Plaignant
Front commun des personnes assistées sociales du Québec et Mme Amélie Châteauneuf, coordinatrice des dossiers lutte
Mis en cause
M. Sylvain Bouchard, animateur; Mme Josey Arseneault et M. Hugo Langlois, coanimateurs; M. Michel Lorrain, directeur de la programmation; l’émission « Bouchard en parle » et la station de radio CJMF – 93,3
Résumé de la plainte
Mme Amélie Châteauneuf, coordinatrice des dossiers lutte pour le Front commun des personnes assistées sociales du Québec, porte plainte concernant les propos offensants et empreints de préjugés à l’égard des personnes assistées sociales, tenus par l’animateur Sylvain Bouchard ainsi que par ses coanimateurs dans le cadre de l’émission « Bouchard en parle » diffusée le 11 septembre 2008, à la station CJMF – 93,3.
Griefs du plaignant
Mme Châteauneuf explique dans un premier temps, qu’elle a informé la station des motifs de la plainte de son organisme par le biais du CRTC et, qu’au moment où elle dépose sa plainte devant le Conseil de presse, cette dernière est toujours en cours.
La plaignante précise que les propos tenus par MM. Bouchard et Langlois ainsi que Mme Arseneault sur les ondes de 93,3 FM étaient offensants, empreints de préjugés à l’égard des personnes assistées sociales ainsi que contraires à la législation canadienne qui reconnaît à tous les citoyens le droit de participer à la vie démocratique. Elle précise que le verbatim a été fourni en annexe.
Mme Châteauneuf mentionne qu’elle a choisi de parler des responsabilités qui se rattachent aux droits et aux privilèges dont bénéficient les médias pour étayer sa plainte. Elle ajoute qu’elle se base sur le guide du Conseil de presse intitulé Droits et responsabilités de la presse (DERP). Reconnaissant que « le journalisme d’opinion permet aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire », la plaignante ajoute que les professionnels ne sont pas, selon elle, exempts de responsabilités.
De son avis, les deux premières responsabilités qui n’ont pas été rencontrées par l’émission animée par M. Sylvain Bouchard ont trait à l’exactitude des faits rapportés et à l’équilibre de l’argumentation. Pour Mme Châteauneuf, ces deux responsabilités sont particulièrement importantes pour les animateurs de tribunes téléphoniques qui, selon le DERP, « doivent présenter une information complète et conforme aux faits et aux événements et être attentifs à l’équité et à l’équilibre dans l’argumentation ».
La plaignante ajoute que, sans recourir à l’autocensure, les animateurs doivent éviter de se laisser guider par leurs préjugés, leurs intérêts personnels ou leurs inimitiés. De son avis, lorsque M. Bouchard assimile une personne assistée sociale apte au travail à un « quêteux » qui serait logé et nourri, il fournit aux auditeurs une information qui n’est pas conforme aux faits. Mme Châteauneuf explique que ces personnes reçoivent une prestation d’aide sociale de l’état qui leur impose de faire des choix quant aux besoins qu’ils vont combler et il n’était ainsi pas conforme de dire qu’ils sont « logés et nourris ». En déformant de cette façon la réalité, les animateurs auraient induit le public en erreur quant à la réalité économique des personnes assistées sociales et nourri des préjugés à leur égard.
Mme Châteauneuf ajoute qu’il a également été question dans l’émission du fait que les politiciens auraient de la difficulté à revoir certaines mesures sociales. Selon elle, il s’agit d’une information inexacte puisque le programme d’aide sociale du Québec a subi des réformes majeures à trois reprises dans les quinze dernières années. La plaignante réitère que l’équilibre dans l’argumentation n’a pas été respecté.
Elle rappelle que les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés en évitant d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine ou le mépris, à encourager la violence ou heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. La plaignante ajoute que la Charte canadiennes des droits et libertés de la personne prévoit que tout citoyen canadien a le droit de vote. Elle précise que la Charte des droits et libertés du Québec protège ce droit. Pour Mme Châteauneuf, le fait de susciter un débat et de promouvoir que l’on prive les personnes assistées sociales d’un droit politique qui leur est accordé par les Chartes en raison de leur condition sociale est profondément discriminatoire. Elle conclut que M. Bouchard et ses coanimateurs ont contrevenu à leurs responsabilités en faisant la promotion de cette idée. La plaignante affirme que des dizaines de personnes se sont senties humiliées et discriminées par les propos qui ont été tenus sur les ondes du 93,3-FM et ajoute que la remise en cause de leur droit de vote portait atteinte à leur dignité.
Mme Châteauneuf joint à sa plainte sa correspondance avec le CRTC ainsi que la réponse qui lui a été transmise, via le CCNR.
Le Conseil de presse a, quant à lui, reçu quelques 200 lettres d’appui émanant de plus de 140 individus et de 74 organismes. Une pétition a également été signée par près de 250 personnes.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Michel Lorrain, directeur de la programmation :
Le mis-en-cause explique que M. Bouchard a lancé en ondes un débat sur le droit de vote des personnes qui reçoivent des prestations de l’état québécois et qui sont aptes au travail. Il ajoute que la station radiophonique CJMF – 93,3 FM a pour marque de commerce l’opinion et qu’il n’y a pu avoir aucune confusion sur la nature des propos qui ont été tenus en ondes.
