Plaignant
M. Alain Provencher
Mis en cause
M. Guy Gendron, journaliste; Mmes Chantal Cauchy et Brigitte Guibert, journalistes à la recherche; Mme Geneviève Guay, directrice, traitement des plaintes et affaires générales et l’émission « Enquête » et la Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
La plainte de M. Alain Provencher contre l’équipe de l’émission « Enquête » de la Société Radio-Canada, concerne deux épisodes, diffusés les 2 et 9 octobre 2008, qui avaient pour sujet la Biologie Totale. Le plaignant reproche aux mis-en-cause l’utilisation d’une caméra cachée, le manque d’équilibre et la partialité de l’information au cours des deux émissions, ainsi que la diffusion de propos tendancieux.
Griefs du plaignant
M. Alain Provencher porte plainte contre le journaliste Guy Gendron et contre les journalistes à la recherche, Chantal Cauchy et Brigitte Guibert de l’émission « Enquête » de la Société Radio-Canada (SRC). Les émissions visées par la plainte ont été diffusées les 2 et 9 octobre 2008 et avaient pour sujet la Biologie Totale. Le plaignant déplore le sensationnalisme engendré notamment par l’utilisation d’une caméra cachée, le manque d’équilibre et la partialité de l’information dans les deux émissions.
M. Provencher accuse d’abord les mis-en-cause d’avoir utilisé des « moyens déloyaux pour obtenir une information », soit une caméra cachée, d’avoir également usé de fausse représentation et d’avoir tenté indûment de surprendre les gens. De plus, les journalistes n’auraient pas tenté d’obtenir d’entrevues avec les personnes concernées avant d’avoir recours à ce procédé clandestin.
M. Provencher déplore ensuite le manque d’équilibre de l’émission, les mis-en-cause n’ayant présenté « qu’un seul côté de la médaille ». Selon lui, il y a de nombreuses omissions dans le traitement du sujet et l’information est incomplète. à plusieurs endroits, le droit de réplique a été très bref et on n’a jamais présenté la version du Dr. Sabbah. On n’a pas, non plus, demandé au Dr. Hamer pourquoi il avait « abandonné sa pratique médicale et un poste respecté dans les années 80 ». En outre, selon le plaignant, les mis-en-cause n’ont pas accordé suffisamment de temps d’antenne aux praticiens de la Biologie Totale. Selon lui, leurs interventions étaient trop brèves et la contrepartie qui leur a été permise était déficiente.
Le plaignant formule ensuite un grief pour partialité. Selon lui, les opinions présentées au cours de l’émission étaient biaisées. Les propos seraient donc tendancieux. à son avis, les émissions étaient de nature éditoriale, autant par l’introduction de la première, que par le ton utilisé au cours des deux volets. Les mis-en-cause n’ont jamais présenté d’études démontrant que la thèse de la Biologie Totale était erronée. Par contre, au-delà de mentionner les opinions d’experts de la médecine traditionnelle, ils ne fournissent jamais d’explications sur les causes des cancers.
M. Provencher annexe à sa plainte la réponse qu’il a reçue de Mme Geneviève Guay, directrice au traitement des plaintes et affaires générales, des services français de l’information de la Société Radio-Canada, au sujet de la plainte qu’il lui a adressée. Il annexe également la réponse qu’il a reçue de l’ombudsman de la SRC, Mme Julie Miville-Dechêne.
