Plaignant
M. Gilles Pelletier
Mis en cause
M. Nelson Dumais, journaliste; Mme Suzanne Colpron, chef de l’information et le portail Internet Cyberpresse
Résumé de la plainte
M. Gilles Pelletier porte plainte contre M. Nelson Dumais, chroniqueur du blogue « Technaute » hébergé par Cyberpresse, pour manque d’objectivité résultant d’une position de conflit d’intérêts, ainsi que pour sa gestion de la section « commentaires » de son blogue qui ne serait pas conforme à l’éthique journalistique.
Griefs du plaignant
M. Gilles Pelletier explique que sa plainte concerne la couverture de l’informatique par M. Nelson Dumais, l’absence de réponse aux sollicitations qu’il a adressées à M. Philippe Cantin, le directeur de l’information du quotidien La Presse, ainsi que la gestion du blogue animé par M. Dumais.
Le plaignant fait référence à plusieurs chroniques de M. Dumais où ce dernier mentionne des voyages qui lui ont été offerts par des multinationales de l’informatique, dans le cadre de l’exercice de son métier de journaliste. M. Pelletier ajoute que, dans le cas des compagnies qui proposent des logiciels à codes ouverts, ces cadeaux n’ont pu être aussi généreux.
Il précise que M. Dumais a expliqué que cette disparité de traitement ne l’influençait nullement. Il cite à cet effet un extrait d’une chronique où le mis-en-cause mentionne que « tout ce traitement de faveur ne [l]’a jamais empêché de dire les vraies affaires ». Or, pour le plaignant, M. Dumais aurait une préférence pour les structures lourdes, puisqu’il aurait lui-même reconnu accorder une couverture proportionnelle à la popularité des différents concurrents sur le marché informatique. De son avis, cette préférence est en lien direct avec les faveurs qu’il recevrait de la part de ces entreprises.
M. Pelletier précise qu’il a été censuré à plusieurs reprises du blogue de M. Dumais et s’étonne que, contrairement à d’autres citoyens, son message ait été supprimé au lieu d’être remplacé par la mention « propos retirés ». Il conclut que cette censure est manuellement exercée par le mis-en-cause sur son propre blogue, puisqu’il lui est toujours possible de poster des commentaires sur d’autres blogues du portail Cyberpresse. De son avis, il n’est pas normal que la responsabilité de la censure soit laissée au journaliste qui anime un blogue.
Le plaignant revient sur la question des formats à codes ouverts et explique qu’il déplore que les chroniqueurs informatiques ne portent pas suffisamment ces sujets à l’attention du public. Il s’agit, pour lui, d’un enjeu d’ordre démocratique.
Pour conclure, M. Pelletier ajoute que les entreprises de presse qui offrent des blogues devraient se doter de normes de publication, au même titre que pour les autres médias, afin que les chroniqueurs ne soient pas les seuls régisseurs du contenu de leur blogue.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau représentant Cyberpresse :
Me Bourbeau précise qu’il a compris que le plaignant jugeait, d’une part, que la couverture de l’informatique effectuée par M. Dumais, dans son blogue affilié à Cyberpresse, ne serait pas objective et qu’il serait en position de conflit d’intérêts et, d’autre part, que la gestion de la section intitulée « commentaires » du même blogue ne serait pas conforme aux normes d’éthique journalistique.
Concernant l’allégation selon laquelle la couverture informatique effectuée par M. Dumais sur son blogue ne serait pas objective, puisqu’il prendrait soin de ne pas aborder certains sujets et qu’il serait biaisé en faveur des formats propriétaires, Me Bourbeau explique que le mis-en-cause, en tant que chroniqueur, peut prendre position, exprimer ses critiques et faire valoir les points de vue de son choix. Il ajoute que, même s’il s’avérait que M. Dumais choisissait de traiter certains sujets en relation avec l’informatique au détriment de d’autres, il s’agirait d’un privilège qui lui appartiendrait.
