Plaignant
Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal (STIJM) et M. David Patry-Cloutier
Mis en cause
M. André Beauvais, rédacteur en chef et le quotidien 24 heures
Résumé de la plainte
M. David Patry-Cloutier porte plainte, au nom du Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal (STIJM), contre le quotidien 24 heures et son rédacteur en chef, M. André Beauvais, concernant un article publié le 16 avril 2009, dans l’édition papier et sur le site Internet du journal, sous le titre « CSN et STIJM : allégations sans fondement ». Le plaignant dénonce le manque d’équilibre et de rigueur de l’article.
Griefs du plaignant
M. David Patry-Cloutier porte plainte, au nom du Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal (STIJM), contre le quotidien 24 heures et son rédacteur en chef, M. André Beauvais, concernant un article publié le 16 avril 2009, dans l’édition papier et sur le site Internet du journal, sous le titre « CSN et STIJM : allégations sans fondement ».
Le plaignant déplore que l’article reprenne, presque intégralement, des parties d’un communiqué intitulé : « Selon Quebecor Media, la CSN et le STIJM continuent à soutenir des allégations sans fondement », émis la veille par Quebecor Media inc. L’article démontrerait « une profonde partialité dans le traitement de l’information », n’offrant aucun droit de réplique au STIJM, pourtant visé par les propos.
Le représentant du STIJM estime donc que cet article du 24 heures ne répond pas aux critères d’éthique journalistique généralement reconnus, puisqu’il ne respecte pas l’équilibre et la rigueur de l’information ainsi que les exigences d’impartialité.
M. Patry-Cloutier dresse ensuite un bref rappel des faits entourant la rédaction du texte mis en cause. Le 15 avril 2009, à la veille d’une audience de la Commission des relations du travail (CRT), Quebecor Media a émis un communiqué que le quotidien 24 heures a repris dans ses pages le lendemain. Ce communiqué exposait la position de Quebecor, également propriétaire du journal mis en cause, face à la démarche du STIJM et de la CSN.
Le représentant du STIJM regrette qu’aucun journaliste n’ait tenté d’obtenir la version des faits du syndicat qu’il représente, ni de la CSN, pour leur permettre de répliquer aux allégations de Quebecor. Ce faisant, la direction du quotidien 24 heures aurait laissé aux lecteurs l’impression que le STIJM et la CSN mentaient. En raison du caractère conflictuel des faits rapportés et dans l’attente du jugement de la CRT, le plaignant soutient qu’il est difficile de prétendre qu’une ou l’autre des parties en cause détient la stricte vérité, « d’où l’importance de donner la parole aux deux parties ».
Pour le plaignant, le 24 heures s’est comporté, dans le traitement de ce dossier, « comme un défenseur de la position de son propriétaire, Quebecor, plutôt que de diffuser une information juste et équilibrée ».
M. Patry-Cloutier précise, enfin, qu’il a contacté le rédacteur en chef du journal, le 21 avril 2009, et que cette démarche ne s’est pas conclue de manière satisfaisante, puisque le mis-en-cause ne s’est jamais formellement engagé à corriger la situation, demandant au STIJM de publier, à son tour, un communiqué exposant ses positons, sans garantie de publication. M. Beauvais aurait également refusé une offre d’entrevue avec le président et porte-parole du STIJM, M. Raynald Leblanc.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. André Beauvais, rédacteur en chef :
M. Beauvais relate d’abord le contexte dans lequel fut publié l’article. Ce dernier, paru sur le site Internet et dans les pages du quotidien 24 heures, consistait en un résumé d’un long communiqué émis par Quebecor Media, le 16 avril 2009, qui répliquait à certaines déclarations faites précédemment par la CSN et le STIJM.
Pour le rédacteur en chef, la direction du 24 heures présentait aussi, dans cet article, le point de vue de la CSN et du STIJM, qui avait été exprimé précédemment dans des déclarations publiques et qui a entraîné cette réplique de Quebecor. Ainsi, selon les mis-en-cause, « le lecteur pouvait très bien comprendre le cadre de cette intervention et la réponse de Quebecor ». M. Beauvais estime donc que les lecteurs du 24 heures furent bien informés et que la réplique de Quebecor devait être publiée pour favoriser la bonne compréhension du dossier. Il soutient qu’il était inutile de présenter une réaction syndicale au communiqué patronal puisque les positions des parties étaient déjà suffisamment exposées. Aucun journaliste ne fut donc assigné pour recueillir cette réplique, comme aucun ne fut assigné pour obtenir la version de Quebecor.