Après avoir répondu aux arguments concernant l’utilisation de la caméra cachée, il ajoute que la question n’est pas de savoir si la Biologie Totale est dangereuse, mais que l’objet de sa plainte est plutôt l’approche utilisée par l’équipe de l’émission « Enquête ». Se référant à plusieurs articles du guide des « Normes et pratiques journalistiques » en usage à Radio-Canada, le plaignant présente une série de commentaires touchant notamment la prise de position éditoriale au cours d’une émission, les règles d’exactitude, d’intégrité et d’équité, l’utilisation d’une fausse identité, le recours aux caméras et micros cachés et les interviews non consenties. Il tente alors de démontrer comment les mis-en-cause ont transgressé leurs propres règles de conduite.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Geneviève Guay, directrice au traitement des plaintes et affaires générales, services français de l’information :
Mme Guay dépose, en guise de commentaires, la réponse qu’elle avait adressée à M. Provencher à la suite de sa plainte à la SRC. Comme certains téléspectateurs lui avaient également écrit pour dénoncer la démarche journalistique employée dans le reportage sur la Biologie Totale, lors de l’émission « Enquête », Mme Guay résume ainsi leurs doléances : « Certains croient que Radio Canada a préparé ce reportage dans le but de défendre l’ordre établi de la médecine officielle. D’autres nous parlent des gens qui meurent aussi après s’être confié à la médecine moderne. »
Elle répond alors aux reproches qui ont été formulés, niant tour à tour que le reportage prétendait que la médecine moderne était en mesure de vaincre toutes le maladies et qu’elle ait toujours raison; qu’elle est à l’abri d’erreurs scientifiques, d’erreurs de diagnostics ou de fautes professionnelles; que les médicaments guérissent tout et sont sans danger. Elle ajoute, au sujet du reportage : « Il ne s’élève pas contre l’ensemble des médecines dites « douces » ou « parallèles » et n’affirme pas que le psychisme n’a rien à voir dans le développement ou l’évolution de la maladie. Surtout, ce reportage ne nie pas qu’une aide psychologique puisse être d’un grand secours pour les malades. »
Elle en précise ensuite le contenu : « Ce que ce reportage dénonce, c’est le dénigrement sans nuances de la médecine classique, par la quasi-totalité des praticiens et enseignants de la Biologie Totale que nos journalistes ont trouvé et pu voir en action. Presque tous ont conseillé de retarder ou même d’abandonner des traitements vitaux contre le cancer, sans vérifier la gravité du cancer en question, soit en promettant le miracle et la guérison, ou en disant que ces traitements étaient inutiles ou aggravaient leur état. »
Au sujet de l’utilisation des caméras cachées, elle répond que c’était la seule façon de connaître le véritable discours véhiculé par des praticiens de la Biologie Totale. La SRC a diffusé le fruit de ces tournages parce que le sujet était d’un grand intérêt public et non pas par sensationnalisme. « Nous croyons essentiel [écrit-elle] qu’une pratique aussi nouvelle et aussi peu connue puisse être discutée au grand jour, d’autant plus qu’elle touche à la santé des gens et qu’elle semble en séduire plusieurs. » Ce serait la raison pour laquelle les mis-en-cause ont invité les praticiens de la Biologie Totale à s’expliquer dans leur reportage.
Commentaires de M. Guy Gendron, journaliste :
M. Gendron précise d’abord que l’objet du reportage « était de découvrir comment se pratique la Biologie Totale au Québec, d’en exposer les dérives avérées et démontrées par le seul moyen à la disposition des journalistes pour y arriver, soit la caméra cachée ». Comme M. Provencher affirme dans sa « Réponse à Mme Guay » que le sujet de sa plainte n’est pas le contenu du reportage, mais l’approche journalistique utilisée dans les émissions, sa réaction ne portera donc que sur cet aspect. Il répond un par un aux reproches formulés à ce sujet.
« Surprendre les gens » : le journaliste répond que l’objectif n’était pas de surprendre les gens. Il est parfois nécessaire de les prendre sur le fait pour montrer leur comportement lorsqu’il est illégal, antisocial ou qu’il peut porter atteinte à l’intégrité d’autres personnes, comme c’était le cas dans le reportage sur la Biologie Totale.
« Choisir des passages juteux » : l’objectif était de faire la démonstration la plus claire, concise et précise de la réalité.
« Discréditer publiquement les personnes pour leurs écarts de conduite ou leurs opinions » : les mis-en-cause ont voulu « démontrer que les actions de plusieurs praticiens de la Biologie Totale représentent un danger réel, qu’elles contreviennent pour certaines à leur code de déontologie professionnelle et que dans tous les cas, elles reposent sur une approche scientifique à tout le moins fragile ».
« Ne pas faire la lumière sur la pertinence du sujet sous investigation » : L’objectif de l’émission était de faire la lumière sur les dangers et les risques de la Biologie Totale. M. Gendron estime que son équipe l’a atteint. Il dit toutefois comprendre que le plaignant ne partage pas l’avis des mis-en-cause sur ce que devait être le sujet du reportage.
« Avoir une interprétation très large des soi-disant normes en vigueur » : alors que les normes en vigueur à la SRC sont parmi les plus strictes au monde dans la profession, il estime que son équipe les a respectées.
« Prendre une position éditoriale dans sa programmation (première minute) : l’enquête sur la Biologie Totale a duré plus de six mois. Le plaignant voit dans l’introduction du reportage et dans son titre, la preuve que les mis-en-cause avaient une position éditoriale préétablie, mais il s’agit d’une méprise. La conclusion sur les risques de la Biologie Totale a été établie après avoir mené l’enquête et le titre a été choisi à la fin du processus.
« Techniques de présentation pour appuyer ce qui semble être les conclusions déjà toutes faites des journalistes » : les conclusions ayant été tirées à la fin d’une enquête de plusieurs mois, la présentation du reportage ne pouvait qu’aller dans le sens de telles conclusions qui étaient appuyées sur une recherche journalistique sérieuse.
« Manque d’intégrité en ayant déformé la vérité pour justifier une conclusion particulière » : la conclusion du reportage découlait du résultat d’une enquête approfondie.
« Manque d’équité pour ne pas avoir laissé suffisamment de temps de parole à MM. Lachance et Comoy, pour avoir ridiculisé le Dr. Sabbah et pour ne pas avoir donné la chance aux porte-paroles d’expliquer ce qu’est la Biologie Totale et comment elle devrait se pratiquer » : une occasion de nous expliquer leur démarche a été offerte à tous les praticiens de la Biologie Totale qui ont été filmés en caméra cachée. Presque tous ont refusé. De plus, tout un segment de reportage, soit une dizaine de minutes, a été consacré à rapporter les propos et les théories du père de la Biologie Totale, le Dr Claude Sabbah.
« Par omission, de sembler laisser sous-entendre que la Biologie Totale ainsi que les approches alternatives sont à proscrire et que seule la médecine traditionnelle a les réponses » : rien de tel n’a été dit à propos des approches alternatives ni sous-entendu dans le reportage. Ce n’était pas l’objectif de l’émission.
« D’avoir utilisé la duperie » : l’équipe n’a jamais utilisé la duperie, soit l’intention malicieuse de tromper. Les techniques utilisées étaient inhabituelles et réservées à des cas exceptionnels, tel que celui qu’offrait la Biologie Totale.
« L’utilisation de caméras et de micros cachés serait une des techniques privilégiées par l’équipe de l’émission « Enquête ». Quels sont les sujets qui ne tombent pas dans la catégorie de l’intérêt public? » : l’utilisation de caméras cachées demeure une mesure d’exception, même à l’émission « Enquête ». L’équipe n’y a recours que lorsque aucun autre moyen ne peut être envisagé pour montrer la réalité. La notion d’intérêt public n’est pas un fourre-tout.
« Ne pas avoir respecté les normes du code d’éthique de la SRC concernant les principes d’exactitude, d’honnêteté, d’équité et d’intégrité, de même que la nécessité d’une recherche scrupuleuse et assidue » : l’équipe a consacré plus de six mois à son enquête sur la Biologie Totale et le reportage qui en a suivi respecte scrupuleusement les règles en vigueur.
« Ne pas avoir demandé des entrevues avant d’utiliser des caméra cachées » : l’objectif était d’observer et de rendre compte de la pratique de la Biologie Totale au Québec, telle qu’elle se fait quotidiennement dans les cabinets privés de ceux qui s’en réclament. Il devenait donc impossible d’annoncer à l’avance à ces praticiens qu’une enquête était en cours à leur sujet. Cette démarche aurait rendu inutile l’utilisation subséquente de caméras cachées et il aurait été impossible de savoir ce qui se dit véritablement aux clients.