Il ajoute que M. Dumais ne s’est jamais privé de critiquer les logiciels à format propriétaire ou de vanter les mérites d’un produit à code ouvert. à cet effet, il joint à sa plainte un certain nombre de chroniques qui appuient son argumentation.
Concernant le conflit d’intérêts dans lequel se trouverait le mis-en-cause, Me Bourbeau explique que les pratiques journalistiques, que le plaignant lui reproche, sont très courantes dans l’industrie informatique, ainsi que dans d’autres domaines d’activités, tels que le tourisme, le cinéma et l’édition. Il est donc, pour lui, fréquent que les chroniqueurs informatiques se fassent payer des voyages par les compagnies qui désirent leur faire en personne la démonstration de leurs nouveaux produits et qu’ils reçoivent des vêtements ou des produits personnels à l’effigie de ces compagnies ou encore des exemplaires gratuits de leurs produits.
En s’appuyant sur le code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), le représentant du mis-en-cause conclut que les produits et services reçus par M. Dumais étaient acceptables, soit parce qu’ils servaient directement l’accomplissement du travail journalistique ou parce qu’ils demeuraient utiles comme outils de référence ou que leur valeur était peu importante et que leur coût d’envoi à l’expéditeur dépassait le coût de l’objet.
Me Bourbeau ajoute que M. Dumais a précisé à ses lecteurs, dans une chronique datant du 12 décembre 2006, quelles étaient ses pratiques.
Concernant la gestion de la section « commentaires » du blogue du mis-en-cause, Me Bourbeau estime que le plaignant n’en est pas satisfait, compte tenu du fait qu’il y est censuré. S’il reconnaît que très peu des propos de M. Pelletier ont été publiés sur le blogue de M. Dumais, Me Bourbeau soutient qu’il n’y a là aucune entorse à la déontologie. Il explique que, s’il est établi que les médias ont le devoir de favoriser l’accès des citoyens à leurs tribunes, ces derniers restent néanmoins libres de choisir les propos qui y seront publiés. Pour le représentant du mis-en-cause, cela signifie que les médias sont libres de déterminer si les textes et propos qui leur sont soumis sont d’intérêt public et pertinents dans les circonstances. Il conclut que M. Dumais pouvait, à son entière discrétion, décider que les propos du plaignant n’étaient pas assez pertinents pour qu’il les publie.
Me Bourbeau ajoute que le portail Cyberpresse s’est doté de ce qu’il appelle des « règles de Nétiquette », que le lecteur désirant laisser ses commentaires sur le blogue doit s’engager à respecter en tous temps. Il précise que celles-ci font mention du fait que Cyberpresse se réserve le droit de superviser et de modérer les commentaires publiés sur le blogue et de supprimer tout commentaire qui ne serait pas conforme aux règles de Nétiquette. Il rapporte également la règle selon laquelle tout propos harcelant ou qui prône le harcèlement d’une autre personne ne peut être toléré. Le représentant du mis-en-cause conclut que M. Dumais était en droit de se prévaloir de ces derniers principes, s’il estimait que les propos du plaignant à son égard étaient trop harcelants.
Il conclut que le Conseil de presse a déjà, par le passé, encouragé les diffuseurs de blogues journalistiques à ce qu’ils se dotent de services d’un modérateur relevant du service de l’information.
Réplique du plaignant
M. Pelletier se dit tout d’abord surpris d’apprendre qu’il aurait harcelé le mis-en-cause. Il se demande s’il était si incongru de demander à M. Dumais quels sont ses rapports avec les compagnies qui lui fournissent matériel et voyages. Il comprend que les chroniqueurs de voyages obtiennent des voyages payés, puisqu’ils ont besoin de se rendre sur place pour commenter le service, mais il ne comprend pas, en revanche, en quoi un chroniqueur informatique aurait les mêmes privilèges quant aux voyages. Il comprend que les petits cadeaux, comme les tapis de souris, puissent demeurer la propriété des chroniqueurs, mais il insiste sur le fait que ces mêmes chroniqueurs se font aussi parfois offrir l’ordinateur qui va avec le tapis de souris.
