Plaignant
M. Christian Déjoie
Mis en cause
M. Patrick Lagacé, chroniqueur; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Le plaignant reproche au chroniqueur, M. Patrick Lagacé du quotidien La Presse, d’avoir tenu des propos haineux et discriminatoires à l’égard d’un groupe de personnes, dans l’article du 20 septembre 2008, intitulé « Les barbares nous envahissent ». Il lui reproche également de ne pas avoir respecté les règles de rigueur journalistique dans sa chronique. Finalement, il accuse le quotidien de ne pas avoir fait de rectification.
Griefs du plaignant
Le plaignant introduit sa plainte en citant le code de déontologie du Conseil de presse, Droits et responsabilités de la presse, en rapportant notamment trois passages sur lesquels se fondent ses griefs.
En premier lieu, il cite l’article 2.1.4 intitulé « Le respect et l’identification des genres journalistiques ». Le plaignant reproche au mis-en-cause de ne pas avoir respecté les exigences de la chronique. En effet, il soutient que le chroniqueur a commis « une dérive pernicieuse et intolérable qui dépasse les limites de l’humour ou de la satire ».
Ensuite, il évoque l’article 2.3.1 du code de déontologie du Conseil de presse qui s’intitule, « L’attitude de la presse à l’égard des personnes et des groupes : la discrimination ». Il explique son reproche par le fait que le chroniqueur, de par son vocabulaire, aurait cherché à « cultiver la haine et l’incompréhension entre les groupes avec un langage ordurier employé à l’encontre d’individus identifiables en raison de leur opinion ou allégeance politique ».
Enfin, le plaignant émet une critique envers le directeur de l’information du quotidien qui n’a pas publié de rectification relative à cette chronique qu’il juge préjudiciable. Il cite alors l’article 2.3.7 du code des Droits et responsabilités de la presse, « Rectification et mise au point ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, services juridiques :
Le représentant des mis-en-cause nie les allégations du plaignant à leur encontre. Il réfute le fait que le chroniqueur aurait dépassé les limites du genre et souligne que la chronique était clairement identifiée. Il cite des passages du code de déontologie du Conseil de presse pour justifier son argumentaire, notamment pour expliquer la pertinence du ton polémiste dans les chroniques et le fait qu’elles accordent une grande place à la personnalité de l’auteur. Me Bourbeau justifie le vocabulaire utilisé comme une composante de la satire dont il donne une définition issue du dictionnaire.
Me Bourbeau revient ensuite sur le choix du sujet de la chronique. Il justifie son intérêt public ainsi que la démarche utilisée par le chroniqueur pour « dénoncer le mépris des artistes et de la culture qu’il perçoit chez certaines personnes favorables aux coupures annoncées par le gouvernement fédéral ».
Ensuite, le représentant des mis-en-cause nie le caractère haineux ou méprisant des propos du chroniqueur ainsi qu’une intention discriminatoire de sa part. Selon lui, le chroniqueur dénonce justement ce genre de comportement dans l’article. De plus, à aucun moment, il ne regroupe les personnes sous une catégorie déterminée et identifiable.
Avant de conclure, Me Bourbeau rapporte une citation de la Cour suprême du Canada relative à la liberté d’expression et ajoute qu’il s’agit d’un droit d’autant plus important dans le contexte d’une campagne électorale comme c’était le cas à la date de l’article. Il ajoute que « sans la liberté de commenter et de critiquer, les citoyens ne seraient pas en mesure de faire, de façon éclairée, les choix qu’ils doivent faire dans un régime participatif ni de développer leur libre-arbitre ».
Enfin, relativement à la rectification demandée par le plaignant, Me Bourbeau rétorque que le plaignant pouvait envoyer une lettre à l’éditeur en l’invitant à publier ses propos dans la rubrique « Forum » du journal.
Réplique du plaignant
Dans sa réplique, le plaignant reprend l’argumentation de Me Bourbeau pour exprimer les limites qu’il y décèle.
Tout d’abord, il affirme que le commentaire du représentant des mis-en-cause, relatif à la personnalité et à la réputation du chroniqueur n’est pas pertinent dans ce dossier. Il porte ce même jugement à l’égard des propos concernant la liberté d’expression, que le plaignant ne remet aucunement en question, en précisant que cela « n’invalide en rien la légitimité [de son] recours ».
Ensuite, le plaignant remet en cause l’utilité des arguments de Me Bourbeau relatifs à l’intérêt public du sujet de la chronique et au fait que le chroniqueur est « une personne honnête dont l’intention est louable ». Selon le plaignant, ces deux remarques formulées par la partie mise en cause ne sont pas utiles au dossier et ne justifient pas « la distorsion des faits, ni l’emploi immodéré d’un langage ou d’un ton méprisant ».
