortement médiatisé.
M. Arcand, en tant que journaliste s’intéressant à « l’affaire Norbourg », a de son avis légitimement effectué les démarches journalistiques nécessaires afin de rapporter fidèlement à la population l’événement d’intérêt public qu’était l’arrestation d’un suspect dans le cadre de cette affaire. Il ajoute que le mis-en-cause reconnaît avoir communiqué à deux reprises avec la GRC mais, constatant que cette dernière refusait de lui révéler certaines informations, il n’aurait eu pour autre moyen que de poursuivre par lui-même son enquête. Selon Me Bourbeau, c’est aux seules fins d’établir le statut de l’exécution du mandat d’arrestation qu’il s’est présenté à la résidence du suspect.
Le représentant des mis-en-cause reconnaît que les journalistes doivent veiller à ne pas dévoiler publiquement l’identité d’une personne soupçonnée de faire l’objet d’une enquête criminelle. De son avis, cette obligation a été parfaitement respectée par le mis-en-cause qui n’a pas dévoilé au public l’existence d’un mandat d’arrestation visant le suspect avant que celui-ci n’ait été exécuté. Me Bourbeau ajoute que, puisque le mandat d’arrêt n’avait pas encore été exécuté lorsque M. Arcand s’est présenté à la résidence du suspect, il a choisi de faire le guet dès le lendemain devant celle-ci, afin d’être en mesure de rapporter en détails l’arrestation si elle avait lieu ce même jour. Par conséquent, il a été, selon lui, témoin à une distance raisonnable de l’arrestation du suspect.
Par ailleurs, le représentant de M. Arcand réfute l’idée selon laquelle la visite de M. Arcand au domicile du suspect la veille de son arrestation ait été à l’origine des difficultés rencontrées par la GRC lors de l’arrestation de ce dernier. Selon lui, la présence de n’importe quel observateur peut avoir des effets sur le déroulement d’un événement. Il ajoute que, même dans cette éventualité, le public a le droit de s’assurer que l’arrestation de suspects par la police se déroule dans le respect des lois et procédures judiciaires ainsi que dans celui des droits de l’accusé.
Réplique du plaignant
Le représentant de la GRC reprend les propos de Me Bourbeau à l’effet que les agissements de M. Arcand ont été la résultante du manque de collaboration policière pour corroborer les renseignements qu’il avait en sa possession. Il explique que la planification des opérations policières requiert l’application de normes très strictes et rigoureuses de protection desdits renseignements pour assurer l’intégrité des opérations, mais également la sécurité des policiers et des sujets visés. Il ajoute que le droit de savoir, dans le cadre du déroulement d’une enquête, est réservé à une infime minorité d’intervenants.
à la réponse du représentant du mis-en-cause, selon laquelle en l’absence de transparence policière préalable à l’exécution du mandat d’arrestation, il était justifié de poursuivre l’enquête par d’autres moyens, le représentant de la GRC rappelle qu’il est de l’obligation légale des policiers de ne pas divulguer des renseignements sur le contexte des enquêtes avant que des actions judiciaires n’aient été entreprises. Il ajoute que M. Arcand a fait preuve d’une méthode de validation de faits, de son avis, inappropriée en se rendant chez un suspect à la veille de son arrestation. Ce faisant, il aurait contribué à rendre son exécution plus difficile.
Bien que le représentant de la GRC reconnaisse le droit que possédait M. Arcand, en vertu des lois canadiennes, de faire le guet devant la résidence du suspect, il était également, selon lui, responsable de le faire à une distance « raisonnable » de la maison du suspect et ce, pour éviter de devenir un élément d’enjeu aux procédures d’arrestation. Il ajoute que le plaignant n’a pas seulement fait le guet devant la résidence du suspect, il aurait également empiété sur le travail des policiers en s’approchant d’eux pour les interroger, ce qui aurait perturbé le déroulement des opérations. L’image qui se trouvait en page A6 de l’édition du 19 juin 2008 de La Presse, où l’on voyait le mis-en-cause quelques pas en arrière du suspect menotté, illustre cette idée.
