Plaignant
M. Sylvain Lessard
Mis en cause
M. David Santerre, journaliste; M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. Sylvain Lessard, agent d’immeuble, porte plainte contre trois articles parus dans Le Journal de Montréal et signés par M. David Santerre. Ces articles, publiés les 5 août, 18 et 21 novembre 2008 faisaient le suivi d’une cause opposant M. Lessard à l’une de ses clientes. De l’avis du plaignant, le journaliste aurait, au moyen de ses articles, exprimé un parti pris lui étant défavorable.
Griefs du plaignant
Concernant l’article publié le 15 août 2008, M. Lessard reproche tout d’abord au journaliste d’avoir mentionné qu’il était le seul à faire l’objet de la poursuite, ce qui serait inexact. Le plaignant lui prête l’intention d’avoir voulu briser sa carrière en agissant de la sorte. Il reproche également au mis-en-cause d’avoir utilisé le terme « arnaquer » avant même que le juge n’ait rendu sa décision.
M. Lessard insiste aussi sur le fait que M. Santerre a écrit qu’il est un agent immobilier de Saint-Hippolyte ce qui serait inexact puisqu’il travaille à Laval, précision que contenait les documents portés devant les tribunaux et sur lesquels s’est basé le journaliste.
Le plaignant déplore que le journaliste ne l’ait jamais appelé « M. Sylvain Lessard » dans son article, mais seulement « Lessard » et ce, alors qu’il énonce le nom complet des autres personnes impliquées dans cette même cause. De son avis, M. Santerre lui a manqué de respect. Il ajoute que le journaliste faisait référence à son passé dans l’article et ce, alors qu’il n’a nullement évoqué le passé des autres personnes et notamment de la partie plaignante.
Il conclut que l’article visait à le faire passer pour un voleur ayant abusé d’une personne âgée en cherchant à détruire sa carrière d’agent d’immeuble. Il regrette que le journaliste n’ait pas cherché à entrer en contact avec lui. M. Lessard ajoute qu’il a contacté le patron de M. Santerre pour lui demander de corriger l’article en question, mais ce dernier aurait refusé.
En ce qui a trait à l’article paru le 18 novembre 2008, le plaignant déplore que sa photo ait été publiée sans que son avis ne lui soit demandé.
Enfin, en faisant référence à l’article daté du 21 novembre 2008, le plaignant regrette, une fois encore, que le journaliste ait parlé de lui comme étant le seul inculpé et déplore qu’il ait utilisé certaines informations issues de documents qu’il lui avait fait parvenir par télécopieur. Il insiste sur le fait que M. Santerre a contacté l’avocat de la partie plaignante dans le cadre du procès, mais qu’il n’a jamais cherché à entrer en contact avec lui.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. David Santerre, journaliste :
Relativement au titre de l’article publié le 5 août 2008, le mis-en-cause précise que M. Lessard est le principal défendeur dans le litige dont faisait mention l’article. Il ajoute que tous les défendeurs sont toutefois identifiés dans l’article. Il réitère cette remarque pour l’article publié le 18 novembre 2008. M. Santerre mentionne également que l’information selon laquelle le plaignant est un agent immobilier de Saint-Hippolyte est exacte, puisque l’adresse apparaissant sur la requête de la partie plaignante mentionne Saint-Hippolyte.
M. Santerre ajoute que l’article repose uniquement sur des documents, déposés au dossier de la Cour, qu’il a analysés avant publication de son article. Il précise que ces documents sont publics, tout comme la cause dans le cadre de laquelle ils ont été déposés. Le dossier comprenait la requête de la partie plaignante ainsi que la défense de M. Lessard ce qui, selon M. Santerre, constituait assez d’informations pour que soit publié un article. Il ajoute que les démêlés antérieurs de la partie plaignante avec la justice n’apparaissaient nulle part dans ce dossier.
Le journaliste explique que l’article, publié le 18 novembre 2008, repose sur les débats publics de la Cour supérieure et insiste sur le fait que la moitié de l’article, au moins, traite des arguments qui constituent la défense de M. Lessard. Concernant la photo de ce dernier qui a été publiée, le mis-en-cause indique que la photo de la partie plaignante dans la cause qui les oppose a également été publiée. Ces deux photos sont de taille identique et ont été prises par un photographe du Journal de Montréal identifié en tant que tel au Palais de justice.