Puis, le plaignant souhaite revenir sur trois des arguments de la partie mise en cause, à savoir : la notion de chronique clairement identifiée qui justifie l’utilisation d’un ton polémique et de la satire, le vocabulaire à interpréter au second degré et le fait que le plaignant aurait pu manifester son désaccord dans la rubrique « Forum » du journal.
Dès lors, concernant le genre de la chronique, le plaignant souligne que, bien qu’elle autorise une liberté de ton très grande, elle comporte aussi des limites inscrites dans le code de déontologie du Conseil de presse. Il met en avant les notions de rigueur et d’exactitude que le mis-en-cause n’aurait pas respectées. De plus, il aurait attenté à la règle déontologique qui défend l’utilisation de « représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris […] ou encore à heurter la dignité d’une catégorie de personnes ». Le plaignant relève pour le troisième grief relatif à la rectification, un article du Conseil de presse qui soumet les médias à « l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non ».
Enfin, le plaignant met en avant le fait que le chroniqueur mis en cause a déjà été blâmé par le Conseil de presse ou, du moins, poursuivi à plusieurs reprises : D2005-02-053; D2001-06-086.
Analyse
M. Christian Déjoie porte plainte contre M. Patrick Lagacé, chroniqueur et le quotidien La Presse, pour un article publié le 20 septembre 2008, intitulé « Les barbares nous envahissent ». Le plaignant reproche au journaliste d’avoir utilisé des propos haineux, méprisants et discriminatoires à l’égard d’un groupe de personnes, considérant leurs aspirations politiques. Il l’accuse d’avoir manqué de rigueur et d’exactitude dans la rédaction de sa chronique. Enfin, il reproche au directeur de l’information du quotidien, M. Éric Trottier, de n’avoir publié aucune rectification.
Grief 1: propos haineux, méprisants et discriminatoires
M. Déjoie reproche, en premier lieu, au chroniqueur d’avoir utilisé des propos haineux et méprisants. Il aurait fait preuve de discrimination à l’égard d’un groupe de personnes ne partageant pas son opinion, quant aux coupures des subventions culturelles.
Selon la déontologie du Conseil de presse, les journalistes sont tenus de respecter les personnes et les groupes. Quant à la discrimination, il est déterminé par la Charte des droits et libertés du Canada, que celle-ci est le fait de ne pas reconnaître les droits et les libertés de chaque citoyen et de tenter de soulever la haine envers certains d’entre eux, en fonction de caractéristiques particulières, dont les convictions politiques.
À la lecture de ce principe et de l’article en cause, le Conseil de presse n’observe pas de propos discriminatoires ni haineux. La discrimination se rapporte à des individus ou des groupes clairement identifiables, qu’on prive de droits. Dans l’article contesté, les propos polémistes dénoncent les idées propres à une idéologie et n’impliquent aucun déni de justice ou de droits. Ils n’affichent pas, non plus, de haine mais un ferme désaccord envers cette idéologie.
Le Conseil de presse ne retient pas le grief pour propos haineux, méprisants et discriminatoires.
Grief 2 : manque de rigueur et d’exactitude
M. Déjoie déplore, en second lieu, que le journaliste n’ait pas respecté le genre de la chronique en manquant de rigueur, d’exactitude et en utilisant les propos considérés au grief précédent.
à l’égard de la chronique, le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil, indique que « La chronique […] est un genre journalistique qui laisse à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. [Elle] permet aux journalistes qui [la] pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. » DERP, p, 18
Le Conseil de presse observe que le mis-en-cause est clairement dans le genre de la chronique et qu’il a utilisé pleinement les caractéristiques de celle-ci. Le Conseil n’estime toutefois pas qu’il a manqué de rigueur ou d’exactitude dans son rapport des faits. Le chroniqueur répond clairement aux personnes qui appuient la décision du gouvernement fédéral de couper les subventions accordées aux organismes culturels et critique les arguments invoqués pour justifier cette décision.
Le Conseil de presse ne retient pas le grief pour manque de rigueur et d’exactitude.
Grief 3 : absence de rectification
M. Déjoie ajoute que la direction du journal se devait de rectifier la chronique et les propos dérivants.
Le guide de déontologie précise qu’une rectification est nécessaire pour corriger une erreur commise. Or, le Conseil de presse n’a constaté aucune erreur déontologique commise par le mis-en-cause.
Le Conseil de presse ne retient pas le grief pour absence de rectification.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Christian Déjoie contre le chroniqueur M. Patrick Lagacé, M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C15A Manque de rigueur
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18D Discrimination
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
24 November 2009
Appelant
M. Christian Déjoie
Décision en appel
Les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.