« Ne pas avoir accordé suffisamment de temps aux praticiens de la Biologie Totale pour s’expliquer » : la majorité des interventions contenues dans le reportage proviennent en fait de praticiens de la Biologie Totale. Si le plaignant a eu l’impression de manquer d’explications de leur part, ce n’est pas dû au manque de temps d’antenne.
« Avoir procédé à un lynchage médiatique par sensationnalisme, avoir détruit des réputations, ridiculisé et humilié des gens sans leur donner le droit de répondre » : certaines enquêtes révèlent des agissements troublants, mais il ne faut pas confondre cela avec un « lynchage médiatique », ce serait dire que les médias doivent garder le silence sur des comportements illégaux ou antisociaux de peur de déplaire à leurs auteurs, ce serait condamner les journalistes au silence et la société à l’ignorance et ce serait assurer l’impunité aux abuseurs et abandonner les victimes à leur sort.
Réplique du plaignant
Réplique à Mme Geneviève Guay :
En guise de réplique, M. Provencher dépose la réponse qu’il a formulée à la suite de la révision de sa plainte par l’ombudsman de Radio-Canada, Mme Julie Miville-Dechêne. Il indique sa déception de la réponse et son désaccord avec les conclusions de son examen. Il maintient donc sa plainte au Conseil de presse.
Réplique à M. Guy Gendron :
M. Provencher tient à réagir à la réponse de M. Gendron. Selon lui, un auditeur « ne devrait pas être obligé de faire ses propres recherches pour qu’il puisse se faire une opinion éclairée qui tient compte des deux aspects d’un sujet donné ».
En réponse à l’amorce du reportage qui présentait le témoignage d’un médecin résumant la Biologie Totale comme « un danger public », le plaignant présente un extrait du site Internet de la « Biologie Totale des 1/4Ecirc;tres Vivants » [http://www.btev.ca/]. Il en conclut : « La Biologie Totale est donc en soi sans danger [soulignés du plaignant] ». Il explique que le patient continue son traitement et explore les causes possibles à l’origine de sa maladie.
Le plaignant répond ensuite à l’affirmation selon laquelle le but du reportage était d’exposer les « dérives avérées de la pratique de la Biologie Totale ». M. Provencher relève que l’émission ne fait état que d’une seule plainte au Collège des médecins, dont on ne nous explique même pas la teneur. Il demande qui au Québec a été lésé et où en sont les preuves. Selon lui, « les journalistes n’ont pas fait la démonstration que la Biologie Totale est un danger « d’intérêt public » et ce, même si certains praticiens n’auraient pas respecté le code d’éthique de cette pratique ».
M. Provencher réagit également à l’affirmation selon laquelle les conclusions sur la Biologie Totale ont été tirées après six mois d’enquête. Il réfute cette affirmation en relevant que, dès le départ, le journaliste a modifié son apparence à l’aide d’un maquilleur professionnel et monté son scénario. Il suggère que c’est le temps qu’il a fallu à l’équipe journalistique pour justement trouver quelques éléments discutables pour supporter leur objectif de départ, qui était de surprendre certains praticiens, de les juger et de les condamner.
Le plaignant termine en relevant que, dans sa « révision », l’ombudsman de la SRC mentionne que la Dre Reichel avait recommandé à ses patients de poursuivre leurs traitements médicaux et que M. Lachance n’a pas recommandé à sa patiente d’interrompre ses traitements, des éléments qui n’auraient pas été mentionnés dans l’émission. Il en conclut que ces révélations au sujet de deux praticiens de la Biologie Totale mettent en doute l’intégrité, l’équité et l’honnêteté de l’équipe journalistique.
Analyse
M. Alain Provencher porte plainte contre l’équipe de l’émission « Enquête » de la Société Radio-Canada concernant deux épisodes diffusés les 2 et 9 octobre 2008, qui avaient pour sujet la Biologie Totale. Le plaignant reproche aux mis-en-cause l’utilisation d’une caméra cachée, le manque d’équilibre, la partialité de l’information ainsi que la diffusion de propos tendancieux.