L’article daté du 21 novembre 2008 rapporte, quant à lui, le fait que la partie plaignante a décidé de cesser toute poursuite contre M. Lessard et que ce dernier a bien fait son travail. M. Santerre ajoute que son article résumait bien les documents l’en informant et qui lui avaient été acheminés par le plaignant qui, à ce moment, ne s’était nullement plaint du traitement journalistique qui lui avait été réservé.
Réplique du plaignant
M. Lessard a fait part de son souhait de ne pas répliquer aux commentaires de M. Santerre.
Analyse
M. Sylvain Lessard, agent immobilier, porte plainte contre trois articles parus dans Le Journal de Montréal et signés par M. David Santerre. Ces articles faisant le suivi d’une cause opposant le plaignant à l’une de ses clientes et publiés les 5 août, 18 et 21 novembre 2008, exprimeraient un parti pris lui étant défavorable.
Grief 1 : information inexacte
M. Lessard explique que dans l’article daté du 5 août 2008, le journaliste a écrit qu’il était un agent immobilier de Saint-Hippolyte, ce qui serait faux puisqu’il travaille à Laval. Le journaliste rétorque, quant à lui, qu’en mentionnant la ville de Saint-Hippolyte, il faisait référence à l’endroit où réside le plaignant et non à l’endroit où il travaille.
L’analyse a permis de s’assurer que M. Lessard réside bien à Saint-Hippolyte, cette information se trouvait effectivement dans le plumitif de la cause. L’information présentée ne contient donc pas d’inexactitudes. Le grief est rejeté.
Grief 2 : information incomplète
Le plaignant reproche également au journaliste de l’avoir présenté comme étant l’unique prévenu dans la cause qui faisait l’objet des trois articles. Dans ses commentaires, M. Santerre précise que le plaignant était le défendeur principal et non le seul dans le litige en question. Il ajoute que les autres défendeurs étaient néanmoins clairement identifiés dans le texte de ses articles.
Or, il est un principe, selon le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP), que « L’information livrée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et subit un traitement journalistique suivant divers modes appelés « genres journalistiques. Ces genres, de même que la façon de présenter et d’illustrer l’information, relèvent du jugement rédactionnel et demeurent des prérogatives des médias et des professionnels de l’information. Les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entraves ni menaces ou représailles. La presse n’a pas à se plier à un modèle idéologique unique : elle peut donc choisir ses propres sujets et décider de l’importance qu’elle entend leur accorder. » DERP, p. 14
Sur la base de ce principe, le Conseil constate que le journaliste a manifestement fait le choix de mettre l’accent sur M. Lessard en tant que défendeur principal dans la cause qu’il couvrait. Par ailleurs, à l’exception du dernier article, le mis-en-cause donnait aux lecteurs un certain nombre d’informations leur permettant de comprendre que le plaignant n’était pas l’unique défendeur dans la cause qu’il rapportait. Il s’agit, selon le Conseil, de choix d’ordre rédactionnel qui respectent les bonnes pratiques journalistiques. Le grief est, par conséquent, rejeté.
Grief 3 : manque de vérification
Le grief que formule M. Lessard, concernant le manque de vérification, porte sur les articles du 5 août et 21 novembre 2008. Il reproche au mis-en-cause de ne pas avoir pris le temps de le contacter, notamment pour obtenir sa version des faits. Dans ses commentaires, M. Santerre précise que les deux articles reposent exclusivement sur des documents déposés au dossier de la Cour ainsi que sur des documents que le plaignant lui a acheminés.
Il transparaît clairement que M. Lessard aurait aimé pouvoir s’entretenir avec le journaliste avant que celui-ci ne publie ses articles. Or, puisque ce dernier tirait ses informations de documents officiels déposés devant la Cour, il n’avait nulle obligation de contacter le plaignant pour obtenir sa version des faits. En effet, le Conseil estime que les documents de Cour sont une source d’information suffisamment riche et fiable pour que les journalistes n’aient pas à vérifier systématiquement les informations qu’ils en retirent. Le grief est rejeté.
Grief 4 : divulgation des antécédents judiciaires
Selon M. Lessard, rien ne justifiait que le journaliste aborde son passé judiciaire dans l’article daté du 5 août 2008, en passant sous silence celui de son opposante. M. Santerre rétorque que les documents sur lesquels il a basé cet article, c’est-à-dire les documents publics de la Cour, faisaient uniquement mention du passé du plaignant, ce que ce dernier ne nie pas.