De son avis, le diffuseur est libre, à la manière d’un éditorial, d’exclure les points de vue qui s’écartent de la politique du média, bien qu’il précise avoir offert à la partie plaignante de venir débattre en ondes de son point de vue. Il regrette que cette offre soit restée lettre morte.
M. Lorrain ajoute que l’Association canadienne des radiodiffuseurs reconnaît que la saine controverse est essentielle dans une société démocratique, en autant que le sujet abordé est d’intérêt public. Pour lui, la partie plaignante reproche à M. Bouchard d’avoir soulevé un débat, mais la démocratie l’exigeait. à titre d’exemple, il fait référence au débat entourant le droit de vote des étrangers aux élections locales en Europe, à l’abaissement du droit de voter à l’âge de 16 ans en Suisse, ainsi qu’à la question du droit de vote des détenus qui fut l’objet d’une décision de la Cour suprême du Canada en 2002.
Il rappelle qu’il s’agit d’une émission d’opinions et que la règle reconnue en la matière est que le chroniqueur jouit d’une grande latitude dans le traitement d’un sujet. Pour toutes ces raisons, le mis-en-cause conclut qu’il n’y a pas eu manquement à la déontologie.
Il ajoute que l’émission « Bouchard en parle » n’est pas insensible au sort des plus démunis puisqu’elle a amassé 12 000 $ dans le cadre de la Grande Guignolée des Médias, dont elle a fait don à la banque alimentaire Moisson Québec.
Réplique du plaignant
Mme Châteauneuf expose qu’elle a été informée du nombre de personnes et d’organismes qui ont porté plainte en appui à sa plainte initiale dans le présent dossier et explique qu’il s’agit, selon elle, d’un nombre significatif qui démontre que plusieurs Québécois et Québécoises ont été interpellés par les propos tenus par M. Bouchard.
Elle explique qu’elle souhaite répondre aux commentaires de M. Lorrain. Pour la plaignante, le fait qu’un chroniqueur jouisse d’une grande latitude dans le traitement d’un sujet est assorti de responsabilités ayant trait au fait que les responsables des émissions de tribunes téléphoniques doivent présenter une information complète et conforme aux faits et aux événements, en plus d’être attentifs à l’équilibre et l’équité de leur argumentation. Elle réitère que les propos tenus dans l’émission « Bouchard en parle » n’étaient pas conformes aux faits qui sont liés à la réalité économique des personnes assistées sociales considérées comme aptes au travail.
Pour Mme Châteauneuf, les animateurs qui pratiquent le journalisme d’opinion doivent être respectueux des personnes et éviter de tenir des propos injurieux, grossiers, discriminatoires voire haineux, ainsi que de verser dans la diatribe. Elle explique avoir déjà démontré en quoi les propos tenus lors de l’émission de M. Bouchard contrevenaient aux responsabilités de la presse en matière de discrimination. Elle ajoute que M. Bouchard, en désignant les personnes assistées sociales comme des « B. S. », manque également à sa responsabilité d’éviter d’utiliser à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine, le mépris ou à heurter la dignité d’une catégorie de personnes.
Selon la plaignante, l’argument du mis-en-cause, à l’effet que les parlementaires débattent en Europe du droit de vote des étrangers ou que la question du droit de vote à 16 ans a été posée à Genève, n’est pas valable puisqu’il s’agit de deux réalités qui ne sont pas comparables. De son avis, remettre en question le droit de vote des personnes assistées sociales devrait être comparé à remettre en question le droit de vote des personnes sur la base de leur genre, de leur origine ethnique ou culturelle, de leur handicap ou de leur orientation sexuelle qui sont tous, pour elle, des motifs à caractère discriminatoire. Elle ajoute que les animateurs qui font l’objet de la plainte n’ont pas reconnu que remettre en question le droit de vote d’une personne sur la base de sa condition sociale est un motif de discrimination qui peut être une atteinte à la dignité de la personne.
Mme Châteauneuf conclut que le fait de collecter des fonds pour les plus démunis n’est nullement en lien avec la plainte dont il est question.
Analyse
Mme Amélie Châteauneuf, coordinatrice des dossiers lutte pour le Front commun des personnes assistées sociales du Québec, porte plainte contre l’animateur Sylvain Bouchard ainsi que contre ses coanimateurs pour les propos tenus dans le cadre de l’émission « Bouchard en parle » diffusée le 11 septembre 2008, à la station CJMF – 93,3.
Il convient dans un premier temps de préciser que le segment de l’émission « Bouchard en parle » mis en cause est structuré de la façon suivante : un individu commente brièvement en ondes un point d’actualité, Sylvain Bouchard fait ensuite partager son point de vue aux auditeurs en compagnie de ses coanimateurs. Ce schéma est reproduit autant de fois qu’un auditeur est entendu en ondes. Ce segment de l’émission « Bouchard en parle » a donc le format d’une tribune téléphonique commentée, entrecoupée de l’opinion de Sylvain Bouchard et de son équipe relativement à chacun des sujets abordés.
Grief 1 : inexactitude
La plaignante déplore dans un premier temps que M. Bouchard n’ait pas respecté l’exactitude des faits en affirmant que les politiciens ont de la difficulté à revoir certaines mesures sociales, alors que le programme d’aide sociale du Québec a, selon elle, vécu des réformes à trois reprises durant les quinze dernières années.
Puisqu’ils s’inscrivaient dans le cadre d’échanges avec les auditeurs lors d’une émission de radio, M. Bouchard, à titre d’animateur doit respecter le principe énoncé par le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) tel que « les responsables de ces émissions doivent présenter une information complète et conforme aux faits et aux évènements ». DERP, p. 29
Relativement à l’inexactitude soulevée par Mme Châteauneuf, le Conseil constate que, bien que le gouvernement ait effectivement procédé à des réformes de l’aide sociale depuis sa création en 1969, M. Bouchard a tenu en ondes les propos suivants : « Fait que comment voulez-vous qu’un parti politique prône une réforme de l’aide sociale? Jamais. Je sais pas si ça s’est déjà fait. » Considérant que M. Bouchard a clairement mentionné qu’il n’avait aucune certitude relativement à ce qu’il avançait, le grief est rejeté.
Grief 2 : équilibre
Mme Châteauneuf formule également un grief concernant l’équilibre des propos qui ont été tenus en ondes. Elle n’apportait toutefois aucune autre précision à son reproche.
Bien que les responsables des tribunes téléphoniques doivent « être attentifs à l’équité et l’équilibre dans l’argumentation. Ils doivent être respectueux des personnes, éviter de tenir des propos injurieux, grossiers, discriminatoires, voire haineux, ainsi que de verser dans la diatribe » (DERP, p. 29), le Conseil constate que le passage de quelques minutes, durant lequel M. Bouchard a fait part de son opinion en réaction à celle de l’auditeur, se déroulait dans la portion éditoriale de l’émission. Ce faisant, le Conseil estime que ce dernier disposait alors selon le DERP « d’une grande latitude dans l’expression de [ses] points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques ainsi que dans le choix du ton et du style » (p. 17). Par conséquent, le grief est rejeté.
Grief 3 : préjugés/stéréotypes
La plaignante relève également que M. Bouchard et ses coanimateurs se sont laissés guider par leurs préjugés en assimilant les personnes assistées sociales aptes au travail à des « quêteux » logés et nourris. Elle explique que les personnes qui reçoivent une prestation d’aide sociale de l’état doivent faire des choix quant aux besoins qu’ils vont combler et qu’on ne pouvait, par conséquent, pas dire qu’ils sont « logés et nourris ». En déformant de cette façon la réalité, le public aurait été induit en erreur quant à la réalité économique des personnes assistées sociales, en croyant qu’elles n’ont pas de contraintes à l’emploi.
Relativement à la question des préjugés, le DERP formule le principe suivant, à l’effet que les animateurs de tribunes téléphoniques, tels M. Bouchard, doivent veiller à ne pas véhiculer de préjugés ou de stéréotypes : « Les tribunes téléphoniques ou « lignes ouvertes » sont soumises aux mêmes exigences de rigueur, d’authenticité, d’impartialité et de qualité que tout autre type de traitement de l’information. […] les animateurs doivent éviter de se laisser guider par leurs préjugés, leurs intérêts personnels ou leurs inimitiés. » (p. 29)
Or, tout au long de l’émission, l’irrespect dont font preuve les animateurs à l’égard de la catégorie de population qu’ils qualifient de « quêteux », transparaît clairement et a pour conséquence que l’image qui en est donnée aux auditeurs est essentiellement négative et donc empreinte de préjugés. Le grief est retenu.
Grief 4 : propos discriminatoires
Enfin, la plaignante soutient l’idée que le fait de susciter en ondes un débat visant à promouvoir le fait que l’on prive les personnes assistées sociales d’un droit politique en raison de leur condition sociale est profondément discriminatoire et va à l’encontre de la dignité humaine de cette catégorie de la population.
Le guide de déontologie du Conseil rappelle à ce propos que, selon la Charte des droits et libertés de la personne du Québec : « toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge […], la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap […]. Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés. Ils doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. » DERP, p. 41. Le même guide mentionne également que la liberté d’opinion est assortie d’un certain nombre de responsabilités, notamment en regard du respect de la dignité humaine.
Le Conseil est d’avis qu’en utilisant la condition d’assisté social comme motif discriminatoire pour discuter de la question de l’exercice du droit de vote et ce, malgré les mises en garde de ses coanimateurs, M. Bouchard a enfreint la déontologie qui lui impose le respect de la dignité des personnes. Le grief est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse blâme M. Sylvain Bouchard et ses coanimateurs ainsi que la station radiophonique CJMF – 93,3, pour préjugés et propos discriminatoires.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C17G Atteinte à l’image
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination