Plaignant
Ordre des audioprothésistes du Québec et M. Guy Savard, président
Mis en cause
Mme émilie Bilodeau, journaliste; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
La plainte de M. Guy Savard fait suite à la parution, dans le journal La Presse, le 20 juin 2008, d’un article intitulé « Des audioprothésistes à l’écoute du profit, pas de leurs patients ». L’article suggèrerait que des audioprothésistes cachent à leurs patients le fait que la Régie de l’assurance maladie du Québec rembourse l’achat de certaines prothèses auditives et profitent de l’ignorance des gens, souvent âgés, pour leur vendre des prothèses auditives coûteuses.
Griefs du plaignant
Pour M. Savard, les propos de l’article de Mme Bilodeau créent un doute quant à l’honnêteté des audioprothésistes, notamment dans le passage suivant de l’article : « La vente d’une prothèse remboursée par l’assurance maladie peut être moins lucrative pour un audioprothésiste. « Les prothèses qui ne sont pas couvertes par la Régie relèvent du domaine privé. L’audioprothésiste qui en vend une fait du profit », explique Bernard Côté spécialiste en audiologie de la RAMQ. » Le plaignant ajoute que l’article allait jusqu’à dire que les sept plaintes qui ont été portées devant l’Ordre des audioprothésistes en 2007, concernant des ventes abusives et mensongères, ne reflétait que la pointe de l’iceberg.
M. Savard conclut que l’article a eu pour effet de dénigrer la profession d’audioprothésiste de façon injuste et ce, en dressant un portrait peu reluisant de la profession, le tout, à partir d’une plainte unique qui n’a pas été vérifiée. Il ajoute avoir personnellement communiqué avec la journaliste à la suite de la parution de l’article, pour lui faire part de cette impression. Cette dernière lui aurait avoué que certaines phrases avaient été ajustées afin d’avoir plus d’impact. Pour M. Savard, l’article reflétait le manque d’expérience et de professionnalisme de la journaliste qui aurait, selon lui, dû vérifier auprès de l’Ordre l’exactitude des informations véhiculées.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, affaires juridiques :
Le représentant de la journaliste, Mme émilie Bilodeau, soutient que la plainte de M. Savard est mal fondée pour les motifs suivants. Selon lui, l’article est basé sur un processus d’enquête exhaustif. Chacun des faits, dont Mme Bilodeau a fait état dans l’article, était pertinent et a fait l’objet d’une vérification. Plus spécifiquement, il explique que la mise-en-cause a examiné l’ensemble des plaintes portées par le syndicat de l’Ordre des audioprothésistes en 2007 et qu’elle a également contacté un bénéficiaire de services, un spécialiste en audiologie de la Régie de l’assurance maladie du Québec, ainsi qu’une représentante du syndicat en question. Me Bourbeau ajoute que la journaliste s’est entretenue à deux reprises avec le plaignant. Des citations lui sont d’ailleurs imputées dans l’article. Le représentant de Mme Bilodeau conclut que cette dernière a vérifié les faits auprès de nombreuses sources crédibles qui représentaient tous les points de vue impliqués dans l’affaire. Les faits présentés étaient, de plus, exacts ce que ne nierait pas le plaignant, puisqu’il ne demande pas de rectificatif.
Pour Me Bourbeau, l’allégation de M. Savard, selon laquelle l’article était basé sur une plainte non vérifiée, est inexacte. Il affirme que Mme Bilodeau a vérifié une plainte auprès d’un bénéficiaire de services et qu’elle a également examiné les plaintes portées par le syndicat de l’Ordre des audioprothésistes durant l’année 2007, dont la majorité concernait des ventes abusives et mensongères. De surcroît, la journaliste disposait de nombreux témoignages de lecteurs à la suite d’articles parus dans La Presse en mars 2008, qui faisaient état de comportements douteux de la part de certains membres de l’Ordre des audioprothésistes.
En ce qui a trait au manque d’équilibre de l’article, Me Bourbeau soutient que la journaliste était libre de choisir de traiter du sujet de son choix s’il était d’intérêt public. Il lui appartenait de choisir l’angle de traitement retenu, en reflétant l’ensemble de la situation, ce que faisait l’article. Dans son ensemble, ce dernier ne comprenait, selon Me Bourbeau, aucun propos tendancieux.
Le représentant des mis-en-cause conclut en niant que Mme Bilodeau ait avoué « que certaines phrases avaient été ajustées afin d’obtenir plus d’impact ».
Réplique du plaignant
Réplique de Me Jean-Guy Villeneuve, représentant M. Guy Savard :
Selon le représentant du plaignant, la plainte est fondée en regard du traitement du sujet par la journaliste, du manque de rigueur de cette dernière ainsi que du caractère sensationnel qui s’en dégage. M. Guy Savard maintient sa version quant à son entretien avec Mme Bilodeau. Il insiste sur le fait qu’il n’a jamais utilisé le terme « escroquerie », terme qui, dans les circonstances de l’article était excessif et calomnieux en plus de ne reposer sur aucun fait prouvé, devant un comité de discipline de l’Ordre des audioprothésistes du Québec.
