Plaignant
Mmes Marie-Claude Montpetit, Claude Talbot et M. Jean-Paul Massie
Mis en cause
M. Patrick Lagacé, chroniqueur; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse et Mme Suzanne Colpron, chef de l’information et le portail Cyberpresse
Résumé de la plainte
Les plaignants portent plainte à l’encontre de M. Patrick Lagacé, chroniqueur pour le quotidien La Presse, à la suite de la parution de l’article intitulé « Le siècle des fous », ainsi qu’un article paru sur le blogue de Cyberpresse, sous le titre, « Le siècle des fous (et des théories du complot) », publiés tous deux en date du 23 octobre 2008. Mme Montpetit reproche à ces articles leur caractère insultant, diffamatoire, inexact et partial, en spécifiant même un certain acharnement envers sa personne. M. Massie et Mme Talbot appuient et soutiennent les prétentions de la plaignante.
Griefs du plaignant
Plaintes de Mme Marie-Claude Montpetit :
Mme Montpetit explique ses doléances sous la forme de plusieurs griefs. Tout d’abord, elle déplore que l’article rédigé par M. Patrick Lagacé, publié par La Presse, soit insultant et diffamatoire. En effet, M. Lagacé dans cet article publié sous le nom « Le siècle des fous », fait état d’une certaine « Ginette, qui, bien que n’étant pas avocate mais ayant fait son droit donne des conseils en immigration ». Mme Montpetit, se reconnaissant aisément dans cette description, fonde sa plainte sur le reste de l’article dont la « presque totalité des faits rapportés seraient faux ».
Selon cette dernière, les termes employés par le chroniqueur, tels que « quérulente, toujours dans le trouble en train de poursuivre ou de se faire poursuivre », ou encore les allégations sur le caractère procédurier à outrance de la dénommée « Ginette », allant même jusqu’à l’inclure, selon elle, dans sa comparaison avec des « fous », seraient infondés. Pour Mme Montpetit, M. Lagacé n’aurait aucune qualification pour formuler de telles affirmations basées sur des faits purement médicaux.
La plaignante soutient que, « l’article rédigé par M. Lagacé ne serait pas fondé sur les faits, mais il serait plutôt justifié, de ses propres mots, par les demandes insistantes lui provenant du public et le questionnant sur son refus à enquêter une nouvelle que je lui avais demandé de publier ».
La seconde plainte de Mme Montpetit porte sur le blogue de Patrick Lagacé. En effet, celle-ci insiste sur le fait que dans l’article intitulé « Le siècle des fous (et des théories du complot) », qui fait suite au premier article paru dans La Presse, cité précédemment, M. Lagacé, fait preuve d’un acharnement envers elle et continue à user de propos discriminatoires à son encontre, en exerçant une certaine partialité vis-à-vis d’informations pour le moins inexactes.
Mme Montpetit stipule que, à la suite de sa première plainte à l’encontre de l’article qu’elle considérait comme étant diffamatoire, M. Lagacé a retitré (sic) son premier article du nom de « Le siècle des fous » en y ajoutant « et des théories du complot ». Article qui, lui aussi, diffame et informe de manière erronée les lecteurs.
Selon la plaignante, M. Lagacé l’aurait injustement accusé de lui avoir envoyé des courriels injurieux, en utilisant un faux nom, ce qu’elle nie catégoriquement.
Plainte de M. Jean-Paul Massie :
Le plaignant fait porter sa plainte sur l’article de M. Lagacé, paru sur le blogue de Cyberpresse, en date du 23 octobre 2008. Selon lui, les propos du chroniqueur sont pour le moins mensongers et diffamatoires, sans compter qu’ils dénaturent les faits inhérents au sujet traité et font preuve de vengeance envers Mme Montpetit.
Pour le plaignant, même si sa plainte ne porte que sur le blogue de M. Lagacé, cela reprend le premier article, dans lequel il était fait allusion à une certaine « Ginette », en l’occurrence Mme Montpetit. Selon les dires de M. Massie, la dérision dont fait preuve M. Lagacé aurait eu pour effet de « dénaturer totalement l’extrême importance du sujet de l’information que Mme Montpetit véhicule et d’installer de la peur chez certains lecteurs ».
En effet, M. Massie soutient le « combat » de Mme Montpetit, auquel il adhère. Il souhaite ainsi, lui aussi, « faire éclater la vérité sur l’immigration illégale et la traite des esclaves sexuels perpétrés par la haute classe politique et diplomatique au Canada ».
M. Massie, au soutien de son argumentation, ajoute que, par ses propos mensongers, le chroniqueur, qui exerce une influence considérable sur ses lecteurs, peut mettre en péril la crédibilité de ce débat et, de ce fait, ridiculiser Mme Montpetit.
Dans une lettre envoyée au directeur de l’information de La Presse, en date du 26 octobre 2008, M. Massie exprime ses doléances envers M. Lagacé en l’invectivant : « journaleux sans vergogne aux propos nauséabonds, dépourvu de talents et de raffinement ». Il ajoute que ce dernier est même « un parfait incompétent dont la volonté est simplement de salir la réputation d’une femme qui effectue son devoir de citoyenne ».