Grief 1 : utilisation d’une caméra cachée et fausse représentation
Selon le plaignant, les mis-en-cause ont utilisé des « moyens déloyaux pour obtenir une information », soit une caméra cachée. Ils ont usé de fausse représentation et ont tenté indûment de surprendre les gens. De plus, ils n’ont pas tenté d’obtenir d’entrevues avec les personnes concernées avant d’avoir recours aux procédés clandestins.
Au sujet de l’utilisation d’une caméra cachée et l’usage de fausse représentation, le guide Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil, indique que « Le journalisme d’enquête présente des difficultés et des exigences qui justifient parfois l’usage de procédés clandestins lors de la collecte d’informations […]. Le Conseil de presse reconnaît que l’on puisse et doive parfois avoir recours à de pareils procédés. Leur utilisation doit toujours demeurer exceptionnelle et ne trouver sa légitimité que dans le haut degré d’intérêt public des informations recherchées et dans le fait qu’il n’existe aucun autre moyen de les obtenir. » DERP, p. 15
En ce qui a trait au « haut degré d’intérêt public des informations recherchées », puisque les pratiques de la Biologie Totale dont il est question dans le reportage pouvaient avoir une incidence sur la santé et même sur la vie des personnes, le Conseil considère que cette condition était respectée. Quant à l’autre condition voulant « qu’il n’existe aucun autre moyen de les obtenir », le Conseil a accepté les explications des mis-en-cause voulant que, s’il avait été annoncé à l’avance aux praticiens de la Biologie Totale qu’une enquête était en cours à leur sujet, il aurait été impossible de savoir ce qui se dit véritablement aux clients. Le procédé a par ailleurs été rendu public lors de l’émission. Aux yeux du Conseil, l’utilisation d’une caméra cachée ainsi que l’usage de fausses identités sont donc apparus justifiés dans les circonstances. Le grief n’est donc pas retenu sur cet aspect.
Grief 2 : manquements en regard de l’équilibre de l’information
Selon le plaignant, l’émission ne présentait qu’un seul côté de la médaille et de nombreuses omissions dans le traitement du sujet rendaient l’information incomplète. Ainsi, la version du Dr. Sabbah n’a jamais été présentée pas plus qu’il n’a été demandé au Dr. Hamer pourquoi il avait abandonné sa pratique et un poste respecté. Par ailleurs et toujours selon le plaignant, le droit de réplique a été très bref à plusieurs endroits. Globalement, le temps d’antenne accordé aux praticiens de la Biologie Totale étant insuffisant et leurs interventions trop brèves rendaient la contrepartie déficiente.
Le guide Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil indique que « L’information livrée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et subit un traitement journalistique […] la façon de présenter et d’illustrer l’information, relèvent du jugement rédactionnel et demeurent des prérogatives des médias et des professionnels de l’information. » DERP, p. 13. Un peu plus loin, dans le même article, le DERP précise, au sujet de la liberté de sélection d’un sujet : « Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. » DERP, p. 14
Le Conseil fait tout d’abord observer que l’émission visée par la plainte n’avait pas pour but de présenter aux téléspectateur un portrait exhaustif de la Biologie Totale. Dès l’ouverture de l’émission, on peut en effet constater que l’angle de traitement n’est pas la description d’une nouvelle approche thérapeutique, mais la révélation des dangers potentiels reliés à cette approche. L’animateur annonce : « à « Enquête » cette semaine : Quand certaines formes de médecines douces peuvent devenir dangereuses. » Quelques secondes plus tard, il ajoute : « Comment croire ceux qui prétendent pouvoir guérir les pires maladies comme le cancer par la psychothérapie? C’est en tout cas le miracle que promet une forme de médecine douce très populaire, la Biologie Totale. »
En vertu des principes exposés et malgré le fait que le plaignant aurait préféré un portrait balancé de la Biologie Totale, les mis-en-cause avaient le droit de choisir l’angle qu’ils estimaient le plus approprié pour traiter le sujet. Le Conseil constate par ailleurs qu’à l’intérieur de l’angle de traitement choisi, les praticiens de la Biologie Totale ont pleinement eu l’occasion de fournir leur version des faits et de répondre aux questions du journaliste. Cet aspect du grief n’est pas retenu.