Du constat du plaignant, M. Dumais ne se tournerait ainsi jamais vers les compagnies qui ne font pas de publicité, pas plus qu’il n’interrogerait d’autres personnes, telles que les citoyens ou utilisateurs, en dehors des multinationales.
M. Pelletier remarque que Me Bourbeau a bien saisi l’objet de sa plainte qui était l’absence de traitement des formats ouverts. Il ajoute que, dans les articles qu’il joint à ses commentaires, aucun ne traitait de cette question.
De l’avis du plaignant, le représentant du mis-en-cause clame injustement que M. Dumais jouit d’une liberté éditoriale qui lui permet de choisir les sujets dont il souhaite traiter. M. Pelletier ajoute que les lecteurs de blogues ne s’attendent pas à des opinions, mais à des faits et que le mis-en-cause, en tant que journaliste, se doit de livrer ceux-ci.
Concernant la section des commentaires, Me Bourbeau aurait, de l’avis du plaignant, confondu pages des journaux et blogues. Il insiste sur le fait que, sur un blogue, tous les commentaires que suscite un article peuvent être publiés, puisque la question de l’espace ne se pose pas, ce qui n’est pas le cas pour un journal imprimé.
Pour finir, M. Pelletier revient sur l’idée que les chroniqueurs de blogues ne peuvent, selon lui, être juges et partie des commentaires qui sont faits sur leur plateforme. Il s’agirait pour lui d’une question d’équilibre. Il fait finalement remarquer que le mis-en-cause ne s’est pas adressé aux autorités éditoriales de Cyberpresse pour le censurer.
Analyse
M. Gilles Pelletier porte plainte contre M. Nelson Dumais, chroniqueur pour le blogue « Technaute » hébergé par Cyberpresse.
Grief 1 : refus de couverture
Dans un premier temps, le plaignant reproche à M. Dumais de n’avoir considéré dans ses chroniques que les produits de multinationales de l’informatique et, par conséquent, de n’accorder aucune couverture journalistique aux formats non propriétaires que l’on appelle également formats ouverts.
Sur cette question, le guide des Droits et responsabilités de la presse du Conseil de presse rappelle que: « L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. » DERP, p. 22
L’analyse a permis de constater que le mis-en-cause, contrairement aux affirmations du plaignant, a publié sur son blogue des chroniques qui traitent de supports informatiques non propriétaires. Ces dernières sont néanmoins en quantité moindre, que celles qui s’intéressent aux formats propriétaires. Toutefois, le blogue qu’anime M. Dumais a pour objet les technologies au Québec et, compte tenu du fait que les formats non propriétaires occupent une part infime du marché, le chroniqueur pouvait en traiter dans une moindre mesure. Le grief est rejeté.
Grief 2 : acceptation de voyages gratuits
Dans un second temps, le plaignant remettait en question la neutralité du mis-en-cause qui expliquait, dans une de ses chroniques, que bien qu’il accepte des voyages offerts par des multinationales de l’informatique, sa neutralité journalistique n’était pas en cause.
Dans un avis adressant la question de l’acceptation de voyages gratuits par les journalistes dans le cadre de l’exercice de leur profession, le Conseil de presse mentionne d’une part, que « les entreprises de presse doivent s’interdire, et interdire à leurs journalistes et leurs collaborateurs, d’accepter de tels voyages » et d’autre part que « si, en dernier recours et dans des circonstances exceptionnelles, un média estime devoir accepter un « voyage gratuit », ce média devra informer explicitement le public que le voyage et le reportage, ainsi rendus possibles, ont été effectués en tout ou en partie aux frais de l’entreprise ou de l’organisme concerné ».