Les termes les plus injurieux utilisés à l’encontre de M. Lagacé le dépeignent comme « imbécile, obscur journaleux », le comparant « même à pondre comme une poule sans tête des textes minables qui ne font qu’entretenir l’obscurantisme le plus crasseux ».
Une autre lettre datée du 25 octobre 2008, fut envoyée à M. Lagacé, qui selon le plaignant « ose, malgré des faits très bien connus de beaucoup de Canadiens, continuer comme un perroquet complètement étourdit par la position qu’il occupe dans sa petite cage médiatique, prétendre à l’indépendance d’esprit pour l’accomplissement de votre travail, lequel sous votre plume, est devenu indigne de la profession journalistique ».
M. Massie ajoute que les gens que le chroniqueur taxe « de fous sont en fait plus instruits, plus éduqués, et plus intelligents » que le mis-en-cause. Il soutient que le comportement et les écrits de M. Lagacé vis-à-vis de la situation grave que dénonce Mme Montpetit sont similaires à un refus de porter assistance à autrui et sont passibles de poursuites au criminel.
Enfin, ce dernier conclut en disant que M. Lagacé a fait preuve « d’arrogance, de méchanceté, d’immaturité et d’irresponsabilité à la fois professionnelle et humaine ».
Plaintes de Mme Claude Talbot :
Les deux plaintes de Mme Talbot, datées du 27 octobre 2008, font suite à l’article paru dans La Presse et sur Cyberpresse. La plaignante argue sa première plainte sur le fait qu’elle trouve la chronique de M. Lagacé « discriminatoire, cultivant les préjugés et heurtant la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison de motif discriminatoire ».
Ensuite, elle ajoute, au soutien de ses prétentions, le manque de neutralité dont a fait preuve le mis-en-cause dans son article, en « laissant volontairement planer des malentendus risquant de discréditer nombre de personnes ».
De plus, Mme Talbot explique que le chroniqueur n’a pas su faire preuve d’équité, en ne traitant pas de manière équilibrée les éléments et les parties en opposition.
C’est à la suite de ces arguments que la plaignante soutien que l’article en question est diffamatoire envers cette inconnue qui se trouve à être condamnée sans avoir eu droit de parole.
La première plainte intègre une lettre envoyée au directeur de l’information de La Presse, M. Trottier, celle-ci évoque le fait que le chroniqueur semble être allé un peu loin dans sa dérision en « faussant la réalité plutôt que de faire les choses de façon transparente ».
Mme Talbot souhaite un procès équitable avant condamnation, elle trouve injuste que la dénommée « Ginette » soit donnée en pâture, sans que celle-ci ne puisse se défendre et faire part de ses arguments. Selon Mme Talbot, c’est au public de se faire son propre jugement et non à M. Lagacé de l’imposer.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, affaires juridiques :
Me Bourbeau, représentant des mis-en-cause, nie les allégations selon lesquelles les mis-en-cause auraient enfreint certaines des règles énoncées dans le guide des Droits et responsabilités de la presse, en dérogeant aux principes de neutralité et d’équité et en présentant des propos diffamatoires et discriminatoires. Enfin, il soutient que la plainte serait mal fondée et que, pour cela, elle devrait être rejetée.
De l’avis de Me Bourbeau, les textes de M. Lagacé avaient pour thème la prolifération et la résilience des théories du complot à l’ère d’Internet. C’est uniquement dans le but d’illustrer son propos que le chroniqueur a usé de l’exemple de Mme Montpetit, en taisant, toutefois, le nom de cette dernière et en lui donnant le pseudonyme de « Ginette », qui avait approché le journaliste, afin qu’il fasse enquête sur le sujet d’une prétendue affaire impliquant de grands noms de la politique, tant amÉricains que canadiens.
Le représentant des mis-en-cause souligne le fait que les plaignants, qui eux-mêmes se plaignent de diffamation ou de manque de neutralité, n’ont pas hésité à tenir des propos injurieux à l’encontre de M. Lagacé, ne démontrant donc pas la moindre retenue à son égard.
Me Bourbeau défend également le caractère propre de la chronique, qui est un genre journalistique permettant une grande liberté rédactionnelle et qui laisse une grande place à la personnalité de son auteur.
Selon le représentant des mis-en-cause, M. Lagacé n’aurait fait que dénoncer ce qu’il perçoit comme une trop grande crédibilité accordée aux théories du complot. Ce n’est qu’au soutien de son argumentation que l’histoire de « Ginette » aurait été citée, tout en cachant volontairement la véritable identité de cette dernière, ce qui ne peut donc être assimilé à un quelconque règlement de compte envers Mme Montpetit, alias « Ginette ».
Réplique du plaignant
Mme Claude Talbot soutient que, si effectivement M. Lagacé fait usage d’un pseudonyme en utilisant le nom de Ginette, il est quand même évident qu’il s’agit de Mme Montpetit et que cette démarche reste de la diffamation, mais sous une forme plus hypocrite, puisque le nom de la personne concernée n’est pas directement cité. Pour la plaignante, cette démarche reste donc condamnable.
