Plaignant
M. Dimitri Roussopoulos, président, Chantier sur la démocratie municipale de la Ville de Montréal
Mis en cause
M. André Pratte, éditorialiste en chef; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Dimitri Roussopoulos reproche à La Presse de ne pas lui avoir accordé un droit de réplique à une lettre parue dans la section « Forum » du 18 juin 2008, ce qui lui aurait permis de rectifier certaines données fausses, contenues dans cette lettre et de réagir à la vision négative de l’auteure, concernant l’expérience citoyenne du budget participatif dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal.
Griefs du plaignant
M. Dimitri Roussopoulos reproche à La Presse de ne pas lui avoir accordé un droit de réplique à une lettre parue, dans la section « Forum » du 18 juin 2008, sous le titre « Un exercice démagogique : Le budget participatif du Plateau-Mont-Royal n’a que l’apparence de la démocratie ». La publication d’une réplique aurait permis de rectifier certaines fausses données et aurait permis de réagir à la vision négative de l’auteure au sujet de l’expérience citoyenne.
De plus, il dénonce le traitement accordé par La Presse aux tentatives de quelques citoyens, de publier une réplique à cette lettre, qui donne lieu à plusieurs motifs de plainte. Outre le droit de réponse du public, il y aurait des manquements en regard de l’exactitude de l’information, du choix et traitement des contributions du public, de l’impartialité, de la rectification de l’information et du respect des groupes sociaux.
M. Roussopoulos relate les faits subséquents à la parution de la lettre d’opinion du 18 juin 2008.
Les 19 et 20 juin, le plaignant et deux organismes envoient trois lettres de réplique et de rectification de données, notamment des données budgétaires.
Deux erreurs ont été relevées par le plaignant :
A. La première erreur concernerait des données financières : « L’exercice de consultation publique (pour le budget participatif seulement) coûte au bas mot 500 000 $. Au final, le PTI pourrait s’enrichir du tiers si on cessait de dédoubler l’exercice de la démocratie. »
à cette affirmation, le plaignant répond que le budget participatif (BP) coûte 100 000 $ et non 500 000 $ et ce montant provient du budget de fonctionnement, dont l’enveloppe est de plus de 50 millions et non du Programme triennal d’immobilisations (PTI).
B. La deuxième erreur concernerait le rôle des élus : « Si dans les années passées on avait réservé aux citoyens une portion du budget allouée au PTI, les élus ont choisi cette année de soumettre la totalité de l’argent au choix populaire. […] C’est donc la quasi-totalité de leur pouvoir décisionnel que les élus ont décidé de remettre entre les mains de leurs citoyens, abdiquant ainsi, ni plus ni moins, leur fonction… et leur utilité. »
à ce deuxième énoncé, le plaignant souligne que « les projets jugés éligibles, selon des critères clairs et connus de tous, sont hiérarchisés par des représentants des citoyens, en présence des élus de l’Arrondissement. Enfin, la mairesse et les autres élus du Plateau adoptent le PTI durant une séance du conseil d’arrondissement. Les élus n’abdiquent donc pas leur fonction, et ils pourraient même aisément invalider le processus s’il présentait des lacunes sérieuses. Les citoyens participent à un exercice authentiquement démocratique, mais les élus gardent leur pouvoir intact et peuvent aisément contrer toute tentative de récupération par des intérêts particuliers. »
Dans les jours suivants, plusieurs échanges téléphoniques et courriels ont eu lieu entre le plaignant et Mme Christiane Clermont de La Presse. Cette dernière aurait informé le plaignant que, le sujet n’étant plus d’actualité, aucune réplique ne serait publiée.
Le 25 juin, M. Roussopoulos adresse une lettre à M. André Pratte pour connaître les raisons du refus de publier une des répliques. Cette lettre serait restée sans réponse.
Après plusieurs appels à La Presse, Mme Christiane Clermont signale à Mme Louise Constantin que La Presse pourrait accepter de publier un article de M. Roussopoulos avec certaines prérogatives et que l’article pourrait être publié à la fin de l’été.
Le 15 septembre, le plaignant envoie à La Presse son article de portée générale sur le budget participatif et sur la démocratie participative. Il ne reçoit aucune réponse.
