Plaignant
M. Fo Niemi, directeur général, Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR)
Mis en cause
Mme Louise Leduc, journaliste; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Fo Niemi porte plainte contre la journaliste Louise Leduc et le quotidien La Presse, pour inexactitude. Le plaignant, en tant que directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), estime que la journaliste aurait fourni une information incomplète.
Griefs du plaignant
M. Fo Niemi reproche à la journaliste, Louise Leduc, d’avoir retranscrit de manière inexacte ses propos, tenus la veille de la publication de l’article, lors d’une conférence de presse. Celle-ci, en date du 2 octobre 2008, rendait publique la décision de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, dans le cas du jeune Philippin ayant été l’objet de commentaires et réprimandes à l’école, relativement à sa manière de manger.
Le plaignant rappelle les personnes présentes à la conférence de presse : Mme Marie Gallardo, mère du jeune Philippin, Mme Angie Ogerio et M Leandro Tolentino, présidente et vice-président de la Fédération des Filipino Canadian Associations of Quebec. Le plaignant précise que M. Leandro Tolentino animait la conférence de presse, qui était en anglais. Seul le plaignant s’exprimait en langue française.
M. Niemi affirme que, lors de la conférence de presse, M. Tolentino a déploré le manque de représentativité des membres de la Commission qui expliquerait la décision de celle-ci. Le plaignant n’a repris ses propos que pour les traduire sur demande d’un journaliste de Radio-Canada. Il aurait ensuite précisé, en anglais, qu’il n’y avait aucune preuve permettant de faire le lien entre la diversité des membres de la Commission et le résultat de la décision. Le plaignant reproche à la journaliste de ne pas avoir rapporté cet élément.
Ensuite, le plaignant déplore que la journaliste n’ait pas fait état de la demande du CRARR à l’effet que la Commission se dote de politiques pour mieux analyser les plaintes relatives au racisme.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, affaires juridiques du quotidien La Presse :
Me Patrick Bourbeau nie les allégations du plaignant et présente la journaliste Louise Leduc comme une professionnelle rigoureuse, travaillant dans le métier depuis 16 ans, dont 7 au sein du service d’information de La Presse.
Le représentant des mis-en-cause précise que la journaliste a assisté à la conférence de presse sur laquelle elle base son reportage du 3 octobre 2008.
Concernant l’accusation d’inexactitude, la partie mise en cause rétorque que le plaignant ne nie pas avoir tenu les propos que lui assignait la journaliste. Me Bourbeau explique que le plaignant n’a pas précisé clairement aux journalistes qu’il ne faisait qu’une traduction des propos de M. Tolentino et qu’il n’endossait pas ces propos. De plus, Mme Leduc n’aurait pas été la seule à interpréter l’intervention du plaignant de la même manière, puisque CTV et Radio-Canada avait également diffusé, le 2 octobre 2008, des reportages allant dans ce sens.
Me Bourbeau rapporte les paroles du plaignant où celui-ci ne nie pas le lien de causalité entre la composition de la Commission et ses décisions : « Je crois que pour la première fois dans l’histoire de la Commission, on n’a pas d’anglophones, qu’on n’a pas de juifs, qu’on n’a pas d’autochtones. C’est la première fois dans l’histoire de la Commission depuis sa création en 1976. Je ne dis pas que ce manque de représentativité mène à un manque de sensibilité sur toutes les questions de racisme, tout ce que je dis c’est qu’il y a un constat qu’il y manque de cette représentation-là et c’est pour ça qu’on trouve que le gouvernement assure que les commissaires reflètent la diversité du Québec. »
La journaliste en cause (ainsi que les journalistes de CTV et Radio-Canada) aurait donc interprété les propos de M. Niemi comme une affirmation selon laquelle cette décision de la Commission, discutée en conférence de presse, avait été influencée par un manque de représentativité, même si toutes ses décisions ne le sont pas.
Enfin, Me Bourbeau explique que la journaliste dispose d’une grande liberté rédactionnelle et qu’il lui appartenait de choisir ou non les propos de M. Fo Niemi pour son article.
Réplique du plaignant
M. Fo Niemi réitère que la transcription de ses propos décrit clairement qu’il ne fait pas de cause à effet entre la représentativité de la Commission et ses décisions. Selon lui, il a seulement fait un constat, contrairement à M Tolentino. Or, les mis-en-cause en ont fait une interprétation subjective. Les termes suivants dans les « Commentaires » au Conseil en seraient une illustration : « donnait clairement à penser » et « laisse sous- entendre ». Selon le plaignant, la phrase rapportée en français ne se dissociait pas de la précision en anglais. Or, la journaliste a omis cette dernière. Le plaignant défend le fait qu’il s’est bien dissocié des propos de M. Tolentino dans son discours pris dans son ensemble et non pas dans la seule citation des mis-en-cause, hors de tout contexte.
Le plaignant souligne que la journaliste n’a, à aucun moment, demandé de précisions concernant la représentativité de la Commission. Il rappelle que ce point n’est pas soulevé dans le communiqué de presse pour la raison suivante : pour le CRARR il n’y a aucun lien entre celui-ci et le sujet de la conférence de presse ou la décision de la Commission.
Enfin, M. Niemi ne remet pas en cause la liberté rédactionnelle des journalistes, en souhaitant que le nom de M. Tolentino soit évoqué dans l’article de la mise en cause. Selon lui, il s’agit d’une question d’exactitude de l’information.
Analyse
M. Fo Niemi porte plainte contre la journaliste Louise Leduc et le quotidien La Presse. En tant que directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), le plaignant reproche à la mise-en-cause d’avoir tenu des propos inexacts dans l’article du 3 octobre 2008, intitulé « Une remarque raciste isolée ». Il l’accuse aussi d’avoir fourni une information incomplète et au journal.
Grief 1 : inexactitude
En premier lieu, le plaignant remet en cause les propos que lui a attribué la journaliste. Il affirme que ce n’est pas lui qui a parlé de la prétendue absence de représentativité des membres de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, mais le représentant de la communauté philippine, M. Tolentino. Il ne nie pas avoir prononcé ces paroles, mais ce n’était que pour traduire les propos de ce dernier devant les journalistes francophones, car la conférence était en anglais. Plus tard, dans la conférence, il aurait émis des réserves au nom du CRARR quant à cette position. Or, selon la mise-en-cause, le plaignant n’a pas fait de dissociation entre ses propos et ceux du représentant de la communauté philippine.
Le guide des Droits et responsabilités du Conseil de presse défend la notion d’exactitude dans les articles journalistiques : « En ce qui a trait à la nouvelle et au reportage, les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. » DERP, p. 26
Pour évaluer les deux discours contradictoires, le Conseil a visionné les reportages de CTV et Radio-Canada sur le sujet. Ces extraits ont été fournis par les parties. Or, le Conseil a observé que, dans les deux reportages, les journalistes ont interprété les propos du plaignant de la même manière que Mme Leduc, à savoir que M. Niemi observait un manque de représentativité au sein de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. La mise-en-cause ne dit pas que le plaignant fait le lien entre ce manque de représentativité et la décision de la Commission. Si, comme le plaignant l’affirme, il ne partageait aucunement ces propos, le Conseil estime qu’il n’a pas été suffisamment explicite lors de la conférence de presse. La journaliste n’a fait que reprendre les positions de chaque acteur et remettre en perspective la décision de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse ne retient pas le grief pour inexactitude.
Grief 2 : information incomplète
En second lieu, le plaignant reproche à la journaliste de ne pas avoir fourni une information complète sur la position du CRARR, dont il est le directeur général. Elle aurait notamment omis de mentionner le fait que le plaignant considère important que la commission se dote d’une politique pour mieux analyser les plaintes de racisme.
En matière d’information incomplète, le guide de déontologie des Droits et responsabilités de la presse stipule : « Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. Il leur appartient aussi de déterminer les genres journalistiques qu’ils utilisent pour le traitement des informations recueillies. » DERP, p.14
Le Conseil estime que la journaliste a décidé d’orienter le contenu sur d’autres propos tenus par le plaignant, qu’elle jugeait plus pertinents au regard de l’intérêt public. En cela, elle a exercé sa liberté rédactionnelle et n’a pas failli à la déontologie journalistique.
Le Conseil de presse ne retient pas le grief pour information incomplète.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales à l’encontre de la journaliste Mme Louise Leduc et du quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C15A Manque de rigueur