En ce qui a trait aux informations incomplètes et aux omissions, le Conseil a estimé qu’en vertu de leur liberté journalistique, les mis-en-cause avaient le droit de sélectionner les contenus qu’ils jugeaient les plus à propos pour servir l’objectif annoncé. Et même si certaines informations auraient pu être intéressantes dans le contexte du sujet traité, les mis-en-cause n’avaient pas l’obligation d’inclure ces données dans leur reportage, dans la mesure où elles ne représentaient pas des informations essentielles à la compréhension du sujet. C’est le cas des raisons qui venaient expliquer l’abandon par le Dr. Hamer d’un poste respecté en Europe. Cet aspect du grief n’est pas retenu.
En ce qui a trait à la durée des interventions de certains participants, qui auraient été trop brèves, le Conseil estime que la liberté journalistique permettait aux mis-en-cause d’établir la longueur des interventions qu’ils jugeaient optimale pour illustrer leur sujet. Et malgré le reproche formulé, il n’est pas démontré que cette durée ait été inadéquate. Il n’y a donc pas de manquement aux principes du DERP, et le Conseil ne retient pas cet aspect du grief.
Grief 3 : manquements pour partialité et propos tendancieux
Le plaignant déplore enfin que les opinions présentées au cours de l’émission soient biaisées et les propos tendancieux. Les mis-en-cause n’ont en effet jamais présenté d’études démontrant que la thèse de la Biologie Totale était erronée et qu’il y avait eu des plaintes au Collège des médecins. Ils ne fournissent, par ailleurs, jamais d’explications sur les causes des cancers. Le plaignant ajoute que l’émission était à son avis de nature éditoriale, autant par l’introduction que par le ton utilisé.
En ce qui a trait aux reproches pour opinions biaisées et propos tendancieux, le Conseil a noté que le reportage fait témoigner des experts reconnus, ainsi que des autorités en la matière en plus du fait que certains praticiens de la Biologie totale ont eu le loisir de répliquer. à cet effet, le propos de l’Association française pour l’information scientifique, qui avait estimé après étude des travaux de MM. Hamer et Sabbah qu’il s’agissait « d’une dérive pernicieuse de la médecine psychosomatique qui présente pour les patients un danger mortel potentiel », a été repris dans le reportage, de même que la position, abondant également dans ce sens, du président du Collège des médecins du Québec. En ce qui a trait aux causes des cancers qui n’ont jamais été présentées, le Conseil conclut que puisque le reportage ne portait pas sur le cancer en tant que tel et que ce n’était pas l’angle de l’émission, les mis-en-cause ne faisaient pas montre de partialité en n’abordant pas ce point. Cet aspect du grief n’est pas retenu.
Concernant le ton utilisé, le Conseil retient que l’angle de traitement annoncé n’est pas la description neutre d’une nouvelle approche thérapeutique, avec ses forces et ses faiblesses, mais bien la révélation des dangers potentiels reliés à cette approche alternative. Ce choix est fait dans un contexte de journalisme d’enquête.
Tout en respectant les normes prescrites, les mis-en-cause avaient le droit de choisir les moyens qu’ils jugeaient les plus adéquats pour servir l’objectif annoncé de l’émission. Les découvertes inquiétantes, du point de vue de la médecine classique, sur ces « dérives avérées et démontrées » ont été communiquées au public pour l’y sensibiliser. Les mis-en-cause avaient le droit souligner aux téléspectateurs des potentiels dangers. Cet aspect du grief n’est pas non plus retenu.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Alain Provencher contre M. Guy Gendron, journaliste, Mmes Chantal Cauchy et Brigitte Guibert, journalistes à la recherche, contre l’émission « Enquête » et la direction de la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image
- C23C Recours à une fausse identité
- C23D Tromper sur ses intentions
- C23E Enregistrement clandestin