Après analyse, le Conseil conclut que le mis-en-cause ne s’est pas caché des avantages dont il profite. Le Conseil constate cependant que M. Dumais n’a que ponctuellement fait référence au fait qu’il bénéficie de certains avantages de la part de compagnies informatiques, ne s’acquittant pas ainsi de son devoir d’en informer explicitement le lecteur. Tout en constatant que cette pratique soit peu généralisée, le Conseil est d’avis que les médias doivent toujours mentionner explicitement les avantages dont ils profitent. Le grief est retenu.
Grief 3 : censure exercée par le mis-en-cause contre les commentaires du plaignant
Le plaignant reproche enfin au chroniqueur d’avoir personnellement censuré des commentaires qu’il avait publiés sur le blogue de M. Dumais et déplore, par conséquent, que ce dernier puisse être juge et partie concernant la gestion des commentaires des internautes.
Bien que le guide de déontologie du Conseil ne fasse pas explicitement référence aux blogues, lorsqu’est évoquée la question des normes de publication, les blogues se qualifient néanmoins aux principes généraux : « Il importe que les médias se donnent des normes de publication ou de diffusion sur les ondes des lettres ouvertes, documents, communiqués et opinions qui leur parviennent du public, et qu’ils adoptent des critères régissant la participation du public aux lignes ouvertes et aux émissions d’affaires publiques. Ces normes et ces critères peuvent varier selon les différents types de médias écrits et électroniques; les organes de presse devraient les faire connaître avec régularité au public. Les médias doivent veiller à ce que les lettres des lecteurs ne véhiculent pas des propos outranciers, insultants ou discriminatoires pouvant être préjudiciables à des personnes ou à des groupes. Les médias doivent éviter que ces lettres ne deviennent des tribunes pamphlétaires qui n’ont d’autre effet que de porter atteinte à la réputation des personnes. » DERP, pp. 37-38
Le Conseil précise, en premier lieu, que le portail Internet Cyberpresse s’est doté de « règles de Nétiquette », normes de publication auxquelles les blogueurs qui souhaitent commenter les chroniques de M. Dumais doivent accepter d’adhérer et il salue cette initiative.
Le Conseil s’est intéressé, ensuite, à la question des commentaires du plaignant qui auraient été censurés et dont il a fourni une copie dans sa plainte. Bien, que ce dernier fasse référence à deux commentaires, l’analyse n’a pas permis de retracer la discussion dans laquelle ils s’inséraient que pour un seul d’entre eux. Il s’agit de la chronique intitulée « Et vous, votre WEP, s’est-il muté en WPA? », publiée le 31 juillet 2008. Or, après analyse de la discussion qui s’est tenue sur le blogue entre plaignant et mis-en-cause le 2 août 2008, le Conseil n’a pas identifié d’interruption dans la suite logique des commentaires qui ont été échangés, ce qui ne lui permet pas de conclure que de la censure ait été exercée par M. Dumais contre le plaignant.
Dans un second temps, le Conseil s’est penché sur la problématique qui consiste à ce que M. Dumais, lui-même, soit en charge de faire respecter les « règles de Nétiquette » sur son propre blogue. Le Conseil constate que, ni dans son guide de déontologie, ni dans les normes de publication de Cyberpresse, il n’est mentionné un quelconque principe qui interdirait au journaliste d’assurer le contrôle des commentaires émis sur son blogue. Il insiste toutefois sur le fait que la responsabilité lui incombe de veiller à ce que les différents points de vue puissent librement s’exprimer. Le grief de censure est donc rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient la plainte de M. Gilles Pelletier contre le quotidien La Presse et son journaliste, M. Nelson Dumais, pour ne pas avoir mentionné explicitement aux lecteurs les voyages gratuits dont ils ont bénéficié.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C08E Boycottage/représailles
- C22A Voyage gratuit
Date de l’appel
24 November 2009
Appelant
M. Gilles Pelletier
Décision en appel
Les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.