Le représentant de la GRC ajoute que, durant les mois qui ont précédé l’arrestation du suspect, ce dernier a toujours collaboré et obtempéré aux requêtes des policiers. Il rejette par conséquent les allégations du mis-en-cause selon lesquelles les difficultés encourues lors de l’arrestation du suspect ne sont pas en lien avec les actions du journaliste.
Il conclut en reconnaissant que les médias ont pour rôle de communiquer le cadre légal dans lequel s’effectuent les opérations policières et ajoute souhaiter que le travail journalistique ne nuise ni ne cause préjudice à la poursuite du processus judiciaire.
Analyse
La Gendarmerie royale du Canada (GRC), représentée par M. Richard Emery, portait plainte contre M. Denis Arcand pour avoir, d’une part, attenté au bon déroulement d’une opération policière et, d’autre part, pour avoir publié dans le quotidien La Presse le 19 juin 2008, un article sensationnaliste intitulé « Ouvre ou on défonce ta porte drett’là! ».
Grief 1 : refus de collaboration avec la police/entrave à la justice
La GRC reprochait, dans un premier temps, à M. Arcand de s’être rendu chez un suspect à la veille de son arrestation afin de vérifier l’état d’exécution du mandat d’arrestation; information que la GRC a refusé de lui confirmer et ce, principalement afin d’assurer la sécurité de ses policiers. Elle reprochait, par ailleurs, à M. Arcand de ne pas s’être tenu à l’écart lorsque les policiers ont, le lendemain, procédé à l’arrestation, ce qui aurait perturbé le bon déroulement de l’intervention.
Selon un principe énoncé par le guide des Droits et responsabilités de la presse : « La presse, tout en assurant le droit à l’information sur les aspects d’intérêt public […] doit éviter d’entraver le cours de la justice. » DERP, p. 45
En se rendant chez le suspect dans le but de savoir s’il avait déjà reçu la visite de policiers, le journaliste n’a pas entravé le cours de la justice. Cette conclusion ne vaut néanmoins que dans l’hypothèse où M. Arcand n’a pas fait part au suspect de la possibilité qu’il soit arrêté le lendemain. Le plaignant n’a jamais présenté la preuve du contraire. Le Conseil rejette donc le premier élément de ce grief.
En ce qui a trait au reproche concernant le bon déroulement de l’opération policière, le mis-en-cause apporte une version contraire à celle du plaignant en affirmant s’être soumis aux directives des policiers. La GRC mentionne l’existence de la photographie illustrant l’article qui, selon lui, démontrerait que le journaliste a perturbé le bon déroulement des opérations policières. Le Conseil constate que le cliché, illustrant le suspect en état d’arrestation et maintenu par un policier, laisse entrevoir en arrière-plan M. Arcand. Cette photographie n’apporte toutefois aucune information concernant la possibilité que le mis-en-cause ait perturbé le bon déroulement de l’opération policière. Le grief est rejeté.
Grief 2 : sensationnalisme
Enfin, la GRC se plaignait du sensationnalisme de l’article publié par M. Arcand à la suite de l’arrestation dont il a été témoin. Elle soutenait que la démarche du mis-en-cause, en ayant des conséquences sur le déroulement de l’arrestation du suspect, lui aurait permis d’écrire un article nettement plus sensationnaliste. Le mis-en-cause rétorquait, quant à lui, que la présence de n’importe quel observateur peut avoir des effets sur le déroulement d’un événement.
Sur la question du sensationnalisme, le DERP précise que : « Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements et d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises. » DERP, p. 22
Après analyse, le Conseil constate que le journaliste a rapporté la nouvelle dans le respect des règles que lui imposait la déontologie. Le grief est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de la Gendarmerie royale du Canada à l’égard du journaliste, M. Denis Arcand et du quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C23N Refus de collaboration avec la police