Mme Marie-Claude Montpetit n’a déposé aucune réplique.
M. Jean-Paul Massie n’a déposé aucune réplique.
Analyse
Mmes Marie-Claude Montpetit et Claude Talbot ainsi que M. Jean-Paul Massie portent plainte à l’encontre de M. Patrick Lagacé, chroniqueur pour le quotidien La Presse, à la suite de la parution de l’article intitulé « Le siècle des fous », ainsi que d’un article paru sur le blogue de Cyberpresse, sous le titre « Le siècle des fous (et des théories du complot) », publiés tous deux en date du 23 octobre 2008. Mme Montpetit reproche à ces articles leur caractère insultant, diffamatoire, inexact et partial, en spécifiant même un certain acharnement envers sa personne. M. Massie et Mme Talbot appuient et soutiennent les prétentions de la plaignante.
Grief 1 : information inexacte
Selon Mme Montpetit, la chronique de M. Lagacé « Le siècle des fous » fait état de propos erronés. Cependant, elle n’apporte aucune précision au sujet de ces prétendues erreurs. Il est établi au Conseil que le plaignant doit préciser et démontrer les griefs qu’il dénonce. Le grief n’est donc pas retenu.
Grief 2 : propos discriminatoires, diffamatoires
Pour Mmes Montpetit et Talbot, le chroniqueur aurait fait état, dans son article, de propos discriminatoires envers la personne désignée sous le pseudonyme de « Ginette ». Elles soutiennent que le chroniqueur aurait outrepassé sa fonction journalistique en diagnostiquant Mme Montpetit « comme folle » et en faisant allusion à « un problème de pharmacologie ».
Le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil énonce un principe voulant que les professionnels de l’information se doivent d’éviter d’utiliser des termes pouvant « heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif de discrimination ». DERP, p. 41
La discrimination se rapporte à des individus ou des groupes clairement identifiés, que l’on prive de droits. Bien que les propos dénoncés aient pu choquer les plaignantes, ils ne rencontrent pas les critères impliqués dans le concept de discrimination. Le grief est, par conséquent, rejeté.
Enfin, concernant la diffamation à l’encontre de « Ginette », il est à noter que le DERP énonce, à ce sujet que : « Le libelle et la diffamation relèvent de la juridiction des tribunaux civils et criminels. Ils mettent en question la responsabilité civile et pénale des médias et des professionnels de l’information dans les cas d’atteinte injustifiée à la réputation. » DERP, p. 46
Le Conseil a reconnu à plusieurs reprises dans ses décisions antérieures qu’il n’avait pas compétence à l’égard d’allégations de diffamation. Considérant que la diffamation relève exclusivement des tribunaux, le Conseil ne se prononcera pas sur cet aspect.
Grief 3 : manque d’équité et d’impartialité
Selon Mme Talbot, le journaliste n’a pas su faire preuve d’équité, en ne traitant pas de manière équilibrée les éléments et les parties en opposition, ce qui aurait mérité que la personne dénommée « Ginette » puisse se défendre et faire part de ses arguments. De plus, le chroniqueur critique ouvertement les personnes qui partagent les croyances de cette dernière au sujet « de son combat à faire éclater la vérité sur l’immigration illégale et la traite des esclaves sexuels perpétrés par la haute classe politique et diplomatique au Canada ».
Les mis-en-cause, quant à eux, soutiennent que M. Lagacé, de par son rôle de chroniqueur, peut se permettre de prendre parti et de choisir de traiter le sujet selon l’angle qui lui semble le plus approprié.
Le guide de principes Droits et responsabilités de la presse du Conseil, définit le rôle de la chronique comme suit : « La chronique permet aux journalistes qui la pratique d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. Ces genres accordent en général une grande place à la personnalité de leurs auteurs. C’est leur lecture personnelle de l’actualité, des réalités et des questions qu’ils choisissent de traiter qui est surtout mise en perspective. » DERP, p. 18
Le Conseil considère que M. Lagacé, en relatant dans la première partie de son article l’histoire de Mme Montpetit, répond aux principes d’équité en présentant de façon neutre la version de la plaignante. Après avoir relaté les vérifications qu’il a effectuées, le chroniqueur remet en cause la véracité des propos de cette dernière et, exprime alors son opinion, ce qui est le propre de toute chronique.
Le Conseil ne constatant aucun manque d’équité ne peut reprocher au chroniqueur sa prise de position. Le grief est donc rejeté.
Décision
Compte tenu des éléments exposés ci-haut, le Conseil de presse rejette les plaintes de Mmes Marie-Claude Montpetit et Claude Talbot ainsi que de M. Jean-Paul Massie à l’encontre du journaliste, M. Patrick Lagacé, du quotidien La Presse et du portail d’information Cyberpresse.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C17A Diffamation
- C17C Injure
- C17D Discréditer/ridiculiser