M. Beauvais explique que 24 heures a donné suite à un communiqué de presse diffusé par Quebecor et, lorsque les plaignants ont demandé un « droit d’intervention », il fut décidé de leur accorder le même traitement en les invitant à faire parvenir un communiqué à la rédaction du journal, pour exposer les éléments nouveaux qu’ils souhaitaient ajouter à cette histoire.
Pour conclure, le représentant des mis-en-cause précise que la demande des plaignants, pour répliquer à l’article du 16 avril 2009, leur est parvenue sept jours plus tard, le 21 avril. Il estime que cette demande n’était alors plus tellement d’actualité et que la direction du 24 heures n’a, en outre, jamais reçu le communiqué.
Réplique du plaignant
M. Patry-Cloutier revient d’abord sur les commentaires de M. Beauvais qui affirmait que l’article constituait une « réplique à certaines déclarations qui avaient été faites précédemment par la CSN et le STIJM ». Il s’interroge sur ces prétentions, alors que les communiqués émis par le STIJM, les 14 et 15 avril 2009, « ont été ignorés par la direction du journal 24 heures et n’ont fait l’objet d’aucune couverture ». Ainsi, les lecteurs, s’informant dans les pages ou sur le site Internet du quotidien, n’ont jamais pu prendre connaissance de la position du STIJM, alors qu’ils ont eu tout le loisir de lire les récriminations de Quebecor, dont des allégations, dans l’article du 16 avril, laissant entendre que le syndicat mentait.
Le plaignant déplore « le caractère particulièrement insidieux » des mis-en-cause, représentant un journal appartenant au groupe Quebecor, dans le conflit opposant le STIJM au Journal de Montréal, aussi propriété de Quebecor. Le 24 heures aurait systématiquement ignoré les communiqués émis par la partie syndicale, alors qu’il aurait publié presque intégralement tous ceux émis par Quebecor Media, et sans donner la parole au représentant du syndicat « afin d’équilibrer l’information publiée ». Ce faisant, le journal aurait dérogé à sa fonction d’information, pour se faire le promoteur de la vision de son propriétaire.
Le représentant du STIJM s’étonne des propos du mis-en-cause, lorsqu’il affirme que la version du syndicat faisait partie intégrante de l’article visé par la plainte et que, par le fait même, il était inutile de le contacter pour obtenir sa version des faits. D’autant plus, que M. Beauvais affirme n’avoir « assigné aucun journaliste à cette histoire, comme nous n’avions d’ailleurs assigné aucun journaliste pour obtenir la version de Quebecor Media ». La direction de 24 heures se serait ainsi fiée au communiqué publié par Quebecor pour présenter la version du STIJM dans cette affaire, s’exposant ainsi à un important biais.
M. Patry-Cloutier ajoute que les plaignants ont décidé de décliner l’offre de la rédaction du 24 heures de rédiger un troisième communiqué pour « rectifier le mauvais traitement servi par le 24 heures, puisque la direction [du journal] avait déjà ignoré les deux communiqués précédents ». Le STIJM a toutefois envoyé un nouveau communiqué aux médias, le 23 avril. Ce dernier aurait, encore une fois, été ignoré par la direction du 24 heures.
Analyse
M. David Patry-Cloutier porte plainte, au nom du Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal (STIJM), contre le quotidien 24 heures et son rédacteur en chef, M. André Beauvais, concernant un article publié le 16 avril 2009, dans l’édition papier et sur le site Internet du journal, sous le titre « CSN et STIJM : allégations sans fondement ». Le plaignant dénonce le manque d’équilibre et de rigueur de l’article.
Grief 1 : manque d’équilibre
Pour le plaignant, les mis-en-cause ont manqué à leur devoir d’équilibre et de rigueur, en « [r]eprenant pratiquement intégralement des parties du communiqué émis par Quebecor », en ne leur accordant aucun droit de réplique et en ne tentant pas d’obtenir la version des faits du STIJM ou de la CSN.
Le mis-en-cause soutient, pour sa part, que le communiqué émis par Quebecor était une réplique à certaines déclarations faites précédemment par la partie syndicale et que l’article présentait le point de vue des plaignants, qui avait été exprimé dans des déclarations publiques et qui avait entraîné cette réplique. Ce faisant, il n’aurait donc pas été nécessaire de contacter la CSN ou le STIJM pour obtenir leur réplique.