Concernant la divulgation des antécédents judicaires, le guide de déontologie du Conseil dispose d’un principe qui énonce que : « La presse ne peut faire allusion aux antécédents judiciaires des accusés à moins qu’ils ne soient admis en preuve devant le tribunal. » DERP, p. 45
à la lecture de ce principe, il apparaît clairement au Conseil que le journaliste pouvait faire le libre choix de mentionner les antécédents du plaignant qui ont été présentés devant la Cour, en effet, le journaliste a choisi de ne publier que ce qui lui semblait pertinent et d’intérêt public, ce qu’il est par ailleurs en droit de faire. Le grief est donc rejeté.
Grief 5 : divulgation de l’identité/photo
Le plaignant regrette que le journaliste ait, dans son article daté 18 novembre 2008, choisi de publier une photo de lui et ce, sans qu’il ait expressément fait part de son consentement. Le mis-en-cause précise, quant à lui, que les photos des deux parties au dossier ont été publiées en illustration à l’article et qu’elles avaient le même format. Il ajoute qu’elles ont été prises par un photographe autorisé du Journal de Montréal au Palais de justice.
Concernant l’illustration des articles, le guide de déontologie du Conseil évoque que « La liberté de la presse et le droit du public à l’information autorisent les médias et les professionnels de l’information à prendre et à diffuser les photos qu’ils jugent d’intérêt public. » DERP, p. 19
Sur la base de ce principe, le Conseil conclut que le journaliste pouvait choisir de publier la photo de M. Lessard en illustration à son article et qu’il n’avait pas à obtenir son consentement avant publication. Le grief est rejeté.
Grief 6 : discréditer, procès par les médias
De l’avis du plaignant, M. Santerre lui aurait manqué de respect à deux reprises, dans l’article du 5 août 2008, en utilisant le vocable « arnaquer » pour faire référence aux actions pour lesquelles il était poursuivi, ainsi qu’en l’appelant exclusivement et irrespectueusement « Lessard ».
Or, le Conseil constate que l’utilisation du vocable « arnaquer » résulte de l’interprétation que faisait le journaliste, du fait que M. Lessard a abusé de la crédulité d’une de ses clientes. Ce faisant, le journaliste pouvait parfaitement utiliser le vocable « arnaquer ». En ce qui a trait au fait que M. Santerre ferait systématiquement référence au plaignant en utilisant l’expression « Lessard », le Conseil constate que ce n’est pas toujours le cas et qu’il restait, par ailleurs, libre d’utiliser cette formule s’il le souhaitait. Le grief est rejeté.
Grief 7 : absence/refus de rectification
Le dernier grief du plaignant est à l’effet que la rédaction du Journal de Montréal n’a accordé aucun crédit à sa demande de correctif. Puisque l’analyse du Conseil n’a permis de constater aucun manquement à la déontologie journalistique, le média n’avait, dès lors, aucune obligation à se plier aux exigences du plaignant. Le grief est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Sylvain Lessard à l’endroit du journaliste, M. David Santerre et du quotidien Le Journal de Montréal.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C15D Manque de vérification
- C16A Divulgation des antécédents judiciaires
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17H Procès par les médias
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
24 November 2009
Appelant
M. Sylvain Lessard
Décision en appel
Les membres de la commission d’appel ont d’abord constaté que contrairement à ce qu’avait affirmé M. David Santerre, les antécédents judiciaires de M. Sylvain Lessard n’ont jamais été déposés en preuve devant le tribunal, mais constituaient néanmoins, des éléments d’information d’intérêt public et pertinents dans le cadre du sujet couvert.
à la lumière d’une vérification effectuée par le Conseil auprès de journalistes judiciaires, les membres de la commission ont, de plus, constaté que la restriction exprimée dans le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) ne s’appliquerait, dans la réalité contemporaine des palais de justice, que dans les cas impliquant un jury et non pas dans les causes entendues devant un juge seul.
Puisque les principes sous-tendus dans le DERP (intérêt public et pertinence des antécédents judiciaires) ont été respectés, dans le présent cas, et puisque la cause fut entendue devant un juge seul, les membres de la commission rejettent l’appel de M. Lessard et maintiennent la décision de première instance. Par ailleurs, ils demandent au Conseil de mieux préciser, dans le DERP, toutes les dispositions entourant la divulgation des antécédents judiciaires.