Me Villeneuve explique que, contrairement aux prétentions du représentant des mis-en-cause, une seule plainte a été introduite en 2007 devant le comité de discipline de l’Ordre. Il ajoute que cette poursuite disciplinaire n’avait aucun lien avec une vente abusive. Pour Me Villeneuve, le traitement de l’article par la journaliste démontre une méconnaissance du processus disciplinaire. En effet, cette dernière aurait confondu des demandes d’enquête logées auprès du syndicat avec l’introduction d’une plainte devant un comité de discipline. Le représentant du plaignant conclut que l’article ne reposait sur aucun fait concret.
Selon Me Villeneuve, l’article s’inspirait d’allégations n’ayant pas fait l’objet de plaintes formelles. Il s’agissait donc de spéculations gratuites, partagées avec certaines personnes, notamment celles qui proviennent de la Régie de l’assurance maladie. En effet, cette dernière n’intervient qu’à l’égard de prothèses auditives qui sont couvertes par le Régime d’assurance maladie du Québec. Il conclut que les allégations provenant de cette source demeurent des suppositions sur la notion de profit ce qui, en soi, n’a rien d’irrégulier.
Analyse
La plainte de M. Guy Savard fait suite à la parution, dans le journal La Presse, le 20 juin 2008, d’un article intitulé « Des audioprothésistes à l’écoute du profit, pas de leurs patients ».
Grief 1 : information non vérifiée
Le plaignant reproche à Mme émilie Bilodeau d’avoir basé son article sur une information non vérifiée, à l’effet que, des audioprothésistes cachent à leurs patients que certaines prothèses auditives sont remboursées par la Régie de l’assurance maladie du Québec. Pour le plaignant, cette affirmation discrédite injustement la profession.
Dans ses commentaires, le représentant de Mme Bilodeau explique que la « plainte non vérifiée », à laquelle faisait référence le plaignant, est celle d’un bénéficiaire de soins, M. Joly, dont le témoignage a été présenté aux lecteurs dans le cadre de l’article en cause. Dans sa réplique, le représentant de M. Savard répond que la journaliste a confondu plainte formelle devant un comité de discipline et intention de plainte, étape à laquelle on comprend que M. Joly s’est tenu.
Il est un principe, défendu par le guide des Droits et responsabilités de la presse, du Conseil de presse que : « La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. […] Elle est […] synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des événements. » DERP, p. 21
L’analyse a permis au Conseil de constater que rien ne contredit l’affirmation, selon laquelle, certains audioprothésistes cachent à leurs patients le fait que la Régie de l’assurance maladie du Québec peut, dans certains cas, rembourser des prothèses auditives. En plus du témoignage de M. Joly, la journaliste s’est basée sur plusieurs sources pour rédiger son article : le président de l’Ordre, un spécialiste en audiologie de la Régie de l’assurance maladie du Québec, les articles publiés par La Presse sur ce même sujet et plusieurs lettres des lecteurs envoyées au quotidien à la suite de la publication de ces articles.
La journaliste se basait également sur le syndic, selon lequel l’Ordre des audioprothésistes aurait reçu, en 2007, sept interventions du public dont la majorité portait sur des cas de vente abusive ou mensongère. Bien que ces interventions ne constituent pas techniquement des plaintes, c’est-à-dire, des dossiers déposés par un syndic au comité de discipline d’un ordre professionnel, il est d’usage courant dans le milieu des ordres professionnels de parler de plaintes en se référant à ces demandes d’enquêtes provenant du public. La journaliste était donc justifiée de reprendre, dans son article, le terme « plainte » utilisé par le syndic. Le grief pour information inexacte est rejeté.
Grief 2 : propos calomnieux et discrédit
Mme Bilodeau se voit également reprocher le fait d’avoir attribué le terme « escroquerie » à M. Savard dans son article, bien que ce dernier dément l’avoir utilisé. De son avis, il s’agit d’un terme excessif et calomnieux dont l’emploi ne reposait sur aucun fait prouvé devant un comité de discipline.
En procédant à l’analyse du dossier, le Conseil a constaté que Mme Bilodeau n’attribuait pas le terme « escroquerie » au plaignant, puisque ce dernier ne se trouvait pas entre guillemets. Il s’agissait donc d’un terme qu’elle a choisi d’utiliser pour désigner des audioprothésistes qui ne remplissent pas leur obligation d’informer les patients des droits dont ils disposent à la Régie de l’assurance maladie du Québec et procèdent ainsi à des ventes de prothèses auditives en abusant de la confiance de leurs clients, ce dont elle avait le libre droit. Le Conseil ne considère pas ces propos calomnieux.
Le Conseil constate, par ailleurs, que la journaliste ne précise pas l’étendue du phénomène constaté et ne le généralise pas à l’ensemble de la profession, mais cite le président de l’Ordre, selon qui, il dépasserait le nombre de cas soulevés par le public en 2007. Le conseil n’ayant pas constaté de faute déontologique, le grief pour propos calomnieux et discrédit est, par conséquent, rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Guy Savard, président de l’Ordre des audioprothésistes du Québec contre la journaliste, Mme émilie Bilodeau et le quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C15C Information non établie
- C17D Discréditer/ridiculiser