Au sujet de l’équilibre de l’information contenue dans une nouvelle, le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil de presse mentionne : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » DERP, p. 26
L’article en cause traite du point de vue de Quebecor Media dans le dossier opposant l’entreprise à la CSN et au STIJM devant la Commission des relations du travail (CRT). Ainsi, à la veille des audiences devant la CRT, le 24 heures avait l’occasion de présenter la version des faits des deux parties, de faire part de leurs attentes et des grands principes évoqués. Or, l’analyse de l’article et du communiqué émis par Quebecor Media, le 15 avril 2009, a permis au Conseil de constater que le texte du 24 heures reprend presque intégralement le contenu du communiqué citant, par moments, la source du communiqué et reprenant d’autres extraits intégralement sans les attribuer à la source. Il ne rapporte le point de vue des plaignants que par ce qui en a été présenté à l’intérieur du communiqué de Quebecor, qui répondait aux principales récriminations de la partie syndicale devant la CRT, soit « que Quebecor Media ait doublé le nombre de cadres à l’emploi du Journal de Montréal « dans les mois qui ont précédé le conflit » » et l’Agence QMI qui serait « une création récente de Quebecor Media pour pallier aux effectifs en conflit ».
Le Conseil s’est donc interrogé à savoir s’il était suffisant de présenter le point de vue de la partie syndicale uniquement à travers le communiqué émis par la partie patronale. En analysant les communiqués émis précédemment par le STIJM, dont ceux des 31 mars et 14 avril 2009, il a constaté que ceux-ci présentaient plusieurs arguments, qui étaient beaucoup plus soutenus que les deux points principaux évoqués dans le communiqué de Quebecor du 15 avril 2009.
Les communiqués du syndicat stipulent notamment qu’il demande à la CRT d’émettre une ordonnance enjoignant le Journal de Montréal de cesser de publier tout texte et/ou photo provenant de l’Agence QMI, mais également des publications et sites Internet de 7 jours, 7jours.ca, 24 heures, 24heures.ca, Ici, Canoe.ca, Argent.ca, ainsi que des hebdos régionaux appartenant à Quebecor. On y mentionne aussi que la plainte déposée par le syndicat vise également des textes ou des photos en provenance du Journal de Québec traitant d’événements qui se produisent hors de son territoire. La plainte concerne aussi la publication de caricatures de YGreck.ca et l’utilisation de photos provenant de photographes à leur compte ou à l’emploi d’autres employeurs. Le syndicat demande aussi que les collaborateurs externes s’en tiennent à la situation qui prévalait avant le conflit et n’agissent plus comme des travailleurs de remplacement. Selon le STIJM, il est impossible de produire un quotidien de l’envergure du Journal de Montréal à partir du travail de 25 cadres, alors que normalement son contenu est alimenté par plus de 80 journalistes, il semble donc y avoir une incongruité à cet égard. Le syndicat déplore que la direction de Quebecor tente de faire signer un contrat aux journalistes-pigistes qui les transformerait, contre leur volonté, en briseurs de grève, en leur demandant de céder leurs droits d’auteurs et leurs droits moraux. Le STIJM dénonce le travail de collaborateurs, tels Guy Bourgeois et Marie-Joëlle Parent, qui agissent comme travailleurs de remplacement depuis le début du conflit.
Ces arguments, évoqués dans les communiqués de la partie syndicale et non repris dans l’article en cause, démontrent qu’il y a eu déséquilibre dans l’information présentée dans le 24 heures, au profit de Quebecor. L’article du 16 avril 2009 reprenant uniquement les deux critiques syndicales invoquées dans le communiqué émis par Quebecor, sans développer l’argumentation sur laquelle le syndicat se base pour formuler ses critiques, alors que la partie patronale développe l’entièreté de son point de vue.
Enfin, un traitement journalistique permettant aux plaignants de présenter leur point de vue à l’intérieur de l’article aurait permis d’équilibrer l’information, ce qui ne fut pas le cas, puisque la rédaction du 24 heures s’est cantonnée à rapporter intégralement des extraits du communiqué émis par Quebecor. Pour rectifier ce déséquilibre, la direction du quotidien aurait dû, à tout le moins, permettre aux plaignants de réagir à l’article contesté, dans les pages du journal. En faisant preuve de plus d’ouverture envers la partie syndicale, la direction du 24 heures se serait, en outre, assurée d’éviter toute apparence de partialité envers son propriétaire, Quebecor Media, également propriétaire du Journal de Montréal. Le grief est retenu.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse blâme le quotidien 24 heures et de son rédacteur en chef, M. André Beauvais, pour manque d’équilibre de l’information.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C13A Partialité
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C23P Diffuser un communiqué sans traitement