Dans les jours qui suivent, Mme Constantin rejoint Mme Clermont. Cette dernière l’informe qu’il n’y avait aucun engagement de La Presse à publier l’article de M. Roussopoulos et que les élections fédérales qui se déroulent occupent la priorité dans les choix de publications.
Le 30 septembre, le plaignant envoie une nouvelle lettre à M. Pratte rappelant les diverses tentatives faites pour publier une réplique dans La Presse. Cette lettre est restée sans réponse.
Selon le plaignant, toutes ces démarches entreprises par lui et d’autres citoyens démontrent que La Presse a délibérément refusé d’ouvrir ses pages à une couverture plus exacte et plus complète de l’expérience du budget participatif. M. Roussopoulos rappelle que la lettre fut publiée dans la section « Forum » qui, par définition, doit permettre l’échange de points de vue et le débat d’idées. C’est pourquoi il a décidé d’utiliser les recours offerts par le Conseil de presse. M. Roussoupoulos souhaiterait que La Presse pose un « geste de réparation » en acceptant de publier dans ses pages un article de sa part ou de la part d’un groupe de travail sur la démocratie municipale et la citoyenneté qui aborderait, dans un sens large, les enjeux de la démocratie participative à la Ville de Montréal et dans ses arrondissements.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, affaires juridiques :
De l’avis de Me Patrick Bourbeau, la plainte doit être rejetée au motif de la liberté rédactionnelle dans le choix du courrier aux lecteurs dont jouit La Presse. Le représentant des mis-en-cause pointe certains extraits du guide Droits et responsabilités de la presse indiquant le choix rédactionnel des médias à publier les lettres dans la section réservée à cette fin.
Il souligne que La Presse se soucie de respecter la diversité des points de vue des éventuels droits de réponse et des réactions à des articles publiés, mais qu’il est impossible de publier toutes les lettres que le journal reçoit. La Presse accorde donc en priorité un droit de réplique à une personne ou à un organisme qui a été directement mis en cause par un texte publié dans ses pages.
Or, la lettre publiée dans le journal ne mettait pas en cause les auteurs des lettres de réplique ou les organismes qu’ils représentent. Elle mettait plutôt en cause les élus municipaux et l’administration municipale en général, desquels La Presse n’a reçu aucune lettre de réplique. Me Bourbeau explique que, dans les cas où une personne ou un organisme est en désaccord avec le point de vue exprimé, sans être visé directement par celui-ci, et envoie une lettre au journal, cette dernière ne sera publiée que si l’espace le permet et si le débat est toujours d’intérêt public.
Me Bourbeau conclut que, dans la période où le plaignant a fait parvenir sa deuxième lettre, une campagne électorale était en cours et occupait la majorité de l’espace dans les pages éditoriales et que ces considérations justifient pleinement le refus de La Presse de publier les lettres de réplique.
Réplique du plaignant
M. Dimitri Roussopoulos maintient sa plainte et réplique aux arguments de Me Patrick Bourbeau. Tout d’abord, il dit ne pas comprendre la liberté rédactionnelle de La Presse, lorsque cette dernière choisit de publier une opinion partiale et des informations inexactes pour refuser de transmettre un autre point de vue sur le sujet abordé. Il lui apparaît que les erreurs contenues dans la lettre d’opinion méritaient d’être rectifiées et que les critères d’exactitude, d’impartialité et de rectification de l’information devraient avoir priorité sur la liberté rédactionnelle, argument avancé par le représentant des mis-en-cause.
D’autre part, il conteste le fait que La Presse ne le considère pas impliqué dans le débat soulevé par la lettre publiée le 18 juin. Ce faisant, Me Bourbeau démontre sa profonde ignorance du dossier du budget participatif, qui ne relève pas, avant tout, des élus municipaux, mais plutôt d’une initiative issue des citoyens et conjointement mise en Œuvre par les citoyens et les instances de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal.
M. Roussoupoulos explique qu’avec MM. Luc Rabouin et Pascoal Gomes, il est à l’origine de la démarche du budget participatif. Les organismes qu’ils représentent ont joué et continuent de jouer un rôle fondamental d’information, de formation et d’animation publique pour ce qui est du budget participatif et ce, à l’intérieur même d’un mandat reçu de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal. D’affirmer, comme Me Bourbeau, que la lettre publiée dans La Presse ne mettait en cause que les élus et l’administration municipale et que seules ces instances auraient eu la légitimité de répliquer est une tentative, selon le plaignant, de déplacer l’enjeu fondamental qui est ici en cause, soit de fournir aux lecteurs de La Presse une information exacte sur l’expérience du budget participatif.
Troisièmement, Me Bourbeau expliquait que l’actualité déterminait également la pertinence de publier des opinions sur certains sujets. à cet égard, M. Roussopoulos rappelle que les séances autour du budget participatif battaient leur plein et devaient culminer, dans les jours suivants, par le sommet annuel auquel tous les citoyens étaient conviés pour procéder à l’adoption du budget définitif. Selon lui, il est difficile de correspondre de plus près à l’actualité.
Enfin, Me Bourbeau rappelait qu’il y avait une campagne électorale qui occupait une grande partie des pages éditoriales. Le plaignant souligne qu’ayant conscience de cette réalité, il avait pris soin, dans sa deuxième lettre, d’élargir son propos dans un cadre plus global du fonctionnement des institutions publiques et de la place de la démocratie participative dans le système politique.
Il conclut en mentionnant que La Presse est un journal en grande partie à « vocation montréalaise » qui se doit de refléter l’ensemble de la réalité montréalaise, à plus forte raison lorsque des expériences novatrices sont en cours. Il ajoute que, si les pages éditoriales n’y suffisaient pas à cause de la campagne électorale, il y aurait sans doute eu moyen de commenter autrement, sous forme de reportage, d’entrevues, etc. Il constate qu’il s’est heurté systématiquement à une fin de non-recevoir, et que La Presse et M. André Pratte ont été de mauvaise foi dans cette situation et qu’ils ont fait preuve de partialité.
Analyse
M. Dimitri Roussopoulos reproche à La Presse d’avoir refusé un droit de réplique à une lettre parue dans la section « Forum » du 18 juin 2008. Il estime que la publication d’une réplique aurait permis de rectifier certaines fausses données et aurait permis de réagir à la vision négative de l’auteure au sujet de l’expérience citoyenne en regard du budget participatif. De plus, il dénonce le long traitement infructueux accordé par La Presse aux tentatives de quelques citoyens de publier une réplique.
Grief 1 : information inexacte
Au premier grief dénoncé, le plaignant relève deux erreurs, une relative à des données financières et une autre concernant le rôle des élus.
La première erreur relevée concernait des données financières. L’auteure de la lettre indique que : « L’exercice de consultation publique (pour le budget participatif seulement) coûte au bas mot 500 000 $. Au final, le PTI pourrait s’enrichir du tiers si on cessait de dédoubler l’exercice de la démocratie. »
La deuxième erreur concernerait le rôle des élus : « Si dans les années passées on avait réservé aux citoyens une portion du budget alloué au PTI, les élus ont choisi cette année de soumettre la totalité de l’argent au choix populaire. […] C’est donc la quasi-totalité de leur pouvoir décisionnel que les élus ont décidé de remettre entre les mains de leurs citoyens, abdiquant ainsi, ni plus ni moins, leur fonction… et leur utilité. »
En regard de la responsabilité des médias à l’égard des lettres qui lui parviennent du public, le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil de presse stipule : « Les organes de presse étant responsables de tout ce qu’ils publient ou diffusent, il en va de même en regard de l’information qui leur provient du public pour publication ou diffusion dans les espaces et les temps d’antenne réservés à cette fin. » DERP, p. 37
Après vérifications, l’ensemble des coûts pour les exercices du budget participatif sur les trois dernières années se chiffre à 100 000 $ pour l’année 2006, à 140 000 $ en 2007, puis à 150 000 en 2008. Même en totalisant ces trois années, on arrive à un montant de 390 000 $ qui est tout de même assez loin du 500 000 $ décrié dans la lettre en cause. Le Conseil constate donc une inexactitude sur ce premier point.
De plus, pour le Conseil, il est un principe selon lequel on reconnaît le droit à l’éditeur de choisir le texte qu’il souhaite publier, cela dit, dans le cas où il est constaté une inexactitude au sein de ce dernier, une correction semble nécessaire. Or en l’espèce, il n’y a eu aucune correction, M. Roussopoulos, citoyen actif et impliqué dans ce dossier demandait donc qu’un droit de réplique lui soit octroyé, car il n’y a eu aucune correction de la part du média. Le Conseil constate donc un manquement vis-à-vis de ce droit de réplique. Le grief est, par conséquent, retenu.
Grief 2 : refus de droit de réplique et manque d’équilibre
Le plaignant reproche à La Presse de lui avoir refusé d’exercer son droit de réplique, de n’avoir publié qu’un point de vue et d’avoir délibérément refusé d’ouvrir ses pages à une couverture plus exacte et plus complète sur cet exercice du budget participatif et d’avoir ainsi manifester un manque d’équilibre.
Le représentant de La Presse soutient que, dans le présent cas, les auteurs des lettres de réplique n’étaient pas mis en cause. Il ajoute que, si l’espace le permet et si le débat est toujours d’intérêt public, le média publie une réplique.
Bien que le Conseil reconnaisse la prérogative de l’éditeur en ce qui a trait à la publication des lettres des lecteurs, il recommande aussi d’encourager l’expression du plus grand nombre de points de vue qui favorisent le débat démocratique et diversifient l’information. Dans son guide de déontologie, le Conseil souligne : « Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. » DERP, p. 38
De plus, « […] Une telle ouverture ne devrait pas se limiter aux seules matières de libelle et de diffamation, mais devrait, par souci de justice, d’équité et d’éthique, s’étendre à la rectification des erreurs d’autre nature que peuvent commettre les médias et les journalistes. » DERP, p. 39
Le Conseil constate que M. Roussopoulos est un citoyen actif et qu’il est à l’origine de la démarche du budget participatif de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal et qu’il y joue un rôle d’information, de formation et d’animation publique. Il était donc normal qu’il se sente directement concerné par le texte publié par La Presse.
Considérant que le plaignant est impliqué dans l’exercice du budget participatif, la publication d’un droit de réplique raisonnable de sa part ou d’un autre organisme aurait certes éclairé les lecteurs dans ce débat. Par conséquent, les griefs en regard d’un refus de droit de réplique et de manque d’équilibre sont retenus.
Grief 3 : délai de publication
Au grief du plaignant reprochant le traitement accordé par La Presse aux tentatives de quelques citoyens de publier une réplique, M. Roussopoulos y dénonce le long échange de courriels et de téléphones, qui s’est déroulé sur une période de 4 mois et qui s’est soldé par une fin de non-recevoir.
Le Conseil comprend la frustration du plaignant accaparé par ce long processus pour finalement se voir refuser un droit de réplique. Bien que le manque d’espace, puisse parfois rendre difficile la publication des textes provenant du public, le guide des Droits et responsabilités de la presse du Conseil souligne que les médias « […] doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. » DERP, p. 38
De plus, « […] Il est également de leur responsabilité d’être courtois et ouverts envers leurs lecteurs, […], et de leur éviter les tracasseries qui pourraient les empêcher de faire valoir leurs remarques, critiques ou récriminations légitimes. » DERP, p. 37
Le Conseil considère que, dans le présent cas, où un délai difficilement défendable occasionna maintes tracasseries au plaignant, La Presse aurait dû agir avec plus de diligence dans le traitement de sa correspondance avec M. Roussopoulos. Le Conseil ne retient pas ce grief, mais recommande au média une plus grande attention dans le traitement qu’il accorde aux textes lui parvenant du public.
Décision
Compte tenu de tous les éléments exposés ci-haut, le Conseil de presse retient la plainte de M. Dimitri Roussopoulos à l’encontre de M. André Pratte et du quotidien La Presse pour avoir publié des informations inexactes, pour refus de droit de réplique et pour manque d’équilibre.
Analyse de la décision
- C08A Choix des textes
- C08C Délai de publication
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11B Information inexacte
- C12C Absence d’une version des faits
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
18 June 2009
Appelant
Le quotidien La Presse
Décision en appel
